Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 1C.443/2017
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                [displayimage]  
 
 
1C_443/2017  
 
 
Arrêt du 29 août 2018  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Merkli, Président, Karlen, Eusebio, Chaix et
Kneubühler. 
Greffier : M. Kurz. 
 
Participants à la procédure 
1. A.____ ____, 
2. B.__ ______, 
3. C.__ ______, 
4. D.__ ______, 
5. E.___ _____, 
6. F._ _______, 
7. G.__ ______, 
8. H._ _______, 
9. I._ _______, 
10. J.__ ______, 
11. K._ _______, 
12. L._ _______, 
tous représentés par Mes Xavier Rubli et Nathanaël Petermann, avocats, 
recourants, 
 
contre  
 
Conseil d'Etat du canton de Vaud, 
Grand Conseil du canton de Vaud. 
 
Objet 
Modification de la loi pénale vaudoise; interdiction de la mendicité, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour constitutionnelle du Tribunal cantonal du
canton de Vaud du 10 mai 2017 (CCST.2016.0008). 
 
 
Faits :  
 
A.   
Le 27 septembre 2016, faisant suite à une initiative populaire intitulée
"Interdisons la mendicité et l'exploitation de personnes à des fins de
mendicité sur le territoire vaudois", le Grand Conseil du canton de Vaud a
adopté une modification de l'art. 23 de la loi pénale vaudoise du 19 novembre
1940 (LPén; RS/VD 311.15). La nouvelle disposition a la teneur suivante: 
 
1 Celui qui mendie sera puni d'une amende de 50 à 100 francs. 
2 Celui qui envoie mendier des personnes de moins de 18 ans, qui envoie mendier
des personnes dépendantes, qui organise la mendicité d'autrui ou qui mendie
accompagné d'une ou plusieurs personnes mineures ou dépendantes, sera puni de
l'amende de 500 à 2'000 francs. 
 
B.   
Par arrêt du 10 mai 2017, la Cour constitutionnelle du Tribunal cantonal du
canton de Vaud a rejeté, dans la mesure où elle était recevable, la requête
déposée contre cette révision législative par A.________, B.________,
C.________, D.________, E.________, F.________, G.________, H.________
(ci-après: les recourants 1 à 8), I.________, J.________, K.________ et
L.________ (ci-après: les recourants 9 à 12). Rappelant qu'en Suisse, quatorze
autres cantons interdisaient ou réprimaient déjà la mendicité, la cour
cantonale a considéré que la disposition attaquée restreignait la liberté
personnelle des recourants 1 à 8, mais dans une mesure compatible avec l'art.
36 Cst. Il en allait de même d'une éventuelle atteinte à la liberté de
conscience et de croyance des recourants 9 à 12. La liberté économique,
l'égalité de traitement, l'interdiction de la discrimination et le principe de
la légalité des peines n'étaient pas non plus violés. 
 
C.   
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ et
consorts demandent au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt cantonal en annulant
la loi du 27 septembre 2016, respectivement l'art. 23 al. 1 LPén.
Subsidiairement, ils concluent au renvoi de la cause à la Cour
constitutionnelle pour nouveau jugement dans le sens des considérants. 
La Cour constitutionnelle se réfère aux considérants de son arrêt. Le Grand
Conseil conclut au rejet du recours en se référant à l'arrêt attaqué. Le
Conseil d'Etat s'en remet à justice tout en relevant qu'en cas d'entrée en
vigueur de la disposition litigieuse, il entend proposer un complément
prévoyant la possibilité d'exceptions pour les cas de mendicité occasionnelle. 
Par ordonnance présidentielle du 26 septembre 2017, l'effet suspensif a été
accordé au recours. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
La voie du recours en matière de droit public est ouverte à l'encontre des
actes normatifs cantonaux (art. 82 let. b LTF). Lorsque le droit cantonal
prévoit un recours dans ce domaine, l'art. 86 LTF est applicable (art. 87 al. 2
LTF) et le Tribunal fédéral ne statue qu'après épuisement des instances
cantonales, en l'occurrence la Cour constitutionnelle cantonale. Les recourants
peuvent alors conclure à l'annulation non seulement de la décision de dernière
instance cantonale, mais aussi de l'acte normatif litigieux (ATF 141 I 36
consid. 1.2.2 p. 40). 
 
1.1. L'art. 89 al. 1 LTF confère la qualité pour former un recours en matière
de droit public à quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité
précédente (let. a), est particulièrement atteint par la décision ou l'acte
normatif attaqué (let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation
ou à sa modification (let. c). Selon la jurisprudence, lorsque la contestation
a pour objet un acte normatif (contrôle abstrait), l'intérêt personnel requis
pour fonder la qualité pour recourir au sens de l'art. 89 LTF peut être
simplement virtuel; il suffit qu'il existe un minimum de vraisemblance que le
recourant soit un jour soumis aux dispositions contestées; un intérêt de fait
est suffisant (ATF 141 I 78 consid. 3.1 p. 81).  
En l'occurrence, les recourants 1 à 8 (de nationalités suisse et roumaine)
s'adonnent de manière occasionnelle ou régulière à la mendicité en Ville de
Lausanne et sont directement touchés par la modification de la loi pénale qui
interdit cette pratique sur l'ensemble du territoire vaudois en la sanctionnant
d'une amende. Ils ont ainsi un intérêt digne de protection à obtenir
l'annulation ou la modification de la disposition contestée. Les recourants 9 à
12 invoquent la liberté d'expression et la liberté religieuse; selon eux, la
disposition litigieuse les empêcheraient d'une part d'exprimer leur soutien à
l'égard des mendiants et, d'autre part, de pratiquer l'aumône selon les dogmes
de leurs religions respectives. Au stade de la recevabilité, ces affirmations
apparaissent suffisantes pour leur reconnaître l'existence d'un intérêt digne
de protection. La question de savoir s'il y a effectivement une atteinte aux
libertés invoquées peut être résolue sur le fond (consid. 6 et 7). 
 
1.2. Les exigences en matière de motivation prévues par l'art. 42 al. 2 LTF et
celles, plus strictes, de l'art. 106 al. 2 LTF, valent aussi pour les recours
dirigés contre les actes normatifs cantonaux. Conformément au principe
d'allégation, le Tribunal fédéral n'examine la violation de droits fondamentaux
que si ce grief a été invoqué et motivé par le recourant. Dans ce cas, l'acte
de recours doit, sous peine d'irrecevabilité, contenir un exposé succinct des
droits et principes constitutionnels violés et préciser en quoi consiste la
violation (ATF 143 I 1 consid. 1.4 p. 5).  
La motivation du recours est exclusivement dirigée contre l'art. 23 al. 1 LPén
qui réprime la mendicité. Les recourants ne soulèvent en revanche aucun
argument à l'encontre de l'art. 32 al. 2 LPén qui réprime "celui qui envoie
mendier des personnes", disposition qui revêt un caractère indépendant et
figurait d'ailleurs déjà dans l'ancienne teneur de l'art. 23 LPén. Faute de
toute motivation sur ce point, le recours est irrecevable en tant qu'il vise
l'art. 23 al. 2 LPén. 
Les recourants invoquent par ailleurs certaines dispositions de la Constitution
du canton de Vaud (RS 131.231), sans toutefois indiquer dans quelle mesure
celles-ci conféreraient une protection supérieure à la Constitution fédérale et
la CEDH. C'est donc exclusivement à la lumière de ces dernières que leurs
griefs seront examinés. 
Sous les réserves exprimées ci-dessus, il y a lieu d'entrer en matière. 
 
2.   
Invoquant l'art. 97 LTF, les recourants dénoncent une constatation incomplète
et unilatérale des faits, en rapport notamment avec l'historique de la
disposition contestée. Ils expliquent qu'après l'adoption de la loi consacrant
l'interdiction de mendier dans le canton de Genève, des études menées sur le
phénomène de la mendicité dans le canton de Vaud démentiraient l'existence de
bandes mafieuses. De plus, le bilan de la mise en oeuvre de l'interdiction
générale de la mendicité à Genève serait catastrophique: les amendes infligées
aux contrevenants auraient engorgé les tribunaux, suscité des frais importants
et donné lieu à l'envoi de commandements de payer en Roumanie. L'interdiction
de la mendicité entraînerait en outre des phénomènes de report vers la
prostitution ou la petite criminalité. Le règlement de police lausannois
limitant la mendicité contredirait enfin la prétendue impossibilité de prévoir
des mesures moins incisives que l'interdiction totale de cette activité. Les
recourants reprochent également à l'instance précédente de ne pas avoir fait
mention dans son arrêt de l'opinion minoritaire d'une juge de la Cour
constitutionnelle. 
 
2.1. Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des
faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en
écarter que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte ou en
violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). La partie
recourante qui entend s'écarter des constatations de l'autorité précédente doit
expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions d'une exception
prévue par l'art. 105 al. 2 LTF seraient réalisées, faute de quoi il n'est pas
possible de tenir compte d'un état de fait qui diverge de celui contenu dans la
décision attaquée (ATF 143 V 19 consid. 2.2 p. 23; 141 V 416 consid. 4 p. 421).
Pour qu'une partie puisse demander une rectification de l'état de fait
cantonal, il faut encore que celle-ci soit susceptible d'influer sur le sort de
la cause (art. 97 al. 1 LTF; ATF 142 I 135 consid. 1.6 p. 144 s.).  
 
2.2. Les éléments que les recourants reprennent à l'appui de leur recours n'ont
pas été formellement écartés par la cour cantonale. Dans la mesure où il s'agit
de pièces produites devant l'instance précédente, les recourants peuvent
d'ailleurs s'en prévaloir dans le cadre du présent recours (art. 99 al. 1 LTF).
Le grief relève donc plutôt de l'application du droit et notamment du principe
de la proportionnalité, question qui sera examinée ci-dessous (cf.  infra
 consid. 4.4). Par ailleurs, la juge cantonale minoritaire n'a pas fait usage
de la possibilité que lui offre l'art. 134 Cst. de publier une opinion
dissidente. Quoi qu'il en soit, une opinion minoritaire qui n'a pas trouvé son
expression dans l'arrêt motivé (et que les recourants sont d'ailleurs libres de
reprendre dans leur argumentation juridique) ne constitue pas un fait au sens
de l'art. 105 LTF. Il en va de même des jugements étrangers invoqués par les
recourants dans leur recours, lesquels ne lient au demeurant pas le Tribunal
fédéral.  
Pour autant qu'il relève de l'établissement des faits, le grief est rejeté. 
 
3.   
Dans le cadre d'un contrôle abstrait des normes, le Tribunal fédéral examine
librement la conformité d'un acte normatif au droit supérieur. Dans ce
contexte, ce qui est décisif, c'est que la norme mise en cause puisse, d'après
les principes d'interprétation reconnus, se voir attribuer un sens compatible
avec les droits fondamentaux invoqués (ATF 140 I 2 consid. 4 p. 14). Le
Tribunal fédéral n'annule dès lors une norme cantonale que lorsque celle-ci ne
se prête à aucune interprétation conforme à la Constitution ou au droit
supérieur. Pour en juger, il faut notamment tenir compte de la portée de
l'atteinte aux droits fondamentaux en cause, de la possibilité d'obtenir
ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique
suffisante, et des circonstances concrètes dans lesquelles ladite norme sera
appliquée (ATF 143 I 1 consid. 2.3 p. 6). Le juge constitutionnel ne doit pas
se borner à traiter le problème de manière purement abstraite, mais il lui
incombe de prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d'une
application conforme aux droits fondamentaux. Les explications de l'autorité
cantonale sur la manière dont elle applique ou envisage d'appliquer la
disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si
une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du
droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait
les prévoir, l'éventualité que, dans certains cas, son application puisse se
révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention
du juge au stade du contrôle abstrait des normes (ATF 140 I 2 consid. 4 p. 14;
134 I 293 consid. 2 p. 295). 
 
4.   
Les recourants considèrent que l'interdiction totale de la mendicité porterait
une atteinte inadmissible à la liberté personnelle des personnes qui s'y
adonnent, en les privant notamment du dernier moyen disponible pour subvenir à
leurs besoins. Le prononcé d'amendes et l'éventuelle confiscation des recettes
provenant de la mendicité porteraient aussi atteinte au minimum vital des
personnes visées. L'interdiction serait ainsi incompatible avec les art. 7, 10,
12 Cst. et 8 CEDH. 
 
4.1. La liberté personnelle inclut toutes les libertés élémentaires dont
l'exercice est indispensable à l'épanouissement de la personne humaine et dont
devrait jouir tout être humain, afin que la dignité humaine ne soit pas
atteinte par le biais de mesures étatiques. Sa portée ne peut être définie de
manière générale mais doit être déterminée de cas en cas, en tenant compte des
buts de la liberté, de l'intensité de l'atteinte qui y est portée ainsi que de
la personnalité de ses destinataires (ATF 142 I 195 consid. 3.2 p. 199 s.). Le
droit d'obtenir de l'aide en situation de détresse est étroitement lié au droit
à la vie et à la liberté personnelle (art. 10 Cst.) qui en constitue l'un des
principaux fondements, avec la garantie de la dignité humaine (art. 7 Cst.; ATF
136 I 254 consid. 6.2 p. 263). Quant à l'art. 8 CEDH, il garantit le respect de
la vie privée et familiale, et en particulier le droit à l'autodétermination,
notamment au libre choix du mode de vie.  
 
4.2. En disposant que "  celui qui mendie sera puni d'une amende de 50 à 100
francs ", l'art. 23 al. 1 LPén revient à interdire la mendicité. Il s'agit dès
lors de savoir si une telle interdiction constitue une atteinte à la liberté
personnelle et, dans l'affirmative, si cette atteinte représente une
restriction admissible à cette liberté.  
Le fait de mendier consiste à demander l'aumône, à obtenir une aide, très
généralement sous la forme d'une somme d'argent. Il peut s'agir d'un
comportement occasionnel ou d'un véritable mode de vie. Le plus souvent, la
mendicité résulte de l'indigence et vise à remédier à une situation de
dénuement. Ainsi, le fait de mendier, comme forme du droit de s'adresser à
autrui pour obtenir de l'aide, doit être considéré comme une liberté
élémentaire, faisant partie de la liberté personnelle garantie par l'art. 10
al. 2 Cst. (ATF 134 I 214 consid. 5.3 p. 216). 
A l'instar de tout autre droit fondamental, la liberté personnelle n'est
toutefois pas absolue. Une restriction de cette garantie est admissible si elle
repose sur une base légale (qui, en cas d'atteinte grave, doit figurer dans une
loi au sens formel), si elle est justifiée par un intérêt public ou par la
protection d'un droit fondamental d'autrui et si elle respecte le principe de
la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst.). 
Il est à juste titre incontesté que l'interdiction de mendier découlant de la
disposition litigieuse, qui figure dans une loi formelle, constitue en soi une
base légale suffisante. 
 
4.3. Les recourants soutiennent que l'interdiction de la mendicité dite
"passive" - c'est-à-dire l'acte par lequel le mendiant s'installe sur le
domaine public et tend la main ou la sébile sans interpeller les passants - ne
répondrait pas à un intérêt public suffisant. En revanche, ils ne nient pas que
l'interdiction de la mendicité "active" - c'est-à-dire lorsque le mendiant
s'approche des passants et les sollicite - répond à un tel intérêt.  
 
4.3.1. La notion d'intérêt public, au sens de l'art. 36 al. 2 Cst., varie en
fonction du temps et des lieux et comprend non seulement les biens de police
(tels que l'ordre, la sécurité, la santé et la paix publics, par exemple), mais
aussi les valeurs culturelles, écologiques et sociales dont les tâches de
l'Etat sont l'expression. Il incombe au législateur de définir, dans le cadre
d'un processus politique et démocratique, quels intérêts publics peuvent être
considérés comme légitimes, en tenant compte de l'ordre de valeurs posé par le
système juridique (Moor et al., Droit administratif, vol. I, 3e éd. 2012, p.
756). Si les droits fondamentaux en jeu ne peuvent être restreints pour les
motifs indiqués par la collectivité publique en cause, l'intérêt public allégué
ne sera pas tenu pour pertinent (cf. ATF 142 I 49 consid. 8.1 p. 66).  
 
4.3.2. Dans son arrêt du 9 mai 2008 relatif à la loi genevoise interdisant la
mendicité (ATF 134 I 214), le Tribunal fédéral constate qu'il n'est
malheureusement pas rare que des personnes qui mendient soient en réalité
exploitées dans le cadre de réseaux; il existe en particulier un risque réel
que des mineurs, notamment des enfants, soient exploités de la sorte, ce que
l'autorité a le devoir d'empêcher et de prévenir (consid. 5.6 p. 218). En
outre, on ne saurait nier que la mendicité peut entraîner des débordements,
donnant lieu à des plaintes, notamment de particuliers importunés et de
commerçants inquiets de voir fuir leur clientèle. Les autorités sont ainsi
légitimées à réagir afin de préserver l'ordre public (consid. 5.6 p. 217 s.).  
Dans sa circulaire du 4 juin 2010, l'Office fédéral des migrations indique que
les mendiants mineurs ne sont généralement pas scolarisés et confirme qu'il
n'est pas rare qu'ils soient exploités dans le cadre de réseaux qui les
utilisent à leur profit. Tabin/Knüsel (Lutter contre les pauvres - Les
politiques face à la mendicité dans le canton de Vaud, Lausanne 2014, p. 119)
estiment en revanche qu'il n'y aurait pas de mendicité organisée en Ville de
Lausanne. Il n'existe ainsi pas de données incontestables quant à la présence
ou l'absence de réseaux dans le canton de Vaud. Toutefois, même s'il règne une
incertitude à ce niveau-là, il existe un intérêt public à une réglementation,
l'Etat ayant le devoir de lutter contre l'exploitation humaine (érigée en
infraction à l'art. 182 CP), et ce également de manière préventive. De plus, la
plupart des mendiants sont amenés à séjourner dans des lieux non adaptés, dans
des conditions souvent très précaires et sur une longue durée. L'interdiction
de la mendicité poursuit donc en premier lieu un intérêt public tendant à la
protection des mendiants eux-mêmes. 
Il est incontesté que l'interdiction de la mendicité dite active poursuit un
intérêt public pertinent, afin de prévenir les attitudes insistantes, voire les
harcèlements, notamment dans des endroits sensibles (banques, entrées de
supermarchés, gares et autres édifices publics; ATF 134 I 214 consid. 5.6 p.
217). Contrairement à ce que soutiennent les recourants, la mendicité passive
peut également susciter des troubles à la tranquillité publique. Comme le
relève la cour cantonale, les passants peuvent éprouver des sentiments de gène,
d'agacement, voire même d'insécurité à l'égard de la mendicité passive. Il ne
serait d'ailleurs pratiquement pas possible, sans surveillance quasi-permanente
des personnes qui s'adonnent à la mendicité, de s'assurer qu'elles se limitent
à une attitude passive et s'abstiennent de tout comportement insistant (ATF 134
I 214 consid. 5.7.2 p. 219-220). La mendicité passive peut d'ailleurs également
causer des troubles dans les espaces publics lorsque ceux qui s'y adonnent
séjournent dans des parcs ou sur des parkings, ce qui peut également conduire à
des problèmes de salubrité. On ne saurait par conséquent nier qu'il existe un
intérêt public pertinent à interdire la mendicité sous toutes ses formes, qu'il
s'agisse de prévenir l'exploitation ou de préserver l'ordre, la sécurité et la
tranquillité publics. 
 
4.4. Pour qu'une restriction à un droit fondamental soit conforme au principe
de la proportionnalité, il faut qu'elle soit apte à atteindre le but visé, que
ce dernier ne puisse être atteint par une mesure moins incisive et qu'il existe
un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la
personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (
art. 36 al. 3 Cst.; cf. aussi ATF 142 I 49 consid. 9.1 p. 69).  
 
4.4.1. L'art. 23 LPén a été adopté par le Grand Conseil du canton de Vaud à la
suite de l'initiative populaire intitulée "Interdisons la mendicité et
l'exploitation de personnes à des fins de mendicité sur le territoire vaudois".
Le but de cette initiative était principalement d'interdire purement et
simplement la mendicité au niveau cantonal afin de prévenir toute exploitation
de personnes démunies. L'interdiction de la mendicité permet manifestement
d'empêcher l'exploitation de réseaux dans le canton de Vaud et d'atteindre
ainsi le but premier visé par la loi.  
La prohibition de la mendicité permet également de réduire des troubles à
l'ordre public. Comme l'a retenu l'instance cantonale, quand bien même la
réglementation genevoise identique ne serait pas systématiquement appliquée, on
ne peut pas pour autant affirmer que tel sera aussi le cas sur le territoire
vaudois. Les recourants allèguent que la mendicité à Genève n'a pas diminué
après l'entrée en vigueur de la loi genevoise. Or, cette question dépend
essentiellement de la volonté des autorités de poursuite d'appliquer la
réglementation litigieuse. En tout état, la base légale litigieuse fonde
l'intervention de la police, d'office ou sur requête de particuliers, ce qui
peut permettre de diminuer le sentiment de gène ou d'insécurité ressenti par
une partie de la population, d'écarter les problèmes de salubrité relevés
ci-dessus et de prévenir l'existence de réseaux mafieux. 
 
4.4.2. Les recourants estiment qu'il existerait des mesures moins incisives
pour atteindre le but visé et que l'on pourrait notamment admettre la mendicité
passive ou imposer des restrictions géographiques et la fixation d'heures
auxquelles les mendiants pourraient exercer leur activité. Ils considèrent que
les autorités judiciaires ne devraient pas se soumettre à un devoir de réserve
dans l'examen de cette question.  
Le Tribunal fédéral examine librement la question de savoir si une restriction
peut se justifier par un intérêt public suffisant. Cependant, il fait preuve de
retenue lorsque se posent des questions d'appréciation et lorsqu'il s'agit
d'évaluer des circonstances locales ou des politiques publiques qui relèvent
principalement de la compétence des cantons. Ainsi, contrairement à l'avis des
recourants, une réserve s'impose en l'occurrence dans la mesure où
l'interdiction de la mendicité revêt une dimension politique, les autorités
locales étant plus à même d'apprécier la situation concrète et l'efficacité des
mesures à prendre pour atteindre le but d'intérêt public visé (cf. ATF 134 I
214 consid. 5.7.2 p. 220). 
Il n'y a pas lieu de s'écarter de la jurisprudence qui considère qu'une
limitation géographique ne ferait que déplacer le problème et qu'il en
résulterait une concentration de la mendicité dans les zones tolérées (ATF 134
I 214 consid. 5.7.2 p. 218 s.). Une restriction temporelle ne permettrait pas
non plus de lutter contre l'exploitation des personnes dans le besoin. Ces
limitations ne seraient donc pas efficaces sous l'angle de l'ordre, de la
sécurité et de la tranquillité publics. La jurisprudence considère en outre que
la soumission de la mendicité à autorisation ne constitue pas une mesure
efficace puisque la plupart des personnes qui s'adonnent à cette activité,
étrangers de passage ou en situation illégale, ne pourraient bénéficier d'une
telle autorisation; d'autres ne seraient pas en mesure d'en assumer les frais
et d'autres encore préféreraient ne pas la solliciter. La mendicité se
trouverait ainsi entravée dans une mesure qui, en définitive, ne serait pas
très éloignée d'une interdiction pure et simple. La solution évoquée serait de
plus susceptible d'engendrer des inégalités entre les différentes personnes
voulant pratiquer la mendicité (ATF 134 I 214 consid. 5.7.2 p. 219). 
Dès lors, on ne voit pas qu'une mesure moins incisive que celle qui a été
adoptée permettrait de parvenir efficacement au but d'intérêt public visé, les
solutions envisageables apparaissant insuffisantes. Une interdiction totale de
la mendicité respecte ainsi le principe de la nécessité. 
 
4.4.3. Les recourants soutiennent enfin que l'interdiction pure et simple de la
mendicité ne serait pas dans un rapport raisonnable avec le résultat escompté
du point de vue de l'intérêt public (proportionnalité au sens strict), au
regard notamment du droit fondamental à des conditions minimales d'existence (
art. 12 Cst.).  
L'art. 12 Cst. et les dispositions cantonales sur l'aide sociale individuelle
ont notamment pour but d'éviter que des personnes doivent recourir à la
mendicité. Elles ont conduit à la mise en place d'un filet social et l'on est
fondé à en déduire que, pour la très grande majorité des personnes qui s'y
livrent, l'interdiction de la mendicité ne les priverait pas du minimum
nécessaire, mais d'un revenu d'appoint, quand bien même des exceptions restent
toujours possibles (ATF 134 I 214 consid. 5.7.3 p. 220-221). Selon la
législation vaudoise, si l'intéressé est domicilié ou en séjour dans le canton
au sens de l'art. 4 al. 1 de la loi du 2 décembre 2003 sur l'action sociale
vaudoise (LASV, RS/VD 850.051), il peut prétendre au revenu d'insertion qui
comprend principalement une prestation financière. S'il est requérant d'asile,
l'assistance peut notamment prendre la forme d'un hébergement et de prestations
financières, le montant de celles-ci étant fixé par des normes adoptées par le
Conseil d'Etat (art. 5, 21 et 42 de la loi sur l'aide aux requérants d'asile et
à certaines catégories d'étrangers du 7 mars 2006 [LARA; RS/VD 142.21]). Si,
enfin, il séjourne illégalement sur le territoire vaudois, notamment lorsque sa
requête d'asile a été écartée par une décision de non-entrée en matière, il a
droit à l'aide d'urgence conformément à l'art. 49 LARA. L'octroi et le contenu
de l'aide d'urgence sont définis à l'art. 4a al. 3 LASV. L'aide d'urgence est
dans la mesure du possible allouée sous la forme de prestations en nature. Elle
comprend en principe le logement, en règle ordinaire dans un lieu d'hébergement
collectif, la remise de denrées alimentaires et d'articles d'hygiène, des soins
médicaux d'urgence dispensés en principe par la Policlinique médicale
universitaire (PMU) en collaboration avec les hospices cantonaux (CHUV). En cas
de besoin établi, d'autres prestations de première nécessité peuvent être
accordées. Dès lors, dans la mesure où toute aide d'urgence ne semble pas
exclue pour les mendiants, même étrangers, on ne discerne pas en quoi
l'interdiction qui leur est faite porterait atteinte à leur droit d'obtenir de
l'aide dans des situations de détresse (ATF 139 I 272 consid. 3.2 p. 276), le
but de l'art. 12 Cst. étant justement d'éviter qu'une personne ne doive se
livrer à la mendicité pour survivre. 
 
4.5. Sur le vu de ce qui précède, l'interdiction de la mendicité résultant de
la disposition litigieuse est justifiée par un intérêt public pertinent et
respecte le principe de la proportionnalité. Elle constitue donc une
restriction admissible de la garantie de la liberté personnelle sous tous ses
aspects, notamment du droit au respect de la sphère privée et familiale et de
la dignité humaine, que ce soit sous l'angle du droit constitutionnel ou
conventionnel. Le grief est dès lors rejeté.  
 
5.   
Les recourants 1 à 8 voient dans l'interdiction totale de la mendicité une
atteinte inadmissible à leur liberté économique garantie à l'art. 27 Cst. en
tant qu'elle les prive de leur seule source de revenu. Ils estiment que sur ce
point également le Tribunal fédéral devrait revoir la position adoptée
précédemment, qui exclut la mendicité du champ d'application de cette
disposition. La mendicité tendrait selon eux à l'obtention d'un gain économique
en contrepartie d'une donation manuelle au sens de l'art. 242 CO. 
 
5.1. Le 1er juin 2009 est entré en vigueur le Protocole à l'accord sur la libre
circulation des personnes (ALCP) concernant la participation, en tant que
parties contractantes, de la République de Bulgarie et de la Roumanie, à la
suite de leur adhésion à l'Union européenne du 27 mai 2008 (PA 2 ALCP; RS
0.142.112.688.1). Dès lors, les recourants 3 à 8 peuvent désormais se prévaloir
de la liberté économique, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté.  
 
5.2. La "  liberté du commerce et de l'industrie " a été explicitement reconnue
sur tout le territoire de la Confédération avec la Constitution suisse de 1874
(art. 31 aCst.). Le but en était que la production et la vente de biens et les
prestations de services soient libres, à l'intérieur et entre chaque canton
(David Hofmann, La liberté économique suisse face au droit européen, 2005, p.
20). Par la suite, les compétences de la Confédération en matière économique se
sont étendues et, après la révision constitutionnelle du 6 juillet 1947, la
Confédération s'est vu octroyer le droit, "  si l'intérêt général le justifie
 ", de déroger dans plusieurs domaines au principe de la liberté du commerce et
de l'industrie (Hofmann, op. cit., p. 22). Lors de la révision de la
Constitution de 1999, le législateur a décidé d'employer l'expression de " 
liberté économique ", modification terminologique qui n'a pas pour autant
changé l'étendue de la protection (Message du 20 novembre 1996 relatif à une
nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 1, 178).  
Alors que dans d'autres pays, seuls certains aspects de la liberté économique
sont protégés (comme la " Berufsfreiheit " garantie par la Constitution
allemande - art. 12), le droit suisse consacre un droit général à la liberté
économique en tant que droit individuel (art. 31 aCst., art. 27 Cst.). La
liberté économique comprend notamment le libre choix de la profession, le libre
accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (cf. ATF
143 I 388 consid. 2.1 p. 391). Ainsi, toute activité lucrative qui tend à la
production d'un gain ou d'un revenu en vertu du droit privé est protégée contre
les mesures étatiques restrictives (ATF 143 II 598 consid. 5.1 p. 612; 142 I 99
consid. 2.4.1 p. 111). L'individu protégé est celui qui est engagé dans le
processus économique, celui qui produit ou échange des biens ou des services,
dans un but lucratif (ANDREAS Auer et al., Droit constitutionnel suisse vol. II
3ème éd. 2013, p. 423). La fonction individuelle de la liberté économique ne
protège pas seulement l'individu en tant que tel, mais aussi les relations
économiques à but lucratif qu'il entretient avec d'autres agents économiques
(Randall/Le Fort, L'interdiction de la mendicité revisitée, in Plaidoyer 4/12,
p. 35; Défago Gaudin, L'interdiction genevoise de la mendicité avalisée par le
Tribunal fédéral; pas de réelle nouveauté, in Jusletter du 8 septembre 2008, p.
2). Les rapports de production et d'échange étant par définition sociaux, la
liberté économique, même réduite à sa fonction individuelle, n'apparaît donc
pas comme une liberté centrée exclusivement sur l'individu (Auer et al., loc.
cit.). 
 
5.3. Celui qui s'adonne à la mendicité a évidemment pour but d'obtenir un gain
économique. Néanmoins, il ne produit ni n'échange des biens ou des services
dans un but lucratif. Or, ce sont justement ces rapports de production et
d'échange qui font vivre le système économique qui sont, comme on l'a vu,
protégés par la liberté économique (cf. Felix Uhlmann, in Basler Kommentar,
Bundesverfassung, 2015, no 3 ad art. 27 BV). Le Tribunal fédéral a ainsi
considéré que la mendicité ne constituait manifestement pas une activité
protégée par l'art. 27 Cst., celle-ci se résumant à solliciter une aide,
généralement financière, sans contre-prestation (ATF 134 I 214 consid. 3 p. 215
s.; cf. aussi Axel Tschentscher, Die staatliche Rechtsprechung des
Bundesgerichts in den Jahren 2008 und 2009, in ZBJV 2009 p. 719 ss, 745). Cette
jurisprudence a fait l'objet de critiques dans la doctrine. Plusieurs auteurs
considèrent que l'effort professionnel (  die professionnelle Bemühung) tendant
à obtenir un gain par la mendicité devrait être protégé par l'art. 27 Cst. (cf.
René Rhinow et al., Öffentliches Wirtschaftsrecht, 2e éd. 2011, p. 88; Uhlmann,
op. cit., no 8 ad art. 27 Cst.; Giovanni Biaggini et Al., Staatsrecht, 2e éd.
2015, p. 518).  
 
5.4. En dépit de ces critiques, il n'y a pas lieu de revenir sur cette
jurisprudence. Celle-ci a encore été confirmée récemment dans l'arrêt 6B_839/
2015 du 26 août 2016 où le Tribunal fédéral a considéré qu'un mendiant
n'exerçait pas une activité économique au sens de l'art. 2 par. 2 annexe I ALCP
(consid. 3.4; cf. aussi ATF 143 IV 97 consid. 1 p. 99 ss). Dans sa conception
qui prévaut encore actuellement, la liberté économique repose sur le critère
d'un échange de prestations. Le simple fait d'exercer une activité, même en
engageant des efforts particuliers, ne suffit pas pour en bénéficier.
S'appuyant sur la thèse d'un auteur (Daniel Moeckli, Bettelverbote: Einige
rechtsvergleichende Überlegungen zur Grundrechtskonformität, in ZBI 10/2010, p.
546), les recourants tentent d'expliquer que la contre-prestation escomptée de
l'activité de mendiant prendrait la forme d'une donation manuelle au sens du
droit des obligations (art. 242 CO). Ils méconnaissent ainsi que la définition
même de la donation exclut une contre-prestation (cf. Pierre Tercier et al.,
Les contrats spéciaux, 5e éd. 2016, p. 202; Heinrich Honsell et al.,
Obligationenrecht I, Art. 1-529 OR, 6e éd. 2016, no 1 ad art. 239). La donation
se définit en effet comme le contrat par lequel une personne s'oblige à faire
entre vifs une attribution de biens à une autre sans contre-prestation
correspondante. Enfin, les recourants invoquent à tort la jurisprudence parue
aux ATF 56 I 431. Dans ce dernier cas, la recourante faisait valoir que la
distribution d'écrits religieux ne constituait pas une activité lucrative
économique privée, car seul un don était attendu et non une contre-prestation.
Le Tribunal fédéral avait d'ailleurs laissé cette question indécise.  
Certains auteurs estiment également que le donataire pourrait invoquer sa
liberté économique (cf. Uhlmann, op. cit., no 8 ad art. 27 BV; Johannes Reich,
Grundsatz der Wirtschaftsfreiheit, 2011, p. 76 s.). Cette question peut
demeurer indécise dans le cas d'espèce faute de grief correspondant de la part
des recourants 9 à 12 potentiellement concernés. 
Le grief tiré de la violation de l'art. 27 Cst. doit dès lors être rejeté. 
 
6.   
Les recourants invoquent leurs libertés d'opinion et d'expression, telles que
garanties par les art. 16 Cst. et 10 CEDH. Ils expliquent que, par l'acte
consistant à mendier, ils exprimeraient non seulement un cri de détresse
individuel, mais aussi un message global sur la situation des personnes
démunies en Suisse et dans le monde. Quant aux recourants 9 à 12, ils
exprimeraient, en donnant l'aumône, un soutien aux personnes contraintes de
mendier et inviteraient, par leur geste, le reste de la population à en faire
de même. Sans en faire un grief distinct, les recourants estiment que la cour
cantonale n'aurait pas examiné ce grief de manière suffisante. 
 
6.1. Conformément à l'art. 16 al. 2 Cst., toute personne a le droit de former,
d'exprimer et de répandre librement son opinion en recourant à tous les moyens
propres à établir la communication, à savoir la parole, l'écrit ou le geste,
sous quelque forme que ce soit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_719/2016 du 24
août 2017, consid. 3.1 et les références citées). Selon l'art. 10 CEDH, la
liberté d'expression comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou
de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir
ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière (al. 1). La
liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société
démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès et de
l'épanouissement de chacun (v. aussi déjà: ATF 96 I 586). Son domaine
d'application n'est pas restreint aux informations ou aux idées accueillies
favorablement ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais vaut
aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent (arrêt  Handyside c.
Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A no 21, confirmé notamment dans l'arrêt 
Stoll c. Suisse du 10 décembre 2007, Recueil CourEDH 2007-V, § 101). L'art. 10
CEDH ne protège pas uniquement la substance des idées et informations, mais
également la forme par laquelle celles-ci sont émises (cf. arrêt  Taranenko c.
Russie du 15 mai 2014, no 19554/05, § 64). Cette très grande extension du
domaine d'application de la liberté d'expression s'explique par l'extrême
diversité des situations visées, des informations et opinions susceptibles
d'être émises et des façons de les exprimer, ainsi que les circonstances dans
lesquelles elles le sont. Outre les prérogatives de celui qui s'exprime, le
droit d'autrui d'accéder à l'information ou à l'opinion doit aussi être pris en
compte.  
La liberté d'expression doit néanmoins trouver ses limites. En effet, si tout
comportement peut être interprété par un observateur comme véhiculant une
information aussi minime soit-elle, étendre pour ce motif le domaine de la
liberté d'expression à l'ensemble des comportements humains viderait largement
de tout sens les autres droits fondamentaux ainsi que les régimes différenciés
des restrictions admises à ces libertés. C'est pourquoi, sans exiger que
l'information ou l'opinion en cause présente un caractère politique, il ne se
justifie pas de la soumettre à la garantie de l'art. 10 al. 1 CEDH si sa
communication ne présente pas le moindre caractère public, mais est restreinte
au domaine strictement privé (Dieter Kugelmann, Der Schutz privater
Individualkommunikation nach der EMRK, in EuGRZ 2003 p. 20). Un acte n'est pas
protégé par la liberté d'expression si aucune valeur communicative ne peut lui
être reconnue (Christian Walter, in Europäischer Grundrechtsschutz,
Enzyklopädie Europarecht, 2014, n° 8 p. 480 s.) ou même s'il ne tend pas
principalement à l'expression non verbale d'une idée ou d'un fait (Jörg Paul
Müller et Markus Schefer, Grundrechte in der Schweiz, 4e éd. 2008, p. 360); le
contenu symbolique du comportement est déterminant (Grabenwarter/Pabel,
Europäische Menschenrechts-konvention, 5e éd. 2012, § 23, n° 5 p. 309). 
 
6.2. Dans son arrêt 6B_530/2014 du 10 septembre 2014, la Cour de droit pénal du
Tribunal fédéral a considéré que le comportement consistant à demander de
l'argent aux passants en leur tendant un gobelet ne comportait aucune dimension
symbolique ni aucun message, par exemple sur la situation des personnes
démunies (consid. 2). De manière générale, la mendicité ne relève pas de
l'ordre du discours mais constitue une activité matérielle consistant à obtenir
une prestation. Les recourants soutiennent qu'ils émettraient un message global
sur la situation des personnes démunies en Suisse et dans le monde. Rien ne
permet toutefois d'admettre l'existence d'un tel message. En effet, le simple
fait de se poster sur la voie publique pour se faire remettre de l'argent peut
être interprété de diverses manières, mais on peut avant tout y voir un geste
dépourvu de tout message et simplement destiné à améliorer la situation
matérielle de son auteur. Le but de la mendicité n'est pas d'exprimer un
besoin, mais plutôt d'en obtenir la satisfaction par le biais d'un don très
généralement sous la forme d'une prestation en argent. La gêne éprouvée par
certains à l'égard de la mendicité peut, comme on l'a vu, s'expliquer autrement
que par l'existence d'un quelconque message qui leur serait adressé.  
Les recourants 9 à 12 prétendent eux aussi exprimer un message lorsqu'ils
procèdent à une donation à un mendiant en public. Un tel don peut toutefois lui
aussi intervenir pour de multiples raisons et chacun est susceptible
d'interpréter ce geste de façon différente. Le fait de donner de l'argent aux
mendiants n'a donc pas forcément pour but de démontrer l'intérêt porté aux plus
faibles de la société. 
 
6.3. On ne peut en définitive discerner dans les comportements évoqués par les
recourants aucune des caractéristiques qui font de la liberté d'expression l'un
des fondements des sociétés démocratiques. Le grief est donc lui aussi rejeté.
 
 
7.   
Les recourants 9 à 12 estiment que l'interdiction de la mendicité entraverait
le libre exercice de leur liberté religieuse en les empêchant de pratiquer
l'aumône conformément à leurs convictions et aux dogmes de leur foi. Ils
expliquent qu'en faisant un don aux personnes les plus démunies, ils
exprimeraient un message particulier de solidarité envers les plus pauvres. Ils
se verraient ainsi privés de la possibilité d'exprimer leur soutien aux
personnes contraintes de mendier. Le versement de dons auprès d'oeuvres de
bienfaisance pour les indigents n'offrirait pas la même publicité qu'une
donation effectuée sur le domaine public et ne permettrait pas d'exprimer
ouvertement sa solidarité envers les personnes dans le besoin. 
 
7.1. La liberté de conscience et de croyance au sens de l'art. 15 Cst. confère
au citoyen le droit d'exiger que l'Etat n'intervienne pas de façon injustifiée
en édictant des règles limitant l'expression et la pratique de ses convictions
religieuses. Elle comporte non seulement la liberté intérieure de croire, de ne
pas croire, et de modifier en tout temps et de manière quelconque ses propres
convictions, mais aussi la liberté extérieure de professer ses convictions
individuellement ou en communauté et d'accomplir ainsi les rites et les
pratiques religieuses (ATF 142 I 49 consid. 3.4 p. 53 s. et 3.6 p. 55 s.). L'
art. 9 CEDH a la même portée (cf. ATF 142 I 49 consid. 2.2 p. 52; 139 I 280
consid. 4.1 p. 281 s.).  
 
7.2. En tant que l'aumône constitue un acte religieux auquel une personne
croyante peut s'adonner, la disposition litigieuse pourrait porter atteinte au
libre exercice de la foi, quelle que soit la religion concernée. Comme l'a
retenu l'instance cantonale, la question de savoir si la liberté religieuse des
recourants 9 à 12 est atteinte peut demeurer indécise. En effet, la disposition
litigieuse ne s'applique qu'à une situation très particulière, soit un don au
mendiant sur la voie publique, de sorte que l'atteinte qui en résulte
n'apparaît pas significative; les recourant conservent la possibilité de
soutenir les nécessiteux de toute autre manière, y compris publiquement en
procédant à une récolte de dons en faveur des plus démunis sur la place
publique. Ainsi, même si l'on admettait que la liberté religieuse se trouve
atteinte, la restriction apportée serait conforme à l'art. 36 Cst. au regard de
l'intérêt public poursuivi (cf.  supra consid. 4).  
 
8.   
Les recourants dénoncent également une violation de l'interdiction de
discrimination au sens des art. 8 al. 1 et 2 Cst. et 14 CEDH. Selon eux, la
mendicité passive serait moins gênante pour les passants que la distribution de
matériel publicitaire ou la récolte de signatures ou de promesses de dons, qui
sont protégées (ATF 135 I 302). En tant qu'elle frappe des personnes placées
dans une situation de grande précarité financière, la prohibition de la
mendicité serait discriminatoire. Elle consacrerait en outre une discrimination
indirecte au détriment de la communauté rom qu'elle viserait au premier chef. 
 
8.1. Selon l'art. 8 al. 2 Cst., nul ne doit subir de discrimination du fait
notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de
sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses,
philosophiques ou politiques ni du fait d'une déficience corporelle, mentale ou
physique. Il y a discrimination lorsqu'une personne est traitée différemment en
raison de son appartenance à un groupe particulier qui, historiquement ou dans
la réalité sociale actuelle, souffre d'exclusion ou de dépréciation (ATF 142 V
316 consid. 6.1.1 p. 323). Le principe de non-discrimination n'interdit
toutefois pas toute distinction basée sur l'un des critères énumérés à l'art. 8
al. 2 Cst., mais fonde plutôt le soupçon d'une différenciation inadmissible.
Les inégalités qui résultent d'une telle distinction doivent dès lors faire
l'objet d'une justification particulière. L'art. 8 al. 2 Cst. interdit non
seulement la discrimination directe, mais également la discrimination
indirecte. Il y a discrimination indirecte lorsqu'une réglementation, sans
désavantager directement un groupe déterminé, défavorise particulièrement, par
ses effets et sans justification objective, les personnes appartenant à ce
groupe. L'atteinte doit toutefois revêtir une importance significative, le
principe de l'interdiction de la discrimination indirecte ne pouvant servir
qu'à corriger les effets négatifs les plus flagrants d'une réglementation
étatique (ATF 142 V 316 consid. 6.1.2 p. 323 s.; 138 I 265 consid. 4.2.2 p.
267).  
 
8.2. La norme cantonale litigieuse s'applique à l'ensemble des mendiants, sans
aucune référence expresse à une communauté particulière. Seule entre donc en
considération une discrimination indirecte. Comme l'a à juste titre relevé
l'instance précédente, rien ne permet de supposer que seuls les Roms seraient
en réalité visés: la mendicité est également pratiquée, notamment, par les
toxicomanes et les sans-abris et la norme, générale et abstraite, est censée
s'appliquer à tous de manière égale (cf. arrêts 6B_31/2012 du 17 août 2012
consid. 3.4, 368/2012 du 17 août 2012 consid. 3.3 où le Tribunal fédéral a déjà
considéré qu'une discrimination indirecte à l'égard des Roms n'était pas
établie dans le cadre de l'application de la loi). On ne se trouve pas dans le
cas où la réglementation comporterait des effets négatifs flagrants qu'il
conviendrait de corriger; celle-ci ne vise que le cas de la mendicité et
n'empêche pas les Roms d'avoir, au même titre que les ressortissants suisses et
européens, accès à l'ensemble des activités économiques et au marché du
travail. La comparaison avec la récolte de signatures dans la rue ou la
distribution de matériel publicitaire n'est pas pertinente dans la mesure où il
s'agit, comme on l'a vu, d'activités différentes de la mendicité. Le but
recherché est évidemment différent. Les actions précitées ont le plus souvent
un caractère ponctuel; certaines relèvent de l'exercice des droits politiques
ou bénéficient de la liberté d'opinion et d'expression, voire de la liberté
économique. Dès lors, les situations évoquées n'étant ni semblables ni
comparables, la disposition litigieuse ne consacre pas d'inégalité de
traitement prohibée. Le grief est infondé.  
 
9.   
Les recourants soutiennent enfin que la notion de mendicité telle qu'elle
figure dans la loi pénale vaudoise serait imprécise, ce qui serait contraire à
l'art. 7 CEDH qui garantit qu'il n'y a pas de peine sans loi ("nullum crimen
sine lege"). On ignorerait en particulier si cette loi pourrait s'appliquer,
par exemple, à des ONG qui demandent des dons par courrier, voire par
financement participatif. Les recourants 9 à 12 redoutent en particulier que
cette norme ne leur permette plus de verser des fonds aux oeuvres d'entraide
qu'ils soutiennent. Ils se demandent également si le fait de solliciter
passivement un don de nourriture à proximité d'un magasin serait aussi visé par
la législation querellée. 
 
9.1. Selon l'art. 7 par. 1 CEDH, nul ne peut être condamné pour une action ou
une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une
infraction selon le droit national ou international. En droit interne, l'art. 1
CP consacre le principe de la légalité en droit pénal (ATF 141 IV 279 consid.
1.3.3 p. 282; 138 IV 13 consid. 4.1 p. 19 s.). Ce principe est violé lorsqu'une
personne est poursuivie pénalement à raison d'un acte qui n'est pas incriminé
par une loi valable. Il est aussi violé lorsque l'application du droit pénal à
un acte déterminé procède d'une interprétation de la norme pénale excédant ce
qui est admissible au regard des principes généraux du droit pénal (ATF 112 Ia
107 consid. 3a p. 112 et les références). L'exigence de précision ("nulla poena
sine lege certa") constitue l'une des facettes du principe de la légalité. Elle
impose que le comportement réprimé soit suffisamment circonscrit (cf. ATF 141
IV 279 consid. 1.3.3 p. 282; 117 Ia 472 consid. 4c p. 489).  
 
9.2. La norme cantonale attaquée stipule que celui qui mendie sera puni d'une
amende de 50 à 100 francs. Comme l'a relevé le Tribunal fédéral dans son arrêt
de 2008, le fait de mendier consiste à demander l'aumône aux passants, à faire
appel à la générosité d'autrui pour en obtenir une aide, très généralement sous
la forme d'une somme d'argent, qui trouve le plus souvent son origine dans
l'indigence de la personne qui mendie ou de ses proches, et vise à remédier à
une situation de dénuement (ATF 134 I 214 consid. 5.3 p. 216 s.). L'activité
prohibée par l'art. 23 al. 1 LPén apparaît ainsi suffisamment définie au regard
des exigences précitées (cf. aussi arrêt du Tribunal fédéral 6B_368/2012 du 17
août 2012 consid. 5).  
Les situations évoquées par les recourants (versements à des oeuvres de
bienfaisance, récolte de fonds en faveur des nécessiteux) ne tomberaient sous
le coup de la disposition litigieuse qu'au prix d'une interprétation extensive
prohibée par le principe de la légalité de la loi pénale. Les voies de droit
instaurées en matière pénale permettraient au demeurant un contrôle judiciaire
suffisant pour sanctionner une application par trop extensive de la disposition
litigieuse. 
 
10.   
Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure où il
est recevable. Conformément à l'art. 66 al. 1 et 5 LTF, les frais sont mis à la
charge des recourants, qui succombent. Il n'est pas alloué de dépens (art. 68
al. 3 LTF). 
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.   
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge des
recourants. 
 
3.   
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des recourants ainsi qu'au
Conseil d'Etat, au Grand Conseil et à la Cour constitutionnelle du Tribunal
cantonal du canton de Vaud. 
 
 
Lausanne, le 29 août 2018 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Merkli 
 
Le Greffier : Kurz 

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