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Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 6B.221/2019
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Bundesgericht

Tribunal fédéral

Tribunale federale

Tribunal federal

               

6B_221/2019

Arrêt du 17 juillet 2019

Cour de droit pénal

Composition

MM. et Mme les Juges fédéraux Denys, Président, Jacquemoud-Rossari et Rüedi.

Greffière : Mme Musy.

Participants à la procédure

Ministère public de l'Etat de Fribourg,

recourant,

contre

1. X.________,

représenté par Me Alexandre Emery, avocat,

2. A.________,

représenté par Me Jérôme Magnin, avocat,

intimés.

Objet

Abus de confiance; arbitraire,

recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg, Cour d'appel
pénal, du 22 janvier 2019 (501 2018 100).

Faits :

A. 

Par jugement du 12 avril 2016, le Tribunal pénal économique du canton de
Fribourg a reconnu X.________ coupable de détournement de retenues sur les
salaires, de détournement de valeurs patrimoniales mises sous main de justice,
de délit contre l'ancienne LAVS (détournement de cotisations de salariés), de
délit contre la LEtr et de contravention à la LAVS. Il a également classé
plusieurs procédures et a, en outre, acquitté X.________ de plusieurs chefs de
prévention, notamment ceux d'abus de confiance et de gestion déloyale en lien
avec des faits dénoncés par A.________. Il a condamné X.________ à une peine
privative de liberté d'un mois ferme complémentaire à celle de 17 mois
prononcée le 11 février 2015 par le Tribunal correctionnel de la Broye et du
Nord vaudois, à une peine pécuniaire ferme de 60 jours-amende à 10 fr. le jour,
complémentaire à celles infligées le 4 août 2011 par le Ministère public de
l'Est vaudois et le 10 décembre 2013 par le Tribunal pénal économique du canton
de Fribourg, et au paiement d'une amende de 200 francs.

B. 

Par arrêt du 11 novembre 2016, la Cour d'appel pénal du Tribunal cantonal du
canton de Fribourg a rejeté les appels du ministère public et de A.________.

En substance, la cour cantonale a retenu les faits suivants.

Dans le cadre d'un projet de construction de onze villas contigües à
B.________, A.________, en qualité de maître d'ouvrage, a conclu, le 17 mars
2009, deux contrats d'entreprise avec la société C.________ SA, administrée par
X.________, en qualité d'entrepreneur, portant sur la maçonnerie et le béton
armé, d'une part, et les terrassements, d'autre part. Les prix convenus se
montaient, respectivement à 1'423'548 fr. et 326'000 fr., payables à 90% en
cours de travaux sur présentation des situations, le 10% restant étant versé
pour moitié à la réception provisoire sur présentation du décompte final et
pour moitié au contrôle final deux ans après la réception provisoire. Le
chantier a été stoppé le 6 octobre 2009 et, le lendemain, A.________ a indiqué
à X.________ qu'il bloquait tout paiement en faveur de sa société. Avant que le
chantier ne soit arrêté, le maître d'ouvrage avait versé, entre le 4 mai et le
10 septembre 2009, des acomptes à hauteur de 734'610 fr. 30 et, en sus, avait
payé directement, à concurrence de 142'511 fr. 60, des factures de plusieurs
sous-traitants de X.________, que celui-ci n'avait pas réglées.

C. 

Par arrêt du 16 mai 2018 (6B_1383/2016), le Tribunal fédéral a admis le recours
en matière pénale formé par le ministère public et renvoyé la cause à la cour
cantonale pour nouvelle appréciation des preuves et, le cas échéant,
l'administration de preuves complémentaires.

D. 

La Cour d'appel pénal a rendu une nouvelle décision, le 22 janvier 2019, par
laquelle elle a rejeté l'appel du Ministère public et constaté l'entrée en
force du rejet de l'appel de A.________.

E. 

Le Ministère public forme un recours en matière pénale auprès du Tribunal
fédéral contre l'arrêt du 22 janvier 2019. Il conclut principalement à ce que
X.________ soit reconnu coupable d'abus de confiance et condamné à une peine
privative de liberté de 13 mois ferme, sous déduction de la détention avant
jugement subie du 5 au 16 octobre 2014, cette peine étant complémentaire à
celle prononcée le 11 février 2015 par le Tribunal correctionnel de la Broye et
du Nord vaudois, et à une peine pécuniaire de 60 jours-amende ferme, à 10 fr.
le jour, cette peine étant complémentaire à celles du 4 août 2011 du Ministère
public de l'Est vaudois et du 10 décembre 2013 de la Cour d'appel pénal du
canton de Fribourg, ainsi qu'au paiement d'une amende de 200 francs. A titre
subsidiaire, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la
cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision.

F. 

Invités à se déterminer sur le recours, la cour cantonale y a renoncé, tandis
que les intimés n'ont pas déposé d'observations dans le délai imparti.

Considérant en droit :

1. 

Le recourant se plaint d'une constatation manifestement inexacte des faits.

1.1. Le Tribunal fédéral n'est pas une autorité d'appel, auprès de laquelle les
faits pourraient être rediscutés librement. Il est lié par les constatations de
fait de la décision entreprise (art. 105 al. 1 LTF), à moins qu'elles n'aient
été établies en violation du droit ou de manière manifestement inexacte au sens
des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF, à savoir, pour l'essentiel, de façon
arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. Une décision n'est pas arbitraire du seul
fait qu'elle apparaît discutable ou même critiquable; il faut qu'elle soit
manifestement insoutenable et cela non seulement dans sa motivation mais aussi
dans son résultat (ATF 143 IV 241 consid. 2.3.1 p. 244). En matière
d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il n'y a arbitraire
que lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un
élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe
manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur
les éléments recueillis, elle en tire des conclusions insoutenables (ATF 143 IV
500 consid. 1.1 p. 503; 140 III 264 consid. 2.3 p. 266 et les références
citées). Le Tribunal fédéral n'examine la violation de droits fondamentaux que
si ce moyen est invoqué et motivé par le recourant de manière précise (art. 106
al. 2 LTF), c'est-à-dire s'il a été expressément soulevé et exposé de manière
claire et détaillée. Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables
(ATF 142 III 364 consid. 2.4 p. 368 et les références citées).

1.2. Conformément à l'arrêt du Tribunal fédéral du 16 mai 2018 (6B_1383/2016),
par lequel la cour cantonale était liée (ATF 135 II 334 consid. 2 p. 335),
celle-ci a examiné si les paiements effectués par l'intimé 2 à l'intimé 1
constituaient des valeurs patrimoniales confiées au sens de l'art. 138 CP. A
l'issue de son analyse, elle y a répondu par l'affirmative. Elle a ensuite
cherché à déterminer si des fonds confiés à l'intimé 1 pour rémunérer les
sous-traitants n'auraient pas été utilisés à cette fin. Elle a retenu que
l'intimé 2 avait versé à C.________ SA des acomptes pour un montant total de
734'610 fr. 30 entre le 4 mai et le 10 septembre 2009. Selon l'usage général
sur les chantiers, les versements avaient lieu après l'exécution des travaux,
sur la base d'une " situation " présentée en fin de mois. Le dernier acompte
versé, soit celui du 10 septembre 2009, concernait ainsi des travaux exécutés
et facturés antérieurement à cette date, comme cela ressortait du bon de
paiement n° 90 du 30 août 2009 et de la " situation " n° 4 [recte 5] du 14 août
2009. Le chantier a ensuite été arrêté le 6 octobre 2009 et, le lendemain,
l'intimé 2 a indiqué à l'intimé 1 qu'il bloquait tout paiement en faveur de sa
société. Selon l'expertise réalisée pendant l'instruction et corrigée par la
cour cantonale dans sa décision du 11 novembre 2016, le total de tous les
travaux effectués par l'intimé 1 valait 813'053 fr. 40. Il en ressortait donc
un manco pour l'intimé 1 de 78'443 fr. 10 (813'053 fr. 40 - 734'610 fr. 30), de
sorte qu'a priori, celui-ci ne semblait pas avoir reçu les sommes nécessaires
pour faire face à toutes les créances de ses sous-traitants.

La cour cantonale a également constaté que l'intimé 2 avait lui-même réglé
plusieurs factures de fournisseurs pour un montant de 142'511 fr. 60. En
ajoutant les versements effectués en faveur de l'intimé 1 de 734'610 fr. 30,
l'intimé 2 avait payé un total de 877'121 fr. 90. Cependant, l'un de ces
paiements, d'un montant de 74'000 fr. en faveur de D.________, reposait sur un
décompte du 30 octobre 2009 et avait été effectué le 19 novembre 2009.
Conformément aux prescriptions de l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_1383/2016
(consid. 2.5), la cour cantonale a cherché à déterminer si la facture de
l'entreprise D.________ SA portait sur des travaux réalisés avant la rupture du
contrat entre les parties et devait dès lors être à charge de l'intimé 1. Elle
a constaté que les factures de cette entreprise mentionnées dans ce décompte du
30 octobre 2009 concernaient des travaux exécutés entre le 26 août et le 22
septembre 2009 et se référaient à des contrats conclus les 25 août et 7
septembre 2009. De plus, elles étaient toutes postérieures à la date du 14 août
2009. Or selon les contrats d'entreprise conclus le 17 mars 2009 entre
C.________ SA et l'intimé 2, " [L] es situations et factures définitives des
travaux seront envoyées en 3 exemplaires, au nom du maître de l'ouvrage, à
l'architecte au plus tard le 15 du mois afin que ce dernier puisse établir les
ordres de payement pour la fin du mois ". Le dernier acompte versé à C.________
SA par l'intimé 2 en date du 10 septembre 2009 portait d'ailleurs sur des
travaux facturés au maître de l'ouvrage en date du 14 août 2009, ainsi que cela
ressortait du bon de paiement du 30 août 2009 et de la " situation " n° 4 du 14
août 2009. Dans ces conditions, les factures figurant sur le décompte du 30
octobre 2019 ne pouvaient pas être considérées comme couvertes par les sommes
versées à l'intimé 1, car portant sur des travaux réalisés après le versement
du dernier acompte à l'intimé 1. Du reste, dans le document du 6 octobre 2009,
celui-ci s'était engagé à régler les factures des sous-traitants " sous réserve
que l'architecte paye ", ce qui renforçait ses déclarations selon lesquelles il
n'avait pas reçu le paiement de toute la contrevaleur des prestations fournies.
Il en résultait qu'au maximum, l'intimé 2 pouvait être considéré comme ayant
acquitté des factures " à double " - soit à la fois directement et par le
versement d'acomptes à l'entrepreneur - pour un total de 68'511 fr. 60 (142'511
fr. 60 - 74'000 fr.). Cette somme étant inférieure à la différence entre la
valeur des prestations fournies par C.________ SA et le total des acomptes
versés, soit les 78'443 fr. 10 susmentionnés, il n'était pas établi que
l'intimé 1 aurait été enrichi illégalement. 

1.3. Dans son recours, le ministère public soutient qu'il ressort du dossier
que parmi les factures de fournisseurs réglées directement par l'intimé 2 pour
un montant total de 142'511 fr. 60, seule celle de E.________ tombe dans la
période concernée par les acomptes versés à la société de l'intimé 1. En effet,
ce sous-traitant avait fourni du matériel à C.________ SA durant la période
comprise entre le 13 mai et le 8 juillet 2009, et elle avait émis plusieurs
factures entre le 14 mai et le 5 août 2009 pour un montant total de 63'511 fr.
60. Les deux autres fournisseurs payés directement par l'intimé 2 avaient émis
des factures après le 14 août 2009 (à hauteur de 74'000 fr. par D.________ et
de 5'000 fr. par F.________ Sàrl), qui n'étaient donc pas couvertes par les
acomptes versés selon la " situation " du 14 août 2009. En cela, le recourant
ne s'écarte des constatations du jugement attaqué que dans une mesure plus
favorable à l'intimé 1, puisqu'outre la facture de D.________, il affirme
également que la facture de la société F.________ Sàrl, correspondant à du
matériel fourni en date du 17 septembre 2009, doit être déduite du montant
total payé par l'intimé 2 pour les travaux en date du 14 août 2009.

Le recourant estime cependant que contrairement à ce qu'a retenu la cour
cantonale, lorsqu'il s'agit de déterminer si la valeur des travaux est
supérieure aux acomptes versés par l'intimé 2 à la société de l'intimé 1, le
prix payé par l'intimé 2 (acompte de 734'610 fr. 30 et facture de E.________ de
63'511 fr.) doit être soustrait à la valeur des travaux au 14 août 2009, date
de la dernière " situation " payée par le maître de l'ouvrage à l'entrepreneur,
et non à la valeur des travaux retenue dans l'expertise. En effet, l'expertise
détermine la valeur des travaux au 6 octobre 2009 (date à laquelle C.________
SA a quitté le chantier de B.________), c'est-à-dire après que le maître
d'ouvrage a reçu les prestations correspondant aux factures de D.________ et
F.________ Sàrl. Il faut donc déduire de la valeur du travail retenu par
l'expertise, soit 813'053 fr., le travail exécuté par C.________ SA (via ses
fournisseurs et sous-traitants) entre le 14 août 2009 et le 6 octobre 2009.
Cela revient à soustraire les montants résultant des factures de D.________ et
F.________ Sàrl. La valeur du travail exécuté par la société de l'intimé 1 au
14 août 2009 était donc de 734'053 fr. 40 (813'053 fr. 40 - 74'000 fr. - 5'000
fr.).

Ainsi, selon le recourant, le maître de l'ouvrage a payé 798'121 fr. 90
(734'610 fr. 30 + 63'511 fr. 60) pour un travail, qui, le 14 août 2009, avait
une valeur de 734'053 fr. 40. L'intimé 1 s'était donc enrichi de manière
illégitime à hauteur de 64'068 fr. 50. Les juges cantonaux étaient ainsi tombés
dans l'arbitraire en se basant, dans le cadre de leurs calculs, sur la valeur
du travail de C.________ SA au 6 octobre 2009 dans le but de répondre à la
question de savoir si les acomptes versés par l'intimé 2 pour des travaux
exécutés par la société de l'intimé 1 jusqu'au 14 août 2009 avaient été
suffisants pour couvrir l'intégralité des prestations fournies par lui-même ou
des sous-traitants.

1.4. Le raisonnement du recourant doit être suivi. Dans la mesure où, selon la
décision attaquée, il s'agit de déterminer si les acomptes versés par l'intimé
2 au 14 août 2009, correspondant à la dernière " situation " présentée au
maître d'ouvrage, permettaient à l'intimé 1 de payer le travail effectué à ce
jour, il y a lieu de tenir compte exclusivement des travaux inclus dans ladite
" situation ", les prestations fournies et facturées ultérieurement par les
sociétés D.________ SA et F.________ Sàrl n'en faisant pas partie. Il convient
dès lors de les soustraire du montant de 813'053 fr. 40 découlant de
l'expertise pour obtenir la valeur des travaux au 14 août 2009, dite valeur
(734'053 fr. 40) devant ensuite être comparée avec le montant des acomptes
versés par le maître d'ouvrage à la même date (734'610 fr. 30). A cela s'ajoute
que la facture de E.________ (63'511 fr. 60), qui était incluse dans la
situation du 14 août 2009 justifiant le versement des acomptes par l'intimé 2,
n'a pas été payée par l'intimé 1, mais acquittée ultérieurement par le maître
de l'ouvrage. Il s'ensuit, comme l'indique le recourant, que l'intimé 1 s'est
enrichi, sans cause, d'un montant de 64'068 fr. 50, puisque le maître de
l'ouvrage a payé 798'121 fr. 90 (734'610 fr. 30 [acomptes versés à C.________
SA] + 63'511 fr. 60 [facture de E.________] pour un travail d'une valeur de
734'053 fr. 40 au 14 août 2009.

La cour cantonale a fondé son calcul sur un paramètre erroné en retenant une
valeur des travaux à hauteur de 813'053 fr. 40 pour en conclure que l'intimé 1
n'avait pas reçu suffisamment d'argent pour couvrir l'intégralité des
prestations fournies par lui-même ou des sous-traitants. En effet, on ne
saurait écarter le paiement du maître d'ouvrage en faveur de E.________ tout en
tenant compte des prestations fournies par ce fournisseur. Le grief du
recourant, invoquant une constatation arbitraire des faits, est dès lors
bien-fondé.

2. 

Il découle de ce qui précède que le recours doit être admis, l'arrêt attaqué
annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle appréciation des
preuves. La cour cantonale statuera à nouveau sur la réalisation des conditions
de l'art. 138 CP, en particulier celle relative au dessein d'enrichissement
illégitime.

3. 

Le Ministère public fribourgeois, qui obtient gain de cause, n'a pas droit à
des dépens (art. 68 al. 3 LTF). Le canton de Fribourg ne supporte pas de frais
judiciaires (art. 66 al. 1 et 4 LTF).

 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :

1. 

Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause renvoyée devant
l'autorité cantonale afin qu'elle rende une nouvelle décision.

2. 

Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

3. 

Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal de l'Etat
de Fribourg, Cour d'appel pénal.

Lausanne, le 17 juillet 2019

Au nom de la Cour de droit pénal

du Tribunal fédéral suisse

Le Président : Denys

La Greffière : Musy