Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.86/2013
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
1B_86/2013

Arrêt du 19 avril 2013
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président,
Eusebio et Chaix.
Greffier: M. Kurz.

Participants à la procédure
A.________, représenté par Maîtres Giorgio Campá et Florian Baier, avocats,
recourant,

contre

Yves Bertossa,
p.a. Ministère public du canton de Genève, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.

Objet
procédure pénale, récusation du Procureur,

recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de
Genève, Chambre pénale de recours, du 30 janvier 2013.

Faits:

A.
A.________ fait l'objet d'une instruction pénale pour assassinats conduite par
le Ministère public du canton de Genève. Il lui est reproché d'avoir exécuté ou
fait exécuter douze personnes entre novembre 2005 et septembre 2006, alors
qu'il était Directeur général de la police nationale civile du Guatemala.
Le prévenu a requis une première fois, le 31 août 2012, la récusation du
Procureur Yves Bertossa, en raison de ses liens prétendus avec l'association
X.________, laquelle s'était jointe aux dénonciations formées contre A.________
et s'était impliquée pour obtenir l'arrestation du prévenu et l'audition de
témoins à charge. Cette demande a été rejetée le 15 octobre 2012 par la Chambre
pénale de la Cour de justice genevoise, les motifs allégués ne permettant pas
de fonder un soupçon de prévention du Procureur. Par arrêt du 10 janvier 2013
(1B_685/2012), le Tribunal fédéral a rejeté le recours formé par A.________.
Alors qu'il était avocat, le Procureur Bertossa avait relu et corrigé
bénévolement, en 2003, un ouvrage publié par X.________; il était aussi
intervenu aux côtés de cette association. Toutefois, aucune de ces
interventions, qui remontaient à dix ans, n'était en rapport avec A.________,
le Guatemala ou l'Amérique centrale. Le manque de réponse aux nombreuses
questions du requérant, les souvenirs imprécis du magistrat et les
irrégularités de procédures alléguées ne constituaient pas non plus des motifs
de récusation.

B.
Le 13 décembre 2012, Erwin Spérisen a sollicité une deuxième fois la récusation
du Procureur. Il évoquait l'appréciation de X.________, selon laquelle Yves
Bertossa avait réussi, contrairement aux magistrats qui l'avaient précédé, à
"faire avancer les choses". Il reprochait également au Procureur, lors de
l'audition du témoin B.________, de ne pas avoir relevé les contradictions
existant avec ses déclarations antérieures filmées par X.________, de n'avoir
pas autorisé l'enregistrement de cette audition et d'avoir refusé de mentionner
au procès-verbal les déclarations de l'interprète; il formulait encore d'autres
griefs, notamment que les DVD de X.________ ne figuraient pas dans la copie du
dossier qui lui avait été remise.
Par arrêt du 30 janvier 2013, la Chambre de recours pénale a rejeté cette
seconde demande de récusation. La présence des DVD au dossier était connue tant
du prévenu que des autorités saisies; ces pièces n'avaient pas été délivrées en
copie avec le dossier le 14 novembre 2012, mais avaient été remises à la
défense le 7 décembre 2012, soit sept jours avant le contre-interrogatoire du
témoin B.________. Les droits de la défense avaient été respectés. Les
appréciations de X.________ sur l'efficacité du Procureur n'engageaient que
cette association. En dépit des nombreux incidents et interventions
intempestives de la défense lors de l'audition du témoin B.________, le
Procureur n'avait démontré aucune prévention. L'audition était consacrée aux
questions de la défense, ce qui expliquait que le Procureur ne soit pas
intervenu. L'audience n'avait pas à être enregistrée; rien ne permettait
d'affirmer que les pièces à charge étaient traduites plus rapidement que les
autres; la demande de prolongation de détention ne laissait pas non plus
apparaître un motif de récusation.

C.
Agissant par la voie du recours en matière pénale assorti d'une demande
d'assistance judiciaire, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet
arrêt et d'ordonner la récusation du Procureur Yves Bertossa. Il demande
l'audition de la traductrice présente à l'audience du 14 décembre 2013. La Cour
de justice se réfère à son arrêt, sans observations. Le Procureur Yves Bertossa
conclut au rejet du recours. Le recourant a déposé de nouvelles observations,
le 10 avril 2013, persistant dans ses conclusions.

Considérant en droit:

1.
Conformément aux art. 78 et 92 al. 1 LTF, une décision relative à la récusation
d'un magistrat pénal peut faire immédiatement l'objet d'un recours en matière
pénale.

1.1 Le recourant, dont la demande de récusation a été rejetée, a qualité pour
agir (art. 81 al. 1 LTF). Pour le surplus, interjeté en temps utile contre une
décision prise en dernière instance cantonale, le recours est recevable au
regard des art. 80 al. 1 et 100 al. 1 LTF.

1.2 Le recourant demande en vain l'audition de la traductrice présente à
l'audience du 14 décembre 2012. En effet, des mesures probatoires devant le
Tribunal fédéral ne sont qu'exceptionnellement ordonnées dans une procédure de
recours (JEAN-MAURICE FRÉSARD, in Commentaire de la LTF, 2009, n° 9 ad art.
55), dès lors que le Tribunal fédéral statue et conduit en principe son
raisonnement juridique sur la base des faits établis par l'autorité précédente
(art. 118 LTF). En l'occurrence, le témoignage requis porte sur la teneur d'une
déclaration de témoin, et non directement sur un indice de partialité du
Procureur. Celui-ci a d'ailleurs reposé la question directement au témoin, qui
a pu préciser ses déclarations (cf. consid. 2.7). Dans ces conditions, le
témoignage requis apparaît sans pertinence et il ne se justifie pas de
procéder, à titre exceptionnel, à cet acte d'instruction.

2.
Le recourant reprend l'ensemble de ses motifs de récusation, élevant contre le
Procureur une série de griefs qui fonderaient selon lui une apparence de
prévention.

2.1 Les principes applicables à la récusation d'un procureur général ont été
rappelés dans l'arrêt du 10 janvier 2013 (consid. 3.1-3.2) ainsi que dans
l'arrêt cantonal (cf. également ATF 138 IV 142 consid. 2 p. 144). La
jurisprudence constante considère par ailleurs que les décisions ou des actes
de procédure d'un magistrat qui se révèlent par la suite erronés ne fondent pas
en soi une apparence objective de prévention; seules des erreurs
particulièrement lourdes ou répétées, constitutives de violations graves des
devoirs du magistrat, peuvent fonder une suspicion de partialité, pour autant
que les circonstances dénotent que le juge est prévenu ou justifient à tout le
moins objectivement l'apparence de prévention (ATF 138 IV 142 consid. 2.3 p.
146 et les arrêts cités). En effet, la fonction judiciaire, en particulier
celle du magistrat instructeur, oblige à se déterminer rapidement sur des
éléments souvent contestés et délicats. C'est en outre aux juridictions de
recours normalement compétentes qu'il appartient de constater et de redresser
les erreurs éventuellement commises dans ce cadre. La procédure de récusation
n'a donc pas pour objet de permettre aux parties de contester la manière dont
est menée l'instruction et de remettre en cause les différentes décisions
incidentes prises par la direction de la procédure (ATF 138 IV 142 consid. 2.3
p. 146; 116 Ia 135 consid. 3a).

2.2 S'agissant du DVD de l'audition du témoin B.________ réalisée par
X.________, le recourant reproche au Procureur de ne pas lui en avoir remis une
copie alors qu'il avait déclaré lui avoir transmis l'intégralité du dossier le
9 novembre 2012. Le recourant estime aussi que l'appréciation de X.________,
dans ce DVD, selon laquelle le Procureur "ferait avancer les choses" ne
pourrait se comprendre que comme un indice supplémentaire des liens pouvant
exister entre l'association et le magistrat, et pourrait expliquer l'attitude
du magistrat à l'égard de ce DVD.
2.2.1 Le Procureur rappelle que l'existence du DVD était mentionnée dès
l'arrestation du recourant, et celui-ci ne conteste pas en avoir eu
effectivement connaissance. Il explique par ailleurs les raisons pour
lesquelles ce support n'a pas été remis avec le reste du dossier, le 14
novembre 2012, et relève que le dossier s'est trouvé durant une certaine
période en mains du Tribunal fédéral; le magistrat a demandé et obtenu le
retour du dossier et a informé la défense, le 7 décembre 2012, que le DVD
pouvait être consulté; une copie en a été remise le 12 décembre 2012 sous
diverses conditions. Compte tenu de ces explications, on ne saurait reprocher
au Procureur d'avoir dissimulé une quelconque partie du dossier au prévenu, ni
d'en avoir délibérément compliqué la consultation.
2.2.2 Les appréciations de X.________ à propos des représentants successifs du
ministère public ne sauraient engager que leur auteur. Elles ne sont pas
propres à remettre en cause la conclusion à laquelle est parvenu le Tribunal
fédéral dans son arrêt précédent, s'agissant des liens présumés entre le
magistrat et l'association.

2.3 Le recourant reproche aussi au Procureur d'avoir tardé (entre le 26
novembre 2012 et le 8 janvier 2013) à produire la traduction de pièces
nécessaires à sa défense, alors qu'il avait été à même de traduire quelque cent
pages d'allemand en français dans un délai de six jours. Le Procureur relève
que les traductions demandées par le Tmc ont été sollicitées le 6 décembre 2012
et ont été achevées le 21 décembre 2012. Le recourant se contente de reprendre
ses griefs, sans chercher à démontrer que le retard prétendu dans les
traductions l'aurait empêché de faire valoir en temps utile un moyen
particulier.

2.4 Le recourant se plaint ensuite de divers propos tenus par le Procureur: il
aurait considéré X.________ comme une "simple dénonciatrice" et aurait estimé
que les faits de la cause seraient "circonscrits", alors que ces faits sont
complexes et que plusieurs d'entre eux (soit cinq assassinats sur les douze
reprochés au recourant) ne seraient nullement étayés. Même si le rôle de
X.________ semble aller au-delà de celui d'un simple dénonciateur (cf. arrêt du
10 janvier 2013, consid. 3.3.1), on ne voit pas en quoi l'affirmation contraire
dénoterait un parti pris en défaveur du recourant. De même, en qualifiant de
"circonscrits" certains faits, le Procureur n'a pas voulu prétendre que ces
faits étaient d'ores et déjà établis. Il n'y a aucun indice de partialité sur
ce point.

2.5 Le recourant reproche au Procureur de l'avoir mis en prévention pour cinq
assassinats (cas de la prison "El Infiernito"), alors qu'il n'existerait aucun
élément à charge. Conformément à la jurisprudence constante, une simple mise en
prévention (respectivement le prononcé d'une inculpation), ne saurait
constituer un indice de partialité (arrêt 1P.334/2002 du 3 septembre 2002, SJ
2003 I p. 174). Comme cela est relevé ci-dessus, le Procureur n'a pas laissé
entendre qu'il tiendrait ces accusations pour établies; l'instruction ne semble
d'ailleurs pas avoir encore porté sur ces faits.

2.6 Le recourant se plaint aussi de la complaisance dont le Procureur aurait
fait preuve à l'égard du témoin B.________, en ne relevant pas (alors que
l'art. 143 al. 5 CPP le lui impose) les contradictions entre son témoignage, sa
déposition enregistrée et d'autres éléments du dossier. Le témoin avait déclaré
ignorer le contenu de sa déposition enregistrée, et évoqué la possibilité d'un
montage. Le Procureur aurait utilisé des déclarations litigieuses et aurait
repoussé le moment pour le recourant d'en prendre connaissance.
Le Procureur a procédé à une première audition du témoin le 1er septembre 2012.
Il a ensuite consacré trois auditions aux questions de la défense, après que
celle-ci a eu accès au témoignage enregistré. Le recourant a dès lors eu
l'occasion de confondre le cas échéant le témoin, sans que l'on puisse
reprocher au Ministère public de ne pas l'avoir fait à sa place. Il n'y a en
tout cas aucun procédé déloyal, ni aucune violation de l'égalité des armes
susceptible de remettre en cause l'impartialité du magistrat.

2.7 Les derniers griefs du recourant se rapportent au déroulement de l'audience
du 14 décembre 2012. Le Procureur aurait d'abord refusé que l'audition soit
enregistrée. Il aurait ensuite refusé de protocoler une déclaration après que
le témoin s'était ravisé, et refusé de demander à la traductrice si le témoin
avait bien, dans un premier temps, tenu les propos incriminés.
2.7.1 Comme le relève la cour cantonale, les auditions de témoins sont
consignées au procès-verbal (art. 76 al. 1 et 78 CPP); le choix de procéder à
un enregistrement appartient à la direction de la procédure, soit en
l'occurrence le ministère public (art. 76 al. 4 CPP). En l'espèce, le Procureur
expose que rien ne justifiait un enregistrement de l'audience: la salle
d'audition n'était pas équipée pour cela et le témoin avait été entendu à
plusieurs reprises dans la langue de la procédure. Le recourant n'indique pas
les motifs dont il aurait pu se prévaloir a priori pour obtenir un tel
enregistrement.
2.7.2 Quant au terme litigieux dont aurait usé le témoin dans un premier temps
("X. était nu"), le Procureur affirme ne pas l'avoir entendu. Selon le
procès-verbal, les avocats du recourant ont entendu le témoin déclarer que X.
était nu; le Procureur a alors demandé au témoin si tel était le cas; les
avocats sont intervenus pour faire valoir qu'il y avait faux témoignage et que
le Procureur corrigeait les déclarations du témoin. Le Procureur a répondu
qu'il dressait le procès-verbal sous le contrôle de la greffière et qu'il était
"très difficile d'entendre lorsque tout le monde parle en même temps". Il a
refusé que la traductrice soit interrogée sur ce qu'elle avait entendu, dès
lors que son rôle se limitait à traduire, considération qui ne prête pas le
flanc à la critique. Le Procureur a à nouveau posé la question au témoin,
lequel a affirmé que X. était "à moitié nu". Le prévenu et ses avocats ont
encore eu l'occasion d'interroger le témoin sur les contradictions existant
selon eux avec les précédentes déclarations du témoin.
Il ressort de ce qui précède que le Procureur a fait figurer au procès-verbal
l'intégralité de l'incident. Si une question a été reposée au témoin, c'est
parce que le Procureur n'avait pas entendu les propos litigieux, et non pour
permettre au témoin de corriger ses déclarations. Il apparaît que l'audience
s'est déroulée dans un climat tendu, et a été interrompue par de nombreux
incidents. Le Procureur a d'ailleurs décidé d'y mettre un terme à 16h15
(l'audience avait commencé à 9h30) et d'agender une nouvelle audience au mois
de janvier 2013.
Il n'en demeure pas moins que l'ensemble des interventions des parties a été
portée au procès-verbal. Il n'y a aucune dissimulation ou déformation des
déclarations et l'on ne saurait reprocher au Procureur, sur ce point non plus,
un quelconque procédé déloyal.

2.8 En définitive, l'ensemble des griefs soulevés par le recourant consiste en
réalité en une critique systématique de la manière dont le Procureur mène
l'instruction. Sur le vu de ce qui précède, ces griefs sont infondés et c'est
dès lors à juste titre que la cour cantonale a rejeté la deuxième demande de
récusation.

3.
Le recours est par conséquent rejeté. Le recourant a requis l'assistance
judiciaire. Celle-ci peut lui être accordée (la condition de l'indigence peut
être considérée comme réalisée, compte tenu notamment des décisions précédentes
rendues à propos de l'assistance judiciaire - arrêt 1B_46/2013 du 12 mars
2013), quand bien même le sort du recours apparaissait d'emblée incertain. Me
Campá et Baier sont désignés comme avocats d'office, rétribués par la caisse du
Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu de frais judiciaires, ni alloué de dépens.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La demande d'assistance judiciaire est admise. Me Florian Baier et Me Giorgio
Campá sont désignés comme avocats d'office du recourant et leurs honoraires,
supportés par la caisse du Tribunal fédéral, sont fixés à 2'000 francs.

3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton
de Genève, Chambre pénale de recours.

Lausanne, le 19 avril 2013
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Fonjallaz

Le Greffier: Kurz