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Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 6B.344/2019
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Bundesgericht

Tribunal fédéral

Tribunale federale

Tribunal federal

               

6B_344/2019

Arrêt du 6 mai 2019

Cour de droit pénal

Composition

MM. et Mmes les Juges fédéraux Denys, Président,

Jacquemoud-Rossari, Oberholzer, Rüedi et Jametti.

Greffier : M. Graa.

Participants à la procédure

1. A.________,

2. B.________,

agissant par A.________,

tous les deux représentés par Me Gaétan Droz, avocat,

recourants,

contre

Ministère public de la République et canton de Genève,

intimé.

Objet

Qualité de partie à la procédure; qualité pour recourir,

recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de
Genève, Chambre pénale d'appel et de révision, du 1er février 2019 (AARP/26/
2019 P/2304/2018).

Faits :

A.

Par jugement du 8 octobre 2018, le Tribunal correctionnel de la République et
canton de Genève a notamment ordonné l'expulsion de X.________ du territoire
suisse pour une durée de trois ans.

B.

Par arrêt du 1er février 2019, la Chambre pénale d'appel et de révision de la
Cour de justice genevoise a déclaré irrecevable l'appel formé par A.________ et
B.________ contre ce jugement.

En substance, la cour cantonale a considéré que les deux prénommés -
respectivement la compagne et le fils de X.________ - ne pouvaient se voir
reconnaître la qualité de partie dans la procédure.

X.________ a, de son côté, formé appel contre le jugement du 8 octobre 2018,
cet appel ayant été traité distinctement.

C.

A.________ et B.________ forment un recours en matière pénale au Tribunal
fédéral contre l'arrêt du 1er février 2019, en concluant, avec suite de frais
et dépens, à son annulation, à l'annulation de l'arrêt du 5 mars 2019 par
lequel la cour cantonale a confirmé la mesure prononcée à l'encontre de
X.________, à ce que leur qualité de partie soit reconnue dans la procédure
d'appel cantonale dans la mesure où elle porte sur l'expulsion de ce dernier et
à ce que la cour cantonale répète la procédure d'appel en leur reconnaissant
cette qualité. Ils sollicitent par ailleurs le bénéfice de l'assistance
judiciaire.

Considérant en droit :

1.

Selon l'art. 91 let. b LTF, est une décision partielle contre laquelle le
recours est recevable celle qui met fin à la procédure à l'égard d'une partie
des consorts. Il faut assimiler à la mise hors de cause d'une partie tous les
cas où l'on voudrait qu'une nouvelle partie soit admise à la procédure et que
le juge le refuse. Doit ainsi notamment être qualifiée de décision finale
partielle au sens de l'art. 91 let. b LTF celle qui refuse à une personne qui
le demande la possibilité de prendre part à une procédure déjà pendante. Dans
ce cas, une personne est définitivement écartée de la procédure, de sorte
qu'elle ne recevra plus aucune décision et n'aura plus aucune possibilité de
recourir. La décision est donc finale à son égard, mais elle ne met pas fin à
la procédure (cf. art. 90 LTF), qui se poursuit. Une telle décision doit être
qualifiée de finale partielle au sens de l'art. 91 let. b LTF (cf. ATF 134 III
379 consid. 1.1 p. 381 s.; arrêt 2C_214/2018 du 7 décembre 2018 consid. 1.3 et
les références citées).

En l'espèce, les recourants ne se sont pas vus notifier le jugement de première
instance, contre lequel ils ont cependant déclaré vouloir former appel. L'arrêt
attaqué, en tant qu'il déclare irrecevable cet appel et refuse aux recourants
le droit de prendre part à la procédure d'appel, constitue une décision finale
pour ces derniers, de sorte qu'il est susceptible d'un recours au Tribunal
fédéral en application de l'art. 91 let. b LTF.

2.

Aux termes de l'art. 81 al. 1 let. a et b LTF, a qualité pour former un recours
en matière pénale quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité
précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et a un intérêt
juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée.

En l'espèce, les recourants se plaignent d'avoir été privés de la possibilité
de prendre part à la procédure devant la cour cantonale. Ils disposent d'un
intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée,
dès lors que l'éventuelle reconnaissance de leur qualité de partie dans la
procédure pénale concernée permettrait aux recourants d'y faire valoir leurs
droits procéduraux et en particulier leur droit d'être entendus.

Il convient donc d'entrer en matière sur le recours.

3.

Les recourants reprochent à la cour cantonale de leur avoir dénié la qualité de
partie dans la procédure et d'avoir déclaré leur appel irrecevable.

3.1. Aux termes de l'art. 382 al. 1 CPP, toute partie qui a un intérêt
juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision a
qualité pour recourir contre celle-ci.

Il existe un intérêt juridiquement protégé lorsque le recourant est touché
directement et immédiatement dans ses droits propres, ce qui n'est pas le cas
lorsqu'il est touché par un simple effet réflexe (arrêt 6B_942/2016 du 7
septembre 2017 consid. 2.3 non publié aux ATF 143 IV 313). L'intérêt
juridiquement protégé se distingue de l'intérêt digne de protection, qui n'est
pas nécessairement un intérêt juridique, mais peut être un intérêt de fait. Un
simple intérêt de fait ne suffit pas à conférer la qualité pour recourir (ATF
136 I 274 consid. 1.3 p. 276; 133 IV 121 consid. 1.2 p. 124; arrêt 6B_601/2017
du 26 février 2018 consid. 2). Le recourant doit ainsi établir que la décision
attaquée viole une règle de droit qui a pour but de protéger ses intérêts et
qu'il peut en conséquence en déduire un droit subjectif. La violation d'un
intérêt relevant d'un autre sujet de droit est insuffisante pour créer la
qualité pour recourir (ATF 131 IV 191 consid. 1.2.1 p. 193 et les références
citées; arrêt 6B_1239/2017 du 24 mai 2018 consid. 2.1).

La notion de partie - énoncée à l'art. 382 CPP - doit notamment être comprise
au sens de l'art. 105 CPP (ATF 139 IV 78 consid. 3.1 p. 80). Selon l'al. 1 let.
f de cette disposition, participent à la procédure les tiers touchés par des
actes de procédure. Lorsque des participants à la procédure visés à l'al. 1
sont directement touchés dans leurs droits, la qualité de partie leur est
reconnue dans la mesure nécessaire à la sauvegarde de leurs intérêts (art. 105
al. 2 CPP). Pour que le participant à la procédure se voie reconnaître la
qualité de partie en application de l'art. 105 al. 2 CPP, il faut que
l'atteinte à ses droits soit directe, immédiate et personnelle, une atteinte de
fait ou indirecte étant insuffisante. L'atteinte est par exemple directe
lorsqu'elle entraîne une violation des droits fondamentaux ou des libertés
fondamentales, en particulier lorsque des mesures de contrainte sont ordonnées
(ATF 143 IV 40 consid. 3.6 p. 47; 137 IV 280 consid. 2.2.1 p. 283).

3.2. En l'occurrence, les recourants prétendent que le jugement de première
instance portait atteinte à leur droit au respect de la vie familiale au sens
de l'art. 8 par. 1 CEDH, dès lors qu'il ordonnait le renvoi du territoire
suisse de X.________, respectivement compagnon et père des intéressés.

Il est douteux que la recourante 1 puisse se prévaloir d'un droit déduit de
l'art. 8 par. 1 CEDH, puisque l'arrêt attaqué ne précise pas dans quelle mesure
sa relation avec X.________ pourrait, par sa nature et sa stabilité, être
assimilée à une véritable union conjugale (cf. ATF 144 II 1 consid. 6.1 p. 12
s.; arrêt 6B_143/2019 du 6 mars 2019 consid. 3.3.2 et les références citées).
Il ne ressort pas non plus de l'arrêt attaqué que X.________ aurait la garde -
même partagée - du recourant 2 et qu'un droit découlant de l'art. 8 par. 1 CEDH
pourrait être invoqué à cet égard (cf. ATF 144 I 91 consid. 5.1 p. 96 s.; arrêt
6B_143/2019 précité consid. 3.4.2). La Cour européenne des droits de l'Homme a
par ailleurs indiqué que les art. 8 et 13 CEDH devaient conférer à l'étranger
la possibilité effective de contester une décision pouvant porter atteinte à
son droit au respect de la vie privée ou familiale (cf. par exemple l'arrêt
CourEDH de Souza Ribeiro c. France [requête no 22689/07] § 83), mais n'a jamais
imposé à un Etat de laisser des personnes prendre part à une procédure pénale
pour contester l'expulsion de leur familier.

Quoi qu'il en soit, à supposer même que les recourants puissent - en vertu de
leurs liens avec X.________ - être considérés comme menant avec ce dernier une
vie familiale au sens de l'art. 8 par. 1 CEDH, leur qualité de partie à la
procédure ainsi que leur qualité pour recourir devraient être niées au vu de ce
qui suit.

3.3. Une expulsion de X.________ du territoire suisse aurait certes pour effet
d'empêcher les recourants de vivre en Suisse avec le prénommé. Les recourants
seraient touchés de manière indirecte par cette mesure et, partant, par la
décision l'ordonnant. Le caractère indirect d'une éventuelle atteinte causée au
membre de la famille d'un étranger qui se voit dénier le droit de séjourner en
Suisse est reconnu de manière constante par le Tribunal fédéral (cf. arrêts
2C_441/2007 du 9 janvier 2008 consid. 2.2; 2C_42/2007 du 30 novembre 2007
consid. 1.3 non publié aux ATF 134 II 10; 2A.240/2003 du 23 avril 2004 consid.
1.3). Cela se comprend car, contrairement à l'étranger qui doit quitter le
territoire suisse en y laissant sa famille, les membres de la famille de
l'étranger expulsé ne subissent pas une atteinte à leur droit au respect de la
vie familiale en raison de la décision d'expulsion, mais éventuellement par
effet réflexe, s'ils font le choix - en admettant qu'ils aient le droit de
demeurer en Suisse - de ne pas suivre l'expulsé dans son pays d'origine.

A défaut de subir une atteinte directe et immédiate de leurs droits, les
membres de la famille du prévenu expulsé ne peuvent se voir reconnaître la
qualité de partie au sens de l'art. 105 al. 2 CPP. De même, ceux-ci ne
disposent pas d'un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la
modification d'une décision d'expulsion, seul un intérêt de fait - soit celui
de pouvoir séjourner spécifiquement en Suisse avec l'expulsé - existant alors.
Si un tel intérêt peut suffire pour conférer aux membres de la famille d'une
personne dont le droit de séjourner en Suisse est refusé ou remis en cause une
qualité pour recourir (cf. art. 89 al. 1 let. c cum art. 111 al. 1 LTF; cf. par
exemple l'arrêt 2C_301/2018 du 24 septembre 2018 consid. 1.2 dans lequel
l'épouse et l'enfant d'un étranger dont la prolongation de l'autorisation de
séjour a été refusée se voient reconnaître un "intérêt digne de protection" à
l'annulation ou à la modification de la décision), tel n'est pas le cas en
matière pénale (cf. consid. 3.1 supra).

Une telle différence se justifie dès lors que, contrairement à ce qui prévaut
dans le domaine du droit des étrangers, la procédure pénale n'a pas pour
principal objet de régler la situation de la personne concernée s'agissant de
son lieu de vie, mais de sanctionner - respectivement de prévenir - la
commission d'infractions. L'expulsion pénale est prononcée selon des critères
qui lui sont propres, fixés aux art. 66a ss CP, dans un but ayant
essentiellement trait à l'ordre et la sécurité publics. Une prise en compte des
intérêts du prévenu à demeurer en Suisse, y compris de sa situation familiale,
n'intervient que lorsqu'il s'agit de se demander s'il peut être
exceptionnellement renoncé à la mesure en cas d'expulsion obligatoire (cf. art.
66a al. 2 CP), respectivement si celle-ci demeure proportionnée en cas
d'expulsion non obligatoire (cf. art. 66a bis CP). Dans le domaine pénal, une
participation procédurale des membres de la famille du prévenu ne serait
d'ailleurs pas opportune. Elle pourrait même entraver le bon fonctionnement de
la procédure pénale, puisque les intérêts du prévenu et ceux de membres de sa
famille pourraient ne pas systématiquement concorder. Ainsi, un prévenu
pourrait - en raison de considérations tactiques relatives à sa défense -
choisir de ne pas contester une expulsion mais de concentrer la procédure sur
d'autres objets comme la mesure de la peine ou la contestation d'une partie des
infractions. De la même manière, le prévenu pourrait souhaiter recourir à une
procédure simplifiée (cf. art. 358 ss CPP). Dans de telles situations, on ne
saurait admettre que le prévenu puisse perdre la maîtrise de sa tactique de
défense et voir la procédure parasitée par l'intervention de membres de sa
famille qui tenteraient de déplacer le coeur des débats sur la question de
l'expulsion. Un prévenu pourrait également renoncer à former appel contre un
jugement par crainte de voir le ministère public ou une partie plaignante
interjeter un appel joint. Dans une telle situation aussi, le choix du prévenu
ne doit pas pouvoir être contrecarré par une attitude procédurale discordante
de membres de sa famille.

Compte tenu de ce qui précède, c'est à bon droit que la cour cantonale a dénié
aux recourants la qualité de partie dans la procédure ainsi que la qualité pour
former appel contre le jugement de première instance.

3.4. On relèvera cependant que si les membres de la famille d'un prévenu
expulsé ne peuvent se voir reconnaître une qualité de partie dans la procédure
pénale, leur droit au respect de la vie familiale garanti par les art. 13 al. 1
Cst. et 8 CEDH est néanmoins indirectement pris en considération lorsqu'une
telle mesure est prononcée, puisque la jurisprudence impose alors de procéder
systématiquement à une pesée d'intérêts entre l'intérêt public à l'expulsion et
l'intérêt privé de l'intéressé à demeurer en Suisse (cf. par exemple l'arrêt
6B_143/2019 précité consid. 3.3.1 concernant l'expulsion obligatoire; cf.
s'agissant de l'expulsion non obligatoire les arrêts 6B_242/2019 du 18 mars
2019 consid. 1.1; 6B_770/2018 du 24 septembre 2018 consid. 1.1). Parmi les
critères déterminants figurent notamment la situation familiale du prévenu et
celle de ses enfants (cf. ATF 144 IV 332 consid. 3.3.2 p. 340 s.). De la sorte,
une expulsion ne peut être prononcée sans que les autorités pénales aient
dûment considéré la situation familiale du prévenu et le risque de voir
celui-ci éloigné d'un membre de sa famille, spécialement d'un enfant. Partant,
on ne voit pas dans quelle mesure un familier pourrait se prévaloir d'intérêts
distincts ou spécifiques, les art. 13 al. 1 Cst. et 8 CEDH visant avant tout à
préserver la vie commune de la famille. En d'autres termes, on ne voit pas
comment une autorité pénale pourrait être amenée à considérer qu'une expulsion
se justifierait du point de vue des droits du prévenu expulsé, mais qu'elle
serait inadmissible au regard de ceux des membres de sa famille.

4.

Le recours doit être rejeté. Comme les recourants sont dans le besoin et que
leurs conclusions ne paraissaient pas d'emblée vouées à l'échec, leur demande
d'assistance judiciaire doit être admise (art. 64 al. 1 LTF). Par conséquent,
il y a lieu de les dispenser des frais judiciaires et d'allouer une indemnité à
leur mandataire, désigné comme avocat d'office (art. 64 al. 2 LTF).

 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :

1. 

Le recours est rejeté.

2. 

La demande d'assistance judiciaire est admise. Me Gaétan Droz est désigné comme
conseil d'office et une indemnité de 3'000 fr. lui est allouée à titre
d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral.

3. 

Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

4. 

Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la
République et canton de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision.

Lausanne, le 6 mai 2019

Au nom de la Cour de droit pénal

du Tribunal fédéral suisse

Le Président : Denys

Le Greffier : Graa