Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.465/2015
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

[8frIR2ALAGK1]     
{T 0/2}
                   
4A_465/2015

Arrêt du 1er mars 2016

Ire Cour de droit civil

Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux Kiss, Présidente, Klett, Kolly, Hohl et Niquille.
Greffier : M. Piaget.

Participants à la procédure
X.________ - Assurance, représentée par Me Julien Blanc,
recourante,

contre

1. Y.________,
2. Z.________,
tous les deux représentés par Me Christine Graa,
intimés.

Objet
contrat de bail, loyer abusif, rendement excessif de la chose louée,

recours contre le jugement du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour d'appel
civile, du 3 août 2015.

Faits :

A. 
La caisse mutuelle X.________ - Assurance (ci-après: la bailleresse) a acquis,
pour un prix de 5'300'000 fr. (auquel il faut ajouter les frais d'acquisition
d'un montant de 194'900 fr.), l'immeuble situé au chemin de..., dans la commune
de Mont-sur-Rolle. L'entier du capital a été payé au moyen des fonds propres de
la bailleresse.
Par contrat du 4 mai 2010, Y.________ et Z.________ (ci-après: les locataires)
ont pris à bail un appartement de 4,5 pièces au 4e étage de cet immeuble,
comprenant notamment un " salon avec cheminée ".
Initialement fixé à 2'050 fr., plus 210 fr. à titre d'acompte de charges, le
loyer mensuel net a été abaissé à 1'894 fr. dès le 1er juillet 2013 à la
requête des locataires, sur la base du taux hypothécaire de référence.
En juillet 2013, la bailleresse a informé les locataires que, pour des raisons
techniques, l'utilisation de la cheminée se trouvant dans le logement n'était
plus autorisée.
En 2013, la bailleresse a entrepris une rénovation de l'immeuble. Les travaux à
plus-value se sont montés à 879'899 fr.
Par courrier recommandé du 10 janvier 2014, la bailleresse a notifié aux
locataires une formule de hausse de loyer de 183 fr., avec effet au 1er juin
2014, le loyer net passant de 1'894 fr. à 2'077 fr.
Les locataires ont contesté cette hausse au motif qu'elle était nulle,
subsidiairement abusive.
La conciliation ayant échoué, la bailleresse a reçu l'autorisation de procéder.

B. 
Par demande du 1er mai 2014, la bailleresse a conclu à ce que le Tribunal des
baux du canton de Vaud valide la majoration de loyer du 10 janvier 2014 et
condamne les locataires à s'acquitter de toute différence de loyer depuis le
mois de juin 2014 jusqu'au mois de l'entrée en force du jugement, intérêts en
sus.
Les locataires ont conclu au rejet de la demande et, reconventionnellement, à
ce que le loyer mensuel net soit fixé à 1'799 fr. dès le 1er août 2013 en
raison de l'interdiction de l'utilisation de la cheminée, la bailleresse leur
devant le paiement immédiat des loyers perçus en trop pour la période du 1er
juillet 2013 à l'entrée en force du jugement.
En audience, les locataires ont pris une nouvelle conclusion invitant le
Tribunal des baux à dire que le loyer mensuel net de l'appartement de 4,5
pièces est diminué de 2,8% (baisse du taux hypothécaire) dès le 1er juin 2015,
portant ainsi le loyer mensuel net à 1'748 fr.
Par jugement du 15 octobre 2014, le Tribunal des baux a réduit le loyer mensuel
net de l'appartement à 1'846 fr.65 dès le 1er octobre 2013 (en raison du défaut
de la cheminée), dit que la bailleresse est tenue de restituer aux locataires,
créanciers solidaires, les montants versés en trop à titre de loyer jusqu'au
jour de l'entrée en force du jugement, fixé le loyer mensuel net des locataires
à 1'795 fr.05 dès le 1er juin 2015 (baisse du taux hypothécaire), en fonction
du taux de 2%, de l'indice suisse des prix à la consommation de 103.3 points et
des charges d'exploitation arrêtées au 31 décembre 2013, et rejeté toutes
autres conclusions.
Par arrêt du 3 août 2015, la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal vaudois a
rejeté l'appel formé par la bailleresse et confirmé le jugement attaqué.

C. 
La bailleresse exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre
l'arrêt cantonal du 3 août 2015. Elle conclut à son annulation, à ce que la
majoration de loyer notifiée le 10 janvier 2014 soit validée, à ce qu'il soit
dit que le loyer mensuel brut de l'appartement est fixé à 2'077 fr. dès le 1er
juin 2014, sur la base d'un taux hypothécaire à 2% et d'un indice suisse des
prix à la consommation de 103,3 points, à ce que les locataires soient
condamnés à s'acquitter de la différence de loyer depuis le mois de juin 2014
jusqu'au mois de l'entrée en force de l'arrêt, intérêts en sus, et à ce que les
locataires soient déboutés de toutes autres conclusions. Elle invoque une
violation des art. 26 et 109 Cst., des art. 269 ss CO et elle se prévaut d'une
constatation manifestement inexacte des faits au sens des art. 97 et 105 LTF.
Les intimés concluent au rejet du recours et à la confirmation de l'arrêt
entrepris.

Considérant en droit :

1.

1.1. Interjeté par la bailleresse qui a succombé dans ses conclusions
libératoires et en paiement (art. 72 al. 1 et 76 LTF) et dirigé contre une
décision finale (art. 90 LTF) rendue sur appel par un tribunal cantonal
supérieur (art. 75 LTF) dans une affaire pécuniaire dont la valeur litigieuse
atteint le seuil de 15'000 fr. requis en matière de bail à loyer (art. 74 al. 1
let. a LTF), le recours en matière civile est recevable au regard de ces
dispositions.

1.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité
précédente (art. 105 al. 1 LTF).
Le Tribunal fédéral ne peut s'écarter des faits ainsi retenus par l'autorité
cantonale que s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte - ce qui
correspond à la notion d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 137 I 58
consid. 4.1.2; 137 II 353 consid. 5.1) - ou en violation du droit au sens de
l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible
d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).
Lorsque le recourant soutient que les faits ont été constatés de manière
arbitraire, ou que les preuves ont été appréciées de manière insoutenable, il
doit satisfaire au principe d'allégation (art. 106 al. 2 LTF), c'est-à-dire
soulever expressément ce grief et exposer celui-ci de façon claire et détaillée
(ATF 135 III 232 consid. 1.2; 133 II 249 consid. 1.4.2).

1.3. Le recours en matière civile peut être interjeté pour violation du droit
fédéral (art. 95 let. a LTF), y compris le droit constitutionnel (ATF 136 I 241
consid. 2.1 p. 247; 136 II 304 consid. 2.4 p. 313). Le Tribunal fédéral
applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est pas lié par
l'argumentation des parties et apprécie librement la portée juridique des
faits; il s'en tient cependant aux questions juridiques que la partie
recourante soulève dans la motivation du recours et ne traite donc pas celles
qui ne sont plus discutées par les parties, à moins que la violation du droit
ne soit manifeste (ATF 140 III 86 consid. 2 p. 88; 137 III 580 consid. 1.3 p.
584). Le Tribunal fédéral n'examine la violation d'un droit constitutionnel que
si le grief a été invoqué et motivé de façon détaillée (art. 106 al. 2 LTF; ATF
135 III 397 consid. 1.4 in fine).

2.

2.1. Le Tribunal des baux a considéré que le fait que la cheminée était
inutilisable constituait un défaut de moyenne importance justifiant une
réduction de loyer de 2,5%, dès le 1er octobre 2013, arrêtant celui-ci à 1'846
fr.65.
Les premiers juges ont également admis partiellement la conclusion
reconventionnelle des locataires visant à ce que leur loyer soit diminué de
2,8%. Sur la base des critères déterminants (baisse du taux hypothécaire,
hausse de l'IPC), ils ont jugé qu'une baisse de loyer de 2,794%, portant
celui-ci à 1'795 fr.05 dès le 1er juin 2015, se justifiait.
Enfin, le Tribunal des baux a jugé que la hausse de loyer notifiée par la
bailleresse le 10 janvier 2014 n'était pas fondée, le loyer mensuel admissible
se montant à 1'264 fr.73 (cf. infra pour le calcul complet) et le loyer mensuel
net des locataires, alors d'un montant de 1'894 fr., procurant dès lors déjà un
rendement excessif à la bailleresse. Dans le calcul du rendement au sens de
l'art. 269 CO, le Tribunal des baux a tenu compte du prix de revient de
l'immeuble (5'494'900 fr.) et de l'entier du montant investi par la bailleresse
dans les travaux de 2013 (879'899 fr.). Il a alors réévalué le 40% du total de
ces montants en fonction de l'évolution de l'IPC. En définitive,
l'investissement se montait à 6'443'604 fr. Le taux d'intérêt hypothécaire de
référence déterminant étant de 2% (et, donc, le taux admissible de 2,5%), le
rendement des fonds propres était de 161'090 fr.10, montant auquel il convenait
d'ajouter les charges d'exploitation, soit 88'024 fr.21 en moyenne. L'état
locatif annuel admissible étant de 249'114 fr.31 pour une surface de 1'625 m2
(total immeuble litigieux) et l'appartement des locataires étant de 99 m2, le
loyer annuel admissible se montait à 15'176 fr.81 (soit 1'264 fr.73 par mois).

2.2. La cour cantonale a confirmé intégralement le jugement du Tribunal des
baux.
S'agissant de la hausse de loyer notifiée par la bailleresse (seul point encore
litigieux devant le Tribunal fédéral), elle a observé que les montants retenus
à l'appui du calcul entrepris par les premiers juges n'étaient pas expressément
remis en cause par la bailleresse appelante, celle-ci se bornant à critiquer,
d'une part, la limitation du rendement net à un demi pour cent au-dessus du
taux hypothécaire de référence, et, d'autre part, le principe selon lequel la
part des fonds propres investis qui doit être réévaluée ne peut dépasser le 40%
du prix de revient de l'immeuble (soit, en l'espèce, la totalité des fonds
propres). La recourante (qui, devant l'instance précédente, n'a d'ailleurs pas
expliqué pour quelles raisons précises les premiers juges auraient dû s'écarter
de la jurisprudence du Tribunal fédéral) ne discute plus ce dernier principe
devant la Cour de céans.
La cour cantonale a écarté tous les arguments avancés par la bailleresse,
rappelant que, même si l'immeuble a été entièrement financé par des fonds
propres, il n'y avait pas lieu de calculer le rendement de manière différente,
que la limitation d'un demi pour cent au-dessus du taux hypothécaire de
référence a continué à être appliquée par le Tribunal fédéral depuis que ce
taux est inférieur à 4,5%, que les différences de rendement avec d'autres
placements - plus risqués (actions et obligations) - ne justifiaient pas un
revirement de jurisprudence, que l'argument tiré de la valeur hypothétique de
l'immeuble (calculée par capitalisation du loyer moyen du quartier) ne pouvait
viser que les immeubles anciens (et, partant, pas l'immeuble de la
bailleresse), que celle-ci ne saurait invoquer des critères relatifs (fondés
sur l'art. 269a let. b CO) pour contester le résultat du calcul du rendement
net au sens de l'art. 269 CO, que le fait que les locataires n'ont pas
sollicité de baisse de loyer durant les dix années précédentes ne saurait
conduire à une solution différente, et que les juges précédents ont, de manière
correcte, tenu compte du 100% du montant investi pour les travaux de
plus-value.

2.3. La bailleresse recourante revient sur la méthode de calcul des loyers
abusifs, soutenant que l'arrêt cantonal repose, à cet égard, sur des faits
établis de façon manifestement inexacte (cf. infra consid. 3), que cette
méthode ne peut être appliquée dans son cas (cf. infra consid. 4 et 5) et que
la hausse de loyer, qu'elle a notifiée le 10 janvier 2014, était parfaitement
valable (cf. infra consid. 5.8).

3. 
Dans la partie " En fait " de son mémoire, la recourante reproche à la cour
cantonale de n'avoir pas retenu certains faits pourtant utiles à la résolution
du litige. Elle invoque un établissement manifestement inexact des faits (art.
97 al. 1 et 105 al. 2 LTF).

3.1. On observera d'emblée à cet égard que la recourante tente de revenir sur
les chiffres permettant de calculer le rendement net au sens de l'art. 269 CO.
Elle requiert en particulier qu'ils soient corrigés et complétés. Or, selon les
constatations cantonales, " aucun des montants retenus à l'appui de ce calcul
n'est expressément remis en cause par [la bailleresse], cette dernière se
bornant à critiquer un certain nombre de principes posés par le Tribunal
fédéral ".
En indiquant que les juges précédents ont violé le droit fédéral (notamment
l'art. 109 Cst. et l'art. 269 CO), méconnu la réalité économique, créé une
inégalité de traitement et une insécurité juridique, la bailleresse ne remet
pas en question le constat de la cour précédente. A défaut d'avoir invoqué
devant cette autorité le moyen tiré de l'arbitraire dans l'établissement des
faits, celui-ci est irrecevable devant la Cour de céans (art. 75 al. 1 LTF).

3.2. A noter encore que certains points de fait exposés par la bailleresse ont
en réalité été repris dans l'arrêt attaqué et, à défaut d'une désignation
précise de la recourante à cet égard, on peine à identifier ceux qui ont été
passés sous silence par l'autorité cantonale, de sorte que, sous l'angle de la
motivation également, le moyen tiré de l'arbitraire se révèle irrecevable (cf.
art. 97 al. 1 et 106 al. 2 LTF).
Enfin, lorsque la recourante, toujours dans la partie " En fait ", explique
qu'elle entend, par son argumentation, revenir sur les principes posés par le
Tribunal fédéral, elle remet en cause la jurisprudence constante de la Cour de
céans (à ce sujet, cf. infra consid. 4) et ne vise plus une question de fait.

4. 
La recourante remet en question la jurisprudence, rendue sous l'angle de l'art.
269 CO, selon laquelle le rendement est admissible lorsqu'il n'excède pas de
plus d'un demi pour cent le taux hypothécaire de référence. Elle soutient que,
dans son cas, cette jurisprudence est contraire à l'art. 269 CO, ainsi qu'aux
art. 26 et 109 Cst.

4.1. Un revirement de jurisprudence est soumis à des exigences strictes. Il
peut se justifier notamment lorsqu'il apparaît que les circonstances ou les
conceptions juridiques ont évolué ou qu'une autre pratique respecterait mieux
la volonté du législateur. Les motifs du changement doivent être objectifs et
d'autant plus sérieux que la jurisprudence est ancienne afin de ne pas porter
atteinte sans raison à la sécurité du droit (ATF 136 III 6 consid. 3; 135 II 78
consid. 3.2).
Il s'agit donc de rappeler la jurisprudence relative au calcul du rendement
admissible (cf. infra consid. 4.2 et 4.6), puis d'examiner chacune des
critiques de la bailleresse, afin de déterminer si elles rendent nécessaire un
changement de jurisprudence (cf. infra consid. 5).

4.2. En vertu de l'art. 269 CO, le loyer est abusif lorsqu'il permet au
bailleur d'obtenir un rendement excessif ( ein übersetzter Ertrag,  un reddito
sproporzionato) de la chose louée ou lorsqu'il résulte d'un prix d'achat
manifestement exagéré.
L'hypothèse du prix d'achat manifestement exagéré, explicitée à l'art. 10 OBLF,
dans laquelle il sied de faire abstraction de ce prix d'achat et de considérer,
dans le calcul de rendement, un prix " normal " (non exagéré) d'acquisition,
peut être écartée d'entrée de jeu, du moment que la cour cantonale, pour
calculer le rendement en vertu de l'art. 269 CO, est partie du prix d'achat
effectivement consenti par la bailleresse, admettant implicitement qu'il
n'était pas exagéré.
La seule question litigieuse est de savoir si l'immeuble, acheté à un prix "
normal ", procure quand même un rendement excessif au bailleur (art. 269 in
initio CO).

4.3. Par la notion de " rendement excessif ", l'art. 269 CO vise le rendement
net des fonds propres investis (cf. ATF 122 III 257 consid. 3a). Ce rendement
correspond au rapport entre les revenus nets que procure la chose louée au
bailleur, après déduction de toutes les charges, et les fonds propres investis.
Le loyer doit d'une part offrir un rendement raisonnable par rapport aux fonds
propres investis et d'autre part couvrir les charges immobilières (ATF 141 III
245 consid. 6.3 p. 252 et les références citées).
Par fonds propres investis (  investierte Eigenmittel,  capitale proprio
investito), il faut entendre la différence entre le prix de revient effectif de
la chose louée et les fonds empruntés (ATF 125 III 421 consid. 2b).
Lorsque les fonds propres sont nuls, le revenu locatif servira exclusivement à
couvrir les charges immobilières effectives (ATF 123 III 171 consid. 6a). Si la
chose louée a été acquise uniquement par des fonds propres, il s'agit de
calculer le rendement admissible de la totalité de ces fonds (cf. ATF 120 II
100 consid. 6b p. 104).

4.4. Le calcul du rendement net relève en principe de la méthode absolue, où le
loyer est contrôlé sur la base de la situation financière de l'immeuble à un
moment donné, sans égard aux accords antérieurs (pour les immeubles anciens,
cf. toutefois infra consid. 4.6).       

4.4.1. Globalement, il implique de déterminer effectivement tous les coûts
d'investissement financés par les fonds propres, peu importe à cet égard la
date des investissements (cf. ATF 141 III 245 consid. 6.6 p. 255). Il s'agit de
tenir compte non seulement du coût de l'acquisition de la chose louée, mais
aussi des travaux à plus-value financés par des fonds propres (ATF 123 III 171
consid. 6a).
A noter qu'il n'est pas possible de substituer aux coûts d'investissement
d'autres valeurs, plus ou moins abstraites, telles que la valeur vénale de
l'immeuble, sa valeur fiscale ou sa valeur d'assurance-incendie, celles-ci se
référant à des valeurs objectives liées au marché et non aux coûts concrets
(individuels) liés à l'acquisition de l'immeuble (ATF 122 III 257 consid. 3b p.
259 s.).
Les coûts d'investissement sont déterminés au moment de l'acquisition ou de la
fin de la construction de la chose louée, ou au moment des travaux à plus-value
(cf. ATF 120 II 100 consid. 5a p. 101). A partir de ces points de référence,
les fonds propres investis sont réévalués en fonction de l'évolution de
l'indice suisse des prix à la consommation (IPC), étant précisé que le montant
objet de la réévaluation ne peut dépasser le 40% du prix de revient de
l'immeuble (ATF 123 III 171 consid. 6a; 120 II 110 consid. 5a p. 101 s.). Ce
plafonnement de 40% s'applique quel que soit le rapport entre les fonds propres
et les fonds empruntés, donc également si la chose louée a été financée
entièrement par des fonds propres (sur l'ensemble de la question: ATF 120 II
110 consid. 5 p. 101 ss).

4.4.2. Il convient ensuite d'appliquer à ces investissements (réévalués) un
taux de rendement admissible, qui se définit par le taux d'intérêt hypothécaire
de référence augmenté de 0,5 pour cent. Le total représente le rendement
(annuel) net admissible au sens de l'art. 269 CO.
Il ressort de la jurisprudence que le fait que le taux hypothécaire de
référence soit bas n'implique pas un calcul différent. Le Tribunal fédéral a en
effet eu maintes fois l'occasion de procéder au calcul du rendement net alors
que le taux hypothécaire déterminant était bas (taux hypothécaire de 2,5 %: ATF
141 III 245 consid. 3.7 p. 251; taux de 2,75 %: arrêt 4A_198/2014 du 17 juillet
2014 consid. 4.4; taux de 3,5 %: arrêt 4A_470/2009 du 18 février 2010 consid.
6).

4.4.3. Au rendement net admissible, il convient ensuite d'ajouter les charges
immobilières annuelles, soit les charges financières (en particulier les
intérêts hypothécaires dus sur les emprunts), les charges courantes (impôt,
prime d'assurance, etc.) et les charges d'entretien (ATF 141 III 245 consid.
6.3).
Le résultat (de l'addition du rendement net admissible et des charges
immobilières) représente l'état locatif (global, soit pour tout l'immeuble)
annuel admissible qu'il s'agit ensuite de " ventiler " pour viser " la " chose
louée (unité locative), en principe par l'application du critère de la pièce ou
de la surface (ATF 116 II 184 consid. 3b).

4.5. Pour procéder au calcul du rendement net, il convient, concrètement, de
rassembler les pièces comptables à disposition.
Il appartient au locataire qui conteste le loyer initial d'apporter la preuve
que le loyer convenu procure au bailleur un rendement excessif. Mais, selon les
principes généraux tirés des règles de la bonne foi, la partie qui n'a pas la
charge de la preuve (soit le bailleur) doit néanmoins collaborer loyalement à
l'administration des preuves et fournir les éléments qu'elle est seule à
détenir (arrêts 4A_250/2012 du 28 août 2012 consid. 2.3 et les arrêts cités).
Si, sur la base des documents remis par les parties, le rendement net peut être
établi, c'est en fonction de ce critère qu'il convient de déterminer si le
loyer litigieux est abusif au sens de l'art. 269 CO (prééminence de principe du
critère du rendement excessif: arrêt 4A_276/2011 du 11 octobre 2011 consid. 5
publié in JdT 2012 II 113; pour les immeubles anciens, cf. infra consid. 4.6).
Si aucun document n'est remis au juge, ou si les pièces fournies sont
insuffisantes pour établir le rendement net, le juge doit alors statuer en
faisant une appréciation globale des preuves à disposition, en tenant en
particulier compte de l'attitude du bailleur dans la procédure et des
éventuelles statistiques remises par les parties (sur l'ensemble de la
question: arrêt 4A_461/2015 du 15 février 2016 consid. 3.3). En l'espèce, le
rendement net ayant pu être établi par la cour cantonale sur la base des pièces
à sa disposition, il n'y a pas lieu de s'attarder sur cette hypothèse.

4.6. Pour les immeubles anciens, la jurisprudence tient toutefois compte du
fait qu'il peut s'avérer difficile, voire impossible, de déterminer les fonds
propres investis. Les pièces comptables font alors parfois défaut ou elles ne
reflètent plus la réalité économique actuelle.
Pour cette catégorie d'immeubles, soit pour les immeubles construits ou acquis
il y a " plusieurs décennies " (ATF 140 III 433 consid. 3.1.1 p. 434 ss, dans
lequel le Tribunal fédéral a jugé qu'un immeuble de 26 ans ne peut être
qualifié d'ancien), il n'y a pas lieu de calculer le rendement net selon la
méthode absolue. Leur valeur est déterminée par référence aux loyers usuels du
quartier, en comparant le loyer en cause avec le loyer moyen du quartier (cf.
art. 269a let. a CO), ou en établissant, par capitalisation de celui-ci, le
prix de revient théorique de l'immeuble (ATF 112 II 149 consid. 3d et e p. 154
ss; 140 III 432 consid. 3.1 p. 434 ss).

5. 
Les arguments soulevés par la recourante pour obtenir une modification de la
jurisprudence doivent maintenant être examinés.

5.1. Il apparaît d'emblée que l'argument tiré de la valeur hypothétique de
l'immeuble (soit la valeur de rendement obtenue par capitalisation du loyer
moyen du quartier) tombe à faux puisqu'il sert à établir la valeur d'immeubles
anciens. Or, l'immeuble examiné en l'espèce, acquis en 2005, n'entre pas dans
la catégorie des immeubles anciens (cf. supra consid. 4.6).

5.2. C'est en se fondant sur une interprétation erronée de l'art. 269 CO que la
recourante, pour autant que l'on comprenne bien son argumentation, affirme que,
le prix d'achat de l'immeuble n'étant pas manifestement exagéré, cela " exclut
tout abus au sens de la Constitution, de la loi et de l'Ordonnance ".
En effet, même si le prix d'achat de l'immeuble n'est pas manifestement
exagéré, cela n'exclut pas que le loyer litigieux puisse procurer au bailleur
un rendement abusif (cf. supra consid. 4.2).
La critique se révèle sans consistance.

5.3. La recourante s'en prend ensuite principalement à la règle selon laquelle
le rendement est admissible lorsqu'il n'excède pas de plus d'un demi pour cent
le taux hypothécaire de référence.
La bailleresse considère que cette méthode de calcul, qui a été appliquée par
les juges cantonaux, est contraire à la volonté du législateur, telle qu'elle
ressort de l'art. 269 CO et de l'art. 10 OBLF (définition du prix d'achat
manifestement exagéré).
A nouveau, la bailleresse se méprend lorsqu'elle tente d'interpréter le critère
du rendement net, qui permet de calculer le loyer admissible, en s'appuyant sur
une (prétendue) volonté du législateur inférée d'un critère totalement distinct
(la détermination " des loyers usuels " selon l'art. 10 OBLF) tendant
exclusivement à établir le caractère manifestement exagéré d'un prix d'achat
(art. 10 OBLF; cf. déjà supra consid. 4.2).

5.4. Dans le même contexte, la recourante soutient que la méthode appliquée par
le Tribunal fédéral aurait pour conséquence d'empêcher la bailleresse de
rentabiliser son investissement pour les travaux à plus-value, qu'elle
souhaitait répercuter sur les locataires au moyen de la hausse litigieuse.
Son argumentation tombe à faux, car elle ne tient pas compte de toutes les
exigences relatives au calcul du rendement, notamment le fait que les travaux à
plus-value financés par des fonds propres sont pris en compte dans ce calcul et
qu'ils doivent également faire l'objet d'une indexation (cf. supra consid.
4.4.1).
Au demeurant, on peut encore relever que l'argument de l'investissement à fonds
perdus ne convainc pas en l'occurrence puisque le loyer fixé initialement par
la bailleresse lui a d'ores et déjà procuré un rendement très avantageux et que
le loyer fixé par les deux instances cantonales lui procure encore un loyer
(1'795 fr.05) largement supérieur au loyer admissible (1'264 fr.73).

5.5. La bailleresse prétend que les arrêts traitant de la méthode du rendement
net auraient été rendus à des périodes où le taux hypothécaire de référence
était égal ou supérieur à 4,5%.
Le " constat " sur lequel la recourante base sa critique est erroné, puisque le
Tribunal fédéral a eu maintes fois l'occasion de procéder au calcul du
rendement net alors que le taux hypothécaire déterminant était inférieur à 4,5%
(cf. supra consid. 4.4.2). Dans ces précédents, le Tribunal fédéral n'a pas
donné le moindre indice qui permettrait de comprendre qu'il entendait modifier
la méthode de calcul qui sous-tend la jurisprudence publiée.

5.6. La recourante revient à charge en déclarant que la référence au taux
hypothécaire de référence est un critère artificiel, en décalage avec la
réalité économique et qu'elle aboutit à un résultat choquant lorsque le taux de
référence est, comme aujourd'hui, à 2%, ou en dessous, ce d'autant plus pour un
bailleur ne faisant pas appel à un financement étranger.

5.6.1. Les variations du rendement des fonds propres correspondent à la logique
du système des loyers calculés sur la base des coûts, que le législateur suisse
a mis sur pied (cf. Message du 27 mars 1985 concernant l'initiative populaire "
pour la protection des locataires ", la révision du bail à loyer et du bail à
ferme dans le Code des obligations [...], FF 1985 I 1369 ch. 525 p. 1469) : le
rendement net admissible diminue lorsque le taux d'intérêt de référence baisse
et inversement il augmente lorsque ce taux monte (cf. récemment: la réponse du
Conseil fédéral à une interpellation du Conseiller national Hugues Hiltpold
déposée le 12 décembre 2014 [14.4246 - Suppression de la prise en compte du
taux hypothécaire de référence dans le cadre du calcul du rendement
admissible], 3e par., disponible sur le site www.parlament.ch).
On peut au demeurant observer que le taux hypothécaire de référence reflète le
niveau général des taux d'intérêts, qui enregistre aujourd'hui un plus bas
historique. De même, d'autres possibilités de placement, comme les obligations
de la Confédération, affichent aujourd'hui des valeurs de rendement très
faibles, voire négatives (cf. réponse du Conseil fédéral à l'interpellation
Hiltpold précitée, 3e par.).
Le législateur était parfaitement conscient des risques inhérents à un système
des loyers calculés sur la base des coûts. C'est d'ailleurs la raison pour
laquelle, prévoyant que l'art. 269 CO risquait de mettre un frein à la
construction de nouveaux logements, il a également introduit, en 1989, la
possibilité, pour les " constructions récentes ", de calculer le loyer en
fonction du rendement brut, celui-ci permettant au bailleur d'obtenir un
rendement supérieur à celui autorisé par les autres critères légaux (art. 269a
let. c CO; ATF 118 II 124 consid. 4a p. 126; récemment: réponse à
l'interpellation Hiltpold, déjà citée, 4e par.). Il s'agit d'une exception au
rendement net prévu à l'art. 269 CO (BOHNET/BROQUET, in Bail à loyer, Bohnet/
Montini [éd.], 2010, no 97 ad art. 269a CO).

5.6.2. Force est dès lors de constater, à la lumière des considérations qui
précèdent, que les arguments soulevés par la bailleresse à l'encontre du
couplage du taux hypothécaire et des loyers constituent une critique du système
mis sur pied par le législateur. Savoir si cette réglementation est
satisfaisante ou si elle consacre, comme la bailleresse le pense, une solution
trop éloignée de la réalité économique, notamment pour le bailleur qui a
financé le bien immobilier exclusivement par des fonds propres, est une
question de politique législative, qu'il n'appartient pas au Tribunal fédéral
de trancher, mais bien au législateur fédéral.
Le Conseil fédéral a d'ailleurs soumis, ces dernières années, plusieurs projets
visant à découpler les loyers des taux hypothécaires. Ces projets n'ont pas
abouti pour des motifs divers (cf. réponse à l'interpellation Hiltpold
précitée, 5e par.; BOHNET/DIETSCHY, in Bail à loyer, Bohnet/Montini [éd.],
2010, nos 17 ss ad Intro. gén., et les références citées).

5.6.3. Cela étant, l'opinion des quelques auteurs (cités par la recourante),
qui adressent des critiques au système actuel, ne saurait justifier la
modification, par le Tribunal fédéral, de la méthode de calcul du rendement
net.
Force est d'ailleurs de constater que, dans l'un des trois ouvrages auquel la
recourante se réfère, l'auteur, qui ne fait que recenser les critiques
régulièrement adressées au critère du rendement net, relève expressément qu'une
modification légale est préconisée (DAVID LACHAT, Le bail à loyer, 2008, p.
424). La mise en oeuvre de la conception (méthode de calcul différente de celle
suivie par la jurisprudence) sur laquelle repose l'essentiel de l'argumentation
de la recourante (BURKHALTER/MARTINEZ-FAVRE (éd.), Le droit suisse du bail à
loyer, Commentaire SVIT, 2011, p. 474) présupposerait également une
intervention sur le plan législatif, étant au demeurant précisé que cette
conception repose aujourd'hui sur le postulat - erroné - que la notion de
rendement net (qui découle de l'art. 269 CO) doit être interprétée conformément
à la (prétendue) volonté du législateur résultant de l'art. 10 OBLF (cf. déjà
supra consid. 5.3).

5.7. La recourante explique encore que, pour un même immeuble, le rendement net
admissible est différent selon le mode de financement adopté par le
propriétaire (part des fonds propres et part des fonds étrangers). Elle en
déduit une inégalité de traitement entre les bailleurs dont les modes de
financement sont différents.
En l'occurrence, on ne voit pas en quoi la méthode appliquée pour calculer le
rendement créerait une inégalité de traitement. Si des rendements différents
peuvent être admis pour deux immeubles identiques, c'est précisément parce que
les bailleurs ont choisi, pour leur bien respectif, des modes de financement
différents. La bailleresse n'explique pas, selon les exigences strictes de
l'art. 106 al. 2 LTF, en quoi il y aurait, dans ces conditions, une inégalité
de traitement.
La recourante invoque également une prétendue inégalité de traitement entre les
bailleurs ayant acquis leur bien récemment et ceux qui sont propriétaires
depuis plusieurs années.
On ne saurait pas non plus, sans autre explication, parler d'inégalité de
traitement puisque le bailleur ayant acquis son immeuble il y a longtemps
bénéficie d'une adaptation au renchérissement de ses fonds propres (cf. supra
consid. 4.4.1).
Quant à l'insécurité juridique (qui résulterait de la méthode de calcul
actuelle) dont fait mention la bailleresse à plusieurs reprises, elle se
révèle, à la suite des considérations qui précèdent, sans consistance (cf.
aussi supra consid. 4.1).

5.8. Enfin, la recourante se réfère à la garantie de la propriété ancrée à
l'art. 26 Cst. Elle se limite à affirmer que le calcul du rendement limite la
capacité du propriétaire d'obtenir la rentabilisation de son investissement de
2013 (travaux à plus-value) et qu'il serait, pour ce motif, contraire à l'art.
26 Cst. Il résulte toutefois des considérations qui précèdent que les travaux à
plus-value financés par des fonds propres sont pris en compte dans le calcul du
rendement, sans égard à leur date d'investissement (cf. supra consid. 4.4.1).
Or, la bailleresse n'indique pas en quoi la garantie de la propriété (art. 26
Cst.) pourrait être violée par ce mode de calcul qui tient compte des travaux à
plus-value. La critique n'est dès lors pas recevable sous l'angle de l'art. 106
al. 2 LTF.
Quant au moyen tiré de l'art. 109 Cst., que la recourante se limite à
mentionner, il n'est pas motivé selon les exigences strictes de l'art. 106 al.
2 LTF et il est donc irrecevable.

5.9. L'on ne peut en définitive que constater que les critiques de la
bailleresse recourante, en tant qu'elles concernent la méthode de calcul du
rendement net, ne peuvent amener le Tribunal fédéral à modifier sa
jurisprudence contrairement à la volonté du législateur. Quant aux arguments
plus généraux (comme l'inégalité de traitement) soulevés par la bailleresse,
ils sont également impropres à démontrer l'existence de motifs objectifs
sérieux qui justifieraient de modifier la jurisprudence constante du Tribunal
fédéral.
L'autorité cantonale n'a donc pas enfreint le droit fédéral en calculant le
rendement net sur la base de la jurisprudence actuelle. Elle n'avait donc pas,
contrairement à ce que soutient la recourante, à déterminer le loyer admissible
sur la base de l'art. 269a let. b CO (sur la prééminence de principe du critère
du rendement excessif au sens de l'art. 269 CO, cf. supra consid. 4.5).

6. 
Il résulte des considérations qui précèdent que le recours en matière civile
formé par la recourante doit être rejeté dans la mesure où il est recevable.
Les frais judiciaires et les dépens sont mis à la charge de la recourante, qui
succombe (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 et 2 LTF).

 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :

1. 
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2. 
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

3. 
La recourante versera aux intimés, créanciers solidaires, une indemnité de
2'500 fr. à titre de dépens.

4. 
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton
de Vaud, Cour d'appel civile.

Lausanne, le 1er mars 2016
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

La Présidente : Kiss

Le Greffier : Piaget

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