Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.33/2013
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
1B_33/2013

Arrêt du 19 mars 2013
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges fédéraux Aemisegger, Juge présidant,
Eusebio et Chaix.
Greffière: Mme Tornay Schaller.

Participants à la procédure
X.________,
représenté par Me Nicola Meier, avocat,
recourant,

contre

Ministère public du canton de Genève,
Tribunal des mineurs du canton de Genève.

Objet
Consultation par le Ministère public de l'intégralité des procédures concernant
le recourant auprès du Tribunal des mineurs,

recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre
pénale de recours, du 17 décembre 2012.

Faits:

A.
X.________, né en 1991, est en détention provisoire depuis le 21 septembre 2011
sous les préventions de tentative de meurtre, de contrainte sexuelle, de viol,
de lésions corporelles simples, de mise en danger de la vie d'autrui et
d'injure.

Le rapport d'expertise psychiatrique du prénommé établi le 26 mars 2012 par le
Centre universitaire romand de médecine légale - notamment sur la base de la
consultation du dossier de l'intéressé auprès de la juridiction des mineurs -
conclut à une "psychopathie perverse et sadique" et à une probabilité très
élevée de récidive. Le 28 septembre 2012, le Ministère public du canton de
Genève (ci-après: le Ministère public) a requis auprès du Tribunal des mineurs
du canton de Genève l'autorisation de consulter l'intégralité des procédures
relatives à X.________, instruites et jugées par la juridiction des mineurs,
afin de mieux comprendre "la personnalité du prévenu et les actes qui lui
étaient reprochés dans la présente procédure". Malgré l'opposition de
l'intéressé, le Tribunal des mineurs a fait droit à cette requête, par
ordonnance du 5 novembre 2012.

Par arrêt du 17 décembre 2012, la Chambre pénale de recours de la Cour de
justice du canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) a rejeté le recours
formé par X.________ contre cette ordonnance. Elle a considéré en substance que
l'intérêt public, voire la sécurité publique, l'emportait sur la protection
dont l'intéressé a bénéficié en tant que délinquant mineur, en raison notamment
de la gravité des actes qui lui sont reprochés, de la nature de ses affections
psychiques, de sa dangerosité et du risque de récidive qu'il présentait.

B.
Agissant par la voie du recours en matière pénale, X.________ demande
principalement au Tribunal fédéral d'annuler l'ordonnance du 5 novembre 2012 et
de rejeter la requête du Ministère public en consultation de l'intégralité des
procédures le concernant auprès de la juridiction des mineurs. Il conclut
subsidiairement à la limitation de la consultation desdites procédures aux
seules condamnations, voire au renvoi de la cause devant le Tribunal des
mineurs pour nouvelle décision au sens des considérants. Il requiert également
l'assistance judiciaire.

Le Ministère public conclut au rejet du recours. La Cour de justice et le
Tribunal des mineurs se réfèrent aux considérants de l'arrêt attaqué et
renoncent à formuler des observations.
Par ordonnance du 19 février 2013, le Juge présidant de la Ire Cour de droit
public a admis la requête d'effet suspensif présentée par le recourant.

Considérant en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis.

Dans le cadre d'une procédure pénale, la décision statuant sur la possibilité
de consulter les procédures instruites et jugées par le Tribunal des mineurs
constitue une décision rendue en matière pénale au sens de l'art. 78 al. 1 LTF.
Il s'agit d'une décision incidente, qui ne met pas fin à la procédure. Le
recours devant le Tribunal fédéral n'est dès lors recevable qu'aux conditions
de l'art. 93 al. 1 LTF, soit notamment en présence d'un préjudice irréparable
(art. 93 al. 1 let. a LTF; l'hypothèse prévue à l'art. 93 al. 1 let. b LTF est
manifestement inapplicable). En droit pénal, il doit s'agir d'un préjudice de
nature juridique, à savoir qu'il n'est pas susceptible d'être supprimé par une
décision ultérieure favorable au recourant (ATF 137 IV 172 consid. 2.1 p. 173).

En l'espèce, il n'est pas certain que la transmission de l'intégralité des
procédures concernant le recourant au Ministère public soit de nature à causer
un dommage irréparable. La question peut toutefois demeurer indécise, vu
l'issue du recours.

2.
Le recourant se plaint d'une violation de l'art. 194 CPP et du principe de la
proportionnalité. Il invoque également l'art. 13 Cst. et l'art. 8 CEDH.

2.1 A teneur de l'art. 194 al. 1 CPP, le ministère public et les tribunaux
requièrent les dossiers d'autres procédures lorsque cela est nécessaire pour
établir les faits ou pour juger le prévenu. Cet article prévoit l'obligation de
principe pour les autorités judiciaires et administratives d'ouvrir leurs
dossiers aux autorités pénales (Isabelle Poncet Carnicé, in Commentaire romand,
Code de procédure pénale suisse, 2011, ad art. 194 CPP n° 3).

L'alinéa 2 de l'art. 194 CPP précise que les autorités administratives et
judiciaires autorisent la consultation de leurs dossiers lorsqu'aucun intérêt
public ou privé prépondérant au maintien du secret ne s'y oppose. L'intérêt
privé justifiant le maintien du secret comprend notamment la protection des
mineurs (Isabelle Poncet Carnicé, op. cit., n° 15).

Les intérêts publics et privés doivent être mis en balance avec l'intérêt de
l'autorité pénale d'avoir accès aux informations contenues dans le dossier dont
la consultation ou la production est demandée, conformément au principe de la
proportionnalité (Isabelle Poncet Carnicé, op. cit., n° 13; Martin Bürgisser,
in Basler Kommentar, Schweizerische Strafprozessordnung, 2011, ad art. 194 CPP,
n° 13). A cet égard, le Message rappelle que "les autorités peuvent refuser de
[produire les documents demandés] lorsqu'un intérêt public ou privé
prépondérant au maintien du secret s'y oppose. Toutefois, ce refus doit être
considéré comme une ultima ratio. Il y a lieu, dans chaque cas, d'examiner si
des mesures moins radicales ne permettraient pas, malgré tout, de sauvegarder
cet intérêt (on pourrait, par exemple, retirer certaines pièces du dossier ou
encore masquer certains passages ou noms figurant dans les documents)" (Message
relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF
2006 1195).

2.2 En l'occurrence, le recourant ne prétend pas que la condition de l'art. 194
al. 1 CPP ne serait pas remplie. En effet, il ne critique pas les motifs
invoqués par le Ministère public pour justifier sa requête, à savoir la
nécessité de connaître très précisément les précédents comportements de même
nature que ceux pour lesquels l'intéressé est aujourd'hui détenu, afin
d'établir les faits ou de le juger.

La contestation porte uniquement sur l'existence ou non d'un intérêt privé ou
public prépondérant s'opposant à ce que le Ministère public consulte
l'intégralité des procédures concernant le recourant auprès du Tribunal des
mineurs.
2.2.1 Le recourant prétend que son intérêt à maintenir confidentiel son dossier
auprès du Tribunal des mineurs ainsi que l'intérêt public à ne pas dévoiler les
procédures des mineurs l'emporteraient sur l'intérêt public "à faciliter
l'audition de l'experte et à mieux appréhender la personnalité du prévenu", ce
d'autant plus que l'experte a déjà pris connaissance du dossier lors de
l'établissement de son rapport.

Au contraire, la Cour de justice a considéré que le secret qui a entouré les
procédures d'un mineur devait céder le pas à la transparence lorsque les
infractions commises en tant que majeur sont graves ou de même nature que
celles perpétrées avant l'âge de 18 ans ou lorsqu'il existait un risque de
récidive. Elle a jugé que dans chacun de ces cas, l'intérêt public, voire la
sécurité publique, devait l'emporter sur l'intérêt privé au maintien du secret
dont le majeur a bénéficié lorsqu'il était mineur; tel était le cas en l'espèce
où l'intérêt public voire la sécurité publique l'emportait nettement sur la
protection dont l'intéressé a bénéficié en tant que délinquant mineur, en
raison de la gravité de certains des actes reprochés, de la nature des
affections psychiques du recourant, de sa dangerosité et du risque de récidive
qu'il présentait.
2.2.2 La pesée des intérêts opérée par la Cour de justice ne prête pas le flanc
à la critique. En effet, les infractions retenues dans la présente procédure
sont non seulement très graves - s'agissant notamment de tentative de meurtre,
de contrainte sexuelle et de viol - mais aussi de même nature que celles
commises par le prévenu avant sa majorité. S'ajoutent à cela le risque de
récidive, qualifié de très élevé, et le profil psychiatrique de l'intéressé. De
plus, l'art. 47 CP impose de connaître les antécédents et la situation
personnelle du prévenu pour fixer la peine.

Au demeurant, le recourant ne remet pas en cause la pesée des intérêts opérée
par l'instance précédente de manière convaincante. Les art. 14 et 15 de loi
fédérale sur la procédure pénale applicable aux mineurs du 20 mars 2009 (PPMin;
RS 312.1), dont il se prévaut, ne sont d'aucune utilité: d'une part, ils se
rapportent à l'accès au dossier en cours de procédure devant le Tribunal des
mineurs; d'autre part, le recourant, âgé aujourd'hui de 21 ans, ne peut plus se
prévaloir de la protection accordée aux mineurs. C'est également en vain que le
prévenu fait valoir, de manière générale, les art. 13 Cst. et 8 CEDH.

2.3 Le recourant sollicite de façon subsidiaire, en vertu du principe de la
proportionnalité, un accès aux seules anciennes condamnations. Il se prévaut de
l'ATF 135 IV 87, "quand bien même il n'a pas d'objet identique à celui du cas
d'espèce", dans lequel "il est procédé à une analyse du principe de la
proportionnalité en lien avec le droit des mineurs et les protections qui en
découlent". Contrairement à ce que soutient le recourant, cet arrêt ne traite
pas du principe de la proportionnalité. Il règle la question des inscriptions
radiées du casier judiciaire, alors qu'en l'espèce les condamnations de
l'intéressé auprès de la juridiction des mineurs n'ont pas été radiées. Or,
pour les motifs exposés au considérant précédent, la transmission des seules
condamnations de l'intéressé par la juridiction des mineurs n'est pas
susceptible de sauvegarder la sécurité publique.

Il s'ensuit que le recours doit être rejeté.

3.
Largement appellatoire, le recours était dénué de chances de succès.
L'assistance judiciaire doit être refusée (art. 64 al. 1 LTF). Compte tenu de
la situation du prévenu - détenu depuis septembre 2011 -, il peut toutefois
être renoncé, à titre exceptionnel, à la perception de frais judiciaires (art.
66 al. 1 in fine LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La requête d'assistance judiciaire est refusée.

3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

4.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public
du canton de Genève, au Tribunal des mineurs du canton de Genève et à la Cour
de justice du Genève, Chambre pénale de recours.

Lausanne, le 19 mars 2013

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Juge présidant: Aemisegger

La Greffière: Tornay Schaller