Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.46/2013
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
1B_46/2013

Arrêt du 12 mars 2013
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges fédéraux Aemisegger, Juge présidant, Merkli et Chaix.
Greffière: Mme Tornay Schaller.

Participants à la procédure
A.________, représenté par Maîtres Giorgio Campá et Florian Baier, avocats,
recourant,

contre

Ministère public du canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy.

Objet
Procédure pénale, nomination d'un second avocat d'office,

recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre
pénale de recours, du 3 janvier 2013.

Faits:

A.
Le 31 août 2012, A.________, ressortissant suisse et guatémaltèque, a été
arrêté dans le cadre d'une enquête pour assassinats conduite par le Ministère
public du canton de Genève (ci-après: le Ministère public). Il lui est reproché
d'avoir exécuté ou fait exécuter douze personnes entre novembre 2005 et
septembre 2006, alors qu'il était Directeur général de la police nationale
civile du Guatemala (PNC). L'instruction genevoise porte sur deux cas. Fin
2005, alors que 19 prisonniers s'étaient évadés de la prison de haute sécurité
"El Infiernito", A.________ aurait, avec notamment des membres du Ministère de
l'intérieur et de la PNC, ordonné l'exécution de cinq des évadés. En juin 2006,
des dirigeants du Ministère de l'intérieur, de l'armée et de la police civile
et pénitentiaire, dont le prénommé, auraient élaboré un plan visant à reprendre
le contrôle de la prison Pavón, qui comptait environ 1'800 détenus et que son
administration ne maîtrisait plus. Dans le cadre de cette opération, le 25
septembre 2006, sept détenus auraient été tués sous le commandement de la PNC
et de l'Armée nationale.
Par courrier du 12 septembre 2012, Me Florian Baier, qui était déjà constitué
pour la défense des intérêts de A.________, a sollicité pour lui l'octroi de
l'assistance judiciaire, avec effet au 18 avril 2011, et, pour son confrère Me
Giorgio Campá, co-constitué dès le 1er septembre 2012. Par ordonnance du 5
novembre 2012, le Ministère public a refusé la prise en charge par l'assistance
judiciaire d'un second conseil et a fait remonter les effets de la nomination
d'office du premier conseil, Me Florian Baier, au 1er septembre 2012.
A.________ a recouru contre cette ordonnance auprès de la Chambre pénale de
recours de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la Cour de
justice). Par arrêt du 3 janvier 2013, celle-ci a dit que la nomination
d'office de Me Florian Baier et les effets de l'octroi de l'assistance
judiciaire remontaient au 31 août 2012 et a rejeté le recours pour le surplus.
Elle a considéré en substance que si les faits reprochés au prévenu étaient
graves, l'aspect volumineux du dossier n'était pas exceptionnel.

B.
Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 3 janvier 2013, d'ordonner la prise en
charge par le canton de Genève de l'activité de deux avocats pour sa défense à
compter du 1er septembre 2012 et de l'activité de Me Florian Baier à compter du
19 avril 2011. Il requiert en outre l'assistance judiciaire.
La Cour de justice se réfère aux considérants de son arrêt et n'a pas
d'observations à formuler. Le Ministère public conclut au rejet du recours.

Considérant en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis.
La décision statuant sur la nomination d'un défenseur d'office constitue une
décision incidente, qui ne met pas fin à la procédure (ATF 129 I 131 consid.
1.1 p. 131). Une telle décision ne peut faire l'objet d'un recours au Tribunal
fédéral que si elle peut causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a
LTF) ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision
finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 93
al. 1 let. b LTF). Cette dernière hypothèse n'entre pas en considération en
l'espèce (cf. ATF 133 IV 288 consid. 3.2 p. 292).
En revanche, le refus de désigner Me Giorgio Campá comme avocat d'office du
recourant aux côtés de Me Florian Baier est de nature à causer un dommage
irréparable en tant qu'elle expose A.________ à devoir assumer les frais
d'intervention de ce mandataire (arrêt 1P.607/2004 du 22 novembre 2004 consid.
1.1).
Les autres conditions de recevabilité étant remplies, il y a lieu d'entrer en
matière sur le fond.

2.
Le recourant prétend que la désignation de deux avocats d'office s'impose pour
la défense de ses intérêts. Il se prévaut des art. 127 al. 2 CPP, 29 al. 2 et 3
et 32 al. 2 Cst., 6 § 1 et § 3 let. c CEDH et art. 14 § 1 et 3 Pacte ONU II.

2.1 Il convient d'emblée de préciser que le droit à être défendu par plusieurs
conseils et le droit à se voir désigner plusieurs conseils d'office au bénéfice
de l'assistance judiciaire ne se confondent pas.
S'agissant du droit à être défendu par plusieurs conseils, l'art. 127 al. 2 CPP
prévoit qu'"une partie peut se faire assister de plusieurs conseils juridiques
pour autant que la procédure n'en soit pas retardée de manière indue. En pareil
cas, elle désigne parmi eux un représentant principal qui est habilité à
accomplir les actes de représentation devant les autorités pénales et dont
l'adresse est désignée comme unique domicile de notification".
En ce qui concerne le droit à se voir désigner plusieurs conseils d'office au
bénéfice de l'assistance judiciaire, la Cour européenne des droits de l'homme a
d'abord admis que l'art. 6 § 3 let. c CEDH ne conférait à l'accusé aucun droit
d'être assisté de plusieurs avocats (arrêt dans la cause Ensslin, Baader, Raspe
contre Allemagne du 8 juillet 1978, Décisions et rapports, vol. 14, § 19). Dans
un arrêt ultérieur, elle a précisé qu'en soi, la désignation de plus d'un
avocat ne se heurtait pas davantage à la Convention et que l'intérêt de la
justice pouvait même parfois la commander (arrêt dans la cause Croissant contre
Allemagne du 25 septembre 1992, Série A, vol. 237-B, § 27). La désignation d'un
deuxième avocat d'office n'est donc pas exclue lorsque cette mesure est
nécessaire pour assurer à l'inculpé une défense adéquate de ses intérêts tout
au long de la procédure, compte tenu de la durée possible de celle-ci, de
l'objet du procès, de la complexité des questions de fait et de droit en jeu et
de la personnalité de l'accusé (arrêt 1P.607/2004 du 22 novembre 2004 consid.
2).
Ainsi, un prévenu se trouvant dans une situation de défense obligatoire doit se
voir nommer un avocat d'office et pouvoir bénéficier, cas échéant, de
l'assistance judiciaire. Il n'a en revanche aucun droit constitutionnel à se
voir désigner un second avocat d'office rémunéré par l'assistance judiciaire,
sauf cas exceptionnel.

2.2 En l'occurrence, il s'agit d'examiner si l'affaire en cause peut être
qualifiée de cas exceptionnel au sens de la jurisprudence précitée.
Le recourant avance d'abord que la gravité des accusations et la durée
envisageable de la procédure (en raison notamment des commissions rogatoires)
imposent la nomination d'un second avocat d'office. A juste titre, la Cour de
justice a considéré que l'envoi et la réception de commissions rogatoires ne
rendaient pas la cause exceptionnelle et que la gravité de la peine à laquelle
s'expose le recourant ne justifiait pas à elle seule l'assistance d'un second
avocat.
S'agissant des faits, le recourant les qualifie "d'une complexité extrême et
exorbitante". Il est vrai qu'une des difficultés du dossier repose dans
l'établissement des faits. La Cour de justice peut toutefois être suivie
lorsqu'elle retient que les faits sont circonscrits, s'agissant de deux
interventions policières relatives au milieu carcéral guatémaltèque à des dates
précisées dans la procédure. Quoiqu'en dise le recourant, le fait que la
défense a choisi de recomposer "la totalité du contexte géographique et
temporel de ce qui s'est déroulé dans l'établissement de Pavón le matin du 25
septembre 2006" et qu'elle a dû fournir un travail d'analyse des nombreux
témoins "en avance de preuve" produits par le Ministère public fait partie des
tâches usuelles incombant à une défense pénale. Cela ne rend pas pour autant la
cause exceptionnelle. En effet, le nombre de témoins n'est pas
extraordinairement élevé. En l'état, le dossier ne comporte pas d'aspects
techniques qui nécessiteraient plusieurs expertises. L'aspect volumineux du
dossier n'est pas non plus hors du commun (15 classeurs fédéraux en l'état,
pièces de forme inclues, dont la présence répétée de certaines pièces provenant
du Guatemala). Il s'agit d'un nombre de pièces usuel dans ce type d'affaire.
Le recourant fait encore valoir que la contribution de Me Giorgio Campá,
maîtrisant l'espagnol, est nécessaire puisque la traduction de certaines pièces
fait défaut. Il perd cependant que vue qu'il a indiqué "souhaiter que Me
Florian Baier prenne sa défense en priorité et Me Giorgio Campá en second lieu"
(cf. ordonnance du Ministère public du 5 novembre 2012), alors qu'il aurait pu
donner la préférence à son avocat hispanophone. Par ailleurs, le recourant ne
peut se prévaloir d'un droit à la traduction intégrale de tous les actes de
procédure et des pièces du dossier (art. 68 al. 2 CPP).
Quant à la qualification juridique des faits en cause, elle n'apparaît pas
particulièrement délicate, pas plus que ne devrait l'être leur qualification au
regard du droit guatémaltèque. On ne voit pas d'emblée de problèmes complexes
de droit comparé, d'entraide pénale internationale, voire de double
incrimination qu'un avocat ne pourrait résoudre seul. Les actes entrepris par
la défense à ce stade - et énumérés dans le mémoire de recours - ne sortent pas
de l'ordinaire d'un procès pénal. Enfin, un seul domaine du droit est concerné,
ce qui ne rend pas nécessaire l'engagement d'un avocat spécialisé pour un volet
du dossier et n'exige pas deux types de compétence distinctes.
L'exposition publique et politique du recourant, ayant exercé une fonction
publique très élevée dans la République du Guatemala, ne permet pas non plus de
justifier l'extension de l'assistance judiciaire requise.
Enfin, la désignation d'un second défenseur en faveur du recourant n'est pas
non plus nécessaire pour respecter le principe de l'égalité des armes entre les
parties puisque le recourant est seul prévenu dans la procédure litigieuse,
conduite par un seul procureur.
Dans ces conditions, l'autorité précédente n'a pas violé les art. 127 al. 2
CPP, 32 al. 2 Cst. et 6 § 1 CEDH en considérant que les conditions d'un cas
exceptionnel n'étaient pas réunies en l'espèce et en refusant de désigner un
second avocat d'office au recourant.

2.3 Le recourant demande également que les effets de l'assistance judiciaire
remontent au 19 avril 2011, date à laquelle il a été entendu en qualité de
personne appelée à donner des renseignements. Partant, il n'expose pas les
motifs justifiant sa requête et ne répond pas à l'argumentation de la Cour de
justice qui avait retenu que l'activité de l'avocat, déployée entre avril 2011
et l'arrestation du recourant à la fin août 2012, nullement décrite, paraissait
avoir été de si peu d'importance qu'elle ne nécessitait pas d'assistance
judiciaire. Dans ces conditions, c'est sans violation du droit fédéral que la
Cour de justice a refusé une prise d'effet de l'assistance judiciaire au 19
avril 2011.

3.
Il s'ensuit que le recours est rejeté. Le recourant a demandé l'assistance
judiciaire et les conditions en paraissent réunies (art. 64 al. 1 LTF). Il y a
lieu de désigner Me Florian Baier et Me Giorgio Campá en qualité d'avocats
d'office et de fixer leurs honoraires, qui seront supportés par la caisse du
Tribunal fédéral (art. 64 al. 2 LTF). Cette désignation, fondée sur la LTF et
limitée à l'instance fédérale, est indépendante de la nomination d'avocat
d'office pour la procédure cantonale, octroyée sur la base du CPP. Le recourant
est en outre dispensé des frais judiciaires (art. 64 al. 1 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

3.
La demande d'assistance judiciaire est admise. Me Florian Baier et Me Giorgio
Campá sont désignés comme avocats d'office du recourant et leurs honoraires,
supportés par la caisse du Tribunal fédéral, sont fixés à 1'500 francs.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires du recourant, au Ministère
public et à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice du canton de
Genève.

Lausanne, le 12 mars 2013
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Juge présidant: Aemisegger

La Greffière: Tornay Schaller