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Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 6B.346/2019
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Bundesgericht

Tribunal fédéral

Tribunale federale

Tribunal federal

               

6B_346/2019

Arrêt du 29 mai 2019

Cour de droit pénal

Composition

MM. et Mme les Juges fédéraux Denys, Président,

Jacquemoud-Rossari et Rüedi.

Greffière : Mme Kistler Vianin.

Participants à la procédure

A.________,

représentée par Me Elodie Allievi, avocate,

recourante,

contre

1. Ministère public de la République et canton du Jura,

2. B.________,

intimés.

Objet

Viol, lésions corporelles simples; arbitraire,

recours contre le jugement du Tribunal cantonal de la République et canton du
Jura, Cour pénale, du 15 novembre 2018 (CP 18/2018).

Faits :

A. 

Par jugement du 27 mars 2018, le Tribunal pénal de première instance du canton
du Jura a condamné B.________, pour viol, voies de fait et infraction à la loi
fédérale sur les étrangers et l'intégration (LEI; RS 142.20), à une peine
privative de liberté de 36 mois, dont 18 mois ferme et 18 mois avec sursis
pendant cinq ans, et à une amende contraventionnelle de 200 francs. Sur le plan
civil, il a condamné B.________ à verser à A.________ la somme de 10'000 fr. à
titre de tort moral, avec intérêt à 5 % à compter du 30 juin 2015.

B. 

Par jugement du 15 novembre 2018, la Cour pénale du Tribunal cantonal jurassien
a admis l'appel formé par B.________. Elle a libéré ce dernier des préventions
de viol et de lésions corporelles simples, éventuellement de voies de fait,
mais a maintenu la condamnation pour infraction à la loi fédérale sur les
étrangers. Elle a prononcé une peine pécuniaire de 30 jours-amende avec sursis
pendant deux ans, le montant du jour-amende étant fixé à 50 francs.

En substance, elle a retenu les faits suivants:

B.a. En novembre 2014, A.________ est arrivée à Milan en provenance de la Côte
d'Ivoire, avec de faux papiers. A la demande d'un ami africain, B.________ est
allé la chercher en Italie et l'a ramenée chez lui à Courtemautruy. Il l'a
hébergée et, après quelques temps, ils ont entretenu des relations sexuelles.
A.________ vivait dans l'appartement de B.________ qui subvenait à ses besoins.
Pendant la journée, lorsque B.________ était au travail, elle se rendait
régulièrement chez les époux C.________, voisins et amis de B.________. Elle
avait un téléphone à sa disposition qu'elle utilisait notamment pour contacter
une amie domiciliée en France. Entre fin décembre 2014 et février 2015,
B.________ est parti en Côte d'Ivoire, laissant A.________ seule à son
domicile. Lorsqu'il est revenu à la fin du mois de février 2015, les relations
entre les parties se sont détériorées. Pour autant, A.________ a continué à
vivre chez B.________ jusqu'à la fin juin 2015 et elle est tombée enceinte. Le
25 juin 2015, elle a quitté le domicile de B.________. C.C.________ est venu la
chercher et l'a conduite à Delémont chez sa soeur, D.________. Par la suite,
A.________ s'est annoncée auprès d'un centre pour requérants d'asile et s'est
finalement rendue à la police bâloise pour se plaindre d'avoir été violée par
B.________.

B.b. La version des parties divergent sur les raisons de la détérioration de
leurs relations et sur le caractère consenti ou non des relations sexuelles
qu'elles ont entretenues après le retour d'Afrique de B.________. Celui-ci
prétend avoir appris en Afrique que A.________ avait déjà un enfant; elle
n'avait pas de papiers, contrairement à ce qu'elle lui avait dit, de sorte
qu'elle se trouvait en situation irrégulière en Suisse et qu'il ne pouvait donc
pas continuer à l'héberger. Il a cependant toléré qu'elle reste chez lui et a
continué d'avoir des rapports sexuels avec elle; ceux-ci étaient librement
consentis et il n'a jamais frappé ou menacé A.________. Celle-ci explique,
quant à elle, avoir constaté un changement d'attitude de B.________ à son égard
lorsqu'il est rentré d'Afrique en février 2015; elle a entendu une conversation
téléphonique entre B.________ et une femme en Côte d'Ivoire et elle a compris
qu'il entretenait une relation avec elle. Elle a dès lors refusé d'avoir encore
des rapport sexuels avec lui. B.________ l'y a contrainte en la frappant et en
la menaçant de la dénoncer à la police, ce qui aurait entraîné son renvoi en
Afrique. Il la frappait tous les jours. Il l'a mise à la porte lorsqu'il a
appris qu'elle était enceinte.

La cour cantonale a considéré qu'il n'était pas possible de considérer que les
déclarations de l'une des parties étaient plus crédibles que celles de l'autre
et qu'il subsistait un doute insurmontable quant à la réalité des faits
dénoncés par A.________. Ainsi conformément au principe in dubio pro reo, elle
a libéré B.________ des préventions de viol et de lésions corporelles simples,
éventuellement voies de fait, commises au préjudice de A.________.

C. 

Contre ce dernier jugement, A.________ dépose un recours en matière pénale
devant le Tribunal fédéral. Elle conclut, principalement, à la réforme du
jugement en ce sens que B.________ est condamné pour viol et lésions
corporelles simples à une peine à dire de justice et qu'il lui doit paiement
d'un montant de 10'000 fr. à titre de tort moral. A titre subsidiaire, elle
sollicite l'annulation du jugement attaqué et le renvoi de la cause à
l'autorité précédente pour nouveau jugement dans le sens des considérants. En
outre, elle requiert l'assistance judiciaire.

Considérant en droit :

1. 

Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 140 IV 57 consid. 2 p. 59).

1.1. Selon l'art. 81 al. 1 LTF, a qualité pour former un recours en matière
pénale quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a
été privé de la possibilité de le faire (let. a) et a un intérêt juridique à
l'annulation ou à la modification de la décision attaquée (let. b). Un tel
intérêt juridique est reconnu à la partie plaignante qui a participé à la
procédure de dernière instance cantonale, si la décision attaquée peut avoir
des effets sur le jugement de ses prétentions civiles (art. 81 al. 1 let. b ch.
5 LTF). Selon la jurisprudence, la partie plaignante n'est habilitée à recourir
contre un jugement prononçant l'acquittement du prévenu que si elle a, autant
que cela pouvait raisonnablement être exigé d'elle, exercé l'action civile, en
prenant des conclusions chiffrées en réparation de tout ou partie de son
dommage matériel ou de son tort moral (ATF 137 IV 246 consid. 1.3.1 p. 248).

1.2. En l'espèce, la recourante a participé à la procédure cantonale en tant
que partie plaignante et a pris des conclusions civiles en réparation de son
tort moral, qu'elle a chiffrées à 10'000 francs. Allouées par le tribunal de
première instance, qui avait condamné l'intimé pour viol et voies de fait, ces
conclusions ont été rejetées par la cour cantonale, puisqu'elle a libéré
l'intimé des préventions de viol et de lésions corporelles simples. Dans ces
conditions, la recourante dispose d'un intérêt juridique à recourir contre la
décision d'acquittement de la cour cantonale. Elle a ainsi la qualité pour
recourir.

2. 

La recourante reproche à la cour cantonale d'avoir constaté les faits de
manière manifestement inexacte.

2.1. Le Tribunal fédéral n'est pas une autorité d'appel, auprès de laquelle les
faits pourraient être rediscutés librement. Il est lié par les constatations de
fait de la décision entreprise (art. 105 al. 1 LTF), à moins que celles-ci
n'aient été établies en violation du droit ou de manière manifestement inexacte
au sens des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF, à savoir, pour l'essentiel, de
façon arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. Une décision n'est pas arbitraire du
seul fait qu'elle apparaît discutable ou même critiquable; il faut qu'elle soit
manifestement insoutenable et cela non seulement dans sa motivation, mais aussi
dans son résultat (ATF 143 IV 241 consid. 2.3.1 p. 244). En matière
d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il n'y a arbitraire
que lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un
élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe
manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur
les éléments recueillis, elle en tire des conclusions insoutenables (ATF 143 IV
500 consid. 1.1 p. 503; 140 III 264 consid. 2.3 p. 266 et les références
citées). Le Tribunal fédéral n'examine la violation de droits fondamentaux que
si ce moyen est invoqué et motivé par le recourant de manière précise (art. 106
al. 2 LTF), c'est-à-dire s'il a été expressément soulevé et exposé de manière
claire et détaillée. Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables
(ATF 142 III 364 consid. 2.4 p. 368 et les références citées).

2.2. Les déclarations de la victime constituent un élément de preuve. Le juge
doit, dans l'évaluation globale de l'ensemble des éléments probatoires
rassemblés au dossier, les apprécier librement (arrêts 6B_1306/2017 du 17 mai
218 consid. 2.1.1; 6B_942/2017 du 5 mars 2018 consid. 2.1.2; 6B_614/2012 du 15
février 2013 consid. 3.2.5; 6B_716/2010 du 15 novembre 2010 consid. 1.3), sous
réserve des cas particuliers où une expertise de la crédibilité des
déclarations de la victime s'impose (cf. ATF 129 IV 179 consid. 2.4 p. 184).
Les cas de " déclarations contre déclarations ", dans lesquels les déclarations
de la victime en tant que principal élément à charge et les déclarations
contradictoires de la personne accusée s'opposent, ne doivent pas
nécessairement, sur la base du principe " in dubio pro reo ", conduire à un
acquittement. L'appréciation définitive des déclarations des participants
incombe au tribunal du fond (ATF 137 IV 122 consid. 3.3 p. 127).

2.3. La cour cantonale a constaté que les déclarations des parties divergeaient
et que les déclarations de l'une des parties n'apparaissaient pas plus
crédibles que celles de l'autre.

Ainsi, elle a relevé de nombreuses incohérences dans les déclarations de la
recourante. En premier lieu, elle ne comprenait pas pourquoi la recourante
n'avait jamais fait état des coups et des menaces de la part de l'intimé, alors
qu'elle était libre de ses mouvements, qu'elle disposait de moyens de
communication (téléphone, internet), qui lui permettaient d'avoir des contacts
avec son amie en France et sa famille en Côte d'Ivoire et qu'elle avait créé
des liens avec les membres de la famille C.________; elle avait même affirmé à
D.________ et C.C.________, qui s'inquiétaient de la voir pleurer, qu'il n'y
avait rien. En deuxième lieu, la cour cantonale a relevé que personne n'avait
jamais constaté des marques de coups. En troisième lieu, elle a noté que
l'intimé n'avait pris aucune précaution pour empêcher la recourante de parler.
Enfin, elle a considéré que la recourante ne s'était pas comportée comme une
femme violentée; elle avait refusé de se confier et n'avait même pas parlé de
viol à D.________, chez qui elle s'était réfugiée après avoir quitté le
domicile de l'intimé.

De l'autre côté, la cour cantonale a expliqué qu'elle ne pouvait pas dénier
tout crédit aux déclarations de l'intimé. Il avait certes menti dans un premier
temps sur la raison de son voyage à Milan, mais il était revenu spontanément
sur ses premières explications, de sorte que l'on ne saurait se fonder sur ce
seul élément pour dénier tout crédit à l'ensemble de ses déclarations. Pour le
surplus, elle a relevé certaines incohérences dans son discours. Elle a ainsi
mentionné qu'elle ne comprenait pas les raisons qui avaient amené l'intimé à
aller chercher la recourante à Milan alors qu'elle devait se rendre dans sa
famille à Paris. Elle ne comprenait pas non plus pourquoi l'intimé avait toléré
la recourante chez lui jusqu'à la fin juin alors qu'il lui avait dit, en
février 2015, qu'elle devait quitter son domicile du fait qu'elle se trouvait
en situation irrégulière.

Compte tenu des incohérences contenues dans les déclarations des deux parties,
la cour cantonale a éprouvé un doute insurmontable quant à la réalité des faits
dénoncés par la recourante. Conformément au principe in dubio pro reo, elle a
donc libéré l'intimé de toute accusation de viol et de lésions corporelles
simples, éventuellement voies de fait, commis à l'égard de la recourante.

2.4. La recourante reproche à la cour cantonale d'avoir versé dans l'arbitraire
en retenant que sa version des faits souffrait d'incohérences.

Elle fait d'abord grief à la cour cantonale de ne pas avoir pris en
considération ses déclarations, selon lesquelles elle avait été constamment
menacée par l'intimé d'être livrée à la police et renvoyée à l'étranger si elle
parlait et fait valoir qu'elle ne s'est confiée à personne car elle n'avait en
réalité nulle part où aller, ne connaissant pas les institutions suisses et
craignant d'être renvoyée dans son pays d'origine. Il est vrai qu'il était
difficile pour la recourante de dénoncer l'intimé pour viol, vu sa situation
irrégulière dans notre pays. Les membres de la famille C.________ qui la
voyaient pleurer lui ont toutefois expressément demandé si l'intimé était
violent avec elle, mais elle a toujours dit non (C.C.________, E 1.60;
D.________, E 1.54). Une fois chez D.________, alors que sa situation
irrégulière était connue, elle n'a toujours pas parlé de viol, mais a attendu
d'être transférée dans le Centre de requérants d'asile pour se plaindre d'avoir
été violée par B.________. D.________ s'est du reste étonnée que la recourante
n'ait rien dit pendant six mois (E 1.17, l. 99-100). Au vu de ce comportement,
les doutes exprimés par la cour cantonale quant à l'exactitude des
dénonciations de la recourante n'apparaissent pas insoutenables.

La recourante fait également grief à la cour cantonale de ne pas avoir tenu
compte des témoignages de C.C.________ et de D.________ qui ont confirmé
qu'elle semblait malheureuse, qu'elle pleurait souvent. Certes, ceux-ci ont
déclaré que la recourante pleurait, mais cela ne signifie pas encore que
l'intimé l'a violée. D.________ a déclaré qu'elle n'avait constaté aucune trace
d'hématome et qu'elle ne savait qui croire; elle a expliqué que la recourante
n'avait jamais utilisé le terme de viol lorsqu'elle s'était confiée à elle
(E1.17 l. 92 ss). Son frère, C.C.________, a exposé qu'il ne croyait pas aux
accusations de viol (E1.60).

Enfin, la recourante conteste la crédibilité des déclarations de
l'intimé.   Elle fait valoir que celui-ci n'est pas revenu spontanément sur son
mensonge relatif à sa rencontre avec elle, mais uniquement après avoir compris
qu'un témoin direct des faits pourrait prouver qu'il mentait. Quel qu'en soit
le motif, l'intimé à néanmoins demandé à être réentendu pour rectifier ses
déclarations faites le 12 avril 2016 et s'est excusé d'avoir menti, ce qui
montre une certaine honnêteté. La recourante relève que l'intimé a affirmé dans
un premier temps avoir noté les jours où il a entretenu un rapport sexuel avec
la recourante dès son retour d'Afrique avant d'indiquer qu'il a procédé ainsi
dès son arrivée en Suisse. Elle fait valoir que personne n'a confirmé qu'il
voulait mettre la recourante dehors depuis plusieurs semaines. La cour
cantonale n'a toutefois jamais nié que les déclarations de l'intimé contenaient
des incohérences.

En définitive, la cour cantonale a examiné les déclarations de la recourante et
exposé les raisons qui l'ont conduite à douter de la crédibilité de celles-ci.
De l'autre côté, elle a considéré qu'elle ne pouvait pas dénier tout crédit aux
déclarations de l'intimé, même si celles-ci contenaient aussi des incohérences.
Elle a expliqué que, dans ses conditions, elle avait des doutes sérieux et
irrémédiables quant à la culpabilité de l'intimé. Le raisonnement de la cour
cantonale est soutenable. La recourante ne démontre pas que celle-ci aurait
omis des faits de manière arbitraire ni que son raisonnement serait
insoutenable. Dans cette mesure, son argumentation est donc irrecevable.

3. 

Le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable.

Comme ses conclusions étaient vouées à l'échec, l'assistance judiciaire ne peut
être accordée (art. 64 al. 1 LTF). La recourante devra donc supporter les frais
judiciaires (art. 66 al. 1 LTF), dont le montant sera toutefois fixé en tenant
compte de sa situation financière.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :

1. 

Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2. 

La demande d'assistance judiciaire est rejetée.

3. 

Les frais judiciaires, arrêtés à 1'200 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

4. 

Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal de la
République et canton du Jura, Cour pénale.

Lausanne, le 29 mai 2019

Au nom de la Cour de droit pénal

du Tribunal fédéral suisse

Le Président : Denys

La Greffière : Kistler Vianin