Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.702/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_702/2012

Arrêt du 18 mars 2013
Ire Cour de droit civil

Composition
Mmes et MM. les Juges fédéraux Klett, Présidente,
Corboz, Kolly, Kiss et Niquille.
Greffière: Mme Monti.

Participants à la procédure
X.________, représenté par Me Marlyse Cordonier,
recourant,

contre

Y.________ SA, représentée par Me Christian Grosjean,
intimée.

Objet
contrat d'assurance; prescription des créances dérivant du contrat,

recours en matière civile contre l'arrêt rendu le
19 octobre 2012 par la Chambre civile de la Cour de justice du canton de
Genève.

Faits:

A.
A.a X.________, né en octobre 1955, exerçait depuis 1983 une activité
professionnelle à titre indépendant. En 1992, il a conclu avec la société
d'assurance Y.________ SA une police de prévoyance comprenant entre autres une
assurance en cas d'incapacité de gain, sous la forme d'une rente annuelle
maximale de 36'000 fr.; celle-ci devait être versée après un délai d'attente de
vingt-quatre mois, jusqu'au 1er avril 2021 au plus tard. A défaut de paiement
des primes, le contrat s'éteignait à l'échéance du délai fixé par sommation
préalable.
En août 1997, l'assuré a été victime d'un accident de la circulation. Il n'a
pas pu reprendre son activité professionnelle à 100 %. Dans un rapport du 12
novembre 1998, l'expert médical A.________ a jugé que l'état du patient était
stabilisé et a fixé à 30,5 % le taux d'invalidité médico-théorique permanente
liée à l'accident. Dans un rapport ultérieur du 4 septembre 2003, l'expert a
retenu une incapacité de travail de 50 % tenant compte des seuls troubles
somatiques; il précisait qu'en tout état de cause, la capacité de travail ne
dépasserait pas ce pourcentage.
A.b Le 23 mars 2002, l'assuré a déposé une demande de prestations d'assurance
invalidité (AI) auprès de l'Office cantonal de l'assurance invalidité (OCAI).
Le 2 juin 2005, ce dernier a refusé toute rente au motif que l'assuré n'avait
pas connu de perte au niveau de son chiffre d'affaires, malgré l'aggravation
constatée de son état de santé. Saisi d'une opposition, l'OCAI a confirmé sa
position le 19 février 2007.
Statuant par arrêt du 13 mai 2008, le Tribunal cantonal des assurances sociales
du canton de Genève a modifié la décision de l'OCAI et accordé à l'assuré une
demi-rente d'invalidité entre mars 2001 et août 2002, puis une rente entière
dès septembre 2002; il a reconnu l'existence d'une invalidité permanente
partielle (50 %) dès le mois de mars 1998, puis totale dès le 2 septembre 2002.
Cet arrêt a été déféré au Tribunal fédéral, qui l'a rejeté en date du 23 mars
2009 (9C_510/2008).
A.c Entre le 1er septembre 2002 et le 30 septembre 2006, la compagnie
d'assurance a versé à l'assuré des demi-rentes trimestrielles. Durant cette
même période, l'assuré a payé les primes d'assurance à concurrence de la moitié
des montants convenus.
Le 18 septembre 2006, la société d'assurance a informé l'assuré que les rentes
trimestrielles ne seraient à nouveau versées qu'après réception de documents
permettant de déterminer clairement la perte de gain, ou réception d'une
nouvelle décision de l'OCAI; à défaut d'obtenir les documents requis dans un
délai échéant le 1er novembre 2006, elle classerait le dossier et demanderait
la restitution des prestations versées en trop. L'assuré était en outre invité
à régler au plus vite les primes réclamées afin d'éviter une libération de la
police. Le 3 mai 2007, la compagnie d'assurance a accordé à l'assuré un délai
de quatorze jours pour payer les primes échues s'il entendait éviter la
transformation de son assurance. Par courrier du 4 septembre 2007, elle a
informé l'assuré qu'en raison du non-paiement ou du paiement partiel de
l'arriéré de primes, son assurance avait été modifiée; elle lui a transmis une
nouvelle police ne prévoyant aucune prestation en cas d'incapacité de gain.
Le 4 septembre 2009, l'assuré a signalé à la compagnie d'assurance qu'il avait
été mis au bénéfice d'une rente d'invalidité; il lui a demandé de verser les
prestations dues selon sa police d'assurance. La société d'assurance a refusé,
en faisant valoir que l'incapacité de gain n'était plus assurée depuis le 1er
avril 2007.

B.
B.a Le 6 août 2010, l'assuré a ouvert action contre la compagnie d'assurance
devant le Tribunal de première instance du canton de Genève. Selon ses
dernières conclusions du 18 novembre 2011, il requérait le paiement de 278'381
fr. pour la période du 1er septembre 2002 au 30 octobre 2011, à titre
d'indemnisation de son incapacité de gain et de remboursement des primes payées
en trop; il demandait en outre le paiement d'une rente mensuelle de 3'000 fr. à
compter du 1er novembre 2011 jusqu'au 30 mars 2021 au plus tard, pour autant
que dure son incapacité de gain. La société d'assurance a conclu au déboutement
de l'assuré; elle a notamment soulevé l'exception de prescription.
Par jugement du 2 février 2012, le Tribunal a retenu la prescription et rejeté
l'action sans se prononcer sur les autres questions litigieuses, dont en
particulier celle de la suppression du droit de l'assuré à des indemnités pour
perte de gain à partir du 1er avril 2007.
B.b L'assuré a interjeté appel. Statuant par arrêt du 19 octobre 2012, la
Chambre civile de la Cour de justice a considéré que les prétentions émises par
l'assuré étaient prescrites et que la société d'assurance n'avait pas commis un
abus de droit en soulevant l'exception de prescription. En conséquence, elle a
rejeté l'appel et confirmé le rejet de l'action.
Les considérants de l'arrêt peuvent succinctement se résumer comme il suit:
l'invalidité permanente de l'assuré avait été objectivement établie au plus
tard le 4 septembre 2003, par le rapport d'expert daté du même jour. Le délai
de prescription de deux ans prévu à l'art. 46 LCA (loi fédérale sur le contrat
d'assurance; RS 221.229.1) avait donc commencé à courir au plus tard ce
jour-là. La prescription avait été interrompue par les versements trimestriels
effectués dès septembre 2002 jusqu'en septembre 2006. Un nouveau délai de
prescription biennal avait commencé à courir le 1er octobre 2006 pour expirer
le 1er octobre 2008, à défaut d'acte interruptif. La prétention en paiement des
prestations d'assurance était donc prescrite. Quant au remboursement des primes
versées en trop, il était régi par les règles sur l'enrichissement illégitime.
Le délai de prescription d'un an avait commencé à courir le 13 mai 2008, date à
laquelle le Tribunal des assurances sociales avait reconnu l'invalidité totale
de l'assuré; il était arrivé à échéance le 13 mai 2009 sans avoir été
interrompu. Ainsi, toutes les prétentions de l'assuré étaient prescrites
lorsqu'il avait ouvert action le 6 août 2010.

C.
Par-devant le Tribunal fédéral, l'assuré (ci-après: le recourant) interjette un
recours en matière civile, concluant à l'annulation de l'arrêt d'appel, au
rejet de l'exception de prescription et au renvoi de la cause à l'autorité de
première instance afin qu'elle statue sur le fond du litige.
La compagnie d'assurance (ci-après: l'intimée) conclut au rejet du recours et à
la confirmation de l'arrêt attaqué. L'autorité précédente se réfère à son
arrêt.

Considérant en droit:

1.
Le recourant se plaint d'une violation de l'art. 46 LCA relatif à la
prescription des créances dérivant du contrat d'assurance.
Il convient de rappeler les règles du Code des obligations, avant d'exposer le
régime spécial institué par l'art. 46 LCA.

1.1 Sauf disposition contraire, les créances se prescrivent par dix ans (art.
127 CO). Ce délai court dès que la créance est exigible (art. 130 al. 1 CO). A
défaut de terme stipulé ou résultant de la nature de l'affaire, l'obligation
est exigible immédiatement (cf. art. 75 ss CO).
Un délai de prescription plus court, soit cinq ans, s'applique aux redevances
périodiques (art. 128 ch. 1 CO). Sont visées les prestations dont le débiteur
est tenu à époques régulières, en vertu du même rapport d'obligation. Chacune
des prestations doit pouvoir être exigée de façon indépendante; il n'est
toutefois pas nécessaire que les prestations soient toutes de la même
importance et que leur montant soit par avance exactement déterminé (ATF 124
III 370 consid. 3c).
Les rentes viagères sont des redevances périodiques au sens de l'art. 128 ch. 1
CO et se prescrivent donc par cinq ans dès qu'elles sont exigibles. En outre,
l'art. 131 CO prévoit que le rapport juridique de base (Stammrecht,
Grundforderung, Forderungsrecht im Ganzen) qui fonde ces rentes viagères ou
"autres prestations périodiques analogues" est lui-même sujet à prescription,
laquelle commence à courir dès le jour d'exigibilité de la première prestation
impayée; le délai est celui de l'art. 127 CO, soit dix ans (ATF 124 III 449
consid. 3b; STEPHEN V. BERTI, Zürcher Kommentar, 3e éd. 2002, n°s 6-8 et 25-26
ad art. 131 CO). Il s'agit ainsi d'éviter que le rapport juridique générant le
droit à de telles prestations périodiques, chacune prescriptible par cinq ans,
continue à exister alors même qu'il n'est l'objet d'aucune exécution pendant
plusieurs années (ATF 111 II 501 consid. 2 p. 502). La prescription du rapport
de base supprime le droit à toute prestation périodique, y compris celles qui
n'étaient pas encore prescrites en vertu de l'art. 128 CO (cf. art. 131 al. 2
CO; ATF 124 III 449 consid. 3b p. 452).

1.2 En matière de contrat d'assurance, l'exigibilité revêt un sens particulier:
la créance qui résulte d'un tel contrat est échue quatre semaines après le
moment où l'assureur a reçu les renseignements de nature à lui permettre de se
convaincre du bien-fondé de la prétention (art. 41 al. 1 LCA). Le législateur a
considéré qu'ainsi définie, l'exigibilité ne pouvait constituer le point de
départ adéquat de la prescription (ERNST A. THALMANN, Die Verjährung im
Privatversicherungsrecht, 1940, p. 110 s.; JEAN-BENOÎT MEUWLY, La durée de la
couverture d'assurance privée, 1994 [cité ci-après: Durée], p. 252-254). Il
s'agissait notamment d'éviter que l'assuré puisse influer sur le processus de
prescription (arrêt 5C.237/2004 du 23 mars 2005 consid. 2.1; MEUWLY, Durée, p.
238). En conséquence, le législateur a adopté un autre critère comme point de
départ de la prescription: selon l'art. 46 al. 1 LCA, "les créances qui
dérivent du contrat d'assurance se prescrivent par deux ans à dater du fait
d'où naît l'obligation" ("nach Eintritt der Tatsache, welche die
Leistungspflicht begründet", "dal fatto su cui è fondata l'obbligazione"). La
créance peut ainsi se prescrire avant d'être exigible (STEPHAN FUHRER,
Schweizerisches Privatversicherungsrecht [cité ci-après:
Privatversicherungsrecht], 2011, p. 394 ss nn. 15.7 ss). La LCA renvoie par
ailleurs au Code des obligations pour toutes les questions qu'elle ne règle pas
(art. 100 al. 1 LCA).
La doctrine déplore l'imprécision du dies a quo tel que défini à l'art. 46 al.
1 LCA, tout en reconnaissant qu'il est difficile d'appréhender en une seule
formule diverses créances (prestations d'assurance, primes de l'assuré, etc.)
de contrats concernant des types d'assurances très variés (MEUWLY, Durée, p.
249; cf. aussi THALMANN, op. cit., p. 107). Elle observe, entre autres, qu'il
est fait référence à un seul "fait" dont découle l'obligation, alors qu'en soi,
de nombreuses étapes conduisent à la prise en charge du cas d'assurance; se
pose en outre la question de savoir si l'expression "obligation"
(Leistungspflicht, obbligazione) vise le rapport d'obligation en tant que tel
ou l'objet de ce rapport, soit les prestations d'assurance (MEUWLY, Durée, p.
223-225).
Au terme d'une évolution, la jurisprudence a précisé que le "fait d'où naît
l'obligation" ne se confond pas nécessairement avec la survenance du sinistre -
même s'il s'agit de la cause première de l'obligation d'indemnisation. Selon le
type d'assurance envisagée, la prestation de l'assureur n'est due que si le
sinistre engendre un autre fait précis. Ainsi, en matière d'assurance accident,
le contrat peut prévoir une couverture en cas d'invalidité; ce n'est alors pas
l'accident comme tel, mais la survenance de l'invalidité qui donne lieu à
l'obligation de payer des prestations (ATF 126 III 278 consid. 7a; 118 II 447
consid. 2b p. 454). Seule une prétention qui a déjà pris naissance peut être
atteinte par la prescription (ATF 100 II 42 consid. 2d p. 48). Le moment
déterminant pour le départ de la prescription est donc celui où sont réunis
tous les éléments constitutifs fondant le devoir de prestation
(Leistungspflicht) de l'assureur (ATF 127 III 268 consid. 2b p. 271). Il
s'ensuit que la notion de "fait d'où naît l'obligation" varie selon les
diverses catégories d'assurances, et selon le type de prétention en cause (ATF
127 III 268 consid. 2b p. 270; 4A_645/2010 du 23 février 2011 consid. 2.2.2,
rés. in JdT 2012 II 135). Dans l'assurance invalidité, la prescription commence
à courir lorsque l'invalidité est acquise, sans égard au moment où l'assuré en
a eu connaissance (ATF 118 II 447 consid. 2b p. 455).
En bref, pour connaître le "fait d'où naît l'obligation", et partant le point
de départ de la prescription, il faut analyser le contrat d'assurance et
déterminer quel est le sinistre assuré, respectivement quels éléments
constitutifs doivent être réunis pour que l'assureur ait l'obligation
d'indemniser l'assuré - sans égard aux déclarations et actes que doit faire la
partie qui invoque une prétention (cf. par ex. KARL SPIRO, Die Begrenzung
privater Rechte durch Verjährungs-, Verwirkungs- und Fatalfristen [cité
ci-après: Begrenzung], vol. I, 1975, p. 67 s.).
1.3
1.3.1 Dans le cas concret, les conditions contractuelles telles qu'énoncées
dans l'arrêt attaqué sont les suivantes:
Le recourant a souscrit une assurance en cas d'incapacité de gain qui lui
confère, à l'issue d'un délai d'attente de 24 mois, le droit à une rente
annuelle de 36'000 fr. jusqu'au 1er avril 2021.
Selon les conditions générales d'assurance (CGA),
- il y a incapacité de gain lorsque, par suite de maladie - pouvant être
constatée sur la base de signes objectifs médicaux - ou d'accident, l'assuré
est hors d'état d'exercer sa profession ou toute autre activité conforme à sa
position sociale, à ses connaissances et à ses aptitudes (art. 50).
- les rentes sont accordées proportionnellement au degré de l'incapacité de
gain, pour autant que l'assuré subisse à cause de son incapacité de gain une
perte de gain ou un autre préjudice pécuniaire équivalent. Si l'incapacité de
gain est d'au moins deux tiers, les prestations entières sont accordées. Une
incapacité de moins d'un quart ne donne droit à aucune prestation (art. 55).
1.3.2 La Cour de justice s'est fondée sur la prémisse que l'assuré avait
souscrit une assurance invalidité, après avoir rappelé que l'invalidité, au
sens de l'art. 88 LCA, est une atteinte définitive à l'intégrité corporelle,
qui diminue la capacité de travail. En conséquence, elle a déterminé à quel
moment l'invalidité était acquise, retenant la date d'un rapport de l'expert
médical, soit le 4 septembre 2003. Elle a considéré que cet instant marquait le
point de départ de la prescription.
1.3.3 Le recourant reproche aux juges cantonaux d'avoir fait une interprétation
erronée du type d'assurance convenue. Selon lui, l'obligation d'indemniser
découlerait non pas de l'invalidité, mais de la conjonction d'autres éléments,
à savoir l'incapacité d'exercer sa profession en raison d'une maladie ou d'un
accident, une perte de gain découlant de cette incapacité, et l'écoulement d'un
délai d'attente de deux ans. Or, ces conditions n'auraient été réunies que le
23 mars 2009, date à laquelle le Tribunal fédéral a validé la méthode utilisée
par le Tribunal cantonal des assurances sociales pour fixer la perte de gain.
Le délai de prescription n'aurait commencé à courir qu'à cette date.
1.3.4 Le recourant a raison sur le premier point: ce n'est pas l'invalidité
comme telle qui était assurée. D'après les conditions contractuelles
mentionnées dans l'arrêt attaqué, l'obligation de verser la rente naît
objectivement lorsque l'assuré, par suite d'un accident ou d'une maladie, se
trouve hors d'état d'exercer sa profession ou une autre activité analogue (art.
50 CGA) et qu'il subit de ce fait une perte de gain ou un autre préjudice
pécuniaire équivalent (art. 55 CGA). Un délai d'attente de deux ans doit en
outre être respecté. La perte de gain n'a toutefois pas d'incidence sur
l'étendue de l'indemnité, fixée forfaitairement, et susceptible de varier en
proportion du degré d'incapacité.
Ceci dit, l'exigence d'une perte de gain effective n'a pas pour effet de
repousser le point de départ de la prescription au 23 mars 2009. L'obligation
d'indemniser ne prend naissance, au sens de l'art. 46 LCA, que si l'assuré
subit objectivement une perte de gain; en revanche, le moment auquel cette
perte est démontrée et chiffrée est sans importance. La preuve de la perte de
gain dépend en particulier du comportement de l'assuré; cet élément ne saurait
influer sur le départ de la prescription. Or, le recourant lui-même ne nie pas
que la perte de gain existait objectivement dès avant sa constatation dans la
procédure AI; il fait observer, en se référant à l'arrêt du Tribunal cantonal
des assurances sociales, qu'il a subi une perte de gain de 50 % dès mars 1998,
puis de 80 % dès l'automne 2002.
Il s'ensuit que la réalisation des éléments générant l'obligation d'indemniser
se situe à une date encore antérieure à celle du 4 septembre 2003, retenue par
la Cour de justice; les éléments constitutifs - y compris la perte de gain -
étaient vraisemblablement déjà réalisés au mois de septembre 2002, lorsque la
compagnie d'assurance a commencé à verser des indemnités.

1.4 Quoi qu'il en soit, la cour cantonale a considéré que l'écoulement d'un
délai de deux ans entre octobre 2006 et octobre 2008 éteignait tout droit à des
prestations d'assurance. C'est en définitive ce raisonnement qui a conduit à
l'admission de l'exception de prescription; or, une telle analyse ne saurait
être suivie.
Le Tribunal fédéral appliquant le droit d'office, il n'est pas lié par les
motifs invoqués par le recourant pour contester la prescription (art. 106 al. 1
LTF; ATF 133 III 545 consid. 2.2). La question qui va être discutée ci-dessous
(consid. 2) a fait l'objet de publications récentes, que les parties,
singulièrement l'intimée en tant que professionnelle de la branche, ne
sauraient ignorer; il n'y a donc pas lieu de leur donner une nouvelle
possibilité de se déterminer.

2.
2.1 Dans un arrêt de 1985 (ATF 111 II 501 consid. 2), le Tribunal fédéral a dû
se prononcer sur la prescription d'une action intentée le 27 octobre 1980,
tendant au paiement d'une rente dès le 1er mars 1978, date à laquelle avait
débuté une incapacité de gain pour cause d'invalidité. L'assureur soutenait, en
se référant à l'art. 131 CO, que le rapport juridique donnant droit aux rentes
était prescriptible, et que la LCA fixait le délai de prescription à deux ans.
L'autorité de céans a souligné que dans le régime ordinaire du Code des
obligations, le rapport juridique de base se prescrivait par dix ans (art. 127
CO), et que l'assimilation de la police d'assurance à un contrat de rentes
périodiques au sens de l'art. 131 CO ne serait donc d'aucun secours à
l'assureur. L'application d'un délai de prescription absolue de deux ans, dans
des cas d'assurances pour incapacité de gain dans des limites de temps
définies, aboutirait à un traitement de faveur injustifié, même au regard de
l'art. 46 LCA. En définitive, le Tribunal fédéral a confirmé la décision
cantonale, qui allouait la rente à compter du 27 octobre 1978, soit deux ans
avant l'introduction de l'action. Cet arrêt a été interprété de diverses
façons. Il fait en tout cas clairement apparaître que chaque rente pour
incapacité de gain se prescrit par deux ans (cf. résumé d'en-tête) et qu'il est
exclu d'appliquer ce bref délai à la prescription du rapport de base.
En 2004 (arrêt 5C.168/2004 du 9 novembre 2004), le Tribunal fédéral a été saisi
d'un litige où l'assuré, après avoir souscrit une assurance en cas d'incapacité
de gain, prétendait au paiement de rentes d'invalidité dès le 1er janvier 1999,
alors qu'il avait ouvert action le 21 septembre 2001. Le Tribunal fédéral a
distingué deux types de prescription: celle concernant le rapport de base, qui
fondait le droit à percevoir des rentes, et celle touchant les rentes
périodiques elles-mêmes. Comme créances, ces dernières étaient soumises à la
prescription biennale de l'art. 46 al. 1 LCA. En revanche, cette disposition,
vu sa lettre claire, ne visait pas le rapport de base, qui n'était
techniquement pas une créance. Celui-ci était dès lors soumis au délai
ordinaire décennal de l'art. 127 CO, qui commençait à courir dès le premier
arriéré (art. 131 al. 1 CO). Dans le cas jugé, ce délai n'était de loin pas
écoulé lorsque l'action avait été introduite.

2.2 Parallèlement, le Tribunal fédéral a dû se prononcer sur la prescription
d'indemnités journalières.
L'ATF 127 III 268 se rapportait à une assurance prévoyant le versement
d'indemnités journalières à deux conditions: d'une part, l'existence d'une
incapacité de travail causée par une maladie et attestée par un médecin;
d'autre part, l'écoulement d'un délai d'attente de 14 jours. Le Tribunal
fédéral, en se référant à THALMANN (op. cit., p. 169), a jugé que le moment où
ces deux éléments constitutifs étaient réalisés marquait le départ du délai de
prescription biennal de l'art. 46 al. 1 LCA et ce, pour l'ensemble des
indemnités journalières dues pendant la période d'incapacité assurée. Sauf
solution divergente découlant clairement du contrat, il fallait considérer le
système des indemnités journalières comme un tout, soumis à un délai de
prescription unique.
L'ATF 127 a été confirmé dans un arrêt de 2010 concernant également une
assurance d'indemnités journalières en cas de maladie (arrêt 4A_532/2009 du 5
mars 2010 consid. 2.4).

2.3 La solution retenue en matière d'indemnités journalières a été critiquée en
doctrine. D'aucuns soulignent que THALMANN (op. cit., p. 169), auquel se réfère
l'ATF 127 III 268, entendait effectivement traiter les indemnités comme un
tout, mais faisait débuter la prescription à la fin de la période de
couverture. Plusieurs auteurs font en outre observer que les conditions
contractuelles prévues pour le versement de la première indemnité doivent aussi
être réalisées pour les indemnités suivantes, et que cet élément reste à
vérifier quotidiennement. L'incapacité est sujette à des variations; en outre,
l'assuré peut mourir. Il serait préférable de considérer que les indemnités
journalières se prescrivent de manière individuelle, chaque jour constituant un
fait nouveau dont découle l'obligation de l'assureur de verser l'indemnité
prévue (MEUWLY, La prescription des créances d'assurance privée [...], PJA 2003
p. 312 s.; SPIRO, Verjährung von Krankentaggeldansprüchen [cité ci-après:
Verjährung], REAS 2002 p. 121; VINCENT BRULHART, Justification de l'art. 46 LCA
[...], PJA 2001 p. 1105; cf. aussi ROLAND BREHM, L'assurance privée contre les
accidents, 2001, p. 365 n. 840). Il est aussi relevé qu'en pratique, la
solution adoptée à l'ATF 127 III 268 revient à consacrer une prescription de
deux ans du rapport de base, ce qui est contradictoire avec les ATF 111 II 501
et 5C.168/2004 (CHRISTOPH K. GRABER, in Basler Kommentar,
Versicherungsvertragsgesetz, Nachführungsband, 2012, p. 163 s.; FUHRER,
Anmerkungen zu privatversicherungsrechtlichen Entscheiden des Bundesgerichts
[cité ci-après: Anmerkungen], REAS 2010 p. 262 s.).
S'agissant précisément de la prescription du rapport de base, des auteurs
admettent que cette question n'est pas réglée par la LCA et qu'en vertu du
renvoi de l'art. 100 al. 1 LCA, la règle générale de l'art. 131 CO, assortie du
délai de prescription décennal de l'art. 127 CO, peut trouver application
(FUHRER, Privatversicherungsrecht, p. 402 nn. 15.37-15.39; SPIRO, Verjährung,
p. 122 [après avoir soutenu que le rapport de base se prescrivait par deux ans,
in Begrenzung, p. 802 note infrapaginale 17]; THALMANN, op. cit., p. 123 s. et
p. 169 [en matière de rentes uniquement, à l'exclusion des indemnités
journalières en cas d'incapacité temporaire]). Plusieurs commentateurs de
l'art. 131 CO évoquent la jurisprudence sans véritablement se prononcer, en
faisant des interprétations divergentes de l'ATF 111 II 501 (KILLIAS/WIGET, in
Handkommentar zum Schweizer Privatrecht, 2e éd. 2012, n° 5a ad art. 131 CO;
PASCAL PICHONNAZ, in Commentaire romand, 2e éd. 2012, n° 4 i.f. ad art. 131 CO;
ROBERT K. DÄPPEN, in Basler Kommentar, 5e éd. 2011, n° 2 ad art. 131 CO; BERTI,
op. cit., n° 18 ad art. 131 CO; cf. aussi BREHM, op. cit., p. 364 n. 836).
D'autres, non sans appeler une réforme de la LCA, estiment qu'il est
critiquable de réintroduire le délai décennal de l'art. 127 CO en recourant à
l'art. 100 LCA (GRABER, op. cit., p. 163 s.; BRULHART, Droit des assurances
privées, 2008, p. 399 s.), ou que l'application de l'art. 131 CO conduit à des
solutions inadéquates (MEUWLY, Durée, p. 414-416 et PJA 2003 p. 321 s.).

2.4 Il faut encore relever que dans le cadre d'un projet de révision totale de
la LCA, le Conseil fédéral a fait la proposition de réforme suivante en matière
de prescription: chaque prestation d'assurance périodique devait se prescrire
par cinq ans à compter de la date de son échéance, tandis que la créance totale
se prescrivait par dix ans à compter de la date du sinistre (cf. art. 64 al. 2
du projet, FF 2011 7216). Le Message (FF 2011 7152) se référait expressément à
l'art. 41 al. 2 LPP (RS 831.40), lequel soumet les prestations périodiques à un
délai de prescription quinquennal et les autres créances à un délai décennal,
tout en déclarant applicables les art. 129 à 142 CO; la jurisprudence en déduit
que le droit de percevoir les rentes comme tel se prescrit dans le délai
ordinaire de dix ans dès le jour de l'exigibilité du premier terme demeuré
impayé, conformément à l'art. 131 al. 1 CO (ATF 132 V 159 consid. 3 et les réf.
citées).
Cela étant, au mois de décembre 2012, le Conseil national a renvoyé le projet
au Conseil fédéral, en l'invitant à élaborer une nouvelle réforme de la LCA
limitée aux points nécessaires, incluant une prolongation appropriée des délais
de prescription (BO 2012 CN 2203-2213).

2.5 Dans le cas concret, sont en cause des rentes versées en cas d'incapacité
de gain après un délai d'attente de 24 mois, et susceptibles de l'être jusqu'à
ce que l'assuré ait atteint l'âge de 65 ans et demi.
Il n'y a pas de motif de déroger à la jurisprudence rendue dans des cas
semblables, selon laquelle chaque rente découlant du contrat d'assurance contre
l'incapacité de gain se prescrit par deux ans (supra, consid. 2.1). Ces rentes
sont des prestations périodiques au sens de l'art. 128 CO, qui prévoit une
prescription individuelle pour chaque redevance. En outre, l'incapacité de
gain, qui fonde le droit à la rente, doit être réalisée constamment; or, elle
est susceptible de varier ou de disparaître (cf. ATF 111 II 501 consid. 2 p.
503, qui fait une réflexion semblable à propos de l'invalidité). Ainsi, le
"fait d'où naît l'obligation" de l'assureur se répète constamment. Ces
considérations vont dans le même sens que la doctrine récente.
En l'occurrence, le recourant prétend au paiement d'une demi-rente
complémentaire pour la période du 1er septembre 2002 au 30 septembre 2006, puis
d'une rente complète dès le 1er octobre 2006, date à laquelle la compagnie
d'assurance a interrompu tout versement. L'action a été introduite le 6 août
2010.
Il n'est pas nécessaire d'examiner si le versement d'une demi-rente entre 2002
et 2006 a éventuellement interrompu la prescription à l'égard du solde de rente
qui est réclamé pour cette même période - ce que conteste l'intimée. De toute
façon, les paiements ont cessé le 1er octobre 2006. Il n'est pas établi
qu'entre cette date et l'ouverture de l'action le 6 août 2010, il y ait eu un
acte interruptif pertinent. Il faut dès lors conclure que le recourant peut
tout au plus prétendre à une rente pour les deux ans qui précèdent l'ouverture
de l'action, ainsi que pour la période postérieure. Le recourant a donc
partiellement raison, en ce sens que ses prétentions - pour autant qu'elles
existent - n'étaient pas entièrement prescrites quand l'action a été
introduite.
Quant à la prescription du rapport de base, il faut également s'en tenir au
principe que si le mécanisme particulier de l'art. 131 CO doit trouver
application, on ne saurait lui appliquer le délai très court de l'art. 46 al. 1
LCA, mais bien celui de l'art. 127 CO (cf. ATF 111 II 501 consid. 2). Dans
l'ensemble, la doctrine ne contredit pas ce point de vue. L'extinction du
rapport de base est une question particulière, qui ne découle pas ex lege de
l'art. 127 CO et a nécessité l'introduction d'une règle spéciale dans le CO; de
la même manière, il faut admettre que cette question n'est pas non plus traitée
par l'art. 46 LCA, qui énonce une règle générale. Pour le surplus, il n'y a pas
à discuter plus avant la question de savoir si les rentes d'incapacité de gain,
notamment celle du cas concret, sont assimilables à des rentes viagères. Il
apparaît en effet que de toute façon, le délai de prescription de dix ans
depuis le premier arriéré n'était pas atteint lorsque l'action a été
introduite. Cela étant, l'on ne peut que rejoindre la doctrine lorsqu'elle
appelle une clarification de la question dans la loi.

2.6 Ce n'est pas le lieu ici de répondre aux critiques doctrinales concernant
un autre type d'assurance, soit les indemnités journalières en cas de maladie;
l'on se limitera ainsi à quelques remarques succinctes. S'agissant d'assurances
en cas d'incapacité temporaire, prévoyant le versement d'indemnités pour un
délai relativement bref, fréquemment limité à 720 jours, l'on peut
difficilement admettre une analogie avec la rente viagère au sens de l'art. 131
al. 1 CO. C'est une autre question que de déterminer quel est le "fait d'où
naît l'obligation de l'assureur" pour ce type d'assurance, respectivement de
savoir si l'on peut continuer à traiter l'indemnisation convenue comme un tout
et, dans l'affirmative, si la prescription doit commencer à courir dès la
première ou la dernière indemnité exigible.

3.
3.1 Le recourant plaide que l'exception de prescription relève de l'abus de
droit. L'intimée, qui avait interrompu le versement des rentes suite à la
décision négative de l'OCAI, était intéressée à l'issue de la procédure en
matière d'assurance invalidité. Tant que celle-ci durait, le recourant n'avait
pas de raison d'entreprendre des démarches pour interrompre la prescription,
d'autant que des courriers de l'intimée lui donnaient la garantie que sa
situation serait réexaminée une fois connue la décision définitive en matière
d'AI.

3.2 Le débiteur commet un abus de droit en se prévalant de la prescription
lorsqu'il a astucieusement dissuadé le créancier d'agir en temps utile, ou même
lorsque sans mauvaise intention, il a adopté un comportement propre à faire
renoncer le créancier à entreprendre des démarches juridiques dans le délai de
prescription; au regard d'une appréciation raisonnable, fondée sur des critères
objectifs, le retard à agir doit apparaître compréhensible. Le comportement du
débiteur doit être en relation de causalité avec le retard du créancier (ATF
131 III 430 consid. 2; 128 V 236 consid. 4a).

3.3 Dans sa lettre du 18 septembre 2006, l'intimée subordonnait le versement de
nouvelles rentes à la production de documents établissant la perte de gain ou à
la production d'une nouvelle décision de l'OCAI. Elle précisait que si les
documents requis n'étaient pas produits le 1er novembre 2006, elle classerait
le dossier et demanderait la restitution des prestations versées en trop; le
recourant ne pouvait donc être dans l'incertitude. Il importe peu qu'en avril
2007, l'intimée ait éventuellement encore réservé la possibilité de revoir sa
décision si le recours contre la décision de l'OCAI devait aboutir à l'octroi
d'une rente. En effet, le 4 septembre 2007, après un premier avertissement
effectué le 3 mai 2007, l'intimée a écrit au recourant que le contrat qui les
liait avait été transformé en raison du non-paiement des primes et qu'il ne lui
donnait plus droit à des prestations en cas d'incapacité de gain. On ne saurait
donc retenir que l'intimée aurait d'une quelconque manière retenu le recourant
d'agir dans les délais. Il s'ensuit le rejet du grief.

4.
La Chambre civile a jugé, en se référant à l'ATF 135 III 289 consid. 6.2, que
la prétention en remboursement des primes payées à tort relevait de
l'enrichissement illégitime (art. 67 CO) et qu'elle était en l'occurrence
prescrite. Ce point de l'arrêt attaqué n'est pas remis en cause. Il n'y a pas à
y revenir.

5.
En définitive, le recours est partiellement admis, dans la mesure évoquée au
considérant 2.5 ci-dessus. L'arrêt attaqué doit être annulé et la cause
renvoyée à l'autorité précédente pour suite de la procédure.
Chaque partie n'obtient que partiellement gain de cause. En conséquence,
chacune supportera la moitié des frais judiciaires. Les dépens seront compensés
(art. 66 et 68 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est partiellement admis.

2.
L'arrêt attaqué est annulé et la cause renvoyée à la Chambre civile de la Cour
de justice pour suite de la procédure.

3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 6'000 fr., sont mis par moitié à la charge de
chacune des parties.

4.
Il n'est pas alloué de dépens.

5.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre
civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 18 mars 2013

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

La Présidente: Klett

La Greffière: Monti