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Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
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Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 6B.80/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
6B_80/2012

Arrêt du 14 août 2012
Cour de droit pénal

Composition
MM. et Mme les Juges Mathys, Président,
Denys et Brahier Franchetti, Juge suppléante.
Greffier: M. Rieben.

Participants à la procédure
X.________, représenté par Me Annette Micucci, avocate,
recourant,

contre

Ministère public du canton de Genève, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.

Objet
Infraction grave à la loi fédérale sur les stupéfiants; droit d'être entendu;
présomption d'innocence; fixation de la peine, etc.,

recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre
pénale d'appel et de révision, du 8 décembre 2011.

Faits:

A.
Par arrêt du 28 juin 2011, le Tribunal correctionnel de la République et canton
de Genève a reconnu X.________ coupable d'infractions à l'art. 19 ch. 1 et 2
let. a de la loi fédérale du 3 octobre 1951 sur les stupéfiants et les
substances psychotropes (Loi sur les stupéfiants, LStup; RS 812.121), il l'a
acquitté des infractions visées aux points A.1.5.1 et A.1.8 de l'acte
d'accusation et l'a condamné à une peine privative de liberté de 10 ans, sous
déduction de la détention avant jugement.

B.
Le 8 décembre 2011, la Chambre pénale et de révision de la Cour de Justice
genevoise a confirmé le premier jugement dans la mesure où il condamne
X.________ pour avoir organisé trois transports de cocaïne, à savoir 1'020
grammes les 9/10 mai 2009, 1 kilo les 23/24 mai 2009 et 1'183 grammes le 26
juillet 2009. Elle a annulé la première décision pour le surplus, a prononcé
l'acquittement de X.________ pour les autres chefs d'accusation, soit parce
qu'il y avait des doublons dans les préventions, soit parce que ceux-ci
n'étaient pas suffisamment établis et elle a condamné X.________ à une peine
privative de liberté de 7 ans, sous déduction de la détention préventive subie.

C.
X.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral. Il invoque
un déni de justice formel, une violation de son droit d'être entendu (art. 29
al. 1 Cst., 32 al. 2 Cst. ainsi que art. 141 al. 2 et 436 al. 1 CPP) et de la
présomption d'innocence (art. 32 al. 1 Cst.; art. 10 al. 3 CPP) ainsi qu'une
violation du droit fédéral s'agissant de la fixation de la peine (art. 47 et 50
CP). Il conclut à l'annulation de l'arrêt cantonal et au renvoi de la cause à
l'autorité cantonale pour nouvelle décision. Il demande également à être mis au
bénéfice de l'assistance judiciaire.
La Chambre d'appel et de révision de la Cour de justice genevoise a renoncé à
formuler des observations le 26 avril 2012. Le Ministère public genevois n'en a
pas formulé dans le délai imparti.

Considérant en droit:

1.
Le refus d'écarter les écoutes téléphoniques traduites dans la langue de la
procédure sans mentionner qui les avait rédigées, ni si les traducteurs avaient
été rendus attentifs aux sanctions pénales de l'art. 307 CP, violerait, selon
le recourant, son droit d'être entendu et les droits de la défense, ainsi que
l'art. 141 al. 2 CPP.

1.1 Tel que garanti par les art. 29 al. 2 Cst, le droit d'être entendu
comprend, notamment, le droit pour l'intéressé de prendre connaissance du
dossier et de participer à l'administration des preuves essentielles ou, à tout
le moins, de s'exprimer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer
sur la décision à rendre (ATF 135 II 286 consid. 5.1 p. 293; 132 II 485 consid.
3.2 p. 494; 127 I 54 consid. 2b p. 56). L'accusé doit pouvoir consulter le
dossier pour connaître préalablement les éléments dont dispose l'autorité et
jouir ainsi d'une réelle possibilité de faire valoir ses arguments dans une
procédure. Pour que cette consultation soit utile, le dossier doit être complet
(ATF 129 I 85 consid. 4.1 p. 88 s.). Le droit d'être entendu est également
garanti par l'art. 3 al. 2 let. c CPP, qui a la même portée que l'art. 29 al. 2
Cst. (cf. Michel Hottelier, in: Commentaire romand, Code de procédure pénale,
2010, n. 22 ad art. 3 CPP).
En matière d'écoutes téléphoniques en langue étrangère, il faut que les
modalités de leur établissement soient décrites dans le dossier afin que
l'accusé soit en mesure de constater qu'elles ne présentent pas de vices de
forme. Il convient en particulier de mentionner qui a procédé à leur traduction
et si ces personnes ont été rendues attentives aux sanctions pénales de l'art.
307 CP en cas de faux rapport ou de fausse traduction (ATF 129 I 85 consid. 4.2
p. 89 s.).

1.2 S'agissant des pièces 95 à 129, soit les retranscriptions des conversations
annexées au rapport de police du 27 octobre 2009, ainsi que des pièces 331 à
359 et 387 à 396, le moyen du recourant a été jugé contraire à l'interdiction
de l'abus de droit dans la mesure où ce dernier a déclaré au juge d'instruction
ne pas contester ces écoutes. Etant donné que le recourant ne s'en prend pas à
cette partie de l'arrêt attaqué, son grief n'est pas recevable s'agissant des
écoutes susmentionnées.

1.3 Il ressort des faits constatés que les retranscriptions des écoutes
téléphoniques effectuées par les autorités genevoises (pièces 226 à 229, 236 à
247) ne mentionnent pas l'identité du traducteur et qu'il n'en résulte pas que
ce dernier a été rendu attentif aux conséquences d'une fausse traduction en
justice. Celles effectuées par la police fédérale (pièces 331 à 450) satisfont
à ces conditions, mais pas leur traduction en français, laquelle fait tout
simplement défaut s'agissant des pièces 568 à 579 (arrêt attaqué p. 13 et 16).
L'identification claire du traducteur devait permettre au recourant et au
tribunal de contrôler qui avait traduit les procès-verbaux litigieux, de quelle
manière et sur la base de quelles instructions. Les exigences découlant de l'
ATF 129 I 85 n'ont pas été respectées et le droit d'être entendu du recourant a
été violé.

1.4 La cour cantonale a cependant considéré que malgré cette violation, les
écoutes litigieuses pouvaient être exploitées en vertu de l'art. 141 al. 2 CPP,
selon lequel les preuves qui ont été administrées d'une manière illicite ou en
violation de règles de validité par les autorités pénales ne sont pas
exploitables, à moins que leur exploitation soit indispensable pour élucider
des infractions graves. Ces écoutes permettaient en effet d'établir en l'espèce
l'implication du recourant dans un important trafic international de cocaïne,
soit une infraction grave au sens de la disposition précitée.
L'art. 141 al. 2 CPP vise les cas où une preuve a été administrée en violation
d'une norme pénale ou d'une règle de validité, soit une règle qui revêt une
importance telle pour la sauvegarde des intérêts légitimes de la personne
concernée qu'elle ne peut atteindre son but que moyennant l'invalidation de
l'acte de procédure accompli en violation de cette disposition (Message du
Conseil fédéral du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la
procédure pénale, FF 2005, p. 1162/1163 ; cf aussi Bénédict/Trecani, in:
Commentaire romand, Code de procédure pénale, 2010, n. 9 et 16 ad art. 141
CPP). Il n'est pas contesté en l'espèce que les écoutes téléphoniques ont été
recueillies conformément aux dispositions légales applicables. Seules sont
litigieuses les modalités de leur traduction. Celles-ci ne constituent
cependant pas des règles de validité des écoutes elles-mêmes, mais sont
uniquement destinées à garantir que, lors de leur utilisation, le droit d'être
entendu du recourant soit respecté. L'art. 141 al. 2 CPP n'est dès lors pas
applicable en l'espèce, contrairement à ce que l'autorité cantonale a retenu à
cet égard. Cette disposition ne peut ainsi pas justifier l'utilisation des
écoutes dont la traduction ne respecte pas les exigences en la matière.
Le recours doit être admis pour violation du droit d'être entendu du recourant.
L'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à l'autorité cantonale afin
qu'elle fasse procéder à une traduction des écoutes téléphoniques litigieuses
qui respecte les critères posés par la jurisprudence rappelés supra (cf.
consid. 1.1).

2.
Pour le surplus, il convient par économie de procédure de relever ce qui suit
concernant la question de la fixation de la peine, que critique le recourant.

2.1 Le recourant conteste la peine fixée. Il estime qu'en retenant au stade de
la fixation de la peine que son activité illicite irait bien au-delà des trois
livraisons dont il a été déclaré coupable, l'arrêt cantonal viole la
présomption d'innocence (art. 6 par. 2 CEDH, 32 al. 1 Cst. et 10 al. 3 CPP)
ainsi que les art. 47 et 50 CP. Il fait également valoir une inégalité de
traitement avec son coaccusé A.________.

2.2 Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de
l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle
de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La
culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger
du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les
motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci
aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation
personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).
En matière de trafic de stupéfiants, il y a lieu de tenir compte de la quantité
de drogue. Même si elle ne joue pas un rôle prépondérant, la quantité constitue
un élément essentiel, qui perd cependant de l'importance au fur et à mesure que
s'éloigne la limite à partir de laquelle le cas est grave au sens de l'art. 19
ch. 2 let. a LStup (désormais art. 19 al. 2 let. a LStup; ATF 121 IV 202
consid. 2d/cc p. 206). Le type et la nature du trafic en cause sont
déterminants. Aussi l'appréciation sera différente selon que l'auteur a agi de
manière autonome ou comme membre d'une organisation. Dans ce dernier cas, la
nature de sa participation et sa position au sein de l'organisation doivent
être prises en compte. L'étendue géographique du trafic entre également en
considération: l'importation en Suisse de drogue a des répercussions plus
graves que le seul transport à l'intérieur des frontières. S'agissant
d'apprécier les mobiles qui ont poussé l'auteur à agir, le juge doit distinguer
le cas de celui qui est lui-même toxicomane et agit pour financer sa propre
consommation de celui qui participe à un trafic uniquement poussé par l'appât
du gain (arrêt 6B_793/2011 du 26 janvier 2012 consid. 4.1 et les références
citées).
L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge. Par conséquent,
celui-ci ne viole le droit fédéral en fixant la peine que s'il sort du cadre
légal, s'il se fonde sur des critères étrangers à l'art. 47 CP, s'il omet de
prendre en considération des éléments d'appréciation prévus par cette
disposition ou, enfin, si la peine qu'il prononce est exagérément sévère ou
clémente au point de constituer un abus du pouvoir d'appréciation (ATF 134 IV
17 consid. 2.1 p. 19/20; 129 IV 6 consid. 6.1 p. 21).

2.3 L'arrêt cantonal retient que le recourant était un maillon supérieur d'un
trafic international de cocaïne en direction de la Suisse. Il organisait des
expéditions de drogues en Suisse, à destination notamment du coaccusé
A.________ qui assurait l'écoulement au niveau local, en vendant la drogue à
des vendeurs, voire des semi-grossistes. Ce faisant, il s'assurait des revenus
très importants au mépris de la santé des consommateurs tout en minimisant
autant que possible les risques, assumés au premier plan par les transporteurs.
Ses mobiles et son mode de faire étaient égoïstes. Les deux hommes étaient liés
par un rapport de confiance, la drogue étant livrée sans contrepartie immédiate
à A.________, qui en payait le prix après l'avoir vendue, selon un système de
compte-courant. Ses agissements se sont déroulés en mai et juillet 2009 et ont
cessé grâce à l'intervention de la police au terme d'une longue et minutieuse
enquête. L'intention délictueuse était intense.

2.4 A l'issue de l'appel, seules trois livraisons, pour une quantité totale de
3,2 kilos, ont pu être retenues, soit nettement moins que celles admises par
les premiers juges. Ces livraisons revêtent certes une gravité certaine.
L'arrêt cantonal relève cependant que le recourant était manifestement bien
ancré dans le trafic de stupéfiants, son activité allant bien au-delà de ces
trois livraisons, comme le démontraient les écoutes téléphoniques et la
comptabilité précise tenue par le recourant.

Or, tenir compte d'un tel élément viole tant la présomption d'innocence
invoquée par le recourant que l'art. 47 CP, dans la mesure où les juges
cantonaux, pour établir la faute du recourant, se sont non seulement fondés sur
l'activité à la base de la déclaration de culpabilité, mais également sur
d'autres actes encore, qui n'ont pas pu être établis au stade de la
condamnation, soit sur un élément dont il ne pouvait être tenu compte lors de
la fixation de la peine.

2.5 De plus, dans le contexte de la fixation de la peine, le recourant peut
faire valoir une inégalité de traitement. Compte tenu toutefois des nombreux
paramètres qui interviennent dans la fixation de la peine, une comparaison avec
des affaires concernant d'autres accusés et des faits différents est d'emblée
délicate (ATF 120 IV 136 consid. 3a p. 144 et les arrêts cités; cf. aussi ATF
123 IV 49 consid. 2e p. 52 s.).
S'il est appelé à juger les coauteurs d'une même infraction ou deux coaccusés
ayant participé ensemble au même complexe de faits délictueux, le juge est tenu
de veiller à ce que la différence des peines infligées aux deux intéressés soit
justifiée par une différence dans les circonstances personnelles en fonction
desquelles, conformément à l'art. 47 CP, la peine doit être individualisée (cf.
ATF 135 IV 191 consid. 3.2 p. 193 ss; ATF 121 IV 202 consid. 2d p. 204 ss).
En l'espèce, la motivation de l'arrêt cantonal est insuffisante pour permettre
de comprendre l'importante différence de peine prononcée entre le recourant (7
ans) et le coaccusé A.________ (4 ans et demi), qui est condamné pour avoir
participé aux mêmes livraisons de drogue que le recourant. Il est certes admis
que le recourant avait d'autres grossistes en Suisse, alors que A.________ ne
se fournissait qu'auprès du recourant. Cependant, s'agissant de trois
livraisons, cette différence n'est pas assez significative pour justifier un
tel écart de peine. L'absence de toute démarche d'introspection de la part du
recourant, au contraire de A.________, ou encore les antécédents du recourant
condamné en Suisse à cinq reprises entre 2005 et 2006 pour séjour illégal ou
violation d'une mesure de contrainte en matière de droit des étrangers et en
2008 pour séjour illégal, opposition aux actes de l'autorité et lésions
corporelles, infractions qui n'ont aucun rapport avec l'activité reprochée en
l'espèce au recourant, ne motivent pas non plus une telle différence.

3.
Le recours doit être admis. L'arrêt attaqué est annulé et la cause renvoyée à
l'autorité cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants.
Conformément à l'art. 66 al. 4 LTF, il n'est pas perçu de frais judiciaires. Le
recourant qui obtient gain de cause peut prétendre à une indemnité de dépens à
verser à son conseil pour la procédure devant le Tribunal fédéral (art. 68 al.
1 et 2 LTF), ce qui rend sans objet sa demande d'assistance judiciaire.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à
l'autorité cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants.

2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

3.
Une indemnité de 3'000 francs, à payer au conseil du recourant à titre de
dépens, est mise à la charge du canton de Genève.

4.
La demande d'assistance judiciaire est sans objet.

5.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton
de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision.

Lausanne, le 14 août 2012

Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Mathys

Le Greffier: Rieben