Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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II. Sozialrechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 9C 72/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
9C_72/2012

Arrêt du 21 août 2012
IIe Cour de droit social

Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux U. Meyer, Président, Kernen et Glanzmann.
Greffier: M. Hichri.

Participants à la procédure
Office cantonal genevois de l'assurance-invalidité, rue de Lyon 97, 1203
Genève,
recourant,

contre

A.________,
représenté par Me Jean-Luc Marsano, avocat,
intimé.

Objet
Assurance-invalidité (rente d'invalidité),

recours contre le jugement de la Cour de justice de la République et canton de
Genève, Chambre des assurances sociales, du 30 novembre 2011.

Faits:

A.

A.a Par décision sur opposition du 19 mai 2005, l'Office de
l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après: l'office AI) a refusé le
droit à des prestations de l'assurance-invalidité à A.________, né en 1954. En
résumé, il a considéré que l'incapacité de gain de l'assuré était due à une
polytoxicomanie primaire, laquelle n'était pas invalidante au sens de la loi.
A.b Le 18 mai 2007, A.________ a déposé une nouvelle demande de prestations de
l'assurance-invalidité en invoquant une aggravation de son état de santé. Il y
a joint le rapport du docteur N.________, spécialiste FMH en psychiatrie et
psychothérapie, et médecin traitant, du 29 septembre 2006. Celui-ci avait posé
les diagnostics, ayant des répercussions sur la capacité de travail, de
troubles mentaux liés à l'utilisation d'opiacés, syndrome de dépendance depuis
1980 (F12.22), et d'épisode dépressif majeur depuis 2003 (F32.2). Il avait
conclu à une incapacité totale de travail depuis 2004.
Par décision du 25 janvier 2008, l'office AI a refusé d'entrer en matière sur
la demande. Sur recours de l'assuré, le Tribunal cantonal des assurances
sociales du canton de Genève (aujourd'hui, Cour de justice de la République et
canton de Genève, Chambre des assurances sociales) a, par jugement du 9 octobre
2008, renvoyé la cause à l'office AI pour qu'il entre en matière sur la demande
et rende une nouvelle décision.
A.c L'office AI a repris l'instruction de la cause et mandaté la doctoresse
I.________, spécialiste FMH en pneumologie, et le docteur U.________,
spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, médecins auprès de
X.________, pour examiner l'assuré. Le 24 juillet 2009, ceux-ci ont mentionné
que l'utilisation des toxiques était la conséquence d'une vulnérabilité
psychique présente dès l'enfance (polytoxicomanie secondaire). Ils ont conclu
que la capacité de travail de l'assuré était nulle dans toute activité depuis
2005 sur le plan somatique et probablement depuis 2003 sur le plan psychique.
Par décision du 12 novembre 2009, l'office AI a reconnu le droit à une rente
entière d'invalidité à partir du 1er juillet 2009 à A.________. Après que ce
dernier a interjeté un recours auprès de la Cour de justice de la République et
canton de Genève, Chambre des assurances sociales, tendant au versement de
cette prestation à une date antérieure, l'office AI a annulé sa décision le 21
décembre 2009. Au vu des arguments que l'assuré avait soulevés, l'office AI l'a
soumis à un examen auprès du Service médical régional (SMR). Le docteur
C.________, spécialiste FMH en psychiatrie, et la doctoresse V.________,
spécialiste FMH en pneumologie, qui a apprécié la situation médicale sur
documents, ont conclu que l'assuré présentait une incapacité totale de travail
dans toute activité depuis 2008 liée à des troubles cognitifs dus à une
toxicomanie de longue durée et à une insuffisance respiratoire globale.
L'office AI s'est fondé sur ce rapport et, par décision du 19 avril 2011, a
reconnu à l'assuré le droit à une rente entière d'invalidité, basée sur un
degré d'invalidité de 100 %, à partir du 1er janvier 2009.

B.
A.________ a déféré cette décision à la Cour de justice de la République et
canton de Genève, Chambre des assurances sociales, qui a admis son recours par
jugement du 30 novembre 2011 et lui a reconnu le droit à une rente entière
d'invalidité à partir du 24 mars 2004.

C.
L'office AI interjette un recours en matière de droit public contre ce
jugement. Il conclut à son annulation et à la confirmation de sa décision du 19
avril 2011. Il requiert également l'effet suspensif à son recours, ce qui lui
est partiellement accordé par ordonnance du 19 mars 2012.
Invités à se déterminer, l'assuré ne s'exprime pas sur le fond du recours et
l'Office fédéral des assurances sociales (OFAS) ne se prononce pas.

Considérant en droit:

1.
Le Tribunal fédéral statue en principe sur la base des faits établis par
l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sous réserve des cas prévus à
l'art. 105 al. 2 LTF. Le recourant ne peut critiquer la constatation de faits
importants pour le jugement de la cause que si ceux-ci ont été établis en
violation du droit au sens de l'art. 95 LTF ou de manière manifestement
inexacte (art. 97 al. 1 LTF), c'est-à-dire arbitraire, et si la correction du
vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (ATF 134 V 53 consid.
4.3 p. 62 et les références). Il appartient au recourant de démontrer le
caractère arbitraire par une argumentation répondant aux exigences de l'art. 42
al. 2 LTF, respectivement de l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 133 II 249 consid. 1.4.3
p. 254 s.).

2.
Le litige porte sur le droit de l'intimé à une rente d'invalidité du 24 mars
2004 au 31 décembre 2008 - le droit à la prestation accordée au-delà de cette
date n'est pas contesté -, en particulier sur l'existence d'une atteinte à la
santé psychique invalidante.

3.
Le jugement entrepris expose correctement les dispositions légales et la
jurisprudence sur les notions d'invalidité (et son évaluation) et d'atteinte à
la santé psychique due à une dépendance (alcoolisme, toxicomanie ou
pharmacodépendance), ainsi que les principes jurisprudentiels relatifs à
l'appréciation des preuves, à la valeur probante des rapports médicaux et à la
révision (procédurale). Il suffit d'y renvoyer.
On précisera que la situation de fait doit faire l'objet d'une appréciation
globale incluant aussi bien les causes que les conséquences de la dépendance,
ce qui implique de tenir compte d'une éventuelle interaction entre dépendance
et comorbidité psychiatrique. Pour que soit admise une invalidité du chef d'un
comportement addictif, il est nécessaire que la comorbidité psychiatrique à
l'origine de cette dépendance présente un degré de gravité et d'acuité
suffisant pour justifier, en soi, une diminution de la capacité de travail et
de gain, qu'elle soit de nature à entraîner l'émergence d'une telle dépendance
et qu'elle contribue pour le moins dans des proportions considérables à cette
dépendance. Si la comorbidité ne constitue qu'une cause secondaire à la
dépendance, celle-ci ne saurait être admise comme étant la conséquence d'une
atteinte à la santé psychique. S'il existe au contraire un lien de causalité
entre l'atteinte maladive à la santé psychique et la dépendance, la mesure de
ce qui est exigible doit alors être déterminée en tenant compte de l'ensemble
des limitations liées à la maladie psychique et à la dépendance (arrêts du
Tribunal fédéral 9C_960/2009 du 24 février 2010 consid. 2.2; 9C_395/2007 du 15
avril 2008 consid. 2.2; sur l'ensemble de la question, cf. arrêt I 169/06 du 8
août 2006, consid. 2.2 et les arrêts cités).

4.
Se fondant sur le rapport des médecins auprès de X.________ du 24 juillet 2009
auquel elle a accordé valeur probante, la juridiction cantonale a constaté que
l'assuré présentait une incapacité totale de travail depuis le 24 mars 2003 sur
le plan psychiatrique et que les médecins avaient mis en évidence des faits
nouveaux permettant de retenir une toxicomanie secondaire. Elle a donc procédé
à une révision (procédurale) de la décision du 18 mars 2005, par laquelle
l'office AI avait nié le droit à des prestations à l'assuré, et a reconnu à ce
dernier le droit à une rente entière d'invalidité à partir du 24 mars 2004.

5.

5.1 Le recourant reproche en premier lieu à la juridiction cantonale d'avoir
procédé à une constatation manifestement inexacte des faits pertinents
consécutive à une appréciation arbitraire des moyens de preuves. Il soutient
que les médecins auprès de X.________ n'ont pas retenu de trouble de la
personnalité entravant la capacité de travail de l'assuré et que les troubles
psychiques diagnostiqués ne constituent pas des comorbidités psychiatriques
graves. Il avance aussi que le trouble de la personnalité n'a pas empêché
l'assuré d'achever sa scolarité obligatoire, d'obtenir un certificat fédéral de
capacité (CFC) de mécanicien et d'exercer des activités professionnelles
jusqu'en 2003. Il en déduit que les premiers juges ne pouvaient pas se fonder
sur les conclusions du rapport des médecins auprès de X.________ et retenir que
l'intimé souffrait de troubles psychiques constitutifs d'une comorbidité
psychiatrique grave à l'origine de sa toxicomanie.

5.2 A cet égard, le Tribunal fédéral n'examine le résultat de l'appréciation
des preuves à laquelle a procédé l'autorité cantonale de recours que sous
l'angle restreint de l'arbitraire. L'appréciation des preuves est arbitraire
lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans raison sérieuse, un élément de
preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur
son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments
recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 129 I 8 consid.
2.1 p. 9; arrêt du Tribunal fédéral 1B_149/2011 du 4 mai 2011 consid. 4.1, non
publié in ATF 137 IV 186).
5.3

5.3.1 Dans leur rapport du 24 juillet 2009, les médecins auprès de X.________
ont posé, sur le plan psychiatrique, les diagnostics de dépendance à l'alcool,
utilisation continue (F10.25), de dépendance au cannabis, utilisation continue
(F12.25), et de dépendance aux opiacés, actuellement en régime de substitution
(méthadone) sous surveillance médicale (F11.22). Ils ont considéré que les
multiples dépendances s'étaient développées sur un terrain psychologique
manifestement fragile, caractérisé par une grande faiblesse, une anxiété
sociale majeure et un comportement dépendant, non seulement par rapport aux
substances toxiques dès l'adolescence, mais aussi dans la vie affective et
relationnelle de l'assuré. L'anxiété sociale avait probablement atteint le
degré d'anxiété cliniquement significative. L'usage des toxiques avait
cependant fait passer l'angoisse sociale au second plan. Les médecins ont alors
retenu le diagnostic de trouble multiple de la personnalité avec traits évitant
et dépendants (F61) en constatant la vulnérabilité structurelle qui infiltrait
le comportement de l'assuré depuis le début de l'âge adulte, notamment la
dépendance et l'évitement. Ils ont aussi posé le diagnostic de trouble
dépressif récurrent, épisode actuel moyen avec syndrome somatique (F33.11),
compte tenu d'une humeur fluctuante depuis le début de l'âge adulte et des
épisodes dépressifs documentés par la doctoresse T.________ en 2003 et le
docteur N.________ en 2006. Ils ont encore déclaré que tous les diagnostics
étaient présents depuis la fin de l'adolescence et qu'ils se répercutaient sur
la capacité de travail.
5.3.2 A la lecture du rapport des médecins auprès de X.________, on constate
qu'ils n'ont en l'espèce pas mis en évidence une comorbidité psychiatrique
d'une gravité telle qu'elle puisse justifier, en soi, une diminution de la
capacité de travail et de gain, au sens de la jurisprudence (cf. consid. 3
supra). En effet, ils ont mentionné que les dépendances s'étaient développées
sur un terrain psychologique fragile et que l'anxiété sociale avait
probablement atteint le degré d'anxiété cliniquement significative. Ils n'ont
cependant pas expliqué en quoi ces éléments (humeur fragile, anxiété chronique)
seraient constitutifs d'un trouble multiple de la personnalité. De plus, même
s'ils ont posé ce diagnostic au vu de la vulnérabilité structurelle de
l'assuré, les médecins n'ont pas mentionné que celui-ci justifiait, en soi, une
incapacité de travail. En d'autres termes, ils n'ont pas exposé en quoi ce
trouble aurait été d'une gravité particulière pour entraîner, en soi, une
incapacité de travail depuis 2003, alors que l'humeur fragile et l'anxiété
chronique étaient demeurées sans conséquence depuis l'adolescence, l'assuré
ayant été en mesure d'achever sa scolarité obligatoire, d'obtenir un CFC de
mécanicien et d'exercer des activités professionnelles jusqu'en 2003.
Par ailleurs, les médecins auprès de X.________ n'ont pas retenu de lien entre
le trouble de la personnalité et l'incapacité de travail. Ils ont en effet
observé que cette dernière était uniquement engendrée par une diminution des
facultés cognitives (attention, concentration) - due par l'imprégnation par les
toxiques, surtout l'alcool - et de la motivation en raison de la dépression.
Ainsi, comme le relève le recourant avec raison, il n'existe aucun indice
permettant d'admettre une gravité intrinsèque du trouble de la personnalité et
le rôle que celui-ci aurait joué dans le développement et la fixation de
l'addiction. Les constatations médicales de X.________ ne sont donc pas
suffisantes pour en déduire que la dépendance de l'assuré résultait d'une
atteinte à la santé psychique entraînant une incapacité de travail, au sens de
la jurisprudence.
La juridiction cantonale ne pouvait donc pas suivre les conclusions des
médecins auprès de X.________ et retenir que l'assuré avait présenté une
incapacité totale de travail sur le plan psychiatrique depuis le 24 mars 2003
en raison de sa dépendance. Cela étant, il n'existe aucun autre rapport médical
au dossier permettant de retenir une toxicomanie secondaire qui entraînerait
une telle incapacité de travail avant 2008. Le recourant ne présentait donc
aucune atteinte à la santé psychique invalidante avant cette date.

6.
Le recours se révèle par conséquent bien fondé et le jugement doit être annulé.
Dans ces conditions, le grief du recourant portant sur la révision
(procédurale) de la décision du 18 mars 2005 (recte: 19 mai 2005) à laquelle la
juridiction cantonale a procédé n'a pas à être examiné.

7.
L'office AI obtient gain de cause. La procédure étant onéreuse, les frais
judiciaires sont à la charge de l'intimé qui succombe (art. 66 al. 1 LTF en
relation avec l'art. 65 al. 4 let. a LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et le jugement de la Cour de justice de la République et
canton de Genève, Chambre des assurances sociales, du 30 novembre 2011 est
annulé.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge de l'intimé.

3.
La cause est renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision sur les
frais judiciaires et les dépens de la procédure cantonale.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la
République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et à l'Office
fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 21 août 2012
Au nom de la IIe Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Meyer

Le Greffier: Hichri