Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.18/2015
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

[8frIR2ALAGK1]     
{T 0/2}
                   
4A_18/2015

Arrêt du 22 septembre 2015

Ire Cour de droit civil

Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux Kiss, Présidente, Klett et Kolly.
Greffière : Mme Godat Zimmermann.

Participants à la procédure
A.A.________,
agissant par B.A.________ et C.A.________, eux-mêmes représentés par Me René
Schneuwly,
recourant,

contre

Fondation de l'Hôpital de l'Ile, représentée par Me Eugen Marbach,
intimée.

Objet
responsabilité de l'État pour l'activité des médecins hospitaliers,

recours contre le jugement rendu le 24 novembre 2014 par le Tribunal
administratif du canton de Berne, Cour des affaires de langue française.

Faits :

A. 
A.A.________ est né le 21 août 2003 à l'hôpital Daler, à Fribourg. Lors des
examens médicaux effectués après la naissance, l'oeil droit de l'enfant,
demeuré fermé, n'a pas été contrôlé. Dans les jours qui ont suivi, le pédiatre
a suspecté un trouble de la coagulation sanguine et fait transférer l'enfant au
service hématologique pédiatrique de l'Hôpital de l'Ile, à Berne. Le 28 août
2003, une afibrinogénémie est diagnostiquée et un traitement substitutif en
fibrinogène est mis en place. A.A.________ est resté à l'Hôpital de l'Ile
jusqu'au 2 septembre 2003. Aucun examen des yeux n'a été pratiqué pendant cette
hospitalisation.

 Le 16 septembre 2003, à l'occasion d'un contrôle dans le service hématologique
pédiatrique de l'Hôpital de l'Ile, une rougeur constatée à l'oeil droit de
A.A.________ a fait l'objet d'un examen sans délai à la clinique ophtalmique de
cet établissement; les médecins diagnostiquent alors une hémorragie de la
chambre antérieure et du corps vitré. Il s'en est suivi une nouvelle
hospitalisation en hématologie jusqu'au 24 septembre 2003; les dosages en
fibrinogène sont augmentés et, le 22 septembre, un rinçage opératoire de la
chambre antérieure est pratiqué.

 Le 13 janvier 2004, la clinique ophtalmique de l'Hôpital de l'Ile a demandé un
second avis à l'Hôpital ophtalmique Jules Gonin, à Lausanne. Dans le courrier
de transmission, les médecins bernois font état d'une hématocornée et de
saignements persistant dans le corps vitré  (persistierender
Glaskörpereinblutung); ils précisent qu'ils envisagent une vitrectomie
(complètement de l'état de fait, art. 105 al. 2 LTF).

 A.A.________ est examiné sous narcose à Lausanne le 9 février 2004. Dans sa
réponse du 10 février 2004 aux médecins bernois, l'Hôpital ophtalmique Jules
Gonin pose le diagnostic de hématocornée avec membrane intra-camérulaire et
décollement de rétine total en parapluie; l'oeil droit présente une perte
fonctionnelle et aucune indication chirurgicale n'est retenue (complètement de
l'état de fait, art. 105 al. 2 LTF).

 B.
Par lettre du 3 janvier 2005, B.A.________ et C.A.________, agissant au nom de
leur fils A.A.________, se sont adressés à l'Hôpital de l'Ile. Ils
considéraient qu'un problème de responsabilité médicale se posait et
entendaient solliciter une expertise extrajudiciaire auprès du bureau
d'expertises de la Fédération des médecins suisses (FMH). Avec l'accord de
l'assureur responsabilité civile de l'Hôpital de l'Ile, de la Fondation de
l'Hôpital de l'Ile et des médecins concernés, une telle expertise a été
effectuée par le Dr D.________ et le Dr E.________; leur rapport date des 28
juin/2 juillet 2009.

 Les 21 juillet et 6 octobre 2009, les parents de A.A.________ ont demandé un
entretien à l'assureur en responsabilité civile de l'Hôpital de l'Ile, puis une
confirmation écrite de la position de l'assureur et de son assuré.

 Par décision du 20 octobre 2009, la Fondation de l'Hôpital de l'Ile (ci-après:
la Fondation) a rejeté "la demande du 3 janvier 2005" de A.A.________. Elle
considérait que, d'après l'expertise de la FMH, le traitement ophtalmologique
global, les examens, leur interprétation et la demande d'un deuxième avis
s'étaient déroulés selon les règles de l'art et qu'aucune faute ni omission
dans l'information des parents n'avait été relevée.

 A.A.________ a interjeté recours auprès du Tribunal administratif du canton de
Berne. Il concluait à l'annulation de la décision du 20 octobre 2009 et au
renvoi du dossier à la Fondation avec mandat d'ouvrir une procédure préalable
et de rendre une nouvelle décision dans le sens des considérants. A titre
subsidiaire, les conclusions du recours tendaient à ce qu'il soit constaté que
la responsabilité de la Fondation pour la perte de l'oeil droit de A.A.________
était engagée et à ce que le dossier soit renvoyé à l'intimée pour traiter et
juger les prétentions du recourant. A titre encore plus subsidiaire, le
recourant demandait que la Fondation soit condamnée à lui payer, avec intérêts,
une indemnité de 35'000 fr. à titre de réparation morale et de 13'414 fr.70 à
titre de remboursement des frais d'avocat; il réservait par ailleurs ses
prétentions pour son dommage futur.

 Au cours de la procédure, les parties ont été invitées à formuler des
questions complémentaires aux médecins qui avaient rédigé l'expertise FMH. En
date du 17 juillet 2013, ceux-ci ont rendu leur rapport (expertise judiciaire),
sur lequel les parties ont eu l'occasion de s'exprimer.

 Par jugement du 24 novembre 2014, la Cour des affaires de langue française du
Tribunal administratif du canton de Berne a rejeté le recours, mis les deux
tiers des frais à la charge de A.A.________ et condamné la Fondation à verser à
celui-ci un montant de 3'500 fr. à titre de participation forfaitaire aux
dépens.

 C.
A.A.________ exerce un recours en matière civile. Principalement, il demande au
Tribunal fédéral d'annuler le jugement cantonal et d'admettre la responsabilité
de la Fondation pour la perte de son oeil droit; il reprend pour le surplus les
conclusions condamnatoires formulées dans l'instance cantonale et réserve ses
prétentions pour le dommage futur. A titre subsidiaire, le recourant sollicite
le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision dans le
sens des considérants.

 La Fondation conclut au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité.

 Invité à se déterminer, le Tribunal administratif a déposé des observations et
propose le rejet du recours.

Considérant en droit :

1. 
Le Tribunal fédéral examine librement et d'office la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 140 IV 57 consid. 2; 139 III 133 consid. 1; 139 V 42
consid. 1).

1.1. Il n'est pas contesté que l'établissement hospitalier en cause est une
organisation chargée de tâches de droit public et que le droit public cantonal
s'applique à la responsabilité pour le dommage que ses employés causent dans
l'exercice de leurs fonctions (cf. art. 61 al. 1 et 2 CO; art. 71 al. 1 Cst./
BE; art. 47 al. 1 de la loi bernoise du 5 novembre 1992 sur le statut général
de la fonction publique [aLPers/BE; ROB 1993 69] applicable à l'époque des
faits litigieux).
Selon la jurisprudence, la responsabilité médicale, lorsqu'elle est soumise au
droit public cantonal, donne lieu à des décisions qui sont prises en
application de normes de droit public dans une matière devant être considérée
comme connexe au droit civil; partant, elles sont sujettes au recours en
matière civile (art. 72 al. 2 LTF; ATF 133 III 462 consid. 2.1 p. 465; confirmé
in ATF 139 III 252 consid. 1.5 p. 254 s.)

1.2. Les conditions de recevabilité spécifiques du recours en matière civile
sont régies par les art. 72 à 76 LTF.

1.2.1. Le recourant se plaint d'une violation de l'art. 75 al. 2 LTF en
relation avec l'art. 104a ch. 2 al. 1 de la loi bernoise du 3 mai 1989 sur la
procédure et la juridiction administratives (LPJA/BE; RSB 155.21) (  recte : de
la loi bernoise du 16 septembre 2004 sur le personnel [LPers/BE; RSB 153.01])
et avec l'art. 50 al. 1 LPers/BE (  recte : LPJA/BE). L'exigence de la double
instance posée par le droit fédéral n'aurait pas été respectée en l'espèce, car
l'intimée aurait rendu la décision du 20 octobre 2009 malgré l'absence d'une
demande formelle d'indemnisation et sans avoir ouvert une procédure préalable
au sens de l'art. 50 al. 1 LPJA/BE, ni avoir donné au recourant la possibilité
de se déterminer sur l'expertise FMH.

1.2.2. Le recours est recevable notamment contre les décisions prises par les
autorités cantonales de dernière instance (art. 75 al. 1 LTF). Selon l'art. 75
al. 2 LTF, les cantons instituent, comme autorités cantonales de dernière
instance, des tribunaux supérieurs, lesquels statuent sur recours sauf dans les
cas énumérés aux lettres a à c. Le droit fédéral impose ainsi aux cantons une
double instance. A titre de disposition transitoire, l'art. 130 al. 2 LTF a
toutefois accordé aux cantons un délai d'adaptation courant en principe jusqu'à
l'entrée en vigueur du CPC. Celle-ci est intervenue le 1 ^er janvier 2011.
L'exigence de la double instance vaut pleinement pour les décisions
communiquées après cette date; pour les causes pendantes au 1 ^er janvier 2011
mais jugées après cette date, les cantons doivent ouvrir un recours auprès d'un
tribunal supérieur. Les cantons demeurent libres de désigner l'autorité de
première instance; il peut s'agir par exemple d'une autorité administrative,
laquelle devra alors rendre une décision formelle susceptible de recours (ATF
139 III 252 consid. 1.6 p. 255 s. et les arrêts cités).
Jusqu'à l'entrée en vigueur de l'art. 104a LPers/BE le 1 ^er janvier 2009, les
prétentions découlant de la responsabilité médicale soumise au droit public
bernois devaient être exercées par la voie de l'action directe devant le
Tribunal administratif. L'art. 104a LPers/BE a institué une double instance
cantonale en pareil cas. En tant qu'organisation extérieure à l'administration
cantonale au sens de l'art. 101 LPers/BE, l'intimée est devenue ainsi une
autorité appelée à rendre une décision susceptible d'un recours devant le
Tribunal administratif.
En l'espèce, le recourant s'est adressé à l'intimée et les parties ont mis en
oeuvre l'expertise FMH avant l'entrée en vigueur de l'art. 104a LPers/BE.
Devenue compétente par la suite pour se prononcer par une décision, l'intimée a
considéré que, sur la base de l'expertise FMH, sa responsabilité n'était pas
engagée. Le recourant a recouru auprès du Tribunal administratif contre cette
décision. L'exigence de la double instance posée par l'art. 75 al. 2 LTF a été
respectée en l'espèce. Contrairement au cas faisant l'objet de l'ATF 139 III
252 invoqué par le recourant, le jugement attaqué n'a pas été rendu par un
tribunal administratif cantonal statuant en première instance, mais bien sur
recours.
Au surplus, la cour cantonale a reconnu que le recourant n'avait pas pu, lors
de la procédure devant l'intimée, se déterminer sur le résultat de l'expertise
FMH et, partant, que son droit d'être entendu avait été violé. Elle a jugé
toutefois que ce vice avait été réparé lors de la procédure de recours. En
effet, le recourant a été en mesure d'exposer de manière détaillée ses griefs à
l'encontre de l'expertise FMH devant le Tribunal administratif, qui jouit d'un
plein pouvoir de cognition sur les questions de fait et de droit; il a pu
également poser des questions complémentaires aux auteurs de l'expertise et
discuter de leurs réponses. Le recourant n'explique pas en quoi la cour
cantonale aurait, ce faisant, méconnu l'art. 29 al. 2 Cst. garantissant le
droit d'être entendu. De même, il ne démontre pas en quoi l'autorité précédente
aurait arbitrairement violé les dispositions cantonales régissant la procédure
avant le prononcé d'une décision.
Dans la mesure où il est recevable, le premier grief soulevé dans le recours
est mal fondé.

1.3. Pour le reste, la présente cause atteint la valeur litigieuse de 30'000
fr. ouvrant le recours en matière civile dans les affaires pécuniaires ne
relevant ni du droit du travail, ni du droit du bail à loyer (art. 74 al. 1
let. b LTF). Le recours est exercé par la partie qui a succombé dans ses
conclusions et qui a donc qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF). Il a été
déposé dans le délai (art. 46 al. 1 let. c et art. 100 al. 1 LTF) et la forme
(art. 42 LTF) prévus par la loi.

2.

2.1. L'intimée répond du dommage que ses agents causent de manière illicite à
un tiers dans l'exercice de leurs fonctions (cf. art. 71 al. 1 Cst./BE, art. 47
al. 1 aLPers/BE; actuellement art. 101 al. 1 LPers/BE). Sa responsabilité, dite
causale, est engagée lorsque les conditions suivantes sont remplies: un acte
illicite, un dommage et un lien de causalité entre ceux-ci.
En l'espèce, l'acte illicite réside, de manière incontestée, dans l'absence
d'examen des yeux lors de l'admission de l'enfant, le 28 août 2003, au service
hématologique pédiatrique de l'Hôpital de l'Ile. L'existence d'un préjudice,
lié à la perte fonctionnelle de l'oeil droit, ne prête pas non plus à
discussion. Le point litigieux porte sur la causalité entre ces deux éléments.
Pour trancher cette question, le Tribunal administratif s'est fondé sur
l'expertise FMH des Drs D.________ et E.________ ainsi que sur le rapport des
mêmes experts établi pendant la procédure de recours; il est parvenu à la
conclusion que, selon le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante, le
dommage se serait de toute façon produit si les médecins en cause avaient agi
conformément à leurs devoirs. La cour cantonale a nié ainsi un lien de
causalité entre le manquement imputable aux médecins de l'hôpital et la perte
de vision de l'oeil droit du recourant.

2.2. Le recourant soulève tout d'abord le grief de l'établissement inexact des
faits au sens de l'art. 97 LTF, notion qui correspond à celle d'arbitraire au
sens de l'art. 9 Cst. (entre autres, ATF 140 III 115 consid. 2 p. 117). Il fait
valoir que l'autorité précédente aurait versé dans l'arbitraire en se fondant
sur la vision rétrospective des choses adoptée dans l'expertise FMH et le
rapport complémentaire. Sous ce grief, le recourant critique en réalité les
conclusions des experts, qui auraient fondé leur analyse sur des suppositions
et sans entendre les médecins directement impliqués, notamment sur la question
du début de l'hémorragie. Par ailleurs, l'affirmation selon laquelle
l'évolution négative de la vision de l'oeil droit ne pouvait plus être
influencée par une quelconque option thérapeutique le 28 août 2003 serait en
contradiction flagrante avec l'attitude des médecins ophtalmologues de
l'Hôpital de l'Ile, qui ont opté pour un traitement hautement dosé en
fibrinogène dès la découverte de l'hémorragie le 16 septembre 2003 et avaient
l'intention d'effectuer une vitrectomie avant de demander un second avis
médical.
Invoquant l'art. 9 Cst., le recourant se plaint ensuite d'une application
arbitraire de l'art. 71 al. 1 Cst./BE et de l'art. 47 al. 1 aLPers. Sous cet
angle, il reproche à nouveau à la cour cantonale de s'être fondée sur des faits
retenus par les experts, alors que ces faits relèveraient essentiellement de
suppositions et non de constats avérés. Le recourant soutient que les
incertitudes scientifiques qui subsisteraient dans cette affaire justifient de
le mettre au bénéfice d'un allègement de la preuve; il conviendrait ainsi
d'admettre que si un diagnostic correct avait été posé le 28 août 2003 pour
être immédiatement suivi d'un traitement adéquat, les événements ne se seraient
à tout le moins pas enchaînés de la même manière.

3. 
Le manquement reproché aux médecins de l'Hôpital de l'Ile consiste dans une
omission. En pareil cas, l'examen du lien de causalité revient à se demander si
le dommage serait également survenu si l'acte omis avait été accompli. Une
preuve stricte ne peut être exigée en la matière. Il suffit que le cours
hypothétique des événements soit établi avec une vraisemblance prépondérante (
ATF 132 III 715 consid. 3.2 p. 720; 124 III 155 consid. 3d p. 165). Lorsqu'elle
est déduite exclusivement de l'expérience générale de la vie, la causalité
hypothétique est revue librement par le Tribunal fédéral; en revanche, en tant
que le juge a fondé son raisonnement sur des moyens de preuve, le Tribunal
fédéral ne peut revoir ses constatations que sous l'angle de l'arbitraire dans
l'appréciation des preuves, pour autant que le grief tiré de l'art. 9 Cst. soit
invoqué et dûment motivé conformément à l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 132 III 305
consid. 3.5 p. 311, 715 consid. 2.3 p. 718 s.; 127 III 453 consid. 5d p. 456;
115 II 440 consid. 5 p. 447 ss).

3.1. Pour nier un lien de causalité hypothétique entre l'omission reprochée aux
médecins et l'atteinte à l'intégrité subie par le recourant, la cour cantonale
s'est fondée sur l'expertise FMH des 28 juin/2 juillet 2009 ainsi que sur
l'expertise judiciaire du 17 juillet 2013.
L'expertise FMH n'a pas été ordonnée par l'autorité, mais mise en oeuvre en
commun par les parties, avant le prononcé de la décision du 20 octobre 2009.
Les mêmes experts ont ensuite été appelés par le Tribunal administratif à
répondre aux questions des parties. A ce stade-là, l'intimée admettait que
l'absence d'examen des yeux de l'enfant le 28 août 2003 constituait une "faute
professionnelle", comme l'expertise FMH l'avait fait ressortir. En conséquence,
l'expertise judiciaire portait uniquement sur le lien de causalité entre le
défaut de diagnostic du 28 août 2003 et l'atteinte à la santé subie par le
recourant. Elle se référait en outre à l'expertise FMH. Dans les circonstances
de l'espèce, l'expertise des 28 juin/2 juillet 2009 ne peut être assimilée à de
simples allégués de parties. Tant l'expertise FMH que l'expertise judiciaire
constituent ainsi des moyens de preuve sur lesquels le Tribunal administratif
pouvait se fonder.

3.2. Le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir versé dans l'arbitraire
en se ralliant aux conclusions des experts.
Une décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement une norme ou un
principe juridique clair et indiscuté, ou contredit d'une manière choquante le
sentiment de la justice et de l'équité. L'arbitraire, prohibé par l'art. 9
Cst., ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en
considération ou même qu'elle serait préférable. Le Tribunal fédéral ne
s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance
que si sa décision apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la
situation effective, adoptée sans motifs objectifs ou en violation d'un droit
certain. Il ne suffit pas que les motifs de la décision soient insoutenables;
encore faut-il que celle-ci soit arbitraire dans son résultat (ATF 140 III 16
consid. 2.1 p. 18 s., 157 consid. 2.1 p. 168; 139 III 334 consid. 3.2.5 p. 339;
138 III 378 consid. 6.1 p. 379 s.).
En matière d'appréciation des preuves, il y a arbitraire lorsque l'autorité ne
prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à
modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa
portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en
tire des constatations insoutenables (ATF 137 I 58 consid. 4.1.2 p. 62; 137 III
226 consid. 4.2 p. 234; 136 III 552 consid. 4.2 p. 560; 134 V 53 consid. 4.3 p.
62; 129 I 8 consid. 2.1 p. 9).
En particulier, lorsque l'autorité précédente juge une expertise concluante et
en fait sien le résultat, le Tribunal fédéral n'admet le grief d'appréciation
arbitraire des preuves que si l'expert n'a pas répondu aux questions posées, si
ses conclusions sont contradictoires ou si, d'une quelconque autre façon,
l'expertise est entachée de défauts à ce point évidents et reconnaissables,
même sans connaissances spécifiques, que le juge ne pouvait tout simplement pas
les ignorer. Il n'appartient pas au Tribunal fédéral de vérifier si toutes les
affirmations de l'expert sont exemptes d'arbitraire; sa tâche se limite bien
plutôt à examiner si l'autorité intimée pouvait, sans arbitraire, se rallier au
résultat de l'expertise (consid. 5 non publié de l'ATF 141 III 97; cf. ATF 138
III 193 consid. 4.3.1 p. 198; 136 II 539 consid. 3.2 p. 547; 133 II 384 consid.
4.2.3 p. 391; 132 II 257 consid. 4.4.1 p. 269).

3.2.1. Les experts n'ont pas pu entendre tous les médecins de l'Hôpital de
l'Ile directement en charge du traitement du recourant à l'époque des faits
litigieux. En revanche, ils ont procédé à l'audition du supérieur hiérarchique
de trois médecins du service d'hématologie, ainsi qu'à celle du remplaçant du
médecin-chef du service d'ophtalmologie; ils ont considéré ces auditions
suffisantes pour répondre aux questions litigieuses. A cet égard, on ne voit
pas en quoi les expertises seraient affectées d'un défaut rédhibitoire parce
que tous les médecins concernés n'ont pas été directement entendus, étant
précisé que le manquement en cause a été admis par l'intimée et qu'il s'agit de
déterminer un scénario hypothétique.

3.2.2. Selon les experts, l'hypothèse la plus plausible est que des saignements
massifs dans la chambre antérieure et le corps vitré sont intervenus de manière
concomitante à la naissance, sans qu'il soit possible d'exclure qu'ils se
soient produits  in utero à la fin de la grossesse. Les experts expliquent leur
conclusion par la pression physique subie à l'accouchement et par le fait que,
lors du diagnostic le 16 septembre 2003, le sang observé était vieux et la
cornée déjà infiltrée. Ces saignements massifs, en particulier dans le corps
vitré, rendaient d'emblée le pronostic défavorable. D'après les experts, une
substitution en fibrinogène aurait dû être mise en place tout au début de
l'hémorragie pour sauver l'oeil. Si l'hémorragie avait été diagnostiquée le 28
août 2003, un traitement hautement dosé en fibrinogène entrepris à ce moment-là
aurait pu influer sur d'éventuels saignements encore actifs (  "Nachblutungen"
 ), mais non sur la partie principale de l'ancienne hémorragie, dont il
n'aurait pas favorisé la résorption; selon une très haute vraisemblance, le
pronostic final n'en aurait donc pas été modifié.
Les experts attribuent le décollement de rétine aux saignements massifs qui
étaient présents au plus tard à la naissance dans le corps vitré également.
Pour traiter une hémorragie du corps vitré établie, seule une vitrectomie est
envisageable. L'intervention sur le corps vitré est toutefois très difficile
chez un nouveau-né et n'est pas raisonnablement indiquée. Elle est encore plus
compliquée et son pronostic est encore plus mauvais lorsque la cornée est déjà
imprégnée; à cet égard, les experts observent que des saignements importants
dans la chambre antérieure commencent à imprégner la cornée après cinq à sept
jours, de sorte qu'en l'espèce, même si d'éventuels saignements postérieurs à
la naissance avaient été arrêtés le 28 août 2003, la cornée aurait déjà été
détériorée lors de l'admission de l'enfant à l'Hôpital de l'Ile.

3.2.3. Le recourant devait démontrer avec une vraisemblance prépondérante qu'il
n'aurait pas perdu la vision de son oeil droit si les médecins de l'Hôpital de
l'Ile avaient procédé à un examen oculaire le 28 août 2003 et diagnostiqué
alors l'hémorragie de la chambre antérieure et du corps vitré. La cour
cantonale a jugé que cette preuve n'avait pas été rapportée; en effet, sur la
base des rapports des experts, la perte de vision était très vraisemblablement
inéluctable déjà lors de l'hospitalisation de l'enfant à l'Hôpital de l'Ile,
sans qu'aucun traitement curatif valable ne puisse influer sur cette évolution
défavorable.
Les critiques formulées dans le recours ne font pas apparaître les réponses des
experts comme incohérentes, fondées sur de simples suppositions ou encore
affectées de défauts évidents. S'agissant de la date du début de l'hémorragie,
les experts expliquent de manière convaincante pourquoi des saignements massifs
et concomitants dans la chambre antérieure et le corps vitré sont intervenus
selon toute vraisemblance au plus tard lors de la naissance. En ce qui concerne
le traitement de l'hémorragie oculaire par une augmentation des dosages en
fibrinogène, les experts observent qu'il ne pouvait avoir d'effet que sur
d'éventuels saignements en cours, mais non sur l'ancienne partie de
l'hémorragie, en définitive déterminante pour le pronostic. Contrairement à ce
que le recourant prétend, cette conclusion n'est pas contradictoire avec le
fait que les médecins de l'Hôpital de l'Ile ont mis en place un tel traitement
curatif à partir du 16 septembre 2003. De même, le fait qu'une vitrectomie ait
été envisagée dans le cas de A.A.________ ne permet pas de mettre en doute
l'avis des experts sur le pronostic très mauvais d'une telle intervention chez
un nouveau-né, qui plus est en présence d'une imprégnation de la cornée.
Il s'ensuit que la cour cantonale pouvait, sans arbitraire, se rallier aux
conclusions de l'expertise pour déterminer quel aurait été très
vraisemblablement le cours des événements si l'hémorragie avait été détectée
lors de l'admission de A.A.________ à l'Hôpital de l'Ile. Le grief tiré d'une
violation des art. 97 LTF et 9 Cst. est mal fondé.

4. 
Dans un dernier moyen, le recourant reproche à la cour cantonale de ne pas
avoir appliqué la théorie de la perte d'une chance. A son avis, les juges
bernois auraient dû considérer la causalité entre le retard dans le diagnostic
et la perte de la chance de conserver la vision de l'oeil droit grâce à une
vitrectomie.

4.1. Selon la théorie de la perte d'une chance, le dommage réparable consiste
dans la perte d'une chance mesurable de réaliser un gain ou d'éviter un
préjudice; il correspond ainsi à la probabilité pour le lésé d'obtenir ce
profit ou de ne pas subir ce désavantage. Le Tribunal fédéral a déjà jugé que
la réception en droit suisse de cette théorie était à tout le moins
problématique, car elle revenait en définitive à admettre la réparation d'un
préjudice en fonction de la probabilité que le fait générateur de
responsabilité ait causé le dommage. Une autorité cantonale ne saurait ainsi se
voir reprocher une application arbitraire du droit cantonal régissant la
responsabilité d'un hôpital public en n'examinant pas le dommage sous l'angle
de la perte d'une chance (ATF 133 III 462 consid. 4.2 p. 468 s. et consid.
4.4.3 p. 471 s).

4.2. Il n'y a pas lieu de revenir ici sur cette jurisprudence, de sorte que la
cour cantonale n'a pas violé de manière arbitraire le droit cantonal en
n'appliquant pas en l'espèce la théorie de la perte d'une chance.
Au demeurant, le cas présent n'est guère typique de cette théorie. Le recourant
lui-même invoque la causalité entre le retard dans le diagnostic et la perte
d'une chance "réelle et sérieuse" de sauvegarder la vision de l'oeil droit. Or,
sur la base des expertises, il apparaît très douteux qu'une vitrectomie
envisagée plus tôt aurait constitué un traitement approprié qui aurait été
susceptible de sauver l'oeil droit de A.A.________.

5. 
Sur le vu de ce qui précède, le recours sera rejeté dans la mesure où il est
recevable.
En conséquence, le recourant prendra à sa charge les frais judiciaires (art. 66
al. 1 LTF) et versera des dépens à l'intimée (art. 68 al. 1 et 2 LTF).

 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1. 
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2. 
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant.

3. 
Le recourant versera à l'intimée une indemnité de 2'500 fr. à titre de dépens.

4. 
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et au Tribunal
administratif du canton de Berne, Cour des affaires de langue française.

Lausanne, le 22 septembre 2015

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

La Présidente : Kiss

La Greffière : Godat Zimmermann

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