Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
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Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 6B.52/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
6B_52/2012

Arrêt du 11 mars 2013
Cour de droit pénal

Composition
MM. les Juges fédéraux Mathys, Président,
Schneider et Denys.
Greffière: Mme Gehring.

Participants à la procédure
M.________ Ltd, représentée
par Me Benjamin Borsodi, avocat, Etude Schellenberg Wittmer,
recourante,

contre

Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213
Petit-Lancy.

Objet
procédure pénale; ordonnance de classement et de confiscation,

recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de
Genève, Chambre pénale de recours, du 29 novembre 2011.

Faits:

A.
Par ordonnance du 21 mars 2011, le Ministère public de la République et canton
de Genève a classé la procédure P/719/2001 pour le motif que la domiciliation
et la nationalité russes des personnes mises en cause s'opposaient à leur
extradition. Nonobstant l'empêchement de procéder, il a en revanche prononcé la
confiscation de 1'096'455 dollars américains au détriment de M.________ Ltd
(ci-après : M.________), mesure fondée sur des actes de blanchiment d'argent
par métier commis en Suisse et imputables aux ayants droit économiques
successifs - A.________, B.________, puis C.________ - de cette société.

B.
La Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton
de Genève a rejeté le recours de la société M.________ contre l'ordonnance de
confiscation, par arrêt du 29 novembre 2011 fondé sur les principaux éléments
de fait suivants.
En octobre 1999, le Ministère public genevois a ouvert l'information pénale P/
12365/1999 donnant suite aux poursuites pénales menées aux USA pour faux dans
les titres et blanchiment d'argent par métier à l'encontre de D.________ et
E.________. Les autorités américaines leur reprochaient d'avoir favorisé le
transfert d'importants montants frauduleux en provenance ou à destination de la
Fédération de Russie grâce aux comptes bancaires des sociétés N.________ et
O.________ qu'ils contrôlaient. Sur ordres de ces sociétés, les comptes n°s xxx
et yyy de la banque S.________ auprès de la banque T.________ avaient été
crédités d'un montant total de 1'096'455 dollars américains (recte : 1'128'255
dollars américains). Cette somme avait ensuite été virée sur le compte bancaire
n° zzz de la société M.________ auprès de la banque U.________ à Genève,
moyennant quinze versements opérés entre les 7 juillet 1997 et 12 février 1998.

C.
La société M.________ interjette un recours en matière pénale contre l'arrêt
cantonal dont elle requiert, sous suite de frais et dépens, l'annulation et la
levée de la confiscation.

Il n'a pas été ordonné d'échange d'écritures.

Considérant en droit:

1.
La décision attaquée a été rendue en matière pénale et la recourante dispose de
la qualité pour recourir (cf. arrêt 6B_1035/2008 du 11 mai 2009 cond. 1.1 et
1.4). Le recours en matière pénale est ainsi ouvert.

2.
2.1 La confiscation litigieuse est fondée sur plusieurs transferts de valeurs
patrimoniales d'un montant total de 1'128'255 dollars américains effectués
entre les 7 juillet 1997 et 12 février 1998 depuis les comptes américains des
sociétés N.________ et O.________ sur celui de la société M.________ à Genève,
considérés comme constitutifs de blanchiment d'argent par métier au sens de
l'art. 305bis ch. 2 al. 2 let. c CP. Les crimes préalables aux USA sont des
faux dans les titres (aussi punissables en Suisse en vertu de l'art. 251 CP) et
des actes de blanchiment d'argent par métier (aussi punissables en Suisse en
vertu de l'art. 305bis ch. 2 CP) retenus à l'encontre de E.________ et
D.________.

2.2 La recourante reproche à la cour cantonale de ne pas s'être prononcée sur
la provenance illicite des fonds confisqués. Elle considère que celle-ci n'est
pas établie, dès lors que les magistrats cantonaux ont omis de qualifier
juridiquement l'infraction préalable au blanchiment d'argent par métier en se
bornant à traduire sommairement les termes « organized crime » ou « other
criminal activities » utilisés par les autorités américaines, pour en déduire
que les agissements coupables de E.________ et D.________ répondaient à la
notion de crime prévue par le droit suisse. Elle invoque aussi une violation de
son droit d'être entendue et de la présomption d'innocence.

2.3 Ce faisant, la recourante se plaint en réalité de la violation de l'art.
305bis CP et non pas de celle de son droit d'être entendue comme elle le donne
à penser, dont elle n'a subi aucune atteinte dès lors que, comme le confirme
son recours, elle a été à même d'apprécier correctement la portée de l'arrêt
cantonal et de l'attaquer à bon escient (cf. ATF 136 I 229 consid. 5.2 p. 236).
Pour le même motif, la violation de la présomption d'innocence qu'elle invoque
n'a pas de portée supplémentaire par rapport à la violation de l'art. 305bis
CP. Tout du moins, la recourante n'invoque aucun grief tiré de la violation de
la présomption d'innocence qui soit recevable au regard de l'art. 106 al. 2
LTF.

3.
3.1 Conformément à l'art. 70 CP, le juge prononce la confiscation des valeurs
patrimoniales qui sont le résultat d'une infraction ou qui étaient destinées à
décider ou à récompenser l'auteur d'une infraction, si elles ne doivent pas
être restituées au lésé en rétablissement de ses droits (al. 1). La
confiscation n'est pas prononcée lorsqu'un tiers a acquis les valeurs dans
l'ignorance des faits qui l'auraient justifiée, et cela dans la mesure où il a
fourni une contre-prestation adéquate ou si la confiscation se révèle d'une
rigueur excessive (al. 2).

3.2 Soumise aux art. 3 ss CP, la confiscation ne peut être ordonnée que si
l'infraction d'où proviennent les valeurs ressortit à la compétence de la
juridiction suisse (cf. ATF 134 IV 185 consid. 2.1; 128 IV 145 consid. 2d). Il
convient de ne pas minimiser la compétence territoriale du juge suisse en
matière de confiscation, en particulier telle qu'elle peut découler de l'art. 8
CP ou encore de l'art. 305bis ch. 3 CP, qui prévoit que les avoirs issus d'un
crime à l'étranger peuvent constituer un blanchiment en Suisse. Par ce biais,
les fonds blanchis peuvent être considérés comme le résultat au sens de l'art.
70 CP d'une infraction commise en Suisse et ainsi être confisqués (ATF 128 IV
145 consid. 2d).

3.3 L'infraction doit être la cause essentielle, respectivement adéquate, de
l'obtention des valeurs patrimoniales et celles-ci doivent typiquement provenir
de l'infraction en question. Il doit donc exister, entre l'infraction et
l'obtention des valeurs patrimoniales, un lien de causalité tel que la seconde
apparaît comme la conséquence directe et immédiate de la première. C'est en
particulier le cas lorsque l'obtention des valeurs patrimoniales est un élément
objectif ou subjectif de l'infraction ou lorsqu'elle constitue un avantage
direct découlant de la commission de l'infraction. En revanche, les valeurs
patrimoniales ne peuvent pas être considérées comme le résultat de l'infraction
lorsque celle-ci n'a que facilité leur obtention ultérieure par un acte
subséquent sans lien de connexité immédiat avec elle (arrêt 6S.819/1998 du 4
mai 1999 publié in SJ 1999 I p. 417).

4.
4.1 L'art. 305bis CP prévoit que celui qui aura commis un acte propre à
entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de
valeurs patrimoniales dont il savait ou devait présumer qu'elles provenaient
d'un crime, sera puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou
d'une peine pécuniaire (ch. 1). Dans les cas graves, la peine sera une peine
privative de liberté de cinq ans au plus ou une peine pécuniaire. En cas de
peine privative de liberté, une peine pécuniaire de 500 jours-amende au plus
est également prononcée. Le cas est grave, notamment (a) lorsque le délinquant
agit comme membre d'une organisation criminelle, (b) agit comme membre d'une
bande formée pour se livrer de manière systématique au blanchiment d'argent,
(c) réalise un chiffre d'affaires ou un gain importants en faisant métier de
blanchir de l'argent (ch. 2). Le délinquant est également punissable lorsque
l'infraction principale a été commise à l'étranger et lorsqu'elle est aussi
punissable dans l'Etat où elle a été commise (ch. 3).
Les valeurs patrimoniales blanchies doivent provenir d'un crime au sens de
l'art. 10 al. 2 CP, soit d'une infraction passible d'une peine privative de
liberté de plus de trois ans. Peuvent constituer un acte préalable au
blanchiment d'argent, les infractions prévues par le CP aussi bien que par la
législation pénale accessoire. Comme en l'espèce, le blanchiment d'argent
qualifié prévu à l'art. 305bis ch. 2 CP peut ainsi notamment constituer un acte
préalable au blanchiment. En revanche, il n'y a pas de crime préalable
lorsqu'une escroquerie fiscale est commise par le biais de faux dans les
titres, car dans ce cas l'art. 251 CP est absorbé par la disposition de droit
pénal fiscal (TRECHSEL/PIETH, Schweizerisches Strafgesetzbuch, Praxiskommentar,
2ème éd. 2013, n° 10 ad art. 305bis CP). Lorsque l'infraction principale a été
commise à l'étranger, il faut qu'elle soit aussi punissable dans l'Etat où elle
l'a été (art. 305bis ch. 3 CP), ce qui suppose l'existence dans cet Etat d'une
réglementation abstraitement comparable à la règle pénale suisse (ATF 136 IV
179 consid. 2 p. 180 s.). Le juge évalue à l'aune du droit suisse si l'acte
préalable commis à l'étranger constitue un crime. La punissabilité de l'acte
préalable commis à l'étranger se détermine en revanche selon le droit du lieu
de commission (TRECHSEL/PIETH, op. cit., n° 10 ad art. 305bis CP).
L'exigence de la provenance criminelle des valeurs patrimoniales blanchies
suppose qu'il puisse être établi de quelle infraction principale (ou préalable)
les valeurs patrimoniales proviennent. Dans la plupart des cas, cette preuve
est difficile à apporter, surtout lorsqu'il s'agit d'infractions commises à
l'étranger (cf. URSULA CASSANI, Commentaire du droit pénal suisse, Partie
spéciale, vol. 9, n° 9 ad art. 305bis CP; STRATENWERTH/BOMMER, Schweizerisches
Strafrecht, Besonderer Teil II, Straftaten gegen Gemeininteressen, 6ème éd.
2008, § 51, N° 27). Compte tenu de ces difficultés, la jurisprudence admet
qu'en matière de blanchiment d'argent, comme dans le domaine du recel, la
preuve stricte de l'acte préalable n'est pas exigée. Il n'est pas nécessaire
que l'on connaisse en détail les circonstances du crime, singulièrement son
auteur, pour pouvoir réprimer le blanchiment. Le lien exigé entre le crime à
l'origine des fonds et le blanchiment d'argent est volontairement ténu (cf. ATF
138 IV 1 consid. 4.2.2 p. 5).
4.2
4.2.1 Il ressort des constatations cantonales que les fonds confisqués
proviennent en totalité des comptes bancaires des sociétés N.________ et
O.________. De 1996 à 1999, près de 7 milliards de dollars américains détournés
au détriment du Fonds Monétaire International (ci-après : FMI) y ont transité,
avant d'être transférés sur les comptes bancaires de sociétés sises dans des
endroits réputés pour cacher de l'argent. A l'appui de ces transactions, de
fausses déclarations fiscales et des factures commerciales fictives ont été
établies par E.________ et D.________ afin de conférer aux sociétés N.________
et O.________ l'apparence de parties à des contrats commerciaux fictifs, alors
que ces sociétés n'avaient jamais participé à la moindre transaction
commerciale effective, mais servi à blanchir de l'argent et transférer des
fonds à des personnes et groupes de personnes réputées ou soupçonnées d'être
liées au crime organisé russe ou à d'autres activités criminelles, nombre de
sociétés bénéficiaires étant domiciliées dans des endroits connus pour cacher
de l'argent.
Devant les instances cantonales, la recourante a justifié sa détention des
valeurs patrimoniales litigieuses en produisant une convention intitulée «
promissory notes purchase agreement », passée le 1er mai 1997 entre elle-même
et une société nommée P.________. Selon les considérations cantonales, cette
convention présente toutes les caractéristiques d'un montage typique de
blanchiment d'argent, à savoir un contrat insolite et sans justification, sans
véritable logique économique et/ou commerciale, passée entre deux entités
juridiques domiciliées dans des « paradis fiscaux » abritant notoirement des
sociétés pouvant être qualifiées d' « exotiques», ladite opération portant sur
des virements de fonds provenant de personnes physiques ou morales inconnues,
effectuées par le biais des comptes de deux sociétés, N.________ et O.________,
utilisées comme paravent par des blanchisseurs d'argent condamnés comme tels
aux USA.

La recourante ne discute pas les constatations cantonales selon lesquelles les
fonds en cause proviennent de détournements de fonds avérés au détriment du FMI
(cf. ch. 15 et 33 de l'ordonnance de confiscation; cf. arrêt attaqué p. 17 § 2,
p. 18 § 1). Afin de légitimer sa propre détention des fonds en question, elle
s'est prévalue d'un contrat d'affaires présentant toutes les caractéristiques
d'un montage typique de blanchiment d'argent, selon les constatations
cantonales dont la recourante ne démontre pas qu'elles seraient arbitraires.
Aucun élément ne permet d'infirmer la provenance illicite des fonds en les
faisant apparaître comme légitimement acquis. Compte tenu de leur nature et de
leur importance, ces détournements de fonds présentent la gravité d'infractions
qualifiées contre le patrimoine, de sorte que c'est en vain que la recourante
met en cause l'origine criminelle des valeurs patrimoniales confisquées.
L'infraction préalable de blanchiment d'argent par métier commise aux USA
n'apparaît ainsi pas critiquable.
4.2.2 L'infraction préalable de blanchiment d'argent par métier étant acquise,
il n'est pas nécessaire d'entrer en matière sur les considérations de la
recourante afin de déterminer si l'infraction de faux dans les titres vaut
également acte préalable aux actes de blanchiment d'argent retenus en Suisse.

4.3 La recourante, qui se prévaut du changement successif de son actionnariat,
conteste avoir connu, par l'intermédiaire de ses ayants droit successifs,
l'origine criminelle des fonds confisqués. Elle reproche également à la cour
cantonale d'avoir considéré qu'elle n'avait fourni aucune explication
satisfaisante, ni document justificatif au sujet du contrat du 1er mai 1997 et
de sa logique commerciale et/ou économique, ni aucunement étayé les
développements ressortant sur ce point de ses écritures.
Ce que l'auteur savait, voulait ou ce dont il acceptait l'avènement fait partie
du contenu de la pensée et la constatation de celui-ci relève de
l'établissement des faits que le Tribunal fédéral n'examine donc également que
sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 133 IV 1 consid. 4.1 p. 4). La
recourante n'expose pas en quoi les magistrats cantonaux auraient procédé à une
appréciation insoutenable des preuves en considérant que dès le début, la
recourante, par le biais de son premier ayant droit économique déclaré
A.________, avait participé sciemment au transfert de fonds d'origine
criminelle, le contrat conclu entre les sociétés M.________ et P.________
présentant toutes les caractéristiques d'une opération typique de blanchiment
d'argent. Celui-ci avait du reste toujours refusé sans raison valable de
s'expliquer. Il résultait en outre des déclarations confuses et contradictoires
de B.________ qu'il ne pouvait pas ignorer la provenance illicite des fonds
détenus par la recourante avant de l'avoir acquise. Il en était de même de
C.________ qui avait déclaré savoir que lesdits avoirs avaient été séquestrés,
avant de préciser ensuite qu'il n'était cependant pas prouvé que ces avoirs
provenaient de détournements opérés au détriment du FMI. C.________ avait ainsi
connaissance des circonstances faisant naître le soupçon pressant que les fonds
saisis à Genève étaient le produit d'infractions graves et s'en était
manifestement accommodé. En opposant sa propre version des faits à celle
retenue par l'autorité précédente, la recourante se borne à développer des
considérations purement appellatoires qui sont irrecevables (ATF 137 IV 1
consid. 4.2.3 p. 5), partant inaptes à mettre en doute l'intention requise par
l'art. 305bis CP et à fonder la bonne foi du tiers acquéreur au sens de l'art.
70 al. 2 CP.

4.4 Au vu de ce qui précède, c'est à juste titre que la cour cantonale a
considéré que la façon d'agir de la recourante correspondait aux critères
légaux et jurisprudentiels du blanchiment d'argent par métier au sens de l'art.
305bis ch. 2 let. c CP, à savoir l'obtention de gains importants par le biais
de multiples et systématiques opérations de blanchiment d'argent exercées
durant 8 mois à la manière d'une profession, afin d'en retirer des revenus
réguliers et de contribuer ainsi à la satisfaction non négligeable des besoins
de ses ayants droit. Fondée sur ce qui précède, la confiscation prononcée en
vertu de l'art. 70 CP n'est pas critiquable.

5.
La recourante, qui succombe, supporte les frais judiciaires (art. 66 al. 1
LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Ministère public de la
République et canton de Genève et à la Cour de justice de la République et
canton de Genève, Chambre pénale de recours.

Lausanne, le 11 mars 2013

Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Mathys

La Greffière: Gehring