Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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II. Sozialrechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 9C 667/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
9C_667/2012

Arrêt du 16 novembre 2012
IIe Cour de droit social

Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux U. Meyer, Président, Kernen et Pfiffner Rauber.
Greffière: Mme Moser-Szeless.

Participants à la procédure
Office cantonal genevois de l'assurance-invalidité, rue des Gares 12, 1201
Genève,
recourant,

contre

S.________,
représentée par Me Daniel Meyer, avocat,
intimée.

Objet
Assurance-invalidité (rente d'invalidité),

recours contre le jugement de la Cour de justice de la République et canton de
Genève, Chambre des assurances sociales, du 26 juin 2012.

Faits:

A.
S.________ exerçait l'activité d'aide-soignante au service de l'Hôpital
X.________ depuis le 1er septembre 1988. En 2004, la prénommée a présenté à
diverses reprises une incapacité totale ou partielle de travail pour cause de
maladie. Dès le 24 février 2005, elle a été mise en arrêt de travail à un taux
de 50 % par le docteur B.________, spécialiste en rhumatologie et médecin
traitant, en raison d'une fibromyalgie et d'un état dépressif (rapport du 13
juin 2005). Le 1er juin 2005, S.________ a déposé une demande de prestations de
l'assurance-invalidité, que l'Office cantonal genevois de
l'assurance-invalidité (ci-après: Office AI) a rejetée par décision du 23
juillet 2008.

B.
B.a A la suite des recours successifs de l'assurée contre cette décision, puis
de l'office AI contre le jugement rendu le 30 novembre 2009 par le Tribunal
cantonal des assurances sociales de la République et canton de Genève
(aujourd'hui, Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des
assurances sociales), le Tribunal fédéral a annulé ce jugement et renvoyé la
cause à la juridiction cantonale pour instruction complémentaire au sens des
considérants et nouvelle décision (arrêt 9C_72/2010 du 24 juin 2010).
B.b Conformément aux considérants de l'arrêt du Tribunal fédéral, selon
lesquels une expertise pluridisciplinaire devait être mise en oeuvre, la
juridiction cantonale a chargé les docteurs A.________, spécialiste FMH en
psychiatrie et psychothérapie, et R.________, spécialiste FMH en rhumatologie,
d'examiner S.________.
Après avoir rendu un rapport commun parvenu au greffe de la juridiction
cantonale le 5 octobre 2011, les experts ont été entendus le 10 janvier 2012
par la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice genevoise. Le 26
juin 2012, celle-ci a admis le recours de l'assurée; annulant la décision
administrative du 23 juillet 2008, elle lui a reconnu le droit à une demi-rente
d'invalidité dès le 1er février 2006, majorée d'un intérêt de 5 % dès le 1er
février 2008, au sens des considérants.

C.
L'office AI interjette un recours en matière de droit public contre ce jugement
dont il demande l'annulation, en concluant à la confirmation de sa décision du
23 juillet 2008. Il sollicite en outre l'octroi de l'effet suspensif à son
recours.
S.________ conclut au rejet du recours, sous suite de frais et dépens, tandis
que l'Office fédéral des assurances sociales ne s'est pas déterminé.

Considérant en droit:

1.
Le recours en matière de droit public (art. 82 ss LTF) peut être formé pour
violation du droit selon l'art. 95 sv. LTF. Le Tribunal fédéral statue en
principe sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al.
1 LTF), sous réserve des cas prévus à l'art. 105 al. 2 LTF. Cette disposition
lui donne la faculté de rectifier ou compléter d'office l'état de fait de
l'arrêt attaqué dans la mesure où des lacunes ou erreurs dans celui-ci lui
apparaîtraient d'emblée comme manifestes. Quant au recourant, il ne peut
critiquer la constatation de faits importants pour le jugement de la cause que
si ceux-ci ont été constatés en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF ou
de manière manifestement inexacte (art. 97 al. 1 LTF).

2.
Le litige porte sur le droit de l'intimée à une demi-rente d'invalidité à
partir du 1er février 2006 tel que reconnu par la juridiction cantonale. A cet
égard, le jugement entrepris expose de manière exhaustive les règles légales et
la jurisprudence applicables en l'espèce, en particulier les principes
jurisprudentiels sur les conditions dans lesquelles un trouble somatoforme
douloureux, respectivement une fibromyalgie peuvent présenter un caractère
invalidant; il suffit donc d'y renvoyer.

3.
Se fondant sur l'expertise des docteurs A.________ et R.________, la
juridiction cantonale a constaté que l'intimée, atteinte de fibromyalgie, d'un
trouble dépressif moyen et d'un RLS ("Restless legs syndrome", syndrome
d'impatiences des jambes objectivées), ne disposait pas des ressources
nécessaires pour travailler à plus de 50 %, le maintien de son emploi (à 50 %)
permettant d'éviter une aggravation de son état de santé et de limiter son
invalidité. L'activité habituelle de l'assurée, qu'elle avait pu continuer à
exercer grâce aux ajustements du poste de travail effectués par son employeur,
étant adaptée, le taux d'incapacité de travail se confondait avec le degré
d'invalidité. L'intimée avait en conséquence droit à une demi-rente
d'invalidité à partir du 1er février 2006 (l'incapacité de travail déterminante
ayant débuté en février 2005).

4.
Invoquant tout d'abord le grief de l'appréciation arbitraire des preuves, le
recourant reproche aux premiers juges d'avoir suivi une expertise judiciaire
qui serait entachée de défauts majeurs dus à l'absence de motivation et aux
contradictions de ses conclusions.

4.1 En principe, le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des conclusions
d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de
mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de
l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la
jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une expertise
judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une
surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière
convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions
contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de
l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des
conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction
complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 125 V 352
consid. 3b/aa et les références).
Par ailleurs, lorsque, comme en l'occurrence, l'autorité cantonale juge
l'expertise judiciaire concluante et en fait sien le résultat, le Tribunal
fédéral n'admet le grief d'appréciation arbitraire que si l'expert n'a pas
répondu aux questions posées, si ses conclusions sont contradictoires ou si,
d'une quelconque autre façon, l'expertise est entachée de défauts à ce point
évidents et reconnaissables, même sans connaissances spécifiques, que le juge
ne pouvait tout simplement pas les ignorer. Il n'appartient pas au Tribunal
fédéral de vérifier si toutes les affirmations de l'expert sont exemptes
d'arbitraire; sa tâche se limite bien plutôt à examiner si l'autorité intimée
pouvait, sans arbitraire, se rallier au résultat de l'expertise (arrêt 4P.263/
2003 du 1er avril 2004, consid. 2.1; voir également ATF 125 V 351 consid. 3b/aa
p. 352 et les références).

4.2 L'expertise judiciaire mise en oeuvre par la juridiction cantonale auprès
des docteurs A.________ et R.________ avait pour but de départager les
conclusions divergentes des médecins qui s'étaient exprimés sur les atteintes à
la santé dont souffrait l'assurée et les conséquences de celles-ci sur la
capacité de travail, l'intervention des experts ayant pour objet "de se
déterminer notamment sur la présence d'un trouble dépressif en rapport, le cas
échéant, avec une fibromyalgie ainsi que sur les effets du RLS." (arrêt 9C_72/
2010 consid. 4, en particulier 4.3).
Contrairement à ce que prétend le recourant, l'évaluation globale qu'ont faite
les experts A.________ et R.________ de l'état de santé de l'intimée permet de
lever les controverses antérieures, puisqu'ils se sont prononcés sur les trois
atteintes en cause, en expliquant les raisons qui les ont amenés à retenir
qu'elles induisaient chez l'assurée une incapacité de travail de 50 %. En
particulier, les experts ont indiqué les motifs pour lesquels ils s'écartaient
des conclusions divergentes du docteur I.________, psychiatre du Service
médical régional de l'assurance-invalidité, qui avait attesté par le passé une
capacité de travail entière. On ne saurait en outre voir une "contradiction" -
mais tout au plus une imprécision ou un oubli - en ce que les experts n'ont pas
indiqué sous le titre "Diagnostics" de leur rapport celui de syndrome des
mouvements périodiques des jambes, alors qu'ils ont tenu compte de cette
atteinte dans leur appréciation des limitations fonctionnelles et de
l'incapacité de travail de l'assurée. Il ressort en effet clairement de la
cinquième partie de l'expertise (5. Réponses aux questions) que les docteurs
A.________ et R.________ ont retenu ce diagnostic, puisqu'ils en font état
comme l'une des pathologies limitant la capacité de travail de l'assurée. Leurs
déclarations subséquentes devant la juridiction cantonale sont encore plus
éloquentes à ce sujet: les experts ont renoncé au concours d'un neurologue,
puisque le "tableau clinique était clair", et indiqué que le "RLS est un
trouble distinct de la fibromyalgie et de la dépression mais qu'il l'amplifie",
le docteur R.________ précisant qu'il était difficile, en présence de "trois
pathologies intriquées" d'attribuer séparément à chacune d'elles une partie des
conséquences sur l'état de l'intimée (procès-verbal du 10 janvier 2012).
On ajoutera que l'argument du recourant, selon lequel le RLS n'aurait pas
empêché l'assurée de travailler pendant des années tombe à faux, puisqu'il
ressort des déclarations des experts que cette atteinte influence négativement,
en raison de la survenance de la fibromyalgie, la capacité de travail de
l'intéressée. Quant à la critique du recourant relative à la classification
sous "Diagnostics rhumatologiques" du tableau clinique de fibromyalgie, elle
n'est pas non plus pertinente: la controverse dont fait l'objet le diagnostic
de fibromyalgie dans la communauté médicale n'a pas à être tranchée sur le plan
juridique, seul étant décisif que le diagnostic posé par un médecin, quel que
soit le courant médical dont il se réclame, s'appuie lege artis sur les
critères de classification reconnu (ATF 132 V 65 consid. 3.4 p. 69), ce qui est
le cas en l'espèce.
En conséquence, l'argumentation du recourant ne met pas en évidence de
contradictions ou un défaut manifeste dans l'expertise qui commanderaient de
s'en écarter à ce stade, de sorte que le motif tiré de l'arbitraire est mal
fondé.

5.
Faisant aussi valoir une violation du droit (art. 8 LPGA et 4 LAI), le
recourant soutient que la juridiction cantonale a retenu à tort le caractère
invalidant de la fibromyalgie dont souffre l'intimée. Il conteste l'existence
d'une comorbidité psychiatrique grave, le trouble dépressif présenté par
l'assurée étant une manifestation réactive de la fibromyalgie. De même, selon
lui, aucun des critères jurisprudentiels ne serait rempli.

5.1 Lorsqu'il s'agit pour le Tribunal fédéral d'examiner si l'assuré présente
un trouble somatoforme douloureux - ou un autre syndrome semblable dont
l'étiologie est incertaine (ATF 132 V 393 consid. 3.2 p. 399) - ayant des
effets invalidants, les règles suivantes sont applicables: le point de savoir
s'il existe un trouble somatoforme douloureux, et le cas échéant, si une
comorbidité psychiatrique ou d'autres circonstances qui empêchent l'assuré de
surmonter les douleurs sont présentes relève de constatations de fait qui ne
peuvent être examinées par le Tribunal fédéral que de manière limitée (consid.
1 supra). Constitue en revanche une question de droit que le tribunal peut
contrôler librement le point de savoir si une comorbidité psychiatrique
constatée est suffisamment sévère ou si un ou plusieurs autres critères
constatés présentent une acuité et une durée suffisantes pour en déduire, dans
l'ensemble, que le trouble somatoforme douloureux et ses effets ne peuvent pas
être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible et conclure,
en conséquence, à une atteinte à la santé invalidante (ATF 137 V 64 consid. 1.2
p. 66).

5.2 Il n'est pas nécessaire en l'espèce de trancher le point de savoir si le
trouble dépressif présenté par l'intimée constitue une comorbidité
psychiatrique séparée de la fibromyalgie et suffisamment sévère pour justifier
le caractère invalidant de celle-ci, comme l'ont en définitive constaté les
premiers juges, ou une manifestation d'accompagnement de cette atteinte, comme
le soutient le recourant. On doit en effet admettre au regard des constatations
de la juridiction cantonale sur les critères pertinents que les effets de la
fibromyalgie, associée aux autres troubles existants, dont le trouble dépressif
moyen, empêchent l'intimée de mettre à profit une capacité de travail de plus
de 50 %.
Comme l'ont établi tout d'abord les premiers juges, le dossier médical de
l'intimée met en évidence un processus maladif s'étendant sur plusieurs années
sans rémission durable (symptomatologie inchangée ou progressive). Les premiers
rapports médicaux recueillis en procédure administrative font état de douleurs
multiples ostéo-articulaires depuis de nombreuses années, le diagnostic de
fibromyalgie ayant été posé en 2001, l'évolution de l'état de santé ayant été
qualifiée de stationnaire (rapport du docteur B.________ du 13 juin 2005). Une
rémission de plusieurs mois a certes été constatée en 2006, mais n'a pas été
durable (cf. rapport du docteur I.________ du 16 janvier 2007).
En ce qui concerne ensuite le critère des affections corporelles chroniques, la
constatation de la juridiction cantonale relative à la présence d'un RLS
(objectivé par le rapport de polysomnographie) limitant en soi la capacité de
travail de l'intimée - qui n'apparaît pas manifestement inexacte ou autrement
contraire au droit - lie le Tribunal fédéral. Il en va de même du critère,
établi par les premiers juges, de l'échec de traitements ambulatoires ou
stationnaires conformes aux règles de l'art (même avec différents types de
traitement), cela en dépit de l'attitude coopérative de la personne assurée.
Selon les experts, le bénéfice thérapeutique du traitement psychiatrique suivi
par l'intimée est limité par les autres affections dont elle est atteinte,
alors que sa motivation et son adhésion au traitement sont bonnes. Ainsi, bien
que le traitement sur le plan psychique soit bénéfique dans une certaine
mesure, l'interférence des troubles en restreint sérieusement les effets.
S'ajoute à ces critères - dont la jurisprudence n'a jamais affirmé le caractère
strictement cumulatif, contrairement à ce que prétend le recourant -, le fait
que les experts ont écarté la présence d'éléments qui mettraient en évidence
une exagération des symptômes ou une constellation semblable.
Dans ces circonstances, même si les critères de l'état psychique cristallisé
(sans évolution possible au plan thérapeutique) et de la perte d'intégration
sociale font défaut comme l'a établi l'autorité cantonale de première instance,
celle-ci était en droit, en présence des autres critères mentionnés et en
l'absence de tout élément en faveur d'une exagération, de reconnaître le
caractère invalidant de la fibromyalgie dont souffre l'intimée et d'en déduire
qu'associée aux autres troubles présentés par l'assurée, cette atteinte
entraînait une incapacité de travail de 50 %.

6.
Pour le reste, le recourant ne conteste pas le taux d'invalidité déterminé par
la juridiction cantonale, ni le droit à la demi-rente qui en découle. Au regard
de ce qui précède, ses conclusions se révèlent donc mal fondées.
Le rejet du recours rend par ailleurs sans objet la requête d'effet suspensif
présentée par le recourant.

7.
Vu l'issue de la procédure, le recourant supportera les frais judiciaires (art.
66 al. 1 LTF), ainsi que l'indemnité de dépens à laquelle à droit l'intimée
pour l'instance procédure fédérale (art. 68 al. 1 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge du recourant.

3.
Le recourant versera à l'intimée la somme de 1'400 fr. à titre de dépens pour
la dernière instance.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la
République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et à l'Office
fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 16 novembre 2012
Au nom de la IIe Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Meyer

La Greffière: Moser-Szeless