Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 1C.125/2017
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 

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1C_125/2017            

 
 
 
Arrêt du 23 novembre 2017  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Merkli, Président, 
Fonjallaz et Chaix. 
Greffier: M. Kurz. 
 
Participants à la procédure 
1.       A.________ SA, 
2.       B.________ Sàrl, 
3.       C.________, 
4.       D.________, 
5.       E.________, 
6.       F.________, 
7.       G.________, 
8.       H.________, 
9.       I.________, 
10.       J.________, 
11.       K.________et L.________, 
12.       M.________ Sàrl, 
13.       N.________, 
14.       O.________, 
15.       P.________, 
16.       Q.________, 
17.       R.________, 
18.       S.________, 
19.       T.________, 
20.       U.________, 
21.       V.________ SA, 
tous représentés par Me Christophe A. Gal, avocat, 
recourants, 
 
contre  
 
Département de l'aménagement, du logement 
et de l'énergie de la République et canton de Genève.  
 
Objet 
LDTR, transformation d'une société immobilière d'actionnaires-locataires en
propriété par étages, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice 
de la République et canton de Genève, 
Chambre administrative, du 17 janvier 2017 (ATA/39/2017 - A/3314/2015-LDTR). 
 
 
Faits :  
 
A.   
Le 31 octobre 2000, W.________ et X.________ ont acquis l'immeuble d'habitation
sis... à Genève, comportant 29 appartements destinés à la location. L'immeuble
a été soumis au régime de la propriété par étages (PPE) au mois d'août 2003. Le
15 mai 2013, le département compétent a autorisé la vente en bloc de 21
appartements à la société A.________ SA (ci-après : la société), étant précisé
qu'une revente individualisée n'était pas possible. Au mois d'août 2013, 21
certificats d'actions ont été vendues à des personnes physiques et morales. Le
2 septembre 2013, les statuts de la société ont été modifiés : la propriété
d'un certificat d'actions conférait le droit de louer une partie correspondante
de l'immeuble, la SI devenant ainsi une société d'actionnaires-locataires
(SIAL). Entre les mois de février et mars 2014, la SIAL a transféré à ses
actionnaires-locataires la propriété des lots correspondant aux certificats. 
 
B.   
Le 9 avril 2014, le Registre foncier s'est adressé aux notaires instrumentant.
Il rappelait que depuis 1995, les opérations visant à liquider des SIAL et à
transformer les détenteurs de certificats d'actions en propriétaires d'unités
d'étages n'étaient pas soumises à autorisation en vertu de la loi genevoise sur
les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (LDTR;
RS/GE L 5 20). Toutefois, il était récemment apparu que les exigences de cette
loi - qui soumet à autorisation la vente de logements loués - pouvaient être
contournées. Le s transferts devaient donc être soumis à la Direction des
autorisations de construire. Les recours formés contre cette communication ont
été déclarés irrecevables (arrêt 5A_981/2014 du 12 mars 2015). 
 
C.   
Par 20 arrêtés du 22 juillet 2015, le Département genevois de l'aménagement, du
logement et de l'énergie (DALE) a refusé les autorisations d'aliéner. Les
cessions d'actions opérées en 2013 auraient déjà dû faire l'objet d'une
autorisation. Les appartements avaient été loués et il était indispensable de
conserver cette affectation locative. La SI pouvait revendre les appartements
en bloc et la situation des actionnaires-locataires n'était pas péjorée. 
 
D.   
Cette décision a été confirmée successivement par le Tribunal administratif de
première instance (TAPI), par jugement du 17 mai 2016, et par la Chambre
administrative de la Cour de justice genevoise, par arrêt du 17 janvier 2017.
Les appartements concernés entraient dans les catégories de logements où
sévissait la pénurie et avaient été mis en location, de sorte que leur
aliénation était soumise à autorisation. Selon la pratique suivie jusque-là
(remontant à l'époque où le régime de la PPE n'existait pas encore), le DALE
tolérait systématiquement les transformations de SIAL en PPE, le passage de la
qualité d'actionnaire-locataire à celle de propriétaire d'étage constituant un
simple changement de régime juridique. Par note du 9 avril 2014, le DALE avait
suspendu cette pratique en raison de soupçons de fraude à la loi et les arrêts
cantonaux rendus par la suite avaient consacré un changement de pratique
instaurant un contrôle afin de déterminer si l'opération devait ou non être
soumise à autorisation. En l'occurrence, la SA avait été transformée en SIAL
après la soumission de l'immeuble au régime de PPE; moins d'un an plus tard,
les parts de PPE avaient été transférées aux actionnaires-locataires, ce qui
confirmait le caractère artificiel du montage juridique. Indépendamment de la
pratique suivie jusque-là par le département, les circonstances démontraient
l'existence d'une tentative de fraude à la loi. Le refus d'autoriser les
aliénations était lui aussi justifié car les intérêts privés ne pouvaient
l'emporter sur l'intérêt public au maintien du parc locatif. Le grief de
violation du droit fédéral n'était pas suffisamment motivé. 
 
E.   
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ SA ainsi
que les 21 acquéreurs demandent au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt cantonal
ainsi que les arrêtés du DALE, d'autoriser les transferts de propriété (ou de
constater que ceux-ci ne sont pas soumis à autorisation) et d'ordonner leur
inscription au Registre foncier. Subsidiairement, ils concluent à ce qu'il soit
ordonné au DALE de rendre de nouveaux arrêtés autorisant les aliénations; plus
subsidiairement, ils concluent au renvoi de la cause à la Chambre
administrative pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Ils
prennent aussi des conclusions en suppression ou en réduction des émoluments
perçus par le DALE. 
La Chambre administrative a renoncé à présenter des observations. Le DALE
conclut au rejet du recours. Dans leurs dernières observations, les recourants
persistent dans leurs conclusions. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
Dirigé contre une décision finale prise en dernière instance cantonale dans une
cause de droit public, le recours est en principe recevable comme recours en
matière de droit public selon les art. 82 ss LTF, aucune des exceptions prévues
à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. Les recourants ont pris part à la procédure
devant l'autorité précédente; en tant que propriétaire, respectivement
acquéreurs de parts de PPE, ils sont particulièrement touchés par la décision
de refus confirmée en instance cantonale. Ils disposent dès lors de la qualité
pour recourir devant le Tribunal fédéral au sens de l'art. 89 al. 1 LTF. 
 
2.   
Les recourants se plaignent de constatation inexacte des faits. L'arrêt
cantonal omettrait de mentionner que la pratique du département, consistant à
ne pas soumettre à la LDTR la transformation d'une SIAL en PPE, aurait perduré
bien après l'adoption des dispositions sur la PPE, notamment en 2011 lors de la
liquidation d'une SIAL créée en 2006, et en 2014, dans des circonstances
analogues à la présente espèce, lorsque le département avait expressément nié
l'existence d'une fraude. L'arrêt attaqué passerait également sous silence que
ni le département, ni le TAPI n'ont reconnu l'existence d'une telle fraude dans
le présent contexte. Rappelant par ailleurs les conséquences d'un refus
d'autorisation, la cour cantonale aurait ignoré les incidences s'agissant des
fonds prêtés par les banques, ainsi qu'au niveau fiscal. Enfin, la cour
cantonale aurait méconnu que la nouvelle pratique du département aurait pour
effet d'instituer une rétroactivité pour les dossiers déjà déposés auprès du
Registre foncier. 
 
2.1.   
Le recourant ne peut critiquer les constatations de fait ressortant de la
décision attaquée que si celles-ci ont été effectuées en violation du droit au
sens de l'art. 95 LTF ou de manière manifestement inexacte, c'est-à-dire
arbitraire (ATF 136 II 304 consid. 2.4 p. 313 s.), et si la correction du vice
est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF; ATF 137
III 226 consid. 4.2 p. 233 s.). Une décision n'est arbitraire que si le juge
n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, s'il a
omis, sans raison sérieuse, de tenir compte d'un moyen important propre à
modifier la décision attaquée ou encore si, sur la base des éléments
recueillis, il a procédé à des déductions insoutenables (ATF 142 II 355 consid.
6 p. 358). 
 
2.2. Il est vrai que l'arrêt attaqué ne fait nulle mention des décisions
rendues par le DALE ainsi que par la cour cantonale avant l'arrêt attaqué.
Toutefois, l'existence de ces décisions ne constituerait un fait pertinent au
sens de l'art. 97 al. 1 LTF que si les circonstances dans lesquelles ces
décisions ont été rendues étaient comparables à celles de la présente cause.
Or, les recourants n'indiquent rien de tel. Le DALE relève que sa décision sur
demande de renseignements rendue en 2011 par l'Office de l'urbanisme se limite
à un rappel de la pratique suivie jusqu'alors, et précise qu'il ne connaissait
pas l'ensemble des circonstances du cas. Dans une prise de position devant le
TAPI, le Registre foncier s'était aussi exprimé, le 20 mars 2014, en
considérant que la transformation d'une SIAL en PPE ne pouvait être assimilée
au cas visé dans une directive du département de 2008, laquelle portait sur le
partage d'une société simple ayant acquis en bloc plusieurs appartements. Rien
ne permet d'affirmer - même si, comme le relèvent les recourants, la SIAL avait
été créée après l'adoption des normes sur la PPE - qu'il existerait des indices
de fraude à la loi dans ce cas également, et les recourants n'apportent aucune
indication à cet égard. Les recourants se plaignent aussi de ce que la fraude à
la loi n'ait pas été retenue dans la décision du département et dans celle du
TAPI; la question de savoir si la cour cantonale pouvait retenir ce motif
ignoré des instances précédentes ne relève toutefois pas du fait mais du droit.
 
S'agissant des incidences financières du refus d'autorisation, elles n'ont pas
été ignorées par la cour cantonale; elles sont évoquées, de manière générale,
au consid. 8c de l'arrêt attaqué, la cour cantonale ayant retenu que "ces
éléments, même avérés, ne suffiraient pas pour faire primer leurs intérêts
privés, s'agissant uniquement des conséquences des opérations artificielles
sciemment mises sur pied afin de réaliser des fraudes à la loi...". Les
recourants eux-mêmes se contentent d'allégations générales, sans tenter de
préciser l'importance du dommage qu'ils prétendent subir et en se prévalant des
dommages subis par des tiers (notaire, banques), sans avoir la qualité pour ce
faire (art. 89 al. 1 let. c LTF). Dans un grief distinct, les recourants se
plaignent d'une violation du droit d'être entendus en reprochant à la cour
cantonale d'avoir renoncé à entendre le témoignage des acquéreurs, du notaire
et des banques ayant participé au financement, ce qui aurait permis d'établir
les conséquences du changement de pratique et d'aménager le cas échéant un
régime transitoire. Si les recourants alléguaient l'existence d'un dommage
allant au-delà des conséquences habituelles d'un refus d'aliéner, ils pouvaient
manifestement le démontrer par pièces davantage que par des auditions de
témoins. Au demeurant, comme on le verra ci-dessous (consid. 5), l'admission
d'un cas de fraude à la loi pouvait dispenser la cour cantonale d'aménager un
régime transitoire ou de tenir compte du préjudice subi. Le refus d'entendre
personnellement les recourants ou des témoins à ce sujet ne viole pas le droit
d'être entendu. 
Enfin, le grief selon lequel la cour cantonale n'aurait pas retenu un cas de
rétroactivité, ne relève pas du fait mais du droit. 
L'ensemble des griefs relatifs à l'établissement des faits doit ainsi être
écarté. 
 
3.   
Dans leurs griefs de fond, les recourants contestent l'existence d'un cas de
fraude à la loi et invoquent les règles relatives aux changements de pratique
administrative. Il y a toutefois lieu d'examiner en premier lieu si la
soumission de la transaction litigieuse à la LDTR est en soi conforme à cette
dernière loi, ce que les recourants contestent en se plaignant d'arbitraire et
de violation du droit fédéral. A l'appui du grief d'arbitraire, ils estiment
que la liquidation d'une SIAL avec création d'une PPE et transfert des parts de
copropriété aux détenteurs d'actions n'était, conformément à l'ancienne
pratique, pas considérée comme une aliénation au sens de l'art. 39 al. 1 LDTR.
Cette pratique, rappelée dans l'arrêt cantonal, se fonde sur la considération
qu'il n'y a pas de modification des détenteurs économiques, les détenteurs de
certificats d'actions (auxquels est rattachée, statutairement, la jouissance
des lots correspondants) devenant propriétaires d'unités d'étages. Les
recourants précisent que le cas n'est pas assimilable à celui de la liquidation
d'une société simple puisque les parts sont déjà individualisées
statutairement. Le simple changement de régime juridique ne pourrait être
assimilé à une aliénation. 
 
3.1. Appelé à revoir l'interprétation d'une norme cantonale ou communale sous
l'angle restreint de l'arbitraire, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la
solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si celle-ci
apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective,
adoptée sans motifs objectifs et en violation d'un droit certain. En revanche,
si l'application de la loi défendue par l'autorité cantonale ne s'avère pas
déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou
de la législation en cause, cette interprétation sera confirmée, même si une
autre solution - même préférable - paraît possible (ATF 137 I 1 consid. 2.4 p.
5; 136 III 552 consid. 4.2 p. 560). En outre, pour qu'une décision soit annulée
au titre de l'arbitraire, il ne suffit pas qu'elle se fonde sur une motivation
insoutenable; encore faut-il qu'elle apparaisse arbitraire dans son résultat (
ATF 137 I 1 consid. 2.4 p. 5).  
 
3.2. Selon l'art. 39 al. 1 LDTR, "l'aliénation, sous quelque forme que ce soit
(notamment cession de droits de copropriété d'étages ou de parties d'étages,
d'actions, de parts sociales), d'un appartement à usage d'habitation,
jusqu'alors offert en location, est soumise à autorisation dans la mesure où
l'appartement entre, à raison de son loyer ou de son type, dans une catégorie
de logements où sévit la pénurie". En vertu de l'al. 2 de cette disposition,
"le département refuse l'autorisation lorsqu'un motif prépondérant d'intérêt
public ou d'intérêt général s'y oppose. L'intérêt public et l'intérêt général
résident dans le maintien, en période de pénurie de logements, de l'affectation
locative des appartements loués".  
Le but poursuivi par la LDTR, qui tend à préserver l'habitat et les conditions
de vie existants, en restreignant notamment le changement d'affectation des
maisons d'habitation (art. 1 al. 1 et 2 let. a LDTR), procède d'un intérêt
public important et reconnu (ATF 128 I 206 consid. 5.2.4 p. 211 s.; 113 Ia 126
consid. 7a p. 134; 111 Ia 23 consid. 3a p. 26 et les arrêts cités). Par
ailleurs, la réglementation mise en place par la LDTR est en soi conforme au
droit fédéral et à la garantie de la propriété, y compris le refus de
l'autorisation de vendre un appartement loué lorsqu'un motif prépondérant
d'intérêt public ou d'intérêt général s'y oppose. Pour qu'une telle restriction
soit conforme à la garantie de la propriété (art. 26 al. 1 Cst.), l'autorité
administrative doit effectuer une pesée des intérêts en présence et évaluer
l'importance du motif de refus au regard des intérêts privés en jeu (ATF 113 Ia
126 consid. 7b/aa p. 137; arrêt 1C_141/2011 du 14 juillet 2011 consid. 3.2). 
Afin qu'une telle réglementation soit réellement efficace, elle doit
s'appliquer à tous types d'aliénation, comme le prévoit expressément le texte
de l'art. 39 al. 1 LDTR. Entendue comme l'un des aspects du droit de
disposition attachés à la propriété (art. 641 al. 1 CC), l'aliénation constitue
le transfert de propriété d'une personne à une autre. En l'occurrence,
l'immeuble était soumis au régime de PPE lors de son acquisition en bloc par la
recourante en mai 2013. Les actions ont été vendues au mois d'août 2013 et la
société s'est constituée sous forme de SIAL en septembre suivant. Les lots de
PPE ont été transférés aux actionnaires-locataires entre février et mars 2014,
soit moins d'un an plus tard. Point n'est besoin de rechercher si, comme
l'affirme le département, la première opération (création de la SIAL) était
déjà soumise à autorisation. En effet, il apparaît clairement que lorsque
l'immeuble a été soumis au régime de la propriété par étages, le but était déjà
de transférer aux (futurs) actionnaires-locataires la propriété des lots
correspondant aux certificats. Cela impliquait un changement dans le régime de
propriété; l'opération dans son ensemble avait pour but une individualisation
des appartements, préalable à la sortie du marché locatif (GAIDE/DEFAGO, La
LDTR, 2014, p. 414 ch. 3.2), ce qui pouvait sans aucun arbitraire justifier
l'application de l'art. 39 LDTR, quand bien même la pratique antérieure selon
laquelle il n'y avait pas d'aliénation, puisque les détenteurs économiques
étaient les mêmes, pouvait également apparaître défendable. 
Le grief d'arbitraire doit dès lors être écarté. 
 
3.3. Invoquant la primauté du droit fédéral, les recourants relèvent que la
liquidation d'une SI d'actionnaires-locataires est régie par les art. 736ss CO
et que le droit cantonal ne saurait y faire obstacle. L'argument, jugé
insuffisamment motivé par la cour cantonale, doit être écarté.  
Selon l'art. 49 al. 1 Cst., le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui
est contraire. Ce principe constitutionnel de la primauté du droit fédéral fait
obstacle à l'adoption ou à l'application de règles cantonales qui éludent des
prescriptions de droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l'esprit,
notamment par leur but ou par les moyens qu'elles mettent en oeuvre, ou qui
empiètent sur des matières que le législateur fédéral a réglementées de façon
exhaustive (ATF 143 I109 consid. 4.2.2 et la jurisprudence citée). 
La jurisprudence constante admet que les cantons demeurent libres d'édicter des
mesures destinées à combattre la pénurie sur le marché locatif, par exemple en
soumettant à autorisation les transformations, démolitions ou aliénations de
logements (ATF 101 Ia 502; 99 Ia 604; 89 I 178). Le Tribunal fédéral a ainsi
rappelé à de multiples reprises que les dispositions cantonales qui soumettent
à une autorisation les aliénations de logements offerts à la location et
imposent un contrôle des loyers ne sont en principe pas contraires aux règles
du droit civil fédéral qui régissent la vente et le contrat de bail (ATF 116 Ia
401; 101 Ia 502; 99 Ia 604; cf. également 1P.705/2000 du 24 septembre 2000), ni
aux dispositions sur la PPE (ATF 113 Ia 126 consid. 9 p. 141). Ces
considérations s'appliquent quel que soit le mode d'aliénation, et donc
également lors de la liquidation d'une SIAL, dès lors que la restriction
imposée à l'art. 39 al. 1 LDTR ne porte pas atteinte à l'institution même de la
société anonyme immobilière (cf. ATF 113 Ia 26 consid. 9c p. 142). 
 
4.   
Invoquant les art. 5 al. 3 et 9 Cst., les recourants contestent l'existence
d'un cas de fraude à la loi. Rappelant les conditions auxquelles peut être
retenue l'existence d'une telle fraude, ils reprochent à la cour cantonale de
ne pas avoir indiqué quel serait le résultat interdit auquel les recourants
seraient parvenus d'une manière apparemment conforme au droit. Selon eux, la
LDTR imposerait un contrôle par voie d'autorisation, mais nullement un résultat
tel qu'une interdiction d'aliénation. Par ailleurs, la cour cantonale n'aurait
ni recherché ni établi l'existence d'une fraude manifeste, s'agissant d'une
pratique admise depuis longtemps et encore confirmée peu auparavant par le
département ainsi que par la cour cantonale, pourtant saisie d'une dénonciation
pour fraude. 
 
4.1. Développée dans le domaine du droit civil (art. 2 CC) et récemment
rappelée dans le domaine du droit administratif en rapport avec la
réglementation relative aux résidences secondaires (art. 75b Cst.), le principe
de la bonne foi est explicitement consacré par l'art. 5 al. 3 Cst., selon
lequel les organes de l'Etat et les particuliers doivent agir de manière
conforme aux règles de la bonne foi. L'art. 9 Cst. peut également être invoqué
à cet égard en tant que droit constitutionnel (cf. ATF 136 I 254 consid. 5.2 p.
261; 126 II 377 consid. 3a p. 387).  
Il y a fraude à la loi - forme particulière d'abus de droit - lorsqu'un
justiciable évite l'application d'une norme imposant ou interdisant un certain
résultat par le biais d'une autre norme permettant d'aboutir à ce résultat de
manière apparemment conforme au droit (ATF 132 III 212 consid. 4.1). La norme
éludée doit alors être appliquée nonobstant la construction juridique destinée
à la contourner (arrêt 1C_874/2013 du 4 avril 2014 consid. 4.2; ATF 134 I 65
consid. 5.1 p. 72; 131 I 166 consid. 6.1 p. 177 et les arrêts cités; arrêt
1C_158/2015 du 3 mai 2016). La doctrine confirme elle aussi l'application de
ces principes dans le domaine du droit administratif (cf. MOOR/FLÜCKIGER/
MARTENET, Droit administratif, vol. 1, 3 ^ème édition, Berne 2012, par. 6.4.4
p. 932; HÄFELIN/ MÜLLER/UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 7 ^ème édition,
Zurich 2015, p. 163 s.; TSCHANNEN/ZIMMERLI/MÜLLER, Allgemeines
Verwaltungsrecht, 4 ^ème édition, Berne 2014, p. 182).  
Comme le suggère, en matière civile, le libellé de l'art. 2 al. 2 CC, un abus
de droit doit, pour être sanctionné, apparaître manifeste. L'autorité qui
entend faire appliquer la norme éludée doit établir l'existence d'une fraude à
la loi, ou du moins démontrer l'existence de soupçons sérieux dans ce sens. Il
n'est pas aisé de tracer la frontière entre le choix d'une construction
juridique offerte par la loi et l'abus de cette liberté, constitutif d'une
fraude à la loi. Répondre à cette question implique une appréciation au cas par
cas, en fonction des circonstances d'espèce (arrêt 1C_874/2013 du 4 avril 2014
consid. 4.3 et la jurisprudence citée). A l'instar de tous les griefs d'ordre
constitutionnel, celui-ci est soumis aux conditions de motivation accrues en
vertu de l'art. 106 al. 2 LTF: le recourant doit donc exposer, de manière
claire et détaillée, en quoi consiste la violation du droit constitutionnel
invoqué. A défaut d'une telle motivation, le Tribunal fédéral ne peut
sanctionner d'office une inconstitutionnalité pourtant avérée (ATF 139 I 229
consid. 2.2 p. 232 et les références citées). 
 
4.2. L'arrêt attaqué rappelle que les SIAL, à l'instar des coopératives de
locataires, avaient été instituées à l'époque où la PPE n'existait pas encore
en droit suisse. Cette forme de société s'était développée, spécialement en
Suisse romande, après la seconde guerre mondiale et jusqu'en 1965, date
d'introduction, dans le CC, du régime de la PPE. Après cette date, nombre
d'immeubles avaient encore été construits et exploités sous cette forme. Selon
l'ancienne pratique, le département tolérait les liquidations de SIAL avec
création d'un régime de PPE, considérant que les détenteurs de certificats
d'actions devenaient simplement "propriétaires en nom".  
Contrairement à ce que soutiennent les recourants, le contrôle par voie
d'autorisation institué par la LDTR ne constitue pas un but en soi; c'est le
maintien de l'affectation locative des logements qui représente l'objectif
poursuivi par la loi, comme cela ressort clairement des art. 1 al. 1 et 2 let.
c et 25 al. 1 de cette loi, les dispositions relatives à l'aliénation des
appartements destinés à la location (art. 39ss LDTR) étant comprises dans le
chapitre VII prévoyant des mesures visant à lutter contre la pénurie
d'appartements locatifs. Dans ce contexte, il est manifeste que le résultat
prohibé par la loi est bien la diminution du parc locatif par l'aliénation de
logements qui étaient précédemment offerts à la location. 
 
4.3. S'agissant des soupçons de fraude, il y a lieu de relever que, pour les
SIAL créées avant 1965, la transformation en PPE apparaissait comme la
conséquence naturelle du changement de régime légal. La tolérance dont a fait
preuve le département par la suite peut également se justifier puisque les
propriétaires sont en principe libres de soumettre leur immeuble au régime
juridique qu'ils désirent, en vertu notamment de la garantie de la propriété.
Toutefois, lorsqu'une SIAL est créée et qu'elle est ensuite rapidement
transformée en PPE sans qu'aucune raison plausible ne justifie le choix de la
première forme juridique, l'autorité peut légitimement soupçonner que cette
succession soit uniquement destinée à profiter de la tolérance dont le
département a fait preuve jusqu'ici.  
 
4.4. En l'occurrence, l'immeuble était déjà soumis au régime de PPE lors de son
acquisition en bloc par la recourante en mai 2013. Les actions ont été vendues
au mois d'août 2013 et la société s'est constituée sous forme de SIAL en
septembre suivant. Les lots de PPE ont été transférés aux
actionnaires-locataires entre février et mars 2014, soit moins d'un an plus
tard. Cette succession rapide fait apparaître qu'il s'agit d'un montage mis sur
pied dès l'origine; les recourants ne tentent pas d'expliquer (alors que cette
démonstration leur incombait en vertu de l'art. 106 al. 2 LTF) pour quelle
raison la forme de la SIAL a été adoptée alors que l'immeuble était déjà soumis
au régime de la PPE et que les parts de copropriété ont été transférées
quelques mois plus tard. Dans ces circonstances c'est à juste titre que les
autorités cantonales ont vu une fraude à la loi.  
 
5.   
Dans la mesure où une fraude à la loi pouvait être retenue dans le cas
particulier, il n'y a évidemment pas lieu de s'interroger sur les arguments que
les recourants entendent tirer du principe de la bonne foi, en particulier à
propos de l'admissibilité du changement de pratique opéré par le département.
En effet, une telle fraude pouvait aussi bien être sanctionnée sous le régime
précédent, sans que l'autorité n'ait à mettre en place un régime transitoire.
En outre, la décision attaquée ne porte manifestement pas atteinte au principe
de non-rétroactivité proprement dite, puisque ce principe fait obstacle à
l'application d'une norme à des faits entièrement révolus avant son entrée en
vigueur (ATF 138 I 189 consid. 3.4 p. 193; 119 Ia 254 consid. 3b p. 258 et la
jurisprudence citée). En l'occurrence, le département est intervenu avant que
les transferts n'aient été inscrits au Registre foncier, de sorte que
l'opération n'était pas entièrement achevée à ce moment. Enfin, l'admission
d'une fraude à la loi a comme conséquence l'application de la norme éludée, ce
qui empêche également les recourants de se prévaloir du principe de
proportionnalité, en relation avec le dommage qu'ils allèguent subir en raison
du refus d'autorisation. Ce dommage fait partie des risques encourus par celui
qui tente d'éviter l'application d'une norme, et il lui appartient d'en subir
les conséquences. Pour le surplus, les conditions du refus de l'autorisation
d'aliéner sont conformes à l'art. 39 al. 2 LDTR, et d'ailleurs non contestées
par les recourants. L'autorisation de vente en bloc accordée à la Société
recourante précisait d'ailleurs déjà qu'une revente individualisée n'était pas
possible. 
 
6.   
Les recourants demandent à être exonérés des émoluments perçus en application
de la LDTR. Cette conclusion n'est toutefois assortie d'aucune motivation; on
ne discerne pas si elle est le corollaire de l'admission du recours sur le fond
et du non-assujettissement à la LDTR, ou si elle constitue une reprise du grief
soumis à la cour cantonale. Faute de toute motivation, elle est irrecevable. 
 
7.   
Sur le vu de ce qui précède, le recours est rejeté. Conformément à l'art. 66
al. 1 LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge des recourants qui
succombent. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable. 
 
2.   
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge des
recourants. 
 
3.   
Le présent arrêt est communiqué au mandataire des recourants, au Département de
l'aménagement, du logement et de l'énergie et à la Cour de justice de la
République et canton de Genève, Chambre administrative. 
 
 
Lausanne, le 23 novembre 2017 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Merkli 
 
Le Greffier : Kurz 

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