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Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 6B.630/2019
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Bundesgericht

Tribunal fédéral

Tribunale federale

Tribunal federal

               

6B_630/2019

Arrêt du 29 juillet 2019

Cour de droit pénal

Composition

MM. et Mmes les Juges fédéraux Denys, Président,

Jacquemoud-Rossari, Oberholzer, Rüedi et Jametti.

Greffier : M. Graa.

Participants à la procédure

X.X.________, représentée par Me Robert Assaël, avocat,

recourante,

contre

Service de l'application des peines et mesures (SAPEM),

intimé.

Objet

Droit à l'information (art. 92a CP),

recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de
Genève, Chambre pénale de recours, du 23 avril 2019 (ACPR/298/2019 PS/9/2019).

Faits :

A. 

Par arrêt du 31 août 2015, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour
de justice de la République et canton de Genève a condamné X.X.________, pour
complicité dans l'assassinat de C.A.________ - fils de B.A.________ -, à une
peine privative de liberté de six ans.

Par arrêt du 29 juin 2016 (6B_1276/2015), le Tribunal fédéral a rejeté le
recours formé par X.X.________ contre cet arrêt.

B. 

Le 12 septembre 2018, B.A.________ a demandé au Service de l'application des
peines et mesures (ci-après : SAPEM), en application de l'art. 92a CP, de
l'informer si, en particulier, D.X.________ - qui avait été également condamnée
dans cette affaire et avait été vue à... quelques jours auparavant - ainsi que
X.X.________, sa mère, avaient été libérées définitivement ou de façon
conditionnelle, afin d'éviter de les croiser, compte tenu notamment de
l'atrocité du crime commis.

Par décision du 14 février 2019, le SAPEM a accepté d'informer B.A.________ de
toutes les décisions essentielles qui ont été prises ou seront prises dans le
cadre de l'exécution de la peine de X.X.________, ainsi que concernant la fin
de celle-ci ou une éventuelle fuite de la prénommée.

Par arrêt du 23 avril 2019, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice
genevoise a rejeté le recours formé par X.X.________ contre la décision du 14
février 2019.

C. 

X.X.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre
l'arrêt du 23 avril 2019, en concluant principalement à sa réforme en ce sens
que la demande d'informations présentée par B.A.________ est rejetée et,
subsidiairement, à son annulation et au renvoi de la cause à l'autorité
cantonale pour nouvelle décision. Elle sollicite par ailleurs l'octroi de
l'effet suspensif.

Considérant en droit :

1. 

Selon l'art. 78 al. 2 let. b LTF, le Tribunal fédéral connaît des recours
contre les décisions rendues en matière pénale, y compris celles sur
l'exécution des peines et des mesures.

Selon l'art. 81 al. 1 LTF, a qualité pour former un recours en matière pénale
quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été
privé de la possibilité de le faire (let. a) et a un intérêt juridique à
l'annulation ou à la modification de la décision attaquée (let. b).

En l'occurrence, la recourante a pris part à la procédure de dernière instance
cantonale. Dès lors qu'elle s'oppose à une décision prise dans le cadre de
l'exécution de sa peine, en faisant valoir son intérêt à ne pas voir des
informations qui la concernent être transmises à une tierce personne, celle-ci
dispose de la qualité pour former un recours en matière pénale au Tribunal
fédéral.

2. 

La recourante reproche à la cour cantonale d'avoir violé l'art. 92a CP en
confirmant la décision d'informer B.A.________ des événements et décisions
essentiels relatifs à l'exécution de sa peine.

2.1. Aux termes de l'art. 92a CP, les victimes et les proches de la victime au
sens de l'art. 1 al. 1 et 2 de la loi du 23 mars 2007 sur l'aide aux victimes
(LAVI; RS 312.5) ainsi que les tiers, dans la mesure où ceux-ci ont un intérêt
digne de protection, peuvent demander par écrit à l'autorité d'exécution
qu'elle les informe du début de l'exécution d'une peine ou d'une mesure par le
condamné, de l'établissement d'exécution, de la forme de l'exécution, si
celle-ci diverge de l'exécution ordinaire, de l'interruption de l'exécution, de
l'allégement dans l'exécution (art. 75a al. 2 CP), de la libération
conditionnelle ou définitive et de la réintégration dans l'exécution (al. 1
let. a) et, sans délai, de toute fuite du condamné ou de la fin de celle-ci
(al. 1 let. b). L'autorité d'exécution statue sur la demande après avoir
entendu le condamné (al. 2). Elle peut refuser d'informer ou révoquer sa
décision de le faire uniquement si un intérêt prépondérant du condamné le
justifie (al. 3). Si l'autorité d'exécution accepte la demande, elle rend son
auteur attentif au caractère confidentiel des informations communiquées. Les
personnes qui ont droit à une aide aux victimes selon la LAVI ne sont pas
tenues à la confidentialité envers la personne chargée de les conseiller dans
un centre de consultation au sens de l'art. 9 LAVI.

L'art. 92a CP, introduit par la loi fédérale sur le droit de la victime à être
informée (modification du CP, du DPMin, du CPP et de la PPM; RO 2015 1623), est
entré en vigueur le 1er janvier 2016. Cette disposition trouve son origine dans
une initiative parlementaire qui visait à accorder aux victimes un droit à
l'information concernant globalement la détention de l'auteur de l'infraction
après la fin de la procédure pénale (initiative parlementaire "Loi sur l'aide
aux victimes. Octroi à la victime de droits importants en matière
d'information" déposée le 30 avril 2009).

Dans un avant-projet portant sur une modification du CP, la Commission des
affaires juridiques du Conseil national a notamment proposé d'accorder à la
victime, voire à ses proches, un droit à l'information concernant la situation
de l'auteur de l'infraction exécutant sa sanction, en prévoyant que l'autorité
puisse "exceptionnellement refuser l'information si le condamné a un intérêt
justifié et prépondérant au maintien du secret" (cf. rapport de la Commission
des affaires juridiques du Conseil national, FF 2014 867). Au terme de la
procédure de consultation menée, l'avant-projet a été modifié et il a été
proposé de reprendre la règle - plus restrictive - figurant à l'art. 214 al. 4
CPP, selon laquelle l'autorité peut refuser l'information si celle-ci "devait
exposer le condamné à un danger sérieux" (cf. FF 2014 868 et 881). Selon la
Commission des affaires juridiques du Conseil national, le droit de la victime
à être informée ne pouvait être considéré comme absolu, celui-ci s'opposant au
"droit à l'autodétermination en matière d'information garanti à la personne
condamnée par l'art. 13 al. 2 Cst.". L'intérêt du condamné au maintien du
secret devait être considéré comme prépondérant sur celui de l'ayant droit à
être informé lorsque "la transmission d'informations pourrait faire peser un
risque grave sur l'intégrité physique ou psychique du condamné, en l'exposant à
la vengeance de l'ayant droit ou de ses proches" (cf. rapport de la Commission
des affaires juridiques du Conseil national, FF 2014 875 s.).

A cet égard, le Conseil fédéral, dans son avis du 15 janvier 2014, a proposé de
modifier le texte envisagé, en prévoyant que l'autorité pourrait refuser
l'information demandée si "un intérêt prépondérant du condamné le justifi [ait]
". Pour défendre cette position, le Conseil fédéral a notamment relevé que le
condamné bénéficiait "du droit fondamental à l'autodétermination en matière
d'information, selon lequel les autorités ne sont par principe pas autorisées à
remettre à des tiers (p. ex. la victime ou ses proches) des données se
rapportant à sa personne", ce droit ne pouvant être restreint "qu'aux
conditions fixées à l'art. 36 Cst.". Il convenait ainsi, au regard des
principes découlant de cette disposition, de "mettre en balance les intérêts du
condamné et du demandeur". Sur ce point, le Conseil fédéral a relevé que
l'article 92a CP envisagé remplissait les conditions d'une loi formelle
permettant de justifier des "restrictions sévères aux droits fondamentaux". Il
a ajouté qu'il existait un intérêt public des victimes et de leurs proches à
recevoir des informations sur l'exécution des peines et des mesures, car
ceux-ci devaient "pouvoir se mouvoir librement, c'est-à-dire sans avoir à
redouter de croiser inopinément la personne condamnée", d'autant que ces
renseignements pouvaient "les aider à mieux surmonter les traumatismes
provoqués par l'infraction". Le Conseil fédéral a précisé que l'autorité
pourrait faire usage de l'art. 292 CP pour "garantir la confidentialité des
informations, en soumettant à des sanctions toute transmission illicite de ces
dernières". S'agissant plus particulièrement de la proposition faite de calquer
le critère d'octroi de l'information sur celui ressortant de l'art. 214 al. 4
CPP, il a indiqué que cette règle restreindrait "inutilement la portée de la
pesée des intérêts". Selon lui, les intérêts en question n'étaient pas
identiques à ceux qui existaient durant la procédure - soit lorsque la victime
"s'expose à un danger en accablant le prévenu" -, car la menace pesant sur la
victime et les personnes concernées n'était "plus aussi grande une fois la
procédure pénale close". Le Conseil fédéral a encore relevé que l'évaluation
qui devait être opérée par l'autorité devait "inclure l'ensemble des intérêts
des parties, comme la raison de la demande (le demandeur est-il seulement
curieux ou est-il tout aussi touché que la victime ?) et les conséquences de la
décision sur la réintégration sociale du condamné ou sur les contacts entre les
personnes concernées", afin de tenir compte des droits fondamentaux des
personnes concernées. Il convenait notamment d'éviter que "l'ayant droit
n'utilise les informations pour tenter d'empêcher le condamné de se réinsérer
socialement, de trouver un logement ou du travail, en informant de son passé
les bailleurs et les employeurs potentiels ou en rendant public son ancien
statut (en placardant par exemple « ici vit un criminel ») ". Lorsque de tels
comportements semblaient probables, il paraissait "disproportionné de livrer à
leurs auteurs potentiels des informations sur l'exécution de la peine ou de la
mesure, surtout si le condamné a commis un acte de peu de gravité" (cf.
initiative parlementaire Octroi à la victime de droits importants en matière
d'information, avis du Conseil fédéral, FF 2014 889 s.).

Devant les Chambres fédérales, la formulation de l'art. 92a al. 3 CP a donné
lieu à de vives discussions ainsi qu'à des divergences de vues entre le Conseil
national et le Conseil des Etats (cf. notamment BO 2014 CE 763 et 866 s.; BO
2014 CN 758 ss, 1598 ss et 1701 ss). En substance, une opposition s'est
dessinée entre, d'une part, ceux estimant que l'intérêt de l'ayant droit
l'emportait en principe systématiquement sur celui du condamné et craignant
qu'une simple pesée des intérêts puisse conduire à refuser trop aisément la
délivrance d'informations, et, d'autre part, ceux considérant - avec le Conseil
fédéral - que l'exigence de l'existence d'un "danger sérieux" pour le condamné
en cas de transmission de l'information serait si élevée qu'elle exclurait en
pratique tout refus de communication. Au terme de ces débats, le critère du
"danger sérieux" devant planer sur le condamné pour justifier un refus
d'information a été abandonné. En revanche, afin de marquer le caractère
"exceptionnel" du refus, il a été décidé de préciser que l'autorité pourrait
refuser d'informer ou révoquer sa décision de le faire "uniquement" si un
intérêt prépondérant du condamné le justifiait (cf. BO 2014 CN 1703).

On peut ajouter que le droit à l'information prévu à l'art. 92a CP s'applique
aussi à l'exécution ordonnée en vertu de l'ancien droit (cf. RO 2015 1624).

2.2. La cour cantonale a exposé que B.A.________, mère de la victime, était une
proche au sens de l'art. 1 al. 2 LAVI et avait, partant, le droit de demander
des informations sur l'exécution de la peine purgée par la recourante. La
prénommée avait justifié sa demande par sa volonté d'éviter de croiser la
recourante, qui pourrait potentiellement résider près de chez elle. Le
caractère improbable d'une rencontre inopinée entre les deux intéressées ou le
fait que la recourante ne constituerait pas une menace pour B.A.________ ne
fondaient pas un intérêt prépondérant, pour celle-ci, justifiant de refuser la
transmission des informations demandées. Il n'était au demeurant pas irréaliste
ni improbable que B.A.________ puisse se rendre à... ou que la recourante
puisse se trouver à....

L'autorité précédente a ajouté que la recourante n'avait étayé ses craintes
pour sa vie par aucun élément concret, aucune menace de représailles, quelle
qu'en fût la forme, qui aurait pu être proférée à son encontre. L'intéressée
n'avait donc fait valoir aucun intérêt prépondérant permettant de refuser la
transmission des informations en question.

2.3. La recourante ne conteste pas que B.A.________ fût fondée à demander des
informations à titre de l'art. 92a CP, ni ne discute la teneur des
renseignements qui doivent, selon la décision attaquée, être communiqués à la
prénommée, mais s'oppose à toute transmission de cet ordre. Elle évoque tout
d'abord la faible probabilité qu'une rencontre inopinée puisse survenir. Or,
comme l'a relevé l'autorité précédente, l'idée qu'une telle rencontre puisse se
concrétiser - tandis que les deux intéressées vivraient à quelques dizaines de
kilomètres de distance - n'a rien d'extravagant. Les informations transmises
permettront ainsi notamment à B.A.________, dès la libération de la recourante,
d'éviter... et ses environs. Contrairement à ce que soutient la recourante, la
cour cantonale a bien effectué une pesée des intérêts et son raisonnement ne
revient nullement à accepter la transmission d'informations dès lors qu'une
rencontre entre les personnes concernées est envisageable. La perspective, pour
un ayant droit, de croiser fortuitement le condamné constituait d'ailleurs l'un
des principaux éléments ayant justifié l'adoption de l'art. 92a CP (cf. consid.
2.1 supra). En l'occurrence, la pesée des intérêts s'est avérée défavorable à
la recourante car cette dernière n'a fait valoir aucun intérêt propre à refuser
la communication.

La recourante prétend ensuite qu'une transmission d'informations ne se
justifierait que lorsque le condamné aurait eu un "comportement négatif" à
l'encontre de l'ayant droit, notamment en proférant des menaces à son égard.
Or, une telle exigence ne ressort aucunement de l'art. 92a al. 3 CP, ni ne
correspond à la volonté du législateur, lequel a entendu permettre
exceptionnellement à l'autorité de refuser la transmission d'informations en
présence d'un intérêt prépondérant du condamné (cf. consid. 2.1 supra). On peut
ajouter que la doctrine ne préconise pas d'appliquer des critères plus stricts
en la matière, mais considère qu'un refus, de la part de l'autorité, pourrait
se justifier lorsque l'ayant droit risquerait de se venger, de s'en prendre
physiquement au condamné, d'entraver sa réinsertion ou lorsque celui-ci aurait
déjà, par le passé, mésusé de renseignements de ce type (cf. DANIEL WYSSMANN,
in Basler Kommentar, Strafrecht, 4e éd. 2019, n° s 23 s. ad art. 92a CP;
TRECHSEL/AEBERSOLD, Schweizerisches Strafgesetzbuch, Praxiskommentar, 3e éd.
2018, n° 3 ad art. 92a CP). Dans le présent cas, la recourante évoque son bon
comportement et l'absence d'attitude hostile envers B.A.________, mais
n'explique pas quel serait concrètement son intérêt à refuser les informations
demandées.

Enfin, dans la mesure où la recourante affirme qu'elle aurait "peur de
possibles représailles", tout en admettant que de telles craintes "ne reposent
pas sur un élément objectif", l'intéressée ne fait pas davantage valoir un
intérêt pouvant être considéré comme prépondérant au regard de celui revendiqué
par B.A.________. Au demeurant, dès lors que la recourante annonce précisément,
dans son recours, qu'après "avoir purgé sa peine, [elle] retournera à...", où
elle est "au bénéfice d'un contrat de bail pour la villa dont elle était
propriétaire", on peut douter qu'elle redoute véritablement des représailles de
la part de B.A.________.

En définitive, la recourante ne démontre aucunement en quoi la décision
attaquée violerait le droit fédéral. Le grief doit être rejeté.

3. 

Le recours doit être rejeté. La recourante, qui succombe, supportera les frais
judiciaires (art. 66 al. 1 LTF).

La cause étant jugée, la demande d'octroi de l'effet suspensif n'a plus
d'objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :

1. 

Le recours est rejeté.

2. 

Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

3. 

Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la
République et canton de Genève, Chambre pénale de recours.

Lausanne, le 29 juillet 2019

Au nom de la Cour de droit pénal

du Tribunal fédéral suisse

Le Président : Denys

Le Greffier : Graa