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I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.634/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_634/2012

Arrêt du 15 janvier 2013
Ire Cour de droit civil

Composition
Mme et MM. les Juges fédéraux Klett, Présidente, Corboz et Kolly.
Greffière: Mme Monti.

Participants à la procédure
X.________, représenté par Me Christophe Sivilotti,
recourant,

contre

Y.________ SA, agissant par sa succursale de Lausanne, représentée par Me
Gilles Favre,
intimée.

Objet
mesures provisionnelles,

recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 30 août 2012 par le Juge
délégué de la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Faits:

A.
A.a Par contrat de travail du 5 février 2010, la banque Y.________ SA a engagé
X.________ en qualité de "relationship manager" pour sa succursale lausannoise.
Le salaire annuel convenu était de 360'100 fr., auquel s'ajoutait un bonus
calculé sur les performances personnelles.

La majeure partie des comptes bancaires de l'employé se trouve auprès de la
succursale de la banque. Les "conditions régissant la relation bancaire"
confèrent à la banque un droit de gage sur toutes les valeurs demeurant sous sa
garde pour le compte du client, ainsi qu'un droit de compensation concernant
toutes les créances. L'employé a par ailleurs signé un "acte de nantissement et
de cession général", qui présente en substance les caractéristiques suivantes:
le constituant déclare nantir en faveur de la banque l'ensemble des titres,
créances, espèces, billets de banque, métaux précieux et autres valeurs, ainsi
que tous les avoirs actuels ou futurs déposés auprès de la banque ou se
trouvant sous sa propriété. Les créances sont cédées à la banque comme gage
mobilier, conformément aux art. 884 ss et 899 ss CC. Le droit de gage sert de
garantie à toutes les prétentions actuelles ou futures de la banque à
l'encontre du débiteur.
A.b Par courrier notifié le 3 avril 2012, la banque a déclaré résilier le
contrat de travail avec effet immédiat pour justes motifs. En substance, il
était reproché à l'employé d'avoir effectué un nombre démesuré et injustifié de
transactions sur devises et sur titres en relation avec les comptes de deux
clients. L'ex-employé s'est opposé par écrit au congé.

La banque a bloqué tous les comptes de son ex-employé, à savoir ses comptes
liquidités, actions et hedge fund ; leurs montants s'élèvent à CHF 301'629 fr.,
EUR 133'852, CHF 75'565, USD 43'952 et GBP 24'070. Dans le cadre de la
procédure mentionnée ci-dessous, la banque a invoqué l'acte de nantissement
général, en expliquant qu'il y aurait vraisemblablement lieu à réparation pour
les pertes que l'ex-employé a fait subir à deux de ses clients; elle estime ces
pertes à plus d'un million d'euros.

B.
B.a L'ex-employé a saisi la Chambre patrimoniale cantonale du canton de Vaud
d'une requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles datée du 7
avril 2012, visant à ce que la banque et sa succursale reçoivent l'ordre de
débloquer tous les comptes à son nom au sein de la succursale, sous menace de
la peine prévue à l'art. 292 CP.

Le Juge délégué de la Chambre patrimoniale a rejeté la requête superprovisoire.
Après avoir tenu audience, il a admis la requête provisionnelle par ordonnance
du 16 mai 2012, en application des art. 261 ss CPC. Il a invité le requérant à
faire valoir son droit en justice dans un délai échéant le 20 août 2012.
B.b L'ex-employé a déposé une demande datée du 6 juin 2012 devant la Chambre
patrimoniale. Il requiert des dommages-intérêts pour résiliation injustifiée
(683'100 fr.), une indemnité représentant six mois de salaire (172'200 fr.) et
une indemnité pour tort moral fixée à dire de justice. Il renouvelle en outre
la conclusion déjà formée à titre provisionnel, à savoir que la banque et sa
succursale doivent se voir intimer l'ordre de débloquer tous les comptes à son
nom, sous menace de sanction pénale.
B.c Par mémoire du 9 juillet 2012, la banque et sa succursale ont fait appel de
l'ordonnance provisionnelle. L'exécution de celle-ci avait déjà été suspendue
par décision du 3 juillet 2012.

Le 30 août 2012, le Juge délégué de la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal
a admis l'appel et rejeté la requête provisionnelle. Il a condamné l'ex-employé
aux frais et dépens de la procédure provisionnelle.

C.
L'ex-employé (ci-après: le recourant) saisit le Tribunal fédéral d'un recours
en matière civile dirigé contre la banque et sa succursale, dans lequel il
requiert le rejet de l'appel et la confirmation de l'ordonnance de mesures
provisionnelles rendue en première instance.

Le recours bénéficie de l'effet suspensif, en vertu de l'ordonnance rendue le
15 novembre 2012 par la Présidente de la Cour de céans. Cette même décision
constate en outre que la succursale, faute de jouir de la personnalité
juridique, est dépourvue de la capacité de partie et ne peut dès lors pas
participer à la présente procédure; qu'en conséquence, la banque, agissant par
sa succursale lausannoise, revêt seule la qualité d'intimée au recours.

La banque conclut au rejet du recours. L'autorité précédente se réfère à son
arrêt.

Considérant en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 138 III 46 consid. 1).

1.1 En principe, le recours en matière civile n'est recevable que contre des
décisions finales, soit des décisions mettant fin à la procédure (art. 90 LTF;
ATF 134 I 83 consid. 3.1 p. 86). Lorsqu'il vise des décisions préjudicielles ou
incidentes autres que celles concernant la compétence ou la récusation (art. 92
LTF), le recours n'est admissible qu'à deux conditions alternatives: il faut
que la décision puisse causer un préjudice irréparable, ou que l'admission du
recours puisse conduire immédiatement à une décision finale permettant d'éviter
une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. a et b LTF).

La décision sur mesures provisionnelles est finale lorsqu'elle est rendue dans
une procédure indépendante de toute autre et qu'elle y met un terme. Elle est
en revanche incidente lorsqu'elle statue sur des mesures provisionnelles qui se
greffent - ou sont vouées à se greffer - sur une procédure principale au fond,
sans laquelle elles ne peuvent subsister (ATF 138 III 76 consid. 1.2; 137 III
324 consid. 1.1; 134 I 83 consid. 3.1).

Le jugement statuant sur l'action possessoire (art. 927 s. CC) est une décision
sur mesures provisionnelles au sens de l'art. 98 LTF. La protection qu'il est
susceptible de conférer n'est que provisoire. En effet, l'action possessoire ne
vise en principe qu'au rétablissement et au maintien d'un état de fait
antérieur; sous réserve de l'art. 927 al. 2 CC, elle ne conduit pas à juger de
la conformité au droit de cet état de fait. Une procédure engagée sur le
terrain du droit peut donc mettre fin aux effets d'une décision portant sur la
protection de la possession (ATF 135 III 633 consid. 4.1; 133 III 638 consid.
2; 113 II 243 consid. 1b). Cela étant, l'objet de l'action possessoire est
autre que celui de l'action pétitoire, laquelle ne doit pas obligatoirement
être introduite. Dans cette mesure, la décision sur la protection de la
possession clôt une procédure totalement indépendante et doit être qualifiée de
finale (arrêts 5A_123/2009 du 23 juin 2009 consid. 1.1; 5A_181/2007 du 26 juin
2007 consid. 1.2; Message du 28 février 2001 concernant la révision totale de
l'organisation judiciaire fédérale, FF 2001 4129).
1.2
1.2.1 Le recourant plaide que l'arrêt attaqué doit être qualifié de final dès
lors qu'il statue sur la possession de ses comptes bancaires. Sa requête
provisionnelle du 7 avril 2012 viserait à la cessation d'un trouble illicite de
sa possession; par sa mesure de blocage, la banque le priverait indûment de la
maîtrise, soit de la possession de ses comptes bancaires.
1.2.2 Dans le canton de Vaud, la Chambre patrimoniale cantonale connaît, pour
l'ensemble du canton, de toutes les causes patrimoniales dont la valeur
litigieuse est supérieure à 100'000 fr. (art. 96g de la loi vaudoise
d'organisation judiciaire [LOJV - RSV 173.01]; art. 2 al. 1 let. c de la loi
vaudoise sur la juridiction du travail [LJT - RSV 173.61]). Les actions
possessoires (art. 927 et 928 CC) relèvent du président du tribunal
d'arrondissement (art. 6 ch. 55 du Code de droit privé judiciaire vaudois [CDPJ
- RSV 211.02]). Lorsque la loi désigne une autorité collégiale pour statuer sur
le fond, le président ou, pour la Chambre patrimoniale cantonale, le juge
désigné par la cour, est néanmoins compétent pour statuer dans les affaires
soumises à la procédure sommaire en vertu des art. 248 ss CPC (art. 43 al. 1
let. e CDPJ).

En l'occurrence, le recourant a déposé une requête de mesures provisionnelles
tendant à lever le blocage de ses comptes bancaires. Dans cette écriture, il se
plaint du caractère abusif de son licenciement et de la mesure illicite
appliquée à ses comptes par son ex-employeuse. Il annonce son intention de
déposer une action au fond, destinée à contester son licenciement et à valider
la mesure requise, en démontrant le caractère illégal du blocage opéré par la
banque. Il n'est nullement question d'un droit à la protection de la possession
fondé sur les art. 927 s. CC. Le recourant a saisi la Chambre patrimoniale
cantonale, et non le Président du Tribunal d'arrondissement. Le Juge délégué de
la Chambre, faisant application des art. 261 ss CPC, a admis la requête.
Conformément à l'art. 263 CPC, il a imparti au recourant un délai au 20 août
2012 pour faire valoir son droit en justice. Le recourant a satisfait à ce
réquisit en déposant une demande du 6 juin 2012 contenant une conclusion
destinée à valider la mesure provisionnelle obtenue.
Il découle de ce qui précède que le recourant plaide à tort avoir introduit une
action possessoire, à laquelle la décision attaquée aurait mis fin. La mesure
provisionnelle requise se greffe sur une procédure principale sans laquelle
elle ne peut subsister. Il s'ensuit que la décision attaquée est incidente au
sens de l'art. 93 LTF. Peut rester indécise la question de savoir si une action
possessoire aurait pu être intentée dans le cas concret (sur la possibilité de
posséder une créance, cf. par ex. PAUL-HENRI STEINAUER, Les droits réels, tome
I, 5e éd. 2012, n°s 198 et 318c; WOLFGANG ERNST, in Basler Kommentar, 4e éd.
2011, n° 48 ad art. 919 CC; EMIL W. STARK, Berner Kommentar, 3e éd. 2001, n° 69
ss ad art. 919 CC).
1.2.3 Le recourant objecte que la décision est finale à un autre titre, à
savoir qu'elle le condamne aux frais et dépens de la procédure. L'argument est
inopérant; en effet, la décision sur cette question accessoire doit recevoir la
même qualification que la décision principale à laquelle elle se rattache, qui
est en l'occurrence de nature incidente (cf. ATF 134 I 159 consid. 1.1; 135 III
329 consid. 1.2 p. 331).

1.3 Dès lors qu'il est dirigé contre une décision incidente, le recours doit
réaliser l'une des alternatives énoncées à l'art. 93 al. 1 LTF. L'hypothèse
envisagée à la lettre b de cette disposition n'entre manifestement pas en ligne
de compte. Il s'agit donc de démontrer que la décision entreprise peut causer
un préjudice irréparable (let. a).
1.3.1 Le préjudice doit être de nature juridique; il ne peut s'agir d'un
préjudice de fait ou d'un préjudice purement économique, comme l'allongement ou
le renchérissement de la procédure (cf. arrêt 4A_36/2012 du 26 juin 2012
consid. 1.2 et 1.3, in sic! 2012 627; ATF 137 III 589 consid. 1.2.3; 137 III
522 consid. 1.3 et 1.4). Le préjudice n'est pas irréparable lorsqu'il pourrait
entièrement disparaître grâce à une décision finale favorable à la partie
recourante. Il appartient au recourant de démontrer qu'il est exposé
concrètement à un préjudice irréparable, à moins que cette conséquence ne
découle manifestement de la décision attaquée ou de la nature de la cause (ATF
137 III 324 consid. 1.1; arrêt 4A_460/2011 du 20 décembre 2011 consid. 1.1 et
1.2, in sic! 2012 480).
1.3.2 Le recourant est parti de la prémisse erronée que la décision était
finale; il ne discute donc pas la condition imposée par l'art. 93 al. 1 let. a
LTF. Toutefois, en s'attachant à démontrer que l'atteinte prétendument subie
risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (cf. art. 261 al. 1
let. b CPC), il soulève des arguments qui pourraient aussi concerner la
recevabilité du recours.

L'arrêt attaqué contient les constatations suivantes: le recourant doit payer
chaque mois un loyer de 2'400 fr., ainsi qu'une contribution d'entretien de
11'500 fr. Le blocage de ses comptes bancaires n'est toutefois pas susceptible
d'entraîner sa faillite, ni la perte de ses moyens d'existence, dès lors
notamment qu'il peut solliciter des indemnités de l'assurance-chômage. A
supposer qu'il ne dispose pas de réserves financières, ce qui n'est pas établi,
le recourant pourrait être contraint d'effectuer des aménagements en matière de
pension alimentaire et de logement; toutefois, même dans cette hypothèse, l'on
ne saurait parler de préjudice difficilement réparable au sens de l'art. 261
CPC.

Le recourant conteste l'analyse juridique de l'autorité d'appel, mais ne
s'attache pas à démontrer en quoi ses constatations de fait seraient
arbitraires (cf. art. 97 al. 1 LTF; ATF 133 II 249 consid. 1.4.3). Il se
contente de présenter sa propre version des faits, alléguant qu'il serait
atteint dans ses moyens d'existence, que son revenu ne serait plus que de
102'000 fr. et qu'il aurait dû puiser dans sa fortune pendant les 90 jours du
délai de carence précédant l'indemnisation de sa perte de gain. L'on ignore
ainsi la situation financière exacte du recourant, qui ne soutient pas ni ne
démontre que le blocage de ses comptes l'exposerait à une situation
d'endettement et à des procédures fondées sur la LP.

Au vu de ce qui précède, il faut conclure que la décision n'est pas susceptible
de causer un préjudice irréparable. Il en est de même du prononcé accessoire
sur les frais et dépens (ATF 135 III 329 consid. 1.2.2 spéc. p. 333 i.f. et
334).

1.4 Dès lors que les prévisions de l'art. 93 al. 1 let. a ou b LTF ne sont pas
réalisées, le recours contre la décision incidente se révèle irrecevable.

2.
Le recourant, qui succombe, supportera les frais de la présente procédure (art.
66 al. 1 LTF) et versera une indemnité de dépens à la banque intimée (art. 68
al. 1 et 2 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 5'000 fr., sont mis à la charge du recourant.

3.
Le recourant versera à l'intimée une indemnité de 6'000 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et au Juge délégué
de la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 15 janvier 2013

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

La Présidente: Klett

La Greffière: Monti