Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.187/2019
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Bundesgericht

Tribunal fédéral

Tribunale federale

Tribunal federal

               

4A_187/2019

Arrêt du 9 mars 2020

Ire Cour de droit civil

Composition

Mmes les Juges fédérales

Kiss, présidente, Hohl et May Canellas.

Greffière Monti.

Participants à la procédure

A.________,

représentée par Me Pierre Seidler, avocat,

recourante,

contre

B.________ SA,

représentée par Me Vincent Willemin, avocat,

intimée.

Objet

contrat de travail (art. 328 CO),

recours contre l'arrêt rendu le 14 mars 2019 par la

Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Jura

(CC 83/2018 + CC 96/2018).

Faits :

A. 

A.________ a été engagée en qualité d'intérimaire par C.________SA (société
dont les actifs et passifs ont été repris par B.________ SA en 2013) le 21 juin
2004. Dès le 6 janvier 2005, elle a travaillé comme employée fixe en tant
qu'opératrice sur presses.

Son travail consistait à placer, avec sa main gauche, une pièce à étamper sur
la matrice, à nettoyer la matrice et la pièce au moyen d'une soufflette tenue
dans la main droite, à actionner la presse en appuyant sur une pédale, à
retirer la pièce étampée avec la main gauche et à répéter le processus.

Le 2 juillet 2008, l'employée a été victime d'un accident sur son lieu de
travail. Alors qu'elle procédait aux travaux d'étampage, elle s'est piquée au
pouce gauche à plusieurs reprises jusqu'à saigner. Elle s'est rendue à
l'infirmerie pour y faire poser un pansement. Lorsqu'elle est revenue à son
poste de travail, elle a voulu récupérer la pièce qui était tombée derrière
l'outillage de la machine à étamper lors de la dernière manoeuvre exécutée.
Elle a alors tendu la main droite dans la machine et s'est profondément coupée
à l'annulaire droit avec la cale de compensation.

Il n'y a eu aucun autre accident de cette nature dans l'entreprise, ni avant,
ni après cet événement.

Le 31 janvier 2009, l'employée a été licenciée.

L'assurance-invalidité lui a reconnu un degré d'invalidité de 100 % dès le 2
juillet 2009, puis de 53 % dès le 13 juin 2011. La CNA/Suva (Caisse nationale
suisse d'assurance en cas d'accidents) lui a alloué une rente d'invalidité de
22 % dès le 1 ^er juillet 2011 et une indemnité pour atteinte à l'intégrité de
30 %. 

B.

B.a. A l'issue d'une procédure de conciliation infructueuse, l'employée a porté
sa demande, le 31 mai 2017, devant le Conseil de prud'hommes du Tribunal de
première instance de Porrentruy, concluant à ce que l'employeuse soit condamnée
à lui payer 30'000 fr. avec intérêts et précisant qu'il s'agissait d'une action
partielle.

Avec l'accord des parties, les débats ont été limités à la question du principe
de la responsabilité de l'employeuse.

Par jugement du 5 septembre 2018, le Tribunal de première instance a débouté
l'employée. Les premiers juges ont laissé ouverte la question de la
recevabilité de l'action partielle. Ils ont considéré que l'accident, aux
conséquences graves et invalidantes pour l'employée, n'était pas imputable à
une violation du devoir de diligence de l'employeuse. L'imprudence commise par
l'employée était inhabituelle et lui était imputable. Malgré le sort de la
demande, l'employée n'était pas redevable de dépens vu le rapport de force
inégal avec l'employeuse.

B.b. Le Tribunal cantonal du canton du Jura a été saisi d'un appel de
l'employée et d'un appel joint de l'employeuse (ce dernier sur la question des
dépens de première instance). Par arrêt du 14 mars 2019, il a rejeté l'appel et
admis l'appel joint, condamnant l'employée à verser à l'employeuse une
indemnité de dépens de 13'901 fr. pour la procédure de première instance et de
3'781 fr. pour celle de deuxième instance. Ses motifs seront évoqués ci-dessous
dans la mesure utile à la discussion.

C. 

L'employée a interjeté un recours en matière civile contenant les mêmes
conclusions que dans sa demande.

L'autorité précédente s'est référée à son arrêt.

L'employeuse a pour sa part conclu à l'irrecevabilité du recours,
subsidiairement à son rejet.

La recourante a déposé une réplique suscitant le dépôt d'une duplique de la
partie adverse, tous mémoires par lesquels elles ont confirmé leurs conclusions
respectives.

Considérant en droit :

1. 

Les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont réalisées sur
le principe, sachant notamment qu'il est dirigé contre une décision qui a mis
fin à la procédure (art. 90 LTF), que la valeur litigieuse minimale de 15'000
fr. est atteinte dans ce conflit de droit du travail (art. 74 al. 1 let. a LTF)
et que le délai pour recourir a été respecté (art. 100 al. 1 LTF). L'intimée
soulève le problème de la recevabilité des conclusions principales de la
recourante, lesquelles tendent au paiement en ses mains de la somme de 30'000
fr., alors que la procédure a été limitée au principe de la responsabilité de
l'employeuse. Il n'est toutefois pas nécessaire de trancher ce moyen, compte
tenu du sort du recours au fond.

2.

2.1. Le recours en matière civile peut être exercé pour violation du droit
fédéral (art. 95 let. a LTF), y compris le droit constitutionnel (ATF 136 II
304 consid. 2.4 p. 313). Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art.
106 al. 1 LTF). Compte tenu de l'exigence de motivation contenue à l'art. 42
al. 1 et 2 LTF, sous peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF), le
Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués, sauf en cas
d'erreurs juridiques manifestes. Il n'est pas tenu de traiter, comme le ferait
une autorité de première instance, toutes les questions juridiques qui se
posent, lorsque celles-ci ne sont plus discutées devant lui (ATF 141 III 86
consid. 2; 140 III 115 consid. 2). Par exception à la règle selon laquelle il
applique le droit d'office, il n'examine la violation d'un droit
constitutionnel que si le grief a été invoqué et motivé de façon détaillée
(principe de l'allégation, art. 106 al. 2 LTF; ATF 135 III 397 consid. 1.4 in
fine).

2.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité
précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter les
constatations de l'autorité précédente que si elles sont manifestement
inexactes ou découlent d'une violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art.
105 al. 2 LTF). "Manifestement inexactes" signifie ici "arbitraires" (ATF 140
III 115 consid. 2 p. 117; 135 III 397 consid. 1.5). Encore faut-il que la
correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97
al. 1 LTF) La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe de
l'allégation évoqué ci-dessus (ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266 et les
références).

La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente
doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions
seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 p. 18 et les références). Si
elle souhaite obtenir un complètement de l'état de fait, elle doit aussi
démontrer, par des renvois précis aux pièces du dossier, qu'elle a présenté aux
autorités précédentes en conformité avec les règles de procédure les faits
juridiquement pertinents à cet égard et les moyens de preuve adéquats (ATF 140
III 86 consid. 2 p. 90). Si la critique ne satisfait pas à ces exigences, les
allégations relatives à un état de fait qui s'écarterait de celui de la
décision attaquée ne pourront pas être prises en considération (ATF 140 III 16
consid. 1.3.1 p. 18). Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être
présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99
al. 1 LTF).

La recourante méconnaît largement ces principes lorsqu'elle prétend récapituler
les faits déterminants en s'écartant de ceux établis par la cour cantonale sans
même faire valoir qu'ils l'auraient été arbitrairement. Il n'en sera donc pas
tenu compte.

3. 

Le litige porte sur la prétention en dommages-intérêts émise par l'employée en
raison d'une prétendue violation de l'art. 328 CO par l'employeuse. La cour
cantonale a considéré que cette dernière n'était pas responsable de la blessure
subie par son employée, selon un raisonnement qui peut se résumer comme il
suit:

- Premièrement, l'employée n'avait pas prouvé avoir signalé à son chef d'équipe
que la cale de la machine à étamper sur laquelle elle travaillait dépassait de
l'outillage. Ce fait n'étant pas établi, on ne pouvait reprocher à l'employeuse
d'avoir violé son devoir de diligence en s'abstenant de réparer l'outil après
le prétendu signalement.

- Deuxièmement, les directives de l'employeuse prescrivaient aux ouvriers sur
machines à étamper de se lever, d'ouvrir la porte latérale de celles-ci et de
récupérer par l'arrière les pièces tombées à l'intérieur - procédure que
l'employée n'avait pas suivie -, et l'employeuse veillait à leur respect,
contrairement à ce qu'affirmait l'employée. Des contrôles intermittents plus
fréquents n'auraient pas suffi à empêcher que des employés négligent la
procédure de récupération d'une pièce et passent la main à travers la machine.

- Troisièmement, à supposer même qu'une violation de son obligation de
diligence pût être reprochée à l'employeuse, la cause de l'accident dont
l'employée avait été victime serait imputable à sa seule imprudence. Elle était
en effet consciente du risque de coupure que pouvait présenter la cale de
compensation pour s'être, selon ses propres dires, piquée sur celle-ci
plusieurs fois au pouce gauche peu avant sa blessure à l'annulaire droit; elle
avait, malgré tout, passé sa main à travers la machine en violation des
directives de l'employeuse pour récupérer la pièce tombée à l'intérieur, faute
grave qui était propre à interrompre le lien de causalité.

4. 

L'art. 328 al. 2 CO astreint l'employeur à prendre, pour protéger la vie et la
santé du travailleur, les mesures commandées par l'expérience, applicables en
l'état de la technique et adaptées aux conditions de l'exploitation, dans la
mesure où les rapports de travail et la nature du travail permettent
équitablement de l'exiger de lui. Selon la jurisprudence, il lui appartient
notamment de doter les machines et installations dont les travailleurs se
servent de dispositifs de sécurité suffisants pour empêcher la réalisation des
risques avec lesquels on peut compter (ATF 110 II 163 consid. 2a; 100 II 352
consid. 2a p. 354; arrêt 4C.545/1996 du 17 juillet 1997 consid. 3a). Pour
satisfaire à son obligation, l'employeur doit également informer le travailleur
des risques inhabituels que celui-ci ne connaît pas, et des mesures à prendre
pour les éviter, puis veiller à l'application scrupuleuse de ces mesures (ATF
112 II 138 consid. 3b p. 142; 102 II 18 consid. 1 p. 19 et les arrêts cités).
En matière de prévention, il doit compter avec les accidents que l'on peut
prévoir selon le cours ordinaire des choses, eu égard à l'inattention, voire à
l'imprudence du travailleur. L'obligation de sécurité que la loi impose à
l'employeur comprend ainsi la prévention de tout accident qui n'est pas dû à un
comportement imprévisible et constitutif d'une faute grave de la victime (ATF
112 II 138 consid. 3b p. 142; 95 II 132 consid. 2 p. 140).

Font notamment partie des mesures que l'employeur est tenu de respecter celles
qui sont mentionnées dans l'ordonnance sur la prévention des accidents (OPA, RS
832.30), en particulier l'obligation de veiller à ce que l'efficacité des
mesures et des installations de protection ne soit pas entravée (art. 3 al. 2),
l'obligation de veiller à ce que les travailleurs soient informés des risques
auxquels ils sont exposés dans l'exercice de leur activité et soient instruits
sur les mesures à prendre pour les prévenir et, enfin, l'obligation de faire en
sorte que ces mesures soient observées (art. 6).

5.

5.1. L'employée reproche à la cour cantonale d'avoir versé dans l'arbitraire en
refusant de tenir pour prouvé le signalement à son chef d'équipe du fait que la
cale de compensation dépassait de l'outillage.

Apparemment, elle entend ainsi démontrer que la machine présentait une
défectuosité que l'employeuse n'avait pas réparée et qui était la cause de
l'accident. Ce moyen ne saurait toutefois prospérer. En effet, la cour
cantonale a retenu en fait que, au fur et à mesure de l'exécution des pièces en
séries, la cale de compensation s'écrase et a tendance à dépasser de son
emplacement, si bien qu'elle peut se trouver à un endroit dangereux. Ce point
n'est dès lors plus à démontrer. La recourante ne s'est pas blessée à
l'annulaire droit lors du processus classique d'étampage, tel qu'il a été
décrit plus haut (supra let. A). La question n'est dès lors pas de savoir si ce
dépassement de la cale devait être réparé immédiatement pour que ce processus
puisse être mené à bien sans que l'employée ne se blesse. La recourante s'est
blessée lors d'un geste destiné à récupérer une pièce tombée derrière
l'outillage de la machine à étamper. Pour ce faire, elle a passé la main à
travers cette machine. Or, l'employeuse avait émis des prescriptions de
sécurité, lesquelles enjoignaient aux employés de se lever de leur place de
travail, d'ouvrir la porte latérale de la machine et de sortir la pièce par
derrière, afin de parer à tout risque de blessure. Au moyen de ces
prescriptions, elle entendait précisément parer le risque d'un contact de la
main avec la cale de compensation. Ce n'est donc pas la dangerosité indéniable
de la machine qui est la cause du dommage, mais le geste de l'employée qui a
enfreint les prescriptions de sécurité.

Il s'ensuit que le grief d'arbitraire dans la constatation des faits peut
demeurer indécis, le fait en question n'étant pas déterminant.

5.2. La recourante soutient que l'employeuse ne pouvait se borner à édicter des
règles de sécurité orales, mais devait les spécifier par écrit. Il ressort des
constatations souveraines de la cour cantonale qu'elle connaissait pertinemment
ces prescriptions. Dans cette mesure, l'on ne discerne guère pour quelle raison
celles-ci auraient dû revêtir la forme écrite, respectivement en quoi cette
forme aurait conduit à ce qu'elle les respecte davantage.

Elle prétend également que l'employeuse tolérait des comportements à risque en
"se contentant de rappeler une règle non écrite de sécurité lors de situations
avérées". Certes, en présence d'installations dangereuses sur lesquelles
l'employée doit travailler quotidiennement, l'employeuse doit veiller de
manière suffisamment diligente au respect, dans l'entreprise, des consignes de
sécurité, en s'assurant régulièrement de leur respect et en les rappelant au
moins par intervalles, sous peine de méconnaître son obligation de sécurité et
d'engager sa responsabilité. Cela étant, tel n'est pas le cas ici, comme l'a
constaté la cour cantonale d'une manière qui lie le Tribunal fédéral (cf. supra
 consid. 2.2). La recourante ne démontre pas l'arbitraire de ces constatations
de fait.

5.3. Finalement, la recourante voit une violation du droit dans le raisonnement
tenu par la cour cantonale s'agissant de la rupture du lien de causalité entre
une hypothétique violation par l'employeuse de son obligation de diligence et
le dommage. Elle fonde son raisonnement sur le caractère prévisible de son
comportement à risque, puisque - selon elle - nombre d'employés procédaient de
cette manière, et en déduit que son geste n'était pas de nature à rompre le
lien de causalité. La recourante fait fausse route en voulant assimiler son
comportement fautif à un événement imprévisible et extraordinaire: il s'agit-là
de deux facteurs interruptifs de la causalité adéquate lesquels existent
indépendamment l'un de l'autre. Au demeurant, la jurisprudence souligne que
l'intensité de chacune des causes en présence est déterminante: si la faute du
lésé apparaît lourde au point de presque supplanter le fait imputable à la
partie recherchée, le lien de causalité adéquate est alors rompu (ATF 130 III
182 consid. 5.4 p. 188; 116 II 519 consid. 4b). Il n'y a dès lors nulle
violation du droit dont la recourante serait fondée à se plaindre.

6. 

Partant, le recours ne peut qu'être rejeté dans la mesure où il est recevable.
La recourante supportera les frais de procédure fixés à 1'000 fr. selon le
tarif réduit étant donné la valeur litigieuse ici en cause (art. 65 al. 4 let.
c LTF; cf. arrêt 4A_287/2017 du 13 octobre 2017 consid. 5; ATF 115 II 30
consid. 5b) et versera à son adverse partie une indemnité de 2'000 fr. à titre
de dépens (art. 68 al. 1 et 2 LTF).

 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :

1. 

Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.

2. 

Les frais de procédure, fixés à 1'000 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

3. 

La recourante versera à l'intimée une indemnité de 2'000 fr. à titre de dépens.

4. 

Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton
du Jura.

Lausanne, le 9 mars 2020

Au nom de la Ire Cour de droit civil

du Tribunal fédéral suisse

La présidente : Kiss

La greffière : Monti