Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.675/2015
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

[8frIR2ALAGK1]     
{T 0/2}
                   
4A_675/2015

Arrêt du 19 avril 2016

Ire Cour de droit civil

Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux Kiss, Présidente, Klett, Kolly, Hohl et Niquille.
Greffier : M. Piaget.

Participants à la procédure
A.X.________ et B.X.________, représentés par
Me Marc-Etienne Favre,
recourants,

contre

Z.________, représenté par Me Antoine Eigenmann,
intimé.

Objet
Droit d'auteur sur des oeuvres d'architecture, droit à l'intégrité de l'oeuvre,

recours contre le jugement de la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de
Vaud du 26 mai 2015.

Faits :

A.

A.a. Par contrat signé le 17 juillet 1998, A.X.________ et B.X.________
(ci-après: les propriétaires) ont confié à Z.________ (ci-après: l'architecte)
la tâche de réaliser une maison d'habitation familiale avec garage,
aménagements extérieurs, chemin d'accès et piscine à... (Vaud).
La villa, de style contemporain et construite en béton blanc, présente une
particularité au niveau de la toiture, qui s'élève à chaque extrémité du
bâtiment. La maison comporte une terrasse couverte par un toit en pente, d'une
hauteur maximale de 8 mètres et minimale de 6,5 mètres environ. Cette terrasse,
fermée du côté nord, semi-ouverte du côté sud et complètement ouverte à
l'ouest, constitue une des spécificités de la demeure litigieuse, soit, selon
l'expert, " un espace extérieur couvert prolongeant un espace intérieur ".
Il résulte de l'arrêt cantonal, ainsi que du dossier (complètement d'office:
art. 105 al. 2 LTF), que la création de l'architecte a fait l'objet de
plusieurs publications dans des magazines spécialisés entre 2002 et 2008.
Il ressort des constatations cantonales (qui reflètent l'avis de l'expert
judiciaire mandaté en cours de procédure) que la villa litigieuse a été conçue
sur mesure par l'architecte, que l'organisation et la disposition exactes des
éléments mis en oeuvre sont probablement spécifiques à ce projet, que la villa
est le résultat d'un travail intellectuel et qu'elle possède son cachet propre.
L'expert précise toutefois qu'il serait vraisemblablement possible de trouver
des précédents pour chacun des éléments composant l'immeuble dans d'autres
constructions ou dans l'histoire de l'architecture. Il ajoute que la notion
d'"expression innovatrice de l'individualité " (utilisée dans la procédure) est
sujette à caution et que l'on peut se demander si la construction d'une villa
individuelle est réellement le lieu où doit s'exprimer l'individualité de son
concepteur (et non plutôt, s'il faut vraiment exprimer une individualité, celle
de son commanditaire).

A.b. En 2011, les propriétaires ont décidé de fermer la terrasse qui n'offrait
pas de protection contre les intempéries (pluie, neige) ni contre le soleil et
qui amplifiait le bruit causé lors de chaque passage de véhicule sur la route
adjacente. Ils ont sollicité l'octroi d'un permis de construire et la
publication correspondante dans la Feuille des avis officiels mentionnait: "
(...) fermeture d'une terrasse couverte, non chauffée et pergola.
Transformation ". Elle indiquait que l'auteur des plans était l'architecte
L.________.
Les transformations envisagées visaient à fermer l'espace de la terrasse par
une structure de verre et de métal, la partie inférieure des transformations
sur une hauteur de deux mètres étant partiellement repliable en accordéon. Un
verre fixe a été prévu du côté nord. Il a encore été constaté que la fermeture
d'un pan entier de la façade modifierait l'aspect général de la maison ("
intervention d'une certaine envergure ") et donc son esthétique car un élément
important du projet serait touché. L'installation pourrait toutefois être
démontée sans dommages majeurs, hormis les trous des ancrages et fixations qui
devraient être obstrués.

A.c. Le 1 ^er mai 2011, les propriétaires ont adressé les plans à l'architecte
Z.________.
Lors d'une rencontre du 13 mai 2011, les propriétaires, l'architecte
(Z.________) et le serrurier M.________ (chargé de réaliser les
transformations) ont discuté de la fermeture de la terrasse. Le même jour, les
propriétaires informaient l'architecte qu'ils acceptaient sa proposition
d'établir un projet de fermeture de la terrasse, à titre gracieux, et qu'ils
attendaient la remise de son projet d'ici au 20 mai. L'architecte n'a remis
aucun projet.
Le 16 mai 2011, la société Bureau d'architecture Z.________ SA a fait
opposition au projet de transformation (complètement d'office: art. 105 al. 2
LTF), informant les propriétaires qu'elle retirerait l'opposition si ceux-ci
agréait la solution qu'elle étudiait.
L'opposition ayant été écartée par l'autorité compétente, la société de
l'architecte a recouru auprès de la Cour de droit administratif et public du
Tribunal cantonal vaudois, qui a déclaré son recours irrecevable. La décision a
été confirmée par le Tribunal fédéral.

B. 
Par requête de mesures provisionnelles et " pré-provisionnelles " déposée
devant le Juge délégué de la Cour civile le 20 décembre 2011, l'architecte,
alors à titre personnel, a actionné les propriétaires, concluant à ce qu'il
soit reconnu " protégé en sa qualité d'auteur de l'oeuvre " et à ce qu'il soit
fait interdiction aux défendeurs de procéder à des travaux de transformation de
leur villa.
Le Juge délégué a admis la première, puis la deuxième requête et il a interdit
aux propriétaires de mettre en oeuvre la transformation envisagée.
Dans le délai imparti, l'architecte a ouvert une action au fond, par demande du
3 septembre 2012, adressée à la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois. Il a
repris les conclusions de ses requêtes précédentes et en a ajouté une pour
contraindre les propriétaires à le consulter avant toute transformation de
l'oeuvre, sous la menace des peines prévues à l'art. 292 CP.
Les propriétaires ont conclu au rejet des conclusions du demandeur.
En cours de procès, une expertise a été confiée à N.________, architecte
EPFL-SIA, qui a déposé son rapport le 31 juillet 2014. Des extraits du rapport,
repris par la cour cantonale, ont été introduits dans l'état de fait (cf. supra
let. A).
Par jugement du 26 mai 2015, la Cour civile, statuant en instance unique, a
admis la conclusion visant la prévention du trouble et a fait interdiction aux
défendeurs, sous la menace d'amende de l'art. 292 CP, de mettre en oeuvre les
travaux de transformation de leur maison; elle a rejeté toutes les autres
conclusions.

C. 
Les propriétaires exercent un recours en matière civile contre le jugement
cantonal du 26 mai 2015. Ils concluent à sa réforme en ce sens que la demande
de l'architecte du 3 septembre 2012 est intégralement rejetée, la cause devant
être renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision sur les frais et
dépens de l'instance précédente.
L'architecte intimé conclut au rejet du recours et à la confirmation du
jugement cantonal.
Les parties ont encore chacune déposé de brèves observations.

Considérant en droit :

1.

1.1. Dans le jugement attaqué, la cour cantonale a appliqué les dispositions
civiles de la loi fédérale sur le droit d'auteur et les droits voisins du 9
octobre 1992 (LDA; RS 231.1). Il est ainsi incontestable que cette décision a
été rendue en matière civile au sens de l'art. 72 al. 1 LTF.
L'art. 5 al. 1 let. a  in initio CPC prévoit que le droit cantonal institue une
juridiction statuant en instance cantonale unique sur les litiges portant sur
des droits de propriété intellectuelle. Le recours en matière civile au
Tribunal fédéral est donc ouvert en vertu de l'art. 75 al. 2 let. a LTF, quand
bien même le tribunal supérieur cantonal n'a pas statué sur recours. Il en
résulte que le recours au Tribunal fédéral n'est lui-même pas soumis à
l'exigence d'une valeur litigieuse (art. 74 al. 2 let. b LTF).
Interjeté pour le reste par les parties qui ont succombé dans leurs conclusions
libératoires (art. 76 al. 1 LTF) et dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF),
le recours est en principe recevable, puisqu'il a été déposé dans le délai
(art. 100 al. 1 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi.

1.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité
précédente (art. 105 al. 1 LTF).
Le Tribunal fédéral ne peut s'écarter des faits ainsi retenus par l'autorité
cantonale que s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte - ce qui
correspond à la notion d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 137 I 58
consid. 4.1.2; 137 II 353 consid. 5.1) - ou en violation du droit au sens de
l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible
d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).

1.3. Le recours en matière civile peut être interjeté pour violation du droit
fédéral (art. 95 let. a LTF), y compris le droit constitutionnel (ATF 136 I 241
consid. 2.1 p. 247; 136 II 304 consid. 2.4 p. 313). Le Tribunal fédéral
applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'examine la violation d'un
droit constitutionnel que si le grief a été invoqué et motivé de façon
détaillée (art. 106 al. 2 LTF; ATF 135 III 397 consid. 1.4 in fine).
Le Tribunal fédéral n'est pas lié par l'argumentation des parties et apprécie
librement la portée juridique des faits; il s'en tient cependant aux questions
juridiques que la partie recourante soulève dans la motivation du recours et ne
traite donc pas celles qui ne sont plus discutées par les parties, sous réserve
d'erreurs manifestes (art. 42 al. 2 LTF; ATF 140 III 86 consid. 2 p. 88; 137
III 580 consid. 1.3 p. 584).

2.

2.1. La cour cantonale a observé que la villa litigieuse présentait une
particularité au niveau de la toiture, que, selon l'expert, elle a été conçue
sur mesure et qu'elle était le fruit d'un travail intellectuel et possédait un
cachet propre, que l'organisation et la disposition exacte de ses éléments est
probablement spécifique à ce projet, qu'elle se distinguait ainsi des villas
communément érigées et qu'elle a fait l'objet d'éloges dans des magazines
spécialisés, ceux-ci la qualifiant d'oeuvre remarquable, singulière et réussie.
Sur la base de ces éléments, la cour cantonale a qualifié la villa d'oeuvre
protégée par le droit d'auteur (art. 2 LDA).
Examinant ensuite si l'architecte pouvait se prévaloir d'une altération de son
oeuvre portant atteinte à sa personnalité (art. 11 al. 2 et 12 al. 3 LDA), la
cour cantonale a rappelé que ces dispositions ne visaient pas à protéger
l'intégrité de l'oeuvre en tant que telle, mais la réputation professionnelle
et l'honneur de l'auteur, en tant que personne. Elle a également relevé que la
question devait être résolue en pesant les intérêts en présence, soit l'intérêt
de l'auteur au maintien de l'oeuvre et l'intérêt des propriétaires à la
modification. Mettant en exergue les éloges dont la villa litigieuse a fait
l'objet dans des magazines spécialisés, la cour cantonale en a inféré que la
transformation envisagée " modifierait un élément important de l'oeuvre, l'un
de ceux par lesquels l'architecte a exprimé sa singularité et qui a contribué à
sa bonne renommée " et que l'architecte avait un intérêt prépondérant au
maintien de son oeuvre. Elle a ensuite observé que les désagréments dont
faisaient état les propriétaires - absence de protection contre les intempéries
(pluie, neige) et contre le soleil et amplification du bruit extérieur - ne
pouvaient être considérés comme des défauts au sens juridique et que les
propriétaires étaient quoi qu'il en soit forclos à invoquer les droits attachés
à la garantie pour les défauts (art. 367 al. 1 CO). Enfin, observant que les
propriétaires n'ont pas non plus allégué que leurs besoins auraient changé
depuis la construction de la maison, ou qu'ils auraient voulu l'adapter à de
nouvelles considérations techniques ou écologiques, la cour cantonale a conclu
que l'intérêt du demandeur au maintien de son oeuvre était clairement supérieur
à celui des défendeurs à la modification mise à l'enquête.

2.2. Dans un premier grief, les recourants soutiennent que la terrasse couverte
ne peut faire l'objet d'une protection par le droit d'auteur et que c'est en
violant l'art. 2 LDA que la cour cantonale a admis sur le principe que
l'architecte pouvait invoquer la protection de la LDA.
Dans un second moyen, ils estiment que si les juges précédents avaient pris en
compte tous les éléments du cas particulier dans la pesée des intérêts en
présence, ils auraient dû (sous peine de transgresser les art. 11 et 12 LDA)
arriver à la conclusion que l'intérêt des propriétaires à la modification était
prédominant par rapport à l'intérêt de l'architecte à conserver son oeuvre en
l'état. Ils considèrent également que le besoin des propriétaires de bénéficier
d'une protection contre les intempéries, le soleil et le bruit devait
automatiquement être pris en compte par la cour cantonale et non écarté au
motif - totalement étranger à la logique qui sous-tend le cas d'espèce - que
les propriétaires n'auraient pas invoqué à temps les défauts affectant leur
villa (cf. art. 367 CO). Enfin, ils sont d'avis que la cour cantonale a violé
les principes d'équité et de proportionnalité, ainsi que l'art. 2 CC.

3. 
Dans un premier temps, il s'agit de savoir si l'oeuvre architecturale est
protégée par le droit d'auteur (art. 2 LDA).
A cet égard, on observera d'emblée que les recourants se trompent d'objet
lorsqu'ils affirment que la question de la protection du droit d'auteur a trait
à la (seule) terrasse couverte (sur laquelle la structure de verre et de métal
doit être fixée). En l'espèce, la modification projetée ne toucherait pas
uniquement la terrasse couverte, mais " l'aspect général de la maison ". Cela
étant, il s'agit de savoir si la villa (dans son ensemble) est protégée par le
droit d'auteur, et non seulement une partie de celle-ci (la terrasse couverte).
C'est d'ailleurs exclusivement sous cet angle que les juges précédents ont
examiné la cause.

3.1. Une oeuvre au sens de l'art. 2 al. 1 LDA est une création de l'esprit qui
a un caractère individuel, quelles qu'en soient la valeur ou la destination.
Sont notamment des créations de l'esprit les oeuvres d'architecture (art. 2 al.
2 let. e LDA). Ce sont en particulier les bâtiments, les jardins, les parcs et
les aménagements intérieurs (BARRELET/EGLOFF, Le nouveau droit d'auteur,
adaptation française de Michel Heinzmann, 3e éd. 2008, no 17 ad art. 2 LDA, et
les références). L'objet de la protection du droit d'auteur est l'ouvrage
architectural tel qu'il a été réalisé (comme c'est le cas en l'espèce) ou qu'il
est communiqué au moyen de plans et de maquettes (ATF 125 III 328 consid. 4b p
331).
Le critère décisif de la protection réside dans l'individualité, qui doit
s'exprimer dans l'oeuvre elle-même (ATF 134 III 166 consid. 2.1 p. 169 s.; 130
III 168 consid. 4.4 p. 172). L'individualité se distingue de la banalité ou du
travail de routine; elle résulte de la diversité des décisions prises par
l'auteur, de combinaisons surprenantes et inhabituelles, de sorte qu'il paraît
exclu qu'un tiers confronté à la même tâche ait pu créer une oeuvre identique (
ATF 134 III 166 consid. 2.3.1, 2.3.2 et 2.5).
Le caractère individuel exigé dépend de la liberté de création dont l'auteur
jouit. Lorsque cette liberté est restreinte, une activité indépendante réduite
suffira à fonder la protection; il en va notamment ainsi pour les oeuvres
d'architecture en raison de leur usage pratique et des contraintes techniques
qu'elles doivent respecter. Aussi, pour obtenir la protection du droit
d'auteur, l'architecte ne doit-il pas créer quelque chose d'absolument nouveau,
mais il peut se contenter d'une création qui est seulement relativement et
partiellement nouvelle. La LDA n'accorde toutefois pas sa protection à
l'architecte lorsqu'il procède à un simple apport artisanal par la combinaison
et la modification de formes et de lignes connues ou lorsqu'il ne dispose
d'aucune liberté de création compte tenu des circonstances dans lesquelles il
doit effectuer son travail (ATF 125 III 328 consid. 4b p. 330 s.).
Relève du fait la question de savoir comment une oeuvre se présente et si, et
dans quelle mesure, l'architecte a créé quelque chose de nouveau, ou s'il s'est
limité à juxtaposer des lignes ou des formes connues. C'est en revanche une
question de droit que de juger si, au vu des faits retenus, la notion juridique
de l'oeuvre a été correctement appliquée (cf. ATF 125 III 328 consid. 4d p. 332
s. et les références).

3.2. Il résulte de l'état de fait dressé par la cour précédente que la villa
litigieuse présente une particularité au niveau de la toiture, qui s'élève à
chaque extrémité du bâtiment, qu'elle a été construite sur mesure, que
l'organisation et la disposition exacte de ses éléments (notamment s'agissant
de la réalisation de la terrasse) est spécifique à ce projet, que la villa est
le fruit d'un travail intellectuel et qu'elle possède un cachet propre. Il
résulte ainsi des constatations cantonales que l'architecte n'a pas fait un
simple apport artisanal en juxtaposant des lignes ou des formes connues, mais
qu'il a pris diverses décisions (qui ne sont pas dictées par la routine, mais
sont le fruit d'un travail intellectuel) conférant à l'oeuvre un caractère
individuel.
La villa litigieuse constitue dès lors une oeuvre protégée au sens de l'art. 2
LDA.

4. 
Il faut maintenant examiner si l'architecte, dont l'oeuvre est protégée par le
droit d'auteur, peut interdire aux propriétaires d'apporter la modification
envisagée. A cet égard, il convient de rappeler les prérogatives de l'auteur et
les conditions auxquelles il peut interdire une modification (cf. infra consid.
4.1 à 4.6), avant de procéder à la subsomption (cf. infra consid. 5).

4.1. Selon l'art. 11 al. 1 let. a LDA, " l'auteur a le droit exclusif de
décider si, quand et de quelle manière l'oeuvre peut être modifiée ".
Cette disposition consacre le droit à l'intégrité (ou droit au respect) de
l'oeuvre qui est, comme le droit de paternité et le droit de divulgation (cf.
art. 9 LDA), un élément du droit moral de l'auteur (écrivain, compositeur,
peintre, sculpteur,...). L'auteur peut s'opposer aussi bien aux petites
modifications qu'aux grandes, aux atteintes directes à l'intégrité de l'oeuvre,
ainsi qu'aux atteintes indirectes (entre autres auteurs: BARRELET/EGLOFF, op.
cit., no 5 ad art. 11 LDA; sur les deux " types " d'atteinte: ATF 120 II 65
consid. 8 p. 67 ss).
L'auteur peut déroger à cette règle et, oralement ou par écrit, autoriser un
tiers à modifier son oeuvre. Toutefois, même dans ce cas, il conserve la
possibilité de " s'opposer à toute altération de l'oeuvre portant atteinte à sa
personnalité " (art. 11 al. 2 LDA). La notion de " personnalité " correspond à
celle des art. 27 ss CC (BARRELET/EGLOFF, op. cit., no 13 ad art. 11 LDA; GITTI
HUG, in Urheberrechtsgesetz, Müller/Oertli [éd.], 2e éd. 2012, nos 10 s. ad
art. 9 LDA; cf. VINCENT SALVADÉ, L'exception de parodie ou les limites d'une
liberté, medialex 1998, p. 97). On parle aussi, dans la perspective des droits
de l'auteur sur l'oeuvre, du " noyau dur " du droit (moral) à l'intégrité
(BARRELET/EGLOFF, op. cit., no 13 ad art. 11 LDA).

4.2. L'architecte, qui conçoit une oeuvre destinée à satisfaire les besoins du
maître de l'ouvrage, dispose d'un droit plus restreint que les autres auteurs
(soit ceux réalisant des oeuvres littéraires, musicales, etc.). En vertu de
l'art. 12 al. 3 LDA, " une fois réalisées, les oeuvres d'architecture peuvent
être modifiées par le propriétaire; l'art. 11 al. 2, est réservé ".
Cet alinéa - mal placé à l'art. 12 LDA (épuisement de droits) - vise le droit à
l'intégrité de l'oeuvre (art. 11 LDA) : pour les oeuvres d'architecture,
l'auteur (l'architecte) perd, au profit du propriétaire, les prérogatives
découlant de l'art. 11 al. 1 LDA. En d'autres termes, le propriétaire " a
fondamentalement le droit de modifier l'oeuvre architecturale " (IVAN
CHERPILLOD, Le droit d'auteur des architectes, plaidoyer 6/1994, p. 52).

4.2.1. Ce droit du propriétaire reste toutefois soumis à une double limite:
premièrement, il ne peut réaliser la modification projetée si elle porte
atteinte au noyau dur du droit à l'intégrité de l'auteur (art. 11 al. 2 LDA;
ATF 117 II 466 consid. 5c p. 5b p. 475 s.); une seconde limite découle de
l'art. 2 al. 2 CC selon lequel l'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé
par la loi (ATF 117 II 466 consid. 5d p. 476 s.).

4.2.2. Dans ce (double) cadre, le propriétaire est, sauf convention contraire
(cf. infra consid. 4.2.3), libre d'effectuer les transformations qu'il désire.
Il doit en effet pouvoir maintenir la valeur et la destination de son immeuble
(notamment par des travaux d'assainissement), l'adapter à des conceptions
techniques ou écologiques modifiées (isolation supplémentaire, installation de
panneaux solaires,...) ou être en mesure d'améliorer son rendement (ATF 117 II
466 consid. 5b p. 475). Cela, l'architecte l'a nécessairement pris en
considération avec la livraison sans réserves de l'exemplaire de l'oeuvre,
destiné à un certain but, et il a renoncé dans cette mesure à son droit moral (
ATF 117 II 466 consid. 5b p. 475).
Toujours dans ce cadre, le propriétaire n'est pas tenu de préserver l'intégrité
de l'oeuvre dans la mesure du possible, ni de limiter l'atteinte à celle qui
serait la moindre, mais il peut apporter des modifications selon ses intentions
et selon l'idée qu'il juge appropriée quant à l'utilisation du bâtiment (ATF
117 II 466 consid. 5d p. 477 et consid. 6 p. 478).
Enfin, le propriétaire, à défaut d'une convention contraire (cf. infra consid.
4.2.3) ne peut pas non plus être contraint de confier à l'architecte la
planification et la réalisation des travaux de modification du bâtiment (ATF
117 II 466 consid. 5d p. 477).

4.2.3. Si l'architecte entend s'assurer le maintien en l'état de son oeuvre, il
lui incombe de prévoir contractuellement, avec le propriétaire, qu'il conserve
le droit d'interdire des transformations, ou qu'il se réserve le droit
d'exécuter lui-même celles-ci (entre autres auteurs: BARRELET/EGLOFF, op. cit.,
no 15 ad art. 12 LDA; NICOLE SCHNEIDER, Urheberrechtlicher Schutz von
planmässig festgehaltenen sowie ausgeführten Werken der Baukunst, 1996, p. 439
et p. 454; CEREGHETTI/PAYCHÈRE, De la dimension culturelle de l'architecture,
plaidoyer 3/1994, p. 43, qui relatent l'opinion de Patrick Devanthéry,
architecte).

4.3. S'agissant de la première limite (cf. supra consid. 4.2.1), il résulte de
l'art. 11 al. 2 LDA et de la jurisprudence qu'il s'agit exclusivement de se
demander si une modification est attentatoire à la personnalité de
l'architecte. Contrairement à ce qui se fait en Allemagne, il n'y a pas lieu
d'entreprendre une pesée des intérêts de celui-ci et du propriétaire de
l'oeuvre; on ne saurait pas non plus s'abstenir d'examiner l'atteinte à la
personnalité de l'auteur pour la seule raison que celui-ci y aurait
préalablement consenti (cf. la lettre de l'art. 11 al. 2 LDA; ATF 117 II 466
consid. 6 p. 479; très clairement: arrêt 4C.154/1996 du 5 novembre 1996 consid.
5 traduit partiellement au JdT 1997 I p. 254).

4.3.1. Cette interprétation est soutenue par une large partie de la doctrine
(BARRELET/EGLOFF, op. cit., no 13 ad art. 11 LDA; CYRILL P. RIGAMONTI,
Urheberpersönlichkeitsrechte, 2013, p. 300; SIBYLLE WENGER BERGER, Architektur
und immaterielle Rechte, 2010, p. 70; SCHNEIDER, op. cit., p. 453 s.; THIES/
SPAUSCHUS, Quo vadis Baukultur? - Der Schutz der Urheberpersönlichkeit von
Architekten in Deutschland und der Schweiz, sic! 2007, p. 890; HERBERT
PFORTMÜLLER, in Urheberrechtsgesetz, Müller/Oertli [éd.], 2e éd. 2012, no 20 ad
art. 12 LDA p. 117 et 3e par. p. 119; cf. aussi, se basant exclusivement sur le
critère de l'atteinte à la personnalité de l'auteur: CARRON/KRAUS/KRÜSI/
FÉROLLES, Das Urheberrecht der Planer, 2014, p. 82; EDGAR PHILIPPIN, in
Commentaire romand, Propriété intellectuelle, 2013, no 47 ad art. 12 LDA;
MARTIN J. LUTZ, Der Erhaltungsanspruch des Architekten am Bauwerk ist dem
Nutzungsinteresse der Eigentümers grundsätzlich unterzuordnen, in
Binsenwahrheiten des Immaterialgüterrechts, 1996, p. 240).

4.3.2. D'autres auteurs sont toutefois d'avis qu'il n'est pas suffisant
d'examiner l'atteinte à la personnalité de l'auteur, mais qu'une pesée des
intérêts en présence, soit celui de l'architecte (auteur) et celui du
propriétaire, doit nécessairement être effectuée (FRANÇOIS DESSEMONTET, in SIWR
II/1, 3e éd. 2014, n. 604 p. 208; JACQUES DE WERRA, Le droit à l'intégrité de
l'oeuvre, 1997, n. 135 p. 162, et les auteurs cités; PETER MOSIMANN, Der Werk-
und Wirkbereich im Kunstschaffen des Architekten, in Kultur Kunst Recht,
Mosimann et al. [éd.], n. 39 p. 593; MATTHIAS SEEMANN, Übertragbarkeit von
Urheberpersönlichkeitsrechten, 2008, p. 186; PETER HAFNER, Das Verhältnis
urheberrechtlicher Befugnisse zum Eigentum am Werkexemplar, 1994, p. 29 et la
note 57 et p. 76; en ce sens: CHERPILLOD, op. cit., p. 53; dans la perspective
de la liberté de parodie: SALVADÉ, op. cit., p. 97).
La cour cantonale, faisant implicitement sienne l'opinion de ces derniers
auteurs, a entrepris une pesée des intérêts (architecte et propriétaire), de
même que les parties (recourants et intimé), qui ont chacune d'elles effectué
la pesée dans un sens favorable à sa thèse.

4.4. Il est donc nécessaire de rappeler à cet égard que l'interprétation
retenue par le Tribunal fédéral repose sur l'énoncé clair de l'art. 11 al. 2
LDA: d'une part, cette disposition ne contient aucun renvoi à l'art. 28 CC
(dont l'alinéa 2 prévoit que l'atteinte illicite peut être justifiée par le
consentement de la victime ou par un intérêt prépondérant privé ou public);
d'autre part, elle règle explicitement la question du consentement en indiquant
que, même si celui-ci a été donné (dans un contrat) par l'auteur, cela ne
justifie en principe pas - contrairement à ce que prévoit l'art. 28 al. 2 CC -
l'atteinte à son droit (BARRELET/EGLOFF, op. cit., no 13 ad art. 11 LDA). Le
commentaire du Conseil fédéral - dans son message du 19 juin 1989 sur la
dernière révision totale de la loi fédérale sur le droit d'auteur (FF 1989 III
465 ch. 212.31 p. 515) - qui fait allusion à l'art. 28 CC (" la protection de
la personnalité prévue à l'art. 28 CC est réservée ") ne trouve aucune assise
dans l'expression que lui a donnée le législateur à l'art. 11 al. 2 LDA et il
ne peut conduire à une interprétation différente (cf. ATF 122 III 324 consid.
7a p. 325 et les arrêts cités; arrêt 4A_242/2009 du 10 décembre 2009 consid.
5.6.1 publié in sic! 2010 p. 353; BARRELET/EGLOFF, op. cit., no 13 ad art. 11
LDA; implicitement: arrêt 4C.154/1996 déjà cité consid. 5). On peut d'ailleurs
mettre en évidence que, lorsque le législateur entendait effectivement
renvoyer, dans la LDA, aux dispositions du Code civil, il y a procédé de
manière expresse (cf. art. 33a LDA) (RIGAMONTI, op. cit., p. 300); partant, la
technique législative mise au service de la LDA confirme que l'absence de
renvoi à l'art. 28 CC doit être compris, à l'art. 11 al. 2 LDA, comme un
silence qualifié.
D'un point de vue systématique et téléologique, on relèvera encore que la
protection accordée à l'auteur par cette disposition - qui vise le noyau dur du
droit à l'intégrité de l'auteur - coïncide dans une large mesure avec la
protection de l'art. 27 al. 2 CC, selon lequel nul ne peut aliéner sa liberté,
ni s'en interdire l'usage, dans une mesure contraire aux lois ou aux moeurs
(BARRELET/EGLOFF, op. cit., no 7 ad art. 9 LDA; HUG, op. cit., no 11 ad art. 9
LDA; DE WERRA, op. cit., n. 173 p. 202 s.; RIGAMONTI, op. cit., p. 296).
L'existence d'un engagement excessif (au sens de l'art. 27 al. 2 CC) doit être
établie exclusivement en fonction de son effet sur celui qui s'est obligé et on
ne saurait introduire dans la réflexion une appréciation globale, qui tiendrait
également compte de l'intérêt de tiers. De même, les modifications susceptibles
de transgresser l'art. 11 al. 2 LDA doivent être qualifiées exclusivement en
fonction de l' (éventuelle) atteinte portée à la personnalité de l'architecte.
Cela étant, le Tribunal fédéral, comme il l'a fait jusqu'à aujourd'hui,
continue d'adhérer à l'interprétation faite par le premier courant doctrinal.

4.5. Ainsi, pour mettre en oeuvre l'art. 11 al. 2 LDA, l'architecte doit
démontrer l'existence d'une altération de l'oeuvre qui porte atteinte à sa
personnalité.
Le terme d'altération (  Entstellung) suppose une modification d'une certaine
importance allant dans un sens négatif (ATF 120 II 65 consid. 8b p. 69 et les
auteurs cités).
S'agissant de l'atteinte à la personnalité, ce n'est pas l'intégrité de
l'oeuvre qui est protégée de la sorte, mais la considération de l'architecte en
tant que personne, soit sa réputation professionnelle et son honneur
(SCHNEIDER, op. cit., p. 412; BARRELET/EGLOFF, op. cit., no 13 ad art. 11 LDA;
CHERPILLOD, op. cit., p. 53; cf. infra consid. 4.6). A cet égard, le
législateur a préconisé une interprétation restrictive de l'art. 11 al. 2 LDA
et ce n'est que de manière très limitée que l'auteur peut s'opposer aux
modifications apportées sur l'oeuvre qu'il a réalisée (SCHNEIDER, op. cit., p.
407 et les références).

4.6. Ce qui compte, pour juger de l'atteinte à la personnalité, c'est de savoir
à quel point l'oeuvre est l'expression de la personnalité de l'auteur et le
résultat de son activité créatrice individuelle. Autrement dit, il s'agit en
particulier d'établir le degré d'intensité de la relation entre la personnalité
de l'auteur et l'oeuvre (ATF 117 II 466 consid. 5c p. 476; 96 II 409 consid. 6a
p. 421; 69 II 53 consid. 4 p. 58; 58 II 290 consid. 5 p. 307 s.).
Un degré d'individualité élevé, expression particulière d'une personnalité,
place l'oeuvre dans un rapport étroit avec son auteur. Cela ne signifie pas que
les modifications d'une construction seront alors automatiquement exclues,
mais, en cas de degré d'individualité élevé, le juge sera plus enclin à
admettre que l'altération constitue une atteinte à la réputation. Inversement,
les modifications seront admises plus facilement si l'individualité est
moindre, avant tout parce que celle-ci se manifestera pour l'essentiel dans des
détails seulement (ATF 117 II 466 consid. 5c p. 476 et l'auteur cité). Par
exemple, le remplacement d'un toit plat par un toit pointu n'a pas été jugé
attentatoire à la personnalité dans un cas où l'architecte n'a fait
qu'appliquer les règles fixées par le courant architectural du  Bauhaus (ATF
117 II 466 consid. 6 p. 479).

4.6.1. Pour juger de l'atteinte à la personnalité de l'auteur de l'oeuvre, il
faut se fonder sur des considérations objectives et non la mesurer à l'aune de
la sensibilité plus ou moins exacerbée de l'auteur concerné (cf. ATF 131 III
480 consid. 4.2 p. 493). Une expertise peut se révéler nécessaire (cf. infra
consid. 4.6.2).
Il convient notamment de tenir compte, dans chaque cas d'espèce, de la nature
(ou du caractère) même de l'oeuvre et de sa finalité, qui exercent une
influence sur la portée de la protection (  Schutzumfang) (cf. ATF 117 II 466
consid. 5c p. 476). L'architecte d'une école ou d'un centre commercial sera en
principe conscient de la vocation utilitaire de son oeuvre et, donc, du fait
que le propriétaire de l'immeuble dispose d'une plus grande latitude (entre
autres auteurs: DE WERRA, op. cit., n. 135 p. 164 et les références citées). Au
contraire, pour une église, on sera plus vite enclin, en cas de transformation,
à admettre une lésion de la réputation de l'architecte qui en a entrepris la
réalisation (cf. la décision du Kantonsgericht des Grisons du 4 septembre 2007
consid. 7.6, publiée in sic! 2009 p. 596).
Il importe aussi de savoir si le bâtiment a - ou non - bénéficié, avant la
transformation projetée, d'une longue et importante exposition tant par sa
fréquentation par le public que par sa présence dans les recueils de référence
architecturales (cf. en droit belge, sous l'angle de l'abus de droit: HENROTTE/
HENROTTE, L'architecte, Contraintes actuelles et statut de la profession en
droit belge, 2e éd. 2013, n. 782 p. 588). Si l'oeuvre a fait l'objet d'une
importante exposition, le risque que, une fois la modification réalisée, le
public se fasse une mauvaise image de l'auteur de l'oeuvre initiale est réduit
(sur le critère de l'image: cf. SCHNEIDER, op. cit., p. 415).
L'importance et la nature des modifications doivent également être prises en
compte, notamment leur impact temporaire ou définitif sur l'oeuvre de l'auteur
(cf. la décision du Kantonsgericht des Grisons déjà citée consid. 7.6).
De même, il s'agit d'examiner la finalité des modifications et des adaptations
projetées (DE WERRA, op. cit., p. 163). Si les critères de l'esthétique
(beauté) de l'oeuvre et de sa fonctionnalité ne jouent aucun rôle pour
déterminer si une création est protégée ou non (art. 2 LDA; BARRELET/EGLOFF,
op. cit., no 9 s. ad art. 2 LDA), ces critères - contrairement à ce que pensent
les recourants (à la suite de CARRON/KRAUS/KRÜSI/FÉROLLES, op. cit., p. 84) -
doivent être pris en compte sous l'angle de l'art. 11 al. 2 LDA; si les
modifications envisagées sont dictées par des désirs purement esthétiques, le
juge sera plus vite enclin à les déclarer contraires à cette disposition (cf.
DE WERRA, op. cit., p. 163 et les auteurs cités) que si elles répondent à un
besoin fonctionnel du propriétaire (ERNST HEFTI, Das Bauwerk im Urheberrecht
oder der betrogene Architekt, Schweizer Ingenieur und Architekt 111/1993, p.
692; cf. aussi supra consid. 4.2.2; cf. en Europe: MICHEL HUET, La protection
de l'oeuvre de l'architecte, plaidoyer 6/1994, p. 46).
Ainsi, certaines modifications " esthétiques " sont, en elles-mêmes,
susceptibles de porter atteinte à la personnalité de l'architecte: par exemple,
apposer sur une façade une peinture ou une mosaïque libidineuse constitue une
atteinte certaine (BARRELET/EGLOFF, op. cit., no 16 ad art. 12 LDA et la
référence citée).

4.6.2. Une expertise peut s'avérer nécessaire, d'une part pour présenter les
divers éléments (formels) composant l'immeuble réalisé par l'architecte, pour
indiquer si la personnalité de l'auteur peut être discernée dans l'oeuvre ("
style de l'auteur "; cf. à cet égard, sous l'angle de l'art. 6 bis CB: THOMAS
HEIDE, Réinterpréter le droit au respect de l'oeuvre énoncé à l'art. 6 bis de
la Convention de Berne, Bulletin du droit d'auteur, 1997, vol. 31 no 3, p. 8
s.), pour expliquer l'intensité du lien qui existe entre l'auteur et sa
création, ainsi que, d'autre part, pour définir l'ampleur et la finalité de la
modification projetée (cf. CARRON/KRAUS/KRÜSI/FÉROLLES, op. cit., p. 84; cf.
sur l'importance de l'avis d'un expert dans ce domaine: SCHNEIDER, op. cit., p.
414; MOSIMANN, op. cit., no 38 p. 592).

5.

5.1. Il s'agit maintenant, à la lumière des considérations qui précèdent, de
procéder à la subsomption.
La condition de l'altération est remplie en l'espèce. Il résulte en effet des
constatations cantonales que la modification projetée consiste en une
modification sensible (" intervention d'une certaine envergure, à l'échelle de
la maison " selon l'expert) allant " dans un sens négatif ", l'expert ayant en
particulier mis en évidence que le projet de modification n'atteignait pas le
niveau de soin apporté aux autres éléments de menuiserie et de serrurerie de la
maison.

5.2. En ce qui concerne la seconde condition (atteinte à la personnalité), la
cour cantonale s'est bornée à affirmer qu'il résulte des magazines dans
lesquels la maison a été présentée que les milieux concernés considèrent que
l'oeuvre revêt un degré d'originalité élevé. Elle en a déduit d'emblée que la
transformation projetée aurait pour effet de modifier un élément important de
l'oeuvre, l'un de ceux par lesquels l'architecte a exprimé la singularité de
son oeuvre et qui a contribué à sa bonne renommée, et que la modification de
cet élément porterait atteinte à sa réputation.

5.2.1. Le raisonnement de la cour précédente, qui repose exclusivement sur
l'existence d'articles élogieux de la presse spécialisée, ne convainc pas.
Premièrement, si l'on constate que la villa fait l'objet d'éloges et que les
propriétaires étaient alors satisfaits, on n'apprend rien sur l'intensité de la
relation entre l'oeuvre - ou divers éléments la composant - et son créateur
(cf. supra consid. 4.6).
Deuxièmement, la cour cantonale omet de tenir compte du fait que d'autres
critères, totalement étrangers au contenu des articles de presse, jouent un
rôle pour déterminer l'intensité de l'atteinte à la personnalité de l'auteur;
il s'agit par exemple de déterminer la finalité de la modification envisagée
(cf. supra consid. 4.6.1).
Enfin, il ne s'agit pas seulement de constater que la villa a fait l'objet
d'éloges dans la presse spécialisée, mais il faut aussi tenir compte du fait
que, pour les personnes intéressées, ces publications ont contribué à tisser un
lien entre l'oeuvre initiale et l'architecte (sur cette question, cf. supra
consid. 4.6.1).

5.2.2. Il convient de reprendre l'analyse de l'art. 11 al. 2 LDA en fonction de
l'ensemble des critères rappelés plus haut (cf. supra consid. 4.5 et 4.6).
En ce qui concerne la nature du bâtiment et sa finalité (villa familiale), on
ne peut, en soi, en tirer aucun argument en faveur de la thèse de l'architecte.
Il semble plutôt que, pour une maison familiale, la destination utilitaire soit
au premier plan, ce que l'expert a d'ailleurs suggéré en relevant que les
propriétaires avaient affirmé avoir commandé une maison pour leur famille et
non un chef-d'oeuvre.
Il ressort également de l'expertise que si la villa litigieuse présente des
éléments qui la distinguent des villas communément érigées, il est
vraisemblable qu'il existe des précédents pour chacun de ces éléments dans
d'autres constructions ou dans l'histoire de l'architecture. On ne discerne
donc pas non plus d'indices allant dans le sens d'un degré d'individualité
élevé.
Il résulte encore de l'arrêt cantonal (et du dossier) que la création de
l'architecte a fait l'objet de plusieurs publications entre 2002 et 2008 et,
donc, d'une exposition relativement importante par sa présence dans les
magazines spécialisés. Cela étant, les observateurs intéressés ont pu se faire
une image de la réalisation de l'architecte et le risque qu'ils fassent encore
aujourd'hui un lien entre l'architecte et la villa alors modifiée selon le
projet des propriétaires (de telle sorte que la réputation de l'architecte
pourrait en pâtir) a perdu une partie de sa réalité.
S'agissant ensuite de la modification envisagée par les propriétaires, on peut
d'emblée constater qu'elle n'est pas, en soi, de nature à porter atteinte à la
personnalité de l'auteur (cf. supra consid. 4.6.1).
Quant à l'importance de la modification, elle n'est certes pas négligeable (cf.
supra consid. 5.1), mais sa finalité est de nature fonctionnelle, en ce sens
qu'elle répond à un besoin des propriétaires et de leurs enfants. L'adaptation
projetée (réversible) ne modifie en outre pas l'oeuvre initiale de manière
définitive, ce qui plaide en faveur de la thèse des propriétaires.
En résumé, les divers indices qui viennent d'être évoqués ne vont pas dans le
sens d'une grande intensité de la relation entre la personnalité de l'auteur et
son oeuvre; quant aux modifications projetées, même si elles ont un impact sur
l'aspect de la maison, elles sont de nature fonctionnelle, de sorte que les
atteintes à l'oeuvre sont de celles qui ne commandent pas une protection
impérative de l'auteur.
Quant à l'expertise (cf. supra consid. 4.6.2), elle ne fournit aucun argument
justifiant de s'écarter de cette conclusion. Elle montre plutôt que l'expert
est réticent à reconnaître qu'une villa individuelle puisse refléter
l'"expression innovatrice de l'individualité " de l'architecte. Selon lui, on
peut se demander s'il s'agit vraiment du lieu où l'individualité de son
concepteur doit s'exprimer, l'oeuvre en question pouvant tout aussi bien
exprimer l'individualité du commanditaire (propriétaire). La prise en compte de
l'expertise ne fournit ainsi aucun motif (factuel) permettant de considérer
qu'il existerait notamment, dans les circonstances de l'espèce, un lien étroit
entre la personnalité de l'architecte et son oeuvre.
Cela étant, c'est en transgressant l'art. 11 al. 2 LDA que la cour cantonale a
admis la demande et fait interdiction aux défendeurs de mettre en oeuvre les
travaux modifiant leur villa. Le grief soulevé par les recourants est bien
fondé.
Il résulte des constatations cantonales que les propriétaires avaient un
intérêt évident à entreprendre les modifications projetées, et qu'ils ont même
informé leur architecte de leur projet, de sorte que toute réflexion au sujet
d'un éventuel abus de droit peut être écartée (cf. supra consid. 4.2.1 sur
cette deuxième limite). L'architecte intimé ne discute d'ailleurs même pas ce
point.
Il convient dès lors d'admettre le recours interjeté par les propriétaires et
de réformer le jugement entrepris en ce sens que la demande de l'architecte est
entièrement rejetée.

5.3. Vu l'issue de la cause, il est superflu d'examiner les autres critiques
des recourants, notamment celles basées sur les principes de l'équité et de la
proportionnalité.

6. 
Il résulte des considérations qui précèdent que le recours en matière civile
doit être admis et que le jugement attaqué doit être réformé en ce sens que la
demande de l'architecte est entièrement rejetée. La cause est renvoyée à
l'autorité cantonale pour nouvelle décision sur les frais et dépens cantonaux.
Les frais et dépens de l'instance fédérale sont mis à la charge de l'intimé,
qui succombe (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 et 2 LTF).

 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :

1. 
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est réformé en ce sens que la demande
du 3 septembre 2012 de l'architecte intimé est entièrement rejetée.

2. 
Les frais judiciaires, arrêtés à 5'000 fr., sont mis à la charge de l'intimé.

3. 
L'intimé versera aux recourants, créanciers solidaires, une indemnité de 6'000
fr. à titre de dépens.

4. 
La cause est retournée à la cour cantonale pour nouvelle décision sur les frais
et dépens de l'instance cantonale.

5. 
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour civile du Tribunal
cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 19 avril 2016

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

La Présidente : Kiss

Le Greffier : Piaget

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