Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 6B.261/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
6B_261/2012

Arrêt du 22 octobre 2012
Cour de droit pénal

Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Mathys, Président,
Schneider, Jacquemoud-Rossari, Denys et Schöbi.
Greffier: Mme Livet.

Participants à la procédure
X.________ SA, représentée par
Me Marc Béguin, avocat,
recourante,

contre

1. Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy,
2. A.________, représenté par
Me Shahram Dini, avocat,
3. B.________, représenté par
Me Grégoire Mangeat, avocat,
4. C.________, représenté par
Me Jean-Marc Froidevaux, avocat,
intimés.

Objet
Appel, qualité pour recourir

recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre
pénale d'appel et de révision, du 26 mars 2012.

Faits:

A.
Par jugement du 21 octobre 2011, le Tribunal de police du canton de Genève a
acquitté A.________, B.________ et C.________ de tentative de gestion déloyale
aggravée et d'infraction à la loi fédérale contre la concurrence déloyale (LCD;
RS 241).

B.
X.________ SA a formé appel contre ce jugement, concluant à ce que A.________
soit reconnu coupable de gestion déloyale aggravée et d'infraction à la LCD.
X.________ SA reprochait à A.________, employé depuis 2003, d'avoir, en 2005,
tenté de détourner des clients au profit d'une autre société dont il était
administrateur, d'avoir, dans les mêmes circonstances, tenté d'exploiter de
façon indue le résultat du travail confié par X.________ SA et de s'être
associé à deux autres employés de cette société pour exploiter ce résultat.
X.________ SA a porté plainte pénale et s'est constituée partie civile. Elle a
toutefois retiré ses conclusions civiles devant le premier juge. Par arrêt du
26 mars 2012, la Chambre pénale d'appel et de révision genevoise a déclaré
irrecevable l'appel formé par X.________ SA. Elle a exposé que l'appelante
X.________ SA, partie plaignante, n'avait pas exercé l'action civile devant le
premier juge, ni expliqué quelles prétentions elle entendait faire valoir, dans
quelle mesure le jugement attaqué avait une incidence sur celles-ci et pourquoi
elle n'avait pas été en mesure d'agir dans la procédure pénale. La Chambre
pénale lui a ainsi dénié un intérêt juridique à requérir un verdict de
culpabilité.

C.
X.________ SA forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre cet
arrêt, concluant, sous suite de dépens, à son annulation et à ce qu'ordre soit
donné à la Chambre pénale d'appel et de révision de statuer sur le fond. Elle
forme par ailleurs un recours constitutionnel subsidiaire, en reprenant la même
argumentation et les mêmes conclusions.
La Chambre pénale d'appel et de révision et le Ministère public ont conclu à la
confirmation de l'arrêt attaqué.
L'intimé A.________ a conclu à l'irrecevabilité, respectivement au rejet du
recours. L'intimé B.________ s'en est rapporté à justice et l'intimé C.________
ne s'est pas déterminé.

Considérant en droit:

1.
La décision attaquée a été rendue en dernière instance cantonale dans une cause
de droit pénal. Elle peut donc faire l'objet d'un recours en matière pénale au
sens des art. 78 ss LTF, de sorte que le recours constitutionnel subsidiaire
est exclu (art. 113 LTF).

2.
Aux termes de l'art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF, la partie plaignante qui a
participé à la procédure de dernière instance cantonale est habilitée à
recourir au Tribunal fédéral si la décision attaquée peut avoir des effets sur
le jugement de ses prétentions civiles (ATF 137 IV 246 consid. 1.3.1, p. 247).
Indépendamment des conditions posées par cette disposition, la partie
recourante est aussi habilitée à se plaindre d'une violation de ses droits de
partie équivalant à un déni de justice formel, sans toutefois pouvoir faire
valoir par ce biais, même indirectement, des moyens qui ne peuvent être séparés
du fond (cf. ATF 136 IV 29 consid. 1.9 p. 40 et les références citées). La
recourante se plaint de ce que l'autorité précédente lui a dénié la qualité
pour former appel. Autrement dit, elle se plaint d'avoir été privée indûment
d'une voie de droit, ce qui équivaut à une violation de ses droits de partie.
En ce sens, elle a qualité pour former un recours en matière pénale au Tribunal
fédéral.

3.
La recourante prétend que c'est à tort que l'instance précédente lui a dénié la
qualité pour recourir. Elle invoque une violation de l'art. 382 CPP.

3.1 Les jugements des tribunaux de première instance qui ont clos tout ou
partie de la procédure sont susceptibles de faire l'objet d'un appel en vertu
de l'art. 398 al. 1 CPP. La qualité pour former appel est définie à l'art. 382
al. 1 CPP, disposition générique en matière de qualité pour recourir. Selon
cette disposition, toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à
l'annulation ou à la modification d'une décision a qualité pour recourir contre
celle-ci.
La notion de partie visée à l'art. 382 CPP doit être comprise au sens des art.
104 et 105 CPP. L'art. 104 al. 1 let. b CPP reconnaît notamment cette qualité à
la partie plaignante soit, selon l'art. 118 al. 1 CPP, au lésé qui déclare
expressément vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal
ou au civil. Conformément à l'art. 119 al. 2 CPP, le lésé peut dans sa
déclaration cumulativement ou alternativement demander la poursuite et la
condamnation de la personne pénalement responsable de l'infraction (plainte
pénale) (let. a); faire valoir des conclusions civiles déduites de l'infraction
(action civile) par adhésion à la procédure pénale (let. b).

3.2 La cour cantonale a exposé que la recourante avait renoncé à faire valoir
des prétentions civiles dans la procédure pénale, celle-ci ayant pris dans un
premier temps des conclusions civiles avant de les retirer avant la clôture des
débats de première instance et de manifester son intention de réserver ses
droits civils. La cour a ainsi considéré que, faute de conclusions civiles
prises dans la procédure pénale, la recourante n'était pas habilitée à former
appel, se référant en particulier à un avis de doctrine (YVAN JEANNERET,
L'action civile au pénal, in Quelques actions en paiement, 2009, p. 95 ss,
spéc. 145 no 100).
3.3
3.3.1 Contrairement à ce que laisse entendre l'intimé A.________, la recourante
n'est pas irrévocablement déchue de ses prétentions civiles pour le motif
qu'elle a renoncé à ses conclusions avant la clôture des débats de première
instance. Conformément à l'art. 122 al. 4 CPP, elle pourra à nouveau agir par
la voie civile.
3.3.2 Selon le courant de doctrine cité par la cour cantonale, la partie
plaignante n'a d'intérêt juridique à l'appel que si la décision pénale peut
avoir un effet sur ses conclusions civiles. Si la partie plaignante s'est
exclusivement constituée demanderesse au pénal en application de l'art. 119 al.
2 let. a CPP, elle ne peut alors pas interjeter d'appel faute d'avoir pris de
conclusions civiles. Cette solution se recoupe avec celle qui prévaut pour le
recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral (cf. YVAN JEANNERET,
ibidem, ainsi que, le même, La partie plaignante et l'action civile, in RPS
2010 p. 297 ss, spéc. 305 s.).
3.3.3 Contrairement à l'avis précité, la majorité de la doctrine ne mentionne
pas l'exigence de prise de conclusions civiles comme condition de recevabilité
selon l'art. 382 al. 1 CPP. Elle admet largement la qualité pour former appel.
Ainsi, la partie plaignante peut former appel pour ce qui concerne la
culpabilité du prévenu lorsqu'elle s'est uniquement déclarée demanderesse à
l'action pénale selon les art. 118 al. 1 et 119 al. 2 let. a CPP (cf. NIKLAUS
SCHMID, Schweizerische Strafprozessordnung Praxiskommentar, 2009, no 5 ad art.
382 CPP; MAZZUCCHELLI/POSTIZZI, in Basler Kommentar, Schweizerische
Strafprozessordnung, 2011, no 5 ad art. 119 CPP et MARTIN ZIEGLER, ibidem, no 4
ad art. 382 CPP). La partie plaignante n'est pas tenue de faire valoir ses
prétentions civiles dans le procès pénal. Elle dispose d'un intérêt à pouvoir
recourir au pénal sur la question de la culpabilité, qui peut avoir une
influence sur dites prétentions (cf. RICHARD CALAME, in Commentaire romand,
Code de procédure pénale suisse, 2011, no 11 ad art. 382 CPP). La voie de
l'appel est ouverte à la partie plaignante indépendamment du sort des
conclusions civiles. La partie plaignante est habilitée à appeler d'un jugement
d'acquittement même si elle n'a pas pris de conclusions civiles. Le CPP
reconnaît au lésé une vocation strictement pénale à intervenir dans la
procédure pénale. Cette vocation n'est pas limitée à la procédure de première
instance. Le droit de demander la poursuite et la condamnation de l'auteur de
l'infraction consacré à l'art. 119 al. 2 let. a CPP indépendamment de toute
action civile ou de préjudice actuel fonde l'intérêt juridique de la partie
plaignante, au sens de l'art. 382 al. 1 CPP, à appeler du jugement, y compris
uniquement ses aspects pénaux (cf. ALAIN MACALUSO, L'action civile dans le
procès pénal régi par le nouveau CPP, in Le procès en responsabilité civile,
2011, p. 175 ss, spéc. 188 s.).
L'approche majoritaire doit être suivie. L'art. 119 al. 2 CPP ouvre au lésé la
possibilité d'agir cumulativement ou alternativement comme demandeur au pénal
ou au civil. Le lésé devient ainsi partie plaignante (cf. art. 118 al. 1 CPP).
Le législateur a donc conféré à la partie plaignante le pouvoir de se
constituer partie à la seule fin de soutenir l'action pénale. L'articulation du
CPP ne permet pas d'en déduire que ce rôle procédural serait limité à la
première instance. L'exigence de l'intérêt juridiquement protégé que pose
l'art. 382 al. 1 CPP n'a pas à s'interpréter dans un sens étroit. Elle n'impose
pas la prise effective de conclusions civiles dans la procédure pénale. Le cas
échéant, la partie plaignante peut faire valoir ultérieurement ses prétentions.
Qui plus est, le rôle procédural que lui autorise l'art. 119 al. 2 let. a CPP
sous-tend un intérêt juridique indépendamment de toute prétention civile. Il
suffit d'être lésé c'est-à-dire une personne dont les droits ont été touchés
directement par une infraction (art. 115 al. 1 CPP). Les droits touchés sont
les biens juridiques individuels tels que la vie et l'intégrité corporelle, la
propriété, l'honneur, etc. (Message du 21 décembre 2005 relatif à l'unification
du droit de la procédure pénale, FF 2006 p. 1148 ch. 2.3.3.1). Un dommage n'est
pas nécessaire pour être lésé au sens de l'art. 115 CPP. L'atteinte directe
selon cette disposition se rapporte à la violation du droit pénal et non à un
dommage (cf. MAZZUCCHELLI/POSTIZZI, op. cit., no 22 ad art. 115 CPP). Une autre
approche aboutirait à une interprétation incohérente du CPP. En envisageant par
exemple le cas où le prévenu serait un agent public, comme un policier ou un
médecin, le lésé, qui ne pourrait émettre aucune prétention civile à l'égard de
celui-ci en raison de la responsabilité primaire du canton concerné, pourrait
participer à la procédure de première instance mais serait privé d'appel. Une
telle scission n'est en rien justifiée par la systématique du CPP.
3.3.4 Contrairement à l'avis exprimé par YVAN JEANNERET (ibidem), une analogie
avec les conditions de recevabilité pour le recours en matière pénale au
Tribunal fédéral ne se justifie pas.
Avant l'adoption du CPP, le recours en matière pénale était ouvert à la victime
au sens de la loi sur l'aide aux victimes d'infractions (LAVI; RS 312.5) si la
décision attaquée pouvait avoir un effet sur le jugement de ses prétentions
civiles (cf. art. 81 al. 1 let. b ch. 5 aLTF). La recevabilité du recours
dépendait en principe de la prise effective par la victime de conclusions
civiles dans la procédure pénale (ATF 137 IV 246 consid. 1.3.1 p. 247). Avec
l'adoption du CPP, le législateur a d'abord choisi de modifier la LTF en
adoptant un nouvel art. 81 al. 1 let. b ch. 5 qui élargissait la qualité pour
recourir en conférant cette qualité non plus uniquement à la victime mais à la
partie plaignante. La qualité pour former un recours en matière pénale était
ainsi conférée à la partie plaignante "dans la mesure où elle a qualité pour
recourir selon le code de procédure pénale" (FF 2007 p. 6722). Cette
disposition unifiait donc la qualité pour recourir entre le CPP et la LTF. Elle
n'est cependant jamais entrée en vigueur. En effet, elle a été modifiée dans le
cadre de l'adoption de la loi fédérale sur l'organisation des autorités pénales
de la Confédération (LOAP; RS 173.71). Dans son message, le Conseil fédéral
mentionnait que l'adoption de cette disposition risquait de créer une charge de
travail supplémentaire pour le Tribunal fédéral, contraire aux objectifs de la
LTF. Il a ainsi proposé de revenir en arrière et de limiter la qualité pour
recourir à la victime, conformément à ce qui valait précédemment (cf. Message
du 10 septembre 2008 relatif à la loi fédérale sur l'organisation des autorités
pénales de la Confédération, FF 2008 p. 7424 s.). Cette proposition a suscité
des discussions devant les Chambres fédérales. Une solution médiane
(intervention Vischer, "Mittellösung", BO 2010 CN p. 124) s'est dégagée,
c'est-à-dire un compromis entre la solution unifiée avec le CPP qui avait été
adoptée et le retour en arrière proposé par le Conseil fédéral (cf. MARC
THOMMEN, in Basler Kommentar, Bundesgerichtsgesetz, 2ème éd. 2011, no 29 ad
art. 81 LTF). La notion de victime a ainsi été abandonnée au profit de celle de
partie plaignante, la condition des effets sur le jugement des prétentions
civiles étant par ailleurs maintenue. Il s'agit de la disposition dans sa
teneur actuelle, entrée en vigueur le 1er janvier 2011. La jurisprudence
antérieure, selon laquelle la recevabilité du recours dépendait en principe de
la prise effective de conclusions civiles dans la procédure pénale, a gardé sa
portée (ATF 137 IV 246 consid. 1.3.1 p. 247 s.).
Au regard du processus législatif suivi, une interprétation de la qualité pour
recourir selon l'art. 382 al. 1 CPP ne saurait se faire à la lumière de l'art.
81 al. 1 let. b ch. 5 LTF. Les travaux législatifs attestent au contraire d'une
approche différenciée. Ce qui vaut pour la LTF ne vaut pas pour le CPP.
3.3.5 Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que la cour cantonale a nié
la qualité pour former appel de la recourante pour le motif qu'elle n'avait pas
pris de conclusions civiles dans la procédure pénale. Le recours doit donc être
admis et la cause retournée à la cour cantonale pour qu'elle entre en matière
sur l'appel.

4.
Vu le sort du recours, les frais judiciaires sont mis pour moitié à la charge
de l'intimé A.________, le canton de Genève n'ayant pas à en supporter (art. 66
al. 1 et 4 LTF). Le recourant peut prétendre à une indemnité de dépens, à la
charge pour moitié chacun d'une part du canton de Genève, d'autre part de
l'intimé A.________ (art. 68 al. 1 et 2 LTF). Des frais et dépens n'ont pas à
être mis à la charge des intimés B.________ et C.________, ceux-ci n'étant plus
concernés par la procédure, l'appel cantonal étant dirigé contre l'acquittement
de A.________.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à
l'autorité cantonale pour nouvelle décision.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis pour moitié, soit 2'000
fr., à la charge de l'intimé A.________.

3.
Une indemnité de 3'000 fr., à payer à la recourante à titre de dépens, est mise
pour moitié à la charge du canton de Genève et pour moitié à la charge de
l'intimé A.________.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton
de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision.

Lausanne, le 22 octobre 2012

Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Mathys

La Greffière: Livet