Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 6B.895/2015
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

[8frIR2ALAGK1]               
{T 0/2}
                             
6B_895/2015, 6B_921/2015

Arrêt du 29 septembre 2016

Cour de droit pénal

Composition
MM. et Mmes les juges Denys, président,
Jacquemoud-Rossari, Oberholzer, Rüedi et Jametti.
Greffier : M. Thélin.

Participants à la procédure
A.________,
représentée par Me Tiphanie Chappuis, avocate,
(6B_895/2015),
B.________,
représenté par Me Antoine Eigenmann, avocat,
(6B_921/2015),
recourants,

contre

Ministère public central du canton de Vaud,
U.________,
représentée par Me Marc-Etienne Favre, avocat,
intimés.

Objet
usure

recours contre le jugement rendu le 20 avril 2015
par la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal
du canton de Vaud.

Faits :

A. 
Par jugement du 18 novembre 2014, le Tribunal correctionnel de l'arrondissement
de la Broye et du Nord vaudois a reconnu A.________ et B.________ coupables
d'usure au préjudice de U.________; il a condamné cette prévenue-là à quatorze
mois de privation de liberté avec sursis durant deux ans, et celui-ci à deux
cent quarante jours-amende au taux de 80 fr. par jour, aussi avec sursis durant
deux ans.
La Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal a statué le 20 avril 2015 sur les
appels des deux prévenus. Elle a rejeté les appels et confirmé le jugement.
En substance, les faits sont constatés comme suit:
Dès 1996, progressivement, une relation d'amitié s'est développée entre
A.________ et U.________. Celle-ci ayant perdu sa mère en 2003, A.________ l'a
aidée à vendre la propriété familiale. U.________ possédait désormais un
capital d'environ un million de francs.
Dès août 2003, avec son époux, A.________ a pris à bail et habité une maison
dans le Jorat. Elle a encouragé U.________ à acheter cet immeuble. Le 9 juin
2004, U.________ en est effectivement devenue propriétaire au prix de 230'000
francs. Elle a ensuite financé des travaux de rénovation de la maison à raison
d'environ 300'000 francs. A.________ et son époux lui ont versé un loyer de
1'000 fr. par mois de janvier 2006 à novembre 2007; avant et après ces dates,
ils n'ont versé aucun loyer en raison des travaux en cours.
U.________ désirait que A.________ pût continuer d'habiter la maison après son
décès. A cette fin, elle rédigea le 20 mai 2007 un testament olographe par
lequel elle léguait l'immeuble à A.________. Celle-ci fit remarquer que
U.________ avait des héritiers légaux et qu'il fallait s'attendre à une
contestation du legs. De plus, la légataire ne serait pas en mesure d'acquitter
l'impôt successoral et elle serait donc contrainte de vendre le bien. C'est
pourquoi elle a convaincu U.________ d'adopter une autre solution.
B.________ est le fils de A.________. Par acte authentique du 21 février 2008,
U.________ lui a vendu l'immeuble au prix de 200'000 francs. L'acte prévoyait
que l'acquéreur accorderait un bail à loyer à A.________, à son époux et à la
venderesse, jusqu'à leurs décès, et que le loyer s'élèverait à 1'000 fr. par
mois.
B.________ a contracté un emprunt bancaire pour payer le prix de 200'000
francs. Le produit net de la vente, soit 189'500 fr., fut versé sur un compte
bancaire ouvert au nom de U.________. Selon son accord avec A.________, ce
capital devait être affecté à d'autres travaux sur l'immeuble. Du 26 février au
7 novembre 2008, habilitée par une procuration, A.________ a effectivement
prélevé 177'322 fr. pour l'exécution de travaux.
La vente de l'immeuble à B.________, avec les stipulations prévues en faveur
des trois habitants de la maison, était censée réaliser l'objectif que
U.________ voulait d'abord atteindre au moyen d'un testament. Le loyer mensuel
de 1'000 fr. permettrait à B.________ d'acquitter l'amortissement et les
intérêts de l'emprunt bancaire, ainsi que les autres frais incombant au
propriétaire; celui-ci considérait l'opération comme neutre pour lui.
U.________ a habité la maison dès mai 2008, avec A.________ et son époux. Il
était convenu qu'elle y serait logée, nourrie et blanchie à leurs frais, et
qu'elle ne garderait à sa charge que ses assurances, ses dépenses personnelles
et la nourriture de ses chiens. Sa relation avec A.________ s'est ensuite
dégradée. En novembre de la même année, elle a déposé plainte pénale et réclamé
son interdiction volontaire.

B. 
Dans l'enquête pénale, un rapport d'expertise psychiatrique daté du 16 mars
2011 a mis en évidence que U.________ souffre notamment, depuis 1994 sinon
depuis plus longtemps, d'un trouble mixte de la personnalité à traits anxieux
et dépendants, et d'un trouble dépressif récurrent. Très peu autonome, elle
s'est constamment appuyée sur autrui pour toute décision. Elle a ainsi dépendu,
successivement, de son mari, de sa mère, de A.________ puis de sa tutrice.
A.________ lui a fourni l'« étayage relationnel » dont elle avait besoin. Se
sachant incapable de s'assumer seule, U.________ vit dans l'angoisse constante
de l'abandon. Son intelligence est normale; ses facultés cognitives sont
conservées et elle comprend les actes juridiques et autres démarches auxquels
elle prend part. En revanche, ses capacités volitives sont gravement altérées.
Redoutant un abandon ou craignant la colère de A.________, elle n'était pas
capable de résister à ses incitations, même si elle percevait son propre
désaccord. En définitive, selon le rapport, U.________ présente une importante
altération de ses capacités à se déterminer d'après une capacité de jugement
qui est globalement préservée.
Selon un rapport d'expertise immobilière daté du 10 février 2012, la valeur
vénale de l'immeuble acheté par B.________ était estimée à 650'000 francs.
Sur la base de ces éléments, la Cour d'appel juge que A.________ et B.________,
afin de se procurer un avantage pécuniaire disproportionné, ont exploité la
faiblesse d'esprit de U.________ pour la déterminer à la vente d'immeuble du 21
février 2008, et qu'ils se sont par là rendus coupables d'usure selon l'art.
157 CP.

C. 
Agissant chacun par la voie du recours en matière pénale, A.________ et
B.________ requièrent le Tribunal fédéral de les acquitter de toute prévention.
Une demande d'assistance judiciaire est jointe au recours de A.________.
Le Ministère public, la Cour d'appel et l'intimée U.________ ont été invités à
répondre aux recours. La Cour d'appel n'a pas présenté d'observations; le
Ministère public et l'intimée concluent au rejet des deux recours.
Les deux recourants ont spontanément déposé des répliques qui ont été
transmises à l'intimée; celle-ci a déclaré renoncer à des prises de position
supplémentaires.

Considérant en droit :

1. 
En raison de leur connexité, il se justifie de joindre les causes et de statuer
par un arrêt unique.
Les deux recours satisfont aux conditions de recevabilité déterminantes,
notamment à raison de la qualité pour recourir.

2. 
Réprimant l'usure, l'art. 157 ch. 1 CP rend punissable celui qui exploite la
capacité de jugement déficiente d'une personne en se faisant accorder par elle,
pour lui-même ou pour un tiers, en échange d'une prestation, des avantages
pécuniaires en disproportion évidente avec cette prestation sur le plan
économique.
Selon la jurisprudence, il résulte du libellé « en échange d'une prestation »
que cette disposition pénale ne vise pas celui qui, même en exploitant la
capacité de jugement déficiente d'autrui, se fait accorder des avantages
pécuniaires sans lui-même accorder de contrepartie. En particulier, celui qui
capte une donation ne commet pas le crime d'usure, et son acte n'est pas non
plus punissable à un autre titre, parce qu'il ne fournit lui-même aucune
prestation. Une personne qui s'était fait remettre d'importantes sommes
d'argent a ainsi été acquittée du crime d'usure parce que ces sommes étaient
des donations; contrairement à l'appréciation de la juridiction cantonale,
elles ne se trouvaient pas dans un rapport d'échange avec de modestes travaux
de secrétariat que la donataire avait accomplis pour le donateur (ATF 111 IV
139; voir aussi ATF 130 IV 106 consid. 7.2 p. 109).
Cette interprétation littérale de la loi n'est pas critiquée en doctrine mais
celle-ci tiendrait pour souhaitable que la captation d'une donation ou d'une
institution d'héritier soit elle aussi réprimée (Philippe Weissenberger, in
Commentaire bâlois, 3e éd., n° 32 ad art. 157 CP; Ursula Cassani, Liberté
contractuelle et protection pénale de la partie faible: l'usure, une infraction
en quête de sens, in Le contrat dans tous ses états, François Bellanger et al.,
éd., 2004, p. 135, 139/140).
Dans la présente contestation, parmi divers moyens, les recourants soutiennent
qu'ils n'ont accordé aucune prestation en échange de l'immeuble dont B.________
est devenu propriétaire, et qu'ils doivent donc être acquittés du crime
d'usure.

3. 
Le 21 février 2008, B.________ a promis 200'000 fr. en contrepartie de
l'immeuble que lui vendait U.________, et il a effectivement payé ce montant.
Toutefois, il était convenu de manière occulte - cela n'était en tous cas pas
consigné dans l'acte authentique - que ledit montant serait affecté à des
travaux sur l'immeuble vendu, et qu'il n'entrerait donc pas, sinon
temporairement, dans le patrimoine de la venderesse. Cette convention occulte a
été exécutée en ce sens que 177'322 fr. ont été effectivement prélevés sur le
produit net de la vente et dépensés en travaux sur l'immeuble; U.________
semble n'avoir conservé qu'un reliquat d'environ 12'000 francs. Selon les
constatations de la Cour d'appel, le prix de 200'000 fr. a été fixé en fonction
des travaux à intervenir. Dans ces conditions, sur le plan économique, ni ce
prix ni son reliquat de 12'000 fr. ne peuvent être considérés comme la
contrepartie de la propriété de l'immeuble.
Dans l'acte de vente et d'achat, B.________ a promis un bail à loyer en faveur
de A.________, de son époux et de la venderesse, tel que ceux-ci pourraient
habiter la maison jusqu'à la fin de leurs jours. B.________ s'est ainsi obligé
à céder l'usage de l'immeuble, aux termes de l'art. 253 CO. Or, avant la
conclusion du contrat, cet usage ne lui appartenait pas; il appartenait à la
venderesse avec la propriété de l'immeuble. Sous les modalités convenues,
celle-ci a simplement conservé l'usage qu'elle avait déjà, et elle n'a cédé
qu'une propriété dépouillée de l'usage qui, d'ordinaire, en est un élément.
L'usage promis à A.________, à son époux et à la venderesse ne saurait donc,
non plus, être considéré comme une contrepartie de la propriété cédée à
B.________.
La Cour d'appel retient que le bail à loyer ainsi promis ne diminue pas la
valeur de l'immeuble parce qu'il n'est pas annoté sur le registre foncier. Il
n'est pas nécessaire de vérifier ce point puisque la promesse du bail n'est de
toute manière pas une contrepartie de la propriété cédée à B.________.
U.________ a habité la maison dès mai 2008, avec A.________ et son époux. Il
était convenu qu'elle y serait logée, nourrie et blanchie à leurs frais, et
qu'elle ne garderait à sa charge que ses assurances, ses dépenses personnelles
et la nourriture de ses chiens. La Cour d'appel n'a pas constaté que ces
prestations en nature aient été promises à U.________ déjà avant la conclusion
du contrat de vente; on ne saurait donc y voir, non plus, une contrepartie du
transfert de propriété.
La Cour d'appel juge erronément qu'il y a eu contrat onéreux et échange de
prestations entre B.________ et U.________; celle-ci s'est au contraire
dessaisie de la propriété sans contrepartie.

4. 
La venderesse ne s'est pas réservé l'usage de l'immeuble pour elle seule; elle
l'a fait promettre aussi à A.________ et à son époux, lesquels bénéficiaient
donc d'une stipulation pour autrui selon l'art. 112 CO. Il était loisible à
A.________ et à son époux d'accepter - ce qu'ils semblent avoir fait par actes
concluants, en restant dans la maison - sans devoir, eux non plus, aucune
contrepartie à la venderesse; le loyer mensuel de 1'000 fr. était en effet dû
au bailleur et nouveau propriétaire B.________. U.________ a de cette manière
partagé l'usage de l'immeuble avec A.________ et son époux, également sans
contrepartie.

5. 
Selon le jugement de la Cour d'appel, avec les « investissements non
négligeables de U.________ », A.________ est parvenue à réaliser la
transformation d'une « ruine » en une « jolie métairie » où elle est
durablement installée avec son mari. Avec le concours de son fils B.________,
elle a aussi pu introduire ce bien dans le patrimoine familial et elle en jouit
moyennant un loyer très inférieur à sa valeur locative.
Il est indiscutable qu'en cédant l'immeuble à B.________, U.________ a accordé
des avantages pécuniaires, aux termes de l'art. 157 ch. 1 CP, dont le montant
total atteint environ 530'000 fr. entre le prix d'achat payé par elle le 9 juin
2004 et la campagne de travaux qu'elle a financée après. Cependant, lors de
cette cession, ni A.________ ni son fils B.________ ne lui ont ni remis ni
promis aucune contrepartie sur le plan économique. Conformément à leur
argumentation, au regard de cette disposition légale et de la jurisprudence y
relative, cela suffit à exclure leur condamnation pour usure; il n'est pas
nécessaire de discuter les autres moyens qu'ils développent contre cette
condamnation. Les recours en matière pénale se révèlent fondés et leurs auteurs
doivent être acquittés de la prévention d'usure. La cause sera renvoyée à la
Cour d'appel pour statuer à nouveau sur les frais et indemnités des procédures
de première instance et d'appel.

6. 
L'art. 216 al. 1 CO soumet les contrats de vente d'immeuble à la forme
authentique; selon la jurisprudence, celle-ci doit porter sur tous les éléments
qui affectent le rapport entre le transfert de la propriété foncière et sa
contre-prestation (ATF 135 III 295 consid. 3.2 p. 299; arrêt 4A_331/2010 du 27
septembre 2010, consid. 2, RNRF 95/2014 p. 141). Dans la présente contestation,
il n'y a pas lieu d'examiner si cette exigence a été observée lors du contrat
conclu le 21 février 2008 en tant que l'affectation des 200'000 fr. qui
constituaient censément le prix de vente n'est pas consignée dans l'acte
notarié. Il suffit de relever que l'acquittement des recourants dans la cause
pénale laisse subsister, le cas échéant, les prétentions civiles qui
appartiennent à U.________ par suite de la nullité du contrat.

7. 
A titre de partie qui succombe, l'intimée U.________ doit acquitter la moitié
de l'émolument à percevoir par le Tribunal fédéral, arrêté à 4'000 fr., et la
moitié des dépens à allouer aux recourants, arrêtés à 3'000 fr. pour chacun
d'eux. Conformément à l'art. 66 al. 4 LTF, le canton de Vaud est exonéré de
l'autre moitié de l'émolument; il doit en revanche acquitter l'autre moitié des
dépens. Ceux alloués à A.________ doivent être affectés à la rémunération de
son conseil; il n'est donc pas nécessaire de statuer sur sa demande
d'assistance judiciaire.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :

1. 
Les causes 6B_895/2015 et 6B_921/2015 sont jointes.

2. 
Les recours sont admis, le jugement attaqué est annulé et les recourants
A.________ et B.________ sont l'un et l'autre acquittés de la prévention
d'usure.

3. 
La cause est renvoyée à la Cour d'appel pour statuer à nouveau sur les frais et
indemnités des procédures de première instance et d'appel.

4. 
L'intimée U.________ acquittera un émolument judiciaire de 2'000 francs.

5. 
Le canton de Vaud et l'intimée U.________ verseront à titre de dépens, à raison
de 1'500 fr. chacun et sans solidarité entre eux, une indemnité de 3'000 fr. au
conseil de la recourante A.________.

6. 
Le canton de Vaud et l'intimée U.________ verseront à titre de dépens, à raison
de 1'500 fr. chacun et sans solidarité entre eux, une indemnité de 3'000 fr. au
recourant B.________.

7. 
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour d'appel pénale du
Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 29 septembre 2016

Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse

Le président : Denys

Le greffier : Thélin

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