Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 6B.258/2019
Zurück zum Index Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 2019
Retour à l'indice Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 2019


 

Bundesgericht

Tribunal fédéral

Tribunale federale

Tribunal federal

               

6B_258/2019

Arrêt du 25 mars 2019

Cour de droit pénal

Composition

M. et Mmes les Juges fédéraux Denys, Président,

Jacquemoud-Rossari et Jametti.

Greffier : M. Graa.

Participants à la procédure

1. A.________,

2. B.________,

3. C.________,

4. D.________,

5. E.________,

tous représentés par Me Lionel Zeiter, avocat,

recourants,

contre

1. Ministère public central du canton de Vaud,

2. X.________,

représenté par Me Marc-Aurèle Vollenweider, avocat,

intimés.

Objet

Arbitraire; homicide par négligence,

recours contre le jugement de la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du
canton de Vaud du 21 novembre 2018 (n° 384 PE16.014446-HNI//ACP).

Faits :

A. 

Par jugement du 26 juin 2018, le Tribunal de police de l'arrondissement de
l'Est vaudois a libéré X.________ du chef de prévention d'homicide par
négligence et l'a condamné, pour non-respect de l'interdiction de conduire sous
l'influence de l'alcool, à une amende de 500 francs. Il a en outre rejeté les
conclusions civiles prises par A.________, B.________, C.________, D.________
et E.________.

B. 

Par jugement du 21 novembre 2018, la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal
du canton de Vaud a rejeté l'appel formé par A.________, B.________,
C.________, D.________ et E.________ contre ce jugement et a confirmé celui-ci.

La cour cantonale a retenu les faits suivants.

B.a. X.________ est né en 1995.

Son casier judiciaire fait état d'une condamnation, en 2018, pour violation
grave des règles de la circulation routière.

B.b. Le 20 juillet 2016, à 22 h 10, le prénommé circulait au volant d'une
voiture, à la vitesse de 80 km/h environ, sur la route cantonale reliant
F.________ à G.________, au lieu-dit H.________, sur la commune de I.________.
Il faisait beau et la chaussée était sèche. Alors qu'il était momentanément
inattentif parce qu'il vérifiait régulièrement, du coin de l'oeil, si son amie
et passagère lui faisait la tête, X.________ a heurté, avec l'avant droit de
son véhicule, J.________, laquelle se trouvait à la hauteur du débouché du
chemin H.________, aux abords du cimetière de I.________. La prénommée, qui a
percuté le capot moteur et le pare-brise, a été projetée sur une quarantaine de
mètres. Elle est décédée sur place ensuite de ses blessures.

Lors des faits, X.________ conduisait sous l'influence de l'alcool, alors qu'il
était titulaire d'un permis de conduire à l'essai. Il avait consommé trois
bières de 3 dl avant de conduire et la prise de sang effectuée 2 heures et 30
minutes après l'accident a révélé une alcoolémie comprise entre 0,06 et 0,16o/
oo.

B.c. Une expertise médico-légale a été diligentée durant l'enquête. A partir
d'une reconstitution morphométrique 3D, des lésions constatées sur J.________
et des dégâts relevés sur le véhicule de X.________, les experts ont conclu que
la collision s'était probablement produite entre l'avant droit de la voiture et
l'arrière légèrement oblique gauche de la prénommée. Entendus durant les débats
de première instance, ils ont indiqué qu'il leur était impossible de
déterminer, sur la base des lésions et malgré les analyses morphométriques et
reconstructives effectuées, la direction prise par J.________ et la vitesse de
cette dernière au moment de la collision.

C. 

A.________, B.________, C.________, D.________ et E.________ forment un recours
en matière pénale au Tribunal fédéral contre le jugement du 21 novembre 2018,
en concluant, avec suite de frais et dépens, à sa réforme en ce sens que
X.________ est condamné pour homicide par négligence et non-respect de
l'interdiction de conduire sous l'influence de l'alcool et qu'il doit payer, à
titre de réparation du tort moral, les sommes de 50'000 fr., avec intérêts, à
A.________, de 50'000 fr., avec intérêts, à B.________, de 50'000 fr., avec
intérêts, à C.________, de 30'000 fr., avec intérêts, à D.________, de 30'000
fr., avec intérêts, à E.________, qu'il leur est donné acte de leurs réserves
civiles pour le surplus, et que l'intéressé doit également leur payer un
montant de 12'900 fr. à titre de dépens pour la procédure de première instance.

Considérant en droit :

1.

1.1. Selon l'art. 81 al. 1 let. a et b ch. 5 LTF, la partie plaignante qui a
participé à la procédure de dernière instance cantonale est habilitée à
recourir au Tribunal fédéral, si la décision attaquée peut avoir des effets sur
le jugement de ses prétentions civiles. Constituent des prétentions civiles
celles qui sont fondées sur le droit civil et doivent en conséquence être
déduites ordinairement devant les tribunaux civils. Il s'agit principalement
des prétentions en réparation du dommage et du tort moral au sens des art. 41
ss CO (ATF 141 IV 1 consid. 1.1 p. 4).

1.2. En l'espèce, les recourants, qui sont respectivement les parents, le
conjoint et les enfants de J.________ - et donc des proches de la victime au
sens de l'art. 116 al. 2 CPP -, ont participé à la procédure de dernière
instance cantonale. Dans ce cadre, ils ont pris des conclusions civiles -
concernant la réparation de leur tort moral -, qui ont été rejetées en raison
de l'acquittement de l'intimé. Les recourants répètent ces conclusions civiles
devant le Tribunal fédéral. Ils ont ainsi un intérêt juridique à l'annulation
ou à la modification de la décision attaquée et sont habilités à recourir au
Tribunal fédéral.

2. 

On comprend que les recourants reprochent à la cour cantonale d'avoir apprécié
les preuves et établi les faits de manière arbitraire concernant l'intention de
J.________ de se suicider lors de la collision du 20 juillet 2016.

2.1. Le Tribunal fédéral n'est pas une autorité d'appel, auprès de laquelle les
faits pourraient être rediscutés librement. Il est lié par les constatations de
fait de la décision entreprise (art. 105 al. 1 LTF), à moins qu'elles n'aient
été établies en violation du droit ou de manière manifestement inexacte au sens
des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF, soit pour l'essentiel de façon arbitraire
au sens de l'art. 9 Cst. Une décision n'est pas arbitraire du seul fait qu'elle
apparaît discutable ou même critiquable; il faut qu'elle soit manifestement
insoutenable et cela non seulement dans sa motivation mais aussi dans son
résultat (ATF 143 IV 241 consid. 2.3.1 p. 244). Le Tribunal fédéral n'entre pas
en matière sur les critiques de nature appellatoire (ATF 142 III 364 consid.
2.4 p. 368 et les références citées). La présomption d'innocence, garantie par
les art. 10 CPP, 32 al. 1 Cst., 14 par. 2 Pacte ONU II et 6 par. 2 CEDH, ainsi
que son corollaire, le principe "in dubio pro reo", concernent tant le fardeau
de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large (ATF 144 IV 345
consid. 2.2.3.1 p. 348 s.; 127 I 38 consid. 2a p. 40 s.). En tant que règle sur
le fardeau de la preuve, elle signifie, au stade du jugement, que le fardeau de
la preuve incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu.
Comme règle d'appréciation des preuves (sur la portée et le sens précis de la
règle sous cet angle, cf. arrêt ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3 p. 351 s.), la
présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu
de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif,
il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il
subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours
possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de
doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à
l'esprit en fonction de la situation objective. Lorsque l'appréciation des
preuves et la constatation des faits sont critiquées en référence au principe
"in dubio pro reo", celui-ci n'a pas de portée plus large que l'interdiction de
l'arbitraire (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3 p. 351 s.; 143 IV 500 consid. 1.1
p. 503; 138 V 74 consid. 7 p. 82).

2.2. La cour cantonale a exposé qu'il convenait de retenir, en application du
principe "in dubio pro reo", que J.________ avait eu l'intention de se suicider
et s'était précipitée devant le véhicule de l'intimé au moment de la collision.
Pour retenir cette version des événements, l'autorité précédente s'est fondée
sur divers éléments. Tout d'abord, la prénommée souffrait de troubles
dépressifs et avait, le jour des faits, consulté son médecin en raison de la
résurgence d'angoisses. Ce médecin avait alors contacté le psychiatre de
J.________ et tous deux s'étaient entendus pour que leur patiente reprenne son
traitement relatif aux angoisses et à la dépression. L'intéressée s'était ainsi
vue prescrire deux anxiolytiques. Auparavant, J.________ avait été hospitalisée
à la Fondation K.________ du 16 au 20 novembre 2013 en raison d'un épisode
aigu. En automne 2014, elle avait à nouveau été hospitalisée à cet endroit, à
cause d'une tentative de suicide au moyen de médicaments. L'intéressée avait en
outre déjà fait plusieurs tentatives de suicide par le passé. La cour cantonale
a ajouté que, quelques minutes avant la collision, J.________ avait consulté
des sites Internet relatifs aux antidépresseurs et au suicide. De telles
recherches avaient déjà été effectuées quelques jours plus tôt, le 22 juin
2016. Par ailleurs, avant de sortir de chez elle, la prénommée avait dit à son
époux qu'elle allait voir son amie L.________. Elle ne s'était toutefois pas
rendue chez cette dernière, mais aux abords du cimetière de I.________, endroit
dépourvu d'éclairage et aux alentours duquel elle ne connaissait personne. De
manière générale, à l'époque des faits, J.________ rencontrait des difficultés
personnelles. Elle faisait l'objet de rumeurs dans son village, relatives à la
prise de stupéfiants et à la prostitution, sujet qui était d'ailleurs apparu
dans les messages échangés par celle-ci peu avant son décès. Selon la cour
cantonale, les éléments mis en avant par les recourants - en particulier le
fait que J.________ eût un emploi et des projets de vacances en famille - ne
permettaient pas d'exclure qu'elle eu souhaité se suicider. En outre, selon les
experts, la position de l'intéressée au moment du choc n'était pas incompatible
avec un suicide. Enfin, depuis le lieu où elle s'était trouvée avant
l'accident, J.________ n'avait pu qu'apercevoir les phares du véhicule de
l'intimé et entendre le bruit de son moteur. Elle avait eu le temps de
percevoir qu'une voiture approchait dans sa direction avant l'impact, de sorte
qu'on ne comprenait pas qu'elle n'eût pas agi en conséquence pour l'éviter, en
restant, le cas échéant en se plaçant par exemple sur le côté de la route.

2.3. Les recourants développent une argumentation purement appellatoire et,
partant, irrecevable, par laquelle ils rediscutent librement l'état de fait de
la cour cantonale, sans démontrer en quoi celui-ci serait arbitraire. Il en va
ainsi lorsqu'ils soutiennent que J.________ n'aurait, selon eux, pas eu
l'intention de se supprimer, que ses tentatives de suicide passées auraient
constitué "de simples appels à l'aide", ou encore que la consultation de sites
sur le suicide immédiatement avant la collision ou la promenade dans un lieu
dépourvu d'éclairage et en bordure d'une route cantonale ne pourraient être
interprétés comme des indices pointant l'existence d'une volonté suicidaire.
Les recourants ne démontrent nullement en quoi la cour cantonale aurait tiré
des constatations insoutenables des divers éléments évoqués ni en quoi elle
aurait versé dans l'arbitraire en retenant que J.________ avait eu l'intention
de mourir lors des faits.

Les recourants se prévalent ensuite des lésions constatées sur J.________, en
affirmant que la prénommée n'aurait pu être percutée que de dos et que cela
rendrait l'hypothèse d'un suicide "totalement absurde et farfelue". Dès lors
que les experts médico-légaux ont reconnu qu'il leur était impossible de
déterminer la direction prise par la prénommée au moment du choc - ce que les
recourants ne contestent pas -, il n'était pourtant nullement insoutenable, de
la part de l'autorité précédente, de retenir que les lésions étaient
compatibles avec un suicide, malgré les affirmations appellatoires des
recourants selon lesquelles, dans une telle hypothèse, J.________ "aurait été
heurtée sur le côté gauche, respectivement de face, mais en aucun cas de dos".

Compte tenu de ce qui précède, la cour cantonale pouvait, sans arbitraire,
retenir que J.________ s'était précipitée devant le véhicule concerné avec
l'intention de se supprimer. Le grief doit être rejeté dans la mesure où il est
recevable.

3. 

Les recourants font encore grief à la cour cantonale d'avoir libéré l'intimé du
chef de prévention d'homicide par négligence en considérant que le comportement
de J.________ avait rompu le lien de causalité adéquat entre la conduite de
l'intéressé et la collision mortelle.

3.1. Aux termes de l'art. 117 CP, celui qui, par négligence, aura causé la mort
d'une personne sera puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus
ou d'une peine pécuniaire. Une condamnation pour homicide par négligence au
sens de l'art. 117 CP suppose la réalisation de trois éléments constitutifs, à
savoir le décès d'une personne, une négligence, ainsi qu'un rapport de
causalité naturelle et adéquate entre les deux premiers éléments (ATF 122 IV
145 consid. 3 p. 147; cf. plus récemment l'arrêt 6B_896/2018 du 7 février 2019
consid. 3.2).

Les concepts de causalité naturelle et adéquate ont été rappelés récemment aux
ATF 144 IV 285 consid. 2.8.2 p. 292 et surtout 143 III 242 consid. 3.7 p. 249
s. et ont notamment été précisés aux ATF 133 IV 158 consid. 6.1 p. 167 s. et
131 IV 145 consid. 5 p. 147 ss, auxquels on peut se référer. Il y a rupture du
lien de causalité adéquate, l'enchaînement des faits perdant sa portée
juridique, si une autre cause concomitante - par exemple une force naturelle,
le comportement de la victime ou celui d'un tiers - propre au cas d'espèce
constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si
extraordinaire que l'on ne pouvait pas s'y attendre. Cependant, cette
imprévisibilité de l'acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le lien
de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle
qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de
l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui
ont contribué à amener celui-ci, notamment le comportement de l'auteur (ATF 134
IV 255 consid. 4.4.2 p. 265 s.; 133 IV 158 consid. 6.1 p. 168; cf. aussi ATF
143 III 242 consid. 3.7 p. 250).

3.2. La cour cantonale a indiqué que l'intimé avait violé son devoir de
prudence, puisque, au moment de la collision, il était inattentif. L'intéressé
n'avait pu éviter J.________ et avait heurté cette dernière, causant son décès.
Le lien de causalité naturelle entre la négligence et le décès ne pouvait donc
être nié. Cependant, il convenait de retenir que la prénommée s'était élancée
en direction du véhicule dans le but de se tuer. Par ce comportement,
J.________ avait rompu le lien de causalité adéquate entre la violation du
devoir de prudence de l'intimé et son décès. En effet, l'intimé, qui circulait
en dehors d'une localité sur un tronçon non éclairé, n'avait pas à compter avec
le fait que J.________, masquée par le muret et la clôture métallique ceignant
le cimetière de I.________, se précipiterait soudainement sur la chaussée.

3.3. Le raisonnement de la cour cantonale ne prête pas le flanc à la critique.
Sur la base de son état de fait, établi sans arbitraire (cf. consid. 2.3
supra), il apparaît en effet que le comportement de J.________, qui s'est
précipitée devant le véhicule avec l'intention de se faire percuter, a
constitué la cause la plus immédiate de la collision survenue. Ledit
comportement, aussi extraordinaire qu'inattendu, relègue en l'occurrence à
l'arrière-plan le comportement de l'intimé, lequel ne vouait pas toute son
attention à la circulation et avait consommé de l'alcool - dans des proportions
dont il ne ressort cependant pas du jugement attaqué qu'elles auraient
sensiblement altéré ses facultés - alors que cela lui était interdit. C'est
donc bien le surgissement volontaire de J.________ devant le véhicule de
l'intimé - et non l'attitude de ce dernier au volant - qui constitue la cause
première du choc et, par conséquent, du décès survenu. Un lien de causalité
adéquate entre la négligence de l'intimé et le décès de la prénommée aurait
ainsi de toute manière été rompu.

Ainsi, la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral en libérant l'intimé du
chef de prévention d'homicide par négligence. Le grief doit être rejeté.

4. 

Le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Les recourants,
qui succombent, supportent les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). L'intimé,
qui n'a pas été invité à se déterminer, ne saurait prétendre à des dépens.

 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :

1. 

Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2. 

Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge des
recourants, solidairement entre eux.

3. 

Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour d'appel pénale du
Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 25 mars 2019

Au nom de la Cour de droit pénal

du Tribunal fédéral suisse

Le Président : Denys

Le Greffier : Graa