Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.624/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_624/2012

Arrêt du 16 avril 2013
Ire Cour de droit civil

Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux Klett, Présidente,
Kolly et Kiss.
Greffière: Mme Monti.

Participants à la procédure
X.________ SA, représentée par
Me Matteo Pedrazzini,
recourante,

contre

Y.________ AG, représentée par Me Nicolas Piérard,
intimée.

Objet
conseil en placement; devoir d'information de la banque,

recours en matière civile contre l'arrêt rendu le
14 septembre 2012 par la Chambre civile de la
Cour de justice du canton de Genève.

Faits:

A.
La société X.________ SA, sise dans le canton de Genève, a deux
administrateurs, J.A.________ et son fils V.A.________, chacun dotés de la
signature individuelle. Né en décembre 1918, J.A.________ a été actif dans le
change des devises dès qu'il a été en âge de travailler, d'abord au
Moyen-Orient, puis à Genève. Il préside en outre le conseil d'administration
d'une société ayant pour but le financement et l'exploitation d'hôtels en
Suisse. Il parle couramment six langues dont le français, mais pas l'anglais.
Depuis plusieurs années, sa vision est fortement réduite; il ne peut plus lire
des textes écrits en caractères de taille normale, même lorsque ceux-ci
atteignent près de 0,5 cm de haut. Il doit utiliser un appareil de lecture
projetant les documents sur un écran.
X.________ SA s'est donné pour but social d'effectuer des opérations
financières, immobilières et commerciales internationales; toutefois, elle n'a
pratiquement plus d'activité depuis environ cinquante ans. Ses avoirs sont
déposés sur divers comptes bancaires, dont un compte courant auprès de
Y.________ AG (ci-après: Y.________, la banque). J.A.________ (ci-après:
l'administrateur) a fait fructifier ces avoirs en effectuant des placements
dans des dépôts fiduciaires, dans des opérations sur devises et métaux ou dans
l'immobilier; en revanche, il n'a pas investi en bourse (actions ou
obligations). En 1983, il a habilité un établissement repris ultérieurement par
Y.________ à effectuer des dépôts à terme auprès de banques ou de sociétés
étrangères.
En 2007, l'administrateur, qui était client de la banque Z.________SA mais
avait entendu des rumeurs inquiétantes à son sujet, a souhaité diversifier par
l'intermédiaire de Y.________ une partie des placements qu'il avait l'habitude
d'effectuer. Il a fait part de ses intentions à l'employé de banque B.________
lors d'un entretien téléphonique du 11 octobre 2007. Suite à cette
conversation, l'employé a adressé à l'administrateur des brochures informatives
sur deux produits structurés qu'il avait sélectionnés, dont un était intitulé
"Note en CHF à 18 mois sur un panier d'actions CH (23.10.07)".
Par la suite, un autre employé de la banque dénommé C.________ a téléphoné à
l'administrateur. Les parties ont fixé un rendez-vous pour discuter des
possibilités de placement.
Le 23 octobre 2007 à 11h.00, l'administrateur a rencontré l'employé précité
dans les locaux de la banque. Entendus au cours de la procédure évoquée
ci-dessous (infra let. Ba), tous deux ont présenté une version diamétralement
opposée quant au déroulement et contenu de cette entrevue. L'administrateur
affirme avoir demandé si le produit était garanti à 100 % et avoir signé
l'ordre de placement après que l'employé lui eut répondu "nos fonds sont
garantis à 100 %". Selon la version de l'employé, les parties ont passé en
revue toutes les caractéristiques du produit, notamment le fait qu'il était
émis et garanti par Lehman Brothers, avant que l'administrateur appose sa
signature sur la brochure informative éditée par la banque.
L'administrateur a effectivement donné l'ordre d'investir 1 million de francs
suisses dans le produit Note. L'employé a écrit sur la première page de la
brochure d'informations y relative la mention "bon pour accord achat CHF
1'000'000.-", ainsi que la date du 23 octobre 2007; l'administrateur a apposé
sa signature à côté.
La brochure en question, à l'en-tête de Y.________, indiquait que l'"Issuer" du
titre était "Lehman Brothers Treasury Co BV Amsterdam", que le "Guarantor"
était "Lehman Brothers Holdings Inc. New York, A1/A+", et le "Lead manager",
"Lehman Brothers International (Europe)". La période de souscription expirait
le 23 octobre 2007 à 12 h.00 HEC [heure d'Europe centrale, réd.] et la date de
remboursement était fixée au 30 avril 2009. Le produit était présenté comme un
dérivé structuré offrant non seulement une protection du capital à 100 % à la
date de remboursement, mais aussi une participation sous forme de coupon aux
performances d'un portefeuille sous-jacent composé de 12 actions suisses. Le
prix d'émission était au pair et la commission de vente s'élevait à 1 %.
La brochure faisait en page 2 une énumération des risques inhérents au produit.
En page 3 figurait une rubrique "Mentions légales importantes" contenant
notamment les indications suivantes:
- "La valeur de l'instrument de placement dépend non seulement de l'évolution
de la valeur de l'actif sous-jacent, mais également de l'honorabilité de
l'émetteur, qui peut changer pendant la durée du produit structuré. (...)"
[rédigé en petits caractères];
- "CE PRODUIT DE PLACEMENT N'EST PAS ÉMIS PAR Y.________. (...)" [rédigé en
lettres majuscules];
- "Ce produit de placement est un dérivé structuré qui peut se révéler complexe
et présenter un risque important. Il est dès lors réservé uniquement aux
investisseurs avertis en mesure d'appréhender et d'assumer tous les risques qui
en découlent. (...)" [rédigé en petits caractères].
A l'époque, le groupe Lehman Brothers était la quatrième banque d'affaires aux
Etats-Unis. Son rating par les agences de notation était globalement équivalent
à celui de Y.________ ou de Z.________.
Suite à l'ordre de placement, la société X.________ SA a reçu un décompte de
titre daté du 25 octobre 2007, faisant état de l'acquisition pour 1 million de
francs du titre ainsi désigné: "100 % Capital Protected Note - Lehman Brothers
Treasury BV 2007 - 30.4.09 (Exp. 23.4.09) on a Basket of Shs". Il était précisé
qu'une commission de 1 % (soit 10'000 fr.) avait été perçue en sus du prix
d'émission.
Au début de l'année 2008, la société investisseuse a reçu un relevé de
placements au 31 décembre 2007, daté du 1er janvier 2008, mentionnant des
liquidités à hauteur de 294'628 fr. ainsi qu'un placement de 974'400 fr.
libellé en ces termes: "100 % CAPITAL PROTECTED NOTE LEHMAN BROTHERS TREASURY
BV 2007 - 30.4.09 (EXP. 23.4.09) ON A BASKET OF SHS/GARANT: LEHMAN BROTHERS
HOLDING INC".
Touchée par la crise dite des "subprime", Lehman Brothers Holdings Inc. a
déposé son bilan le 15 septembre 2008. Y.________ a annoncé cette faillite à
l'administrateur de sa cliente le 18 septembre 2008. Au cours d'une réunion qui
s'est tenue le 25 septembre 2008, l'administrateur a expliqué qu'il avait cru
investir dans un produit sur devises de Y.________, garanti à 100 % par cette
banque et disponible en tout temps.
Au printemps 2009, l'autorité fédérale de surveillance des marchés financiers
(FINMA) a ouvert une procédure contre Y.________ afin de déterminer comment
cette banque en était venue à choisir des sociétés du groupe Lehman Brothers
comme émettrices de produits structurés et comment le processus de placement
était organisé pour la clientèle dite "de détail". La FINMA est notamment
arrivée aux conclusions suivantes: au moment de la décision de placement, il
était indifférent que l'émetteur soit une des sociétés du groupe Lehman
Brothers ou Y.________; jusqu'à sa faillite, Lehman Brothers avait jouï d'une
bonne notation en matière de solvabilité. La faillite était jugée pratiquement
impossible par des opérateurs du marché. Les produits structurés à capital
protégé étaient adaptés pour une clientèle de détail; en termes de risque, ils
étaient comparables à des obligations de caisse ou des obligations ordinaires.
Aucun comportement fautif global et systématique ne pouvait être retenu à
l'encontre de Y.________.

B.
B.a Le 7 octobre 2010, la société X.________ SA a saisi le Tribunal de première
instance du canton de Genève d'une demande tendant à ce que la banque
Y.________ AG soit condamnée au paiement de 1'010'000 fr. plus intérêts, ce qui
correspondait à la somme investie dans le placement litigieux et à la
commission payée. L'action a été rejetée par jugement du 21 février 2012.
B.b La demanderesse a déféré cette décision à la Chambre civile de la Cour de
justice genevoise, qui a rejeté l'appel par arrêt du 14 septembre 2012. La
Chambre a confirmé que les parties étaient liées par un contrat de conseil en
placement. Elle a tenu pour acquis, avec une vraisemblance confinant à la
certitude, que l'administrateur de la société avait connaissance du contenu de
la brochure d'informations sur le produit dérivé lorsqu'il y avait apposé sa
signature le 23 octobre 2007. De toute façon, même si tel n'était pas le cas,
son contenu lui était opposable dès lors qu'il avait montré son indifférence en
acceptant de signer un document non lu. Si l'on se fondait sur le déroulement
de l'entretien tel que relaté par l'administrateur, l'employé de la banque
pouvait légitimement inférer que son interlocuteur connaissait l'identité du
garant, ou que cette identité lui était indifférente. L'administrateur n'avait
pas exprimé un besoin d'information sur ce point, ni sur d'autres aspects. En
définitive, la banque, respectivement son auxiliaire, n'avait pas enfreint son
devoir d'information, tant sous l'angle contractuel que sous l'angle de l'art.
11 de la loi fédérale sur les bourses et le commerce des valeurs mobilières
(LBVM; RS 954.1).

C.
Par-devant le Tribunal fédéral, la société (ci-après: la recourante) interjette
un recours en matière civile, dans lequel elle conclut au paiement de 1'010'000
fr. La banque conclut au rejet du recours. L'autorité précédente émet de brèves
observations et se réfère à son arrêt pour le surplus.

Considérant en droit:

1.
1.1 Entre autres moyens de fait, il est reproché à la Cour de justice d'avoir
constaté arbitrairement qu'à l'issue de l'entretien téléphonique du 11 octobre
2007, l'employé de la banque avait adressé à l'administrateur de la recourante
deux brochures, dont une concernant le produit financier Note.

1.2 La recourante elle-même n'exclut pas avoir reçu cette brochure, mais
considère que dans une telle hypothèse, il faudrait admettre que son
administrateur a pris la documentation pour de la publicité sans intérêt et l'a
jetée à la poubelle, comme l'a retenu le Tribunal de première instance.
La concession faite par la recourante démontre déjà le caractère infondé du
grief, étant rappelé que l'arbitraire ne découle pas du seul fait qu'une autre
solution serait possible, voire même préférable (ATF 136 III 552 consid. 4.2).
Quoi qu'il en soit, l'appréciation portée par la cour cantonale n'a rien
d'insoutenable. Dans un compte rendu tenu informatiquement à usage interne,
l'employé de la banque a indiqué que "selon le téléphone avec le client", il se
"permet[tait]" de lui envoyer deux brochures en rapport avec des placements
structurés, dont une concernant Note, ainsi que des explications sur ces
produits provenant de la brochure "Placements structurés" éditée par la banque.
Un autre type de document informatique indique que le 23 octobre 2007 a été
envoyée la brochure "risques particuliers dans le commerce de titres".
L'employé concerné, soit B.________, a été entendu comme témoin le 31 mai 2011,
alors qu'il avait cessé de travailler pour la banque en 2008. Il a fourni les
explications suivantes: s'il avait inscrit informatiquement qu'il avait adressé
deux brochures sur les produits financiers, c'est qu'il avait réellement fait
cet envoi. Il y avait également joint un mémo (lequel n'a pas été produit par
la banque). Quant au document mentionnant l'envoi d'une brochure sur les
risques en date du 23 octobre 2007, il s'agissait d'une "codification dans le
système informatique"; la brochure était celle évoquée dans le compte rendu
interne. En principe, l'employé avait l'obligation d'envoyer en même temps les
descriptifs de produits et la brochure sur les risques.
Sur la base de ces éléments, il n'était pas insoutenable de retenir que
l'administrateur de la société avait reçu la brochure relative au produit de
Lehman Brothers et avait eu la possibilité d'en prendre connaissance avant de
donner l'ordre d'achat en date du 23 octobre 2007. Il n'est pas décisif que
l'extrait de codification produit ne mentionne pas l'envoi de la documentation
sur les produits proposés; il ne s'agissait initialement que de propositions.
En outre, l'employé a indiqué ne pas se souvenir si tout envoi à un client
était codifié dans le système informatique. L'on peut notamment envisager que
la brochure sur les risques ait été envoyée une seconde fois après que l'ordre
d'achat eut été donné, ou que l'employé ait fourni tout d'abord un extrait
afférent aux seuls placements structurés, avant de communiquer la brochure
complète.

Il s'ensuit le rejet du grief.

1.3 La recourante soulève encore d'autres moyens de fait, dont l'examen peut
rester en suspens à ce stade.

2.
En droit, la recourante plaide que la banque a enfreint son devoir
d'information à deux égards: en s'abstenant de lui indiquer qui étaient
l'émetteur et le garant du produit proposé, et en passant sous silence le fait
que le produit de base vendu par le groupe Lehman Brothers faisait l'objet
d'une émission pour un montant total de 100 milliards de dollars américains
(USD).

2.1 Les parties ne contestent à juste titre pas avoir conclu un contrat de
conseil en placement.
Dans une telle convention, le client décide lui-même des opérations à
effectuer, après avoir obtenu renseignements et conseils de la banque. Les
devoirs et la responsabilité du conseiller en placements sont définis par les
règles du mandat au sens des art. 394 ss CO (arrêt 4A_168/2008 du 11 juin 2008
consid. 2.3, in SJ 2009 I 13). La banque doit renseigner le client sur tous les
éléments importants pour la formation de sa volonté (WALTER FELLMANN, Berner
Kommentar, 1992, n° 433 ad art. 398 CO cf. ATF 115 II 62 consid. 3a p. 65).
Elle doit en particulier l'informer sur les chances et les risques liés aux
placements envisagés (arrêt 4A_168/2008 précité consid. 2.4; cf. ATF 124 III
155 consid. 3a). L'information donnée doit être exacte, compréhensible et
complète (arrêt 4A_168/2008 ibidem). Lorsque la banque recommande d'acquérir un
titre déterminé, elle doit connaître la situation financière de la société
émettrice et ses perspectives d'avenir, ainsi que les avis exprimés par la
presse économique et les agences de cotation (CHRISTIAN THALMANN, Die
Sorgfaltspflicht der Bank im Privatrecht insbesondere im Anlagegeschäft, RDS
1994 II 195). L'étendue des recherches à effectuer par la banque n'est pas
illimitée (cf. arrêt 4C.205/2006 du 21 février 2007 consid. 3.4.1 in fine, in
SJ 2007 I 313; CARLO LOMBARDINI, Droit bancaire suisse, 2e éd. 2008, p. 795).
Le devoir de renseignement et de conseil dans ce type de contrat dépend des
circonstances du cas concret, en particulier de la manière dont est organisée
la relation avec la banque, du genre de placement effectué et des connaissances
du client (arrêt 4A_525/2011 du 3 février 2012 consid. 3.2, in PJA 2012 1317).
Le produit structuré combine plusieurs instruments financiers, par exemple une
obligation et une option, pour en faire un nouveau produit (arrêt 4A_525/2011
précité, consid. 5.2); sa valeur de remboursement dépend de l'évolution d'une
ou plusieurs valeurs de base ("sous-jacentes"). Il englobe souvent une
opération de taux d'intérêt avec une composante de dérivée (cf. par ex. MIRJAM
EGGEN, Strukturierte Produkte im schweizerischen Recht, RSDA 2011 p. 122 s.;
FRANÇOIS RAYROUX, Les produits structurés, in Journée 2005 de droit bancaire et
financier, 2006, p. 44 et 46). Les produits dits à capital protégé garantissent
le remboursement du capital investi à l'échéance; en général, la garantie porte
sur la valeur nominale (RAYROUX, op. cit., p. 47 s.). L'un des principaux
risques qu'encourt l'investisseur dans ce type de placement a trait au crédit
lié à l'émetteur (RAYROUX, op. cit., p. 45 s.).

2.2 La recourante plaide qu'elle croyait placer son argent dans un produit de
Y.________, établissement qui a négligé son devoir d'information en ne
précisant pas qui étaient l'émetteur et le garant; si la recourante en avait eu
connaissance, elle n'aurait pas effectué l'investissement litigieux.
2.2.1 En préambule, il faut souligner que la recourante ne se plaint pas d'un
manque d'information quant au risque concernant la solvabilité de l'émetteur
d'un produit structuré, admettant au contraire qu'en "investisseur averti", son
administrateur connaissait le risque d'insolvabilité du garant (recours, p. 8
ch. 33; arrêt, p. 16 consid. 6.4 et p. 18 i.f. et 19; sur le risque en
question, cf. le commentaire d'OLIVIER ARTER à propos de l'arrêt précité 4A_525
/2011, in PJA 2012 1326). Par ailleurs, la recourante ne discute pas le fait
que son administrateur, au moment des faits, était lucide et apte à gérer son
propre patrimoine et celui de la société, nonobstant son âge (arrêt, p. 16
consid. 6.4).
2.2.2 Le groupe Lehman Brothers bénéficiait à l'époque d'une cote semblable à
celle de la banque intimée. La FINMA a souligné que beaucoup d'opérateurs du
marché jugeaient pratiquement impossible une faillite de ce groupe, s'attendant
au pire à ce qu'il bénéficie de soutiens de la part d'autres acteurs ou de
l'Etat américain (jgt de 1ère instance, p. 16 et rapport FINMA, p. 13 i.f. et
14). L'autorité de surveillance a également précisé qu'au moment de prendre la
décision de placement, il était indifférent que l'émetteur du produit soit
Y.________ ou Lehman Brothers (arrêt, p. 8); l'élément décisif était bien
davantage la disponibilité, au moment souhaité, d'un produit à capital protégé
sur le marché primaire (rapport FINMA, p. 18).
L'administrateur a apposé sa signature sur la brochure informative de la
banque, à côté de la mention "bon pour accord achat 1 million fr." La
recourante, tout en soulignant le handicap visuel de son administrateur, ne
prétend pas qu'il ignorait avoir signé sur la brochure contenant les
informations essentielles relatives au produit structuré. Auparavant,
l'administrateur s'était contenté, selon ses propres dires, de demander à deux
reprises si le produit était garanti à 100 %, c'est-à-dire si le remboursement
intégral du capital était garanti. Bien qu'ayant conscience du risque
concernant la solvabilité de l'emprunteur, il ne prétend pas avoir posé de
question sur l'identité de celui-ci; il n'est pas non plus établi qu'il ait
exprimé, à ce moment ou auparavant, une réserve de principe contre des
émetteurs étrangers. La Cour de justice a relevé, sans être critiquée sur ce
point, que l'administrateur, par la question posée, avait exprimé que sa
préoccupation principale était le remboursement intégral du capital.
Dans ce contexte précis, il faut admettre que l'employé n'avait pas à attirer
l'attention de son interlocuteur sur la personne de l'émetteur et du garant,
alors qu'il n'apparaît pas que les agences de cotation et la presse spécialisée
auraient émis des réserves quant à la solvabilité de l'émetteur et/ou du
garant.
La recourante objecte que son administrateur ne faisait que des placements dans
des banques suisses et qu'il croyait investir dans un produit de Y.________. Il
aurait été induit en erreur par le fait que le produit lui était proposé par un
employé de la banque dans les locaux de celle-ci, répondant "nos fonds sont
garantis à 100 %" lorsqu'il lui était demandé si le produit était garanti à 100
%.
Il ne ressort pas de l'arrêt attaqué que la Cour de justice aurait acquis la
conviction que l'employé de banque avait fait la réponse en question; la cour a
considéré que même en se fondant sur la version des faits soutenue par
l'administrateur de la recourante, une violation du devoir d'information ne
pouvait être retenue. De fait, les versions des deux parties au litige se
recoupaient tout au plus sur un point: l'administrateur avait été renseigné sur
le fait qu'il s'agissait d'un produit à capital protégé, où le remboursement
était garanti à 100 %. La cour restait néanmoins libre de constater sans
arbitraire que les termes précis utilisés par la banque n'étaient pas établis,
même en tenant compte du fait que la banque n'a pas produit le compte rendu de
l'entretien du 23 octobre 2007, contrairement à d'autres entretiens. Dans sa
demande, la recourante s'était du reste contentée d'alléguer que l'employé de
banque avait employé des tournures impersonnelles en utilisant l'expression "ce
produit" et avait répondu à plusieurs reprises "c'est garanti à 100%" (allégués
29 et 35). Quoi qu'il en soit, la Cour de justice a considéré que dans un
contexte où il était demandé si le produit était garanti à 100 %, la réponse
"nos fonds sont garantis à 100 %" devait se comprendre comme une référence aux
titres proposés par la banque et ne contenait pas l'assurance que les titres
étaient émis par l'intimée (arrêt, p. 18). Même en concédant qu'une telle
réponse puisse revêtir une part d'équivoque, il faudrait constater qu'il
revenait cas échéant à l'administrateur, en homme d'affaires averti, de
clarifier cette question en s'assurant qu'il investissait bien dans un produit
de la banque suisse, comme telle était prétendument sa volonté, qu'il n'avait
toutefois pas exprimée lors de l'entretien ou auparavant.
La recourante n'invoque pas d'autres éléments qui auraient été susceptibles
d'induire en erreur son administrateur; devant le Tribunal fédéral, elle ne
critique plus la brochure informative. Il n'est ainsi pas établi que la banque
ait donné des signes susceptibles de faire accroire qu'elle était l'émetteur du
produit.

2.3 La recourante reproche encore à la banque d'avoir omis de signaler que le
produit de base proposé par le groupe Lehman Brothers faisait l'objet d'une
émission totale d'un montant de 100 milliards USD; si elle avait eu
connaissance de ce montant "exorbitant", la recourante aurait renoncé à son
investissement.
2.3.1 La Cour de justice a jugé ces allégations irrecevables dès lors qu'elles
étaient faites pour la première fois en appel (arrêt, p. 14 § 1). Dans le cadre
du présent recours, la Cour a expliqué que l'argument doit être rejeté sur le
fond et qu'il importe peu de savoir si ces allégations devaient ou non être
admises aux débats. De fait, la recourante avait déjà formulé de telles
allégations dans sa demande, en évoquant une garantie de 60 milliards USD, puis
dans ses conclusions après enquête, où elle faisait état d'une garantie de 100
milliards USD (demande, p. 14 all. 103, p. 21 et 24; conclusions après enquête,
p. 12, 14 et 23; pièces 21 et 26 produites à l'appui de la demande).
Les constatations suivantes peuvent être faites: la brochure informative de la
banque disait se fonder sur la documentation de l'émetteur. Celle-ci, rédigée
en anglais, précisait notamment que le produit "Note" donnait lieu à une
émission de 25 millions CHF (arrêt, p. 7) et renvoyait au prospectus de base du
groupe Lehman Brothers relatif à "Note Program" (pièce 21 p. 5). Ledit
prospectus, également rédigé en anglais, indiquait en substance que la
société-mère du groupe Lehman Brothers s'engageait à garantir jusqu'à
concurrence d'un montant maximal les produits dérivés (Notes) que ses filiales
allemande et néerlandaise pourraient émettre; la garantie, qui était de 60
milliards USD, a ensuite été augmentée à 100 milliards USD selon le prospectus
du 24 juillet 2007, remplaçant celui du 9 août 2006 (pièce 26 p.1).
2.3.2 Les précisions qui précèdent ne sont pas propres à modifier l'analyse
selon laquelle la banque n'a pas enfreint son devoir d'information. Encore une
fois, le groupe Lehman Brothers bénéficiait d'une bonne notation. Si
l'importance du montant de la garantie maximale qu'acceptait d'assumer la
société-mère aurait pu et dû conduire à abaisser sa cote ou à émettre des
réserves, il incombait à la recourante de l'établir, cas échéant par expertise.
A supposer que l'administrateur de la recourante ait lui-même disposé de
connaissances spéciales lui permettant de discerner un risque non signalé pas
les agences de notation, il aurait pu et dû demander à consulter la
documentation relative à l'émission avant de s'engager.

2.4 En bref, la cour cantonale n'a pas enfreint le droit fédéral en niant toute
violation du devoir d'information contractuel de la banque. La recourante ne
prétend à juste titre pas que l'art. 11 LBVM imposerait à cet égard des devoirs
plus étendus que les règles sur le mandat. Les autres griefs de fait et de
droit soulevés par la recourante en relation avec le devoir d'information se
trouvent ainsi privés d'objet.

3.
3.1 Dans un ultime grief, la recourante reproche à la cour cantonale d'avoir
fixé les dépens au maximum autorisé par le barème cantonal sans motiver son
choix. Ce faisant, la cour aurait enfreint tant le droit cantonal que le droit
fédéral.

3.2 Le recours en matière civile peut être formé pour violation du droit
fédéral (art. 95 let. a LTF), notion qui inclut le droit constitutionnel. La
loi ne prévoit pas le grief de violation du droit cantonal en tant que tel;
toutefois, il est possible de plaider que l'application de ce droit contrevient
au droit fédéral en ce sens qu'elle est arbitraire (art. 9 Cst.) ou contraire à
d'autres droits constitutionnels (ATF 134 III 379 consid. 1.2).
Selon la jurisprudence constitutionnelle sur le droit d'être entendu, il n'est
en principe pas nécessaire de motiver la décision fixant le montant des dépens
alloués à une partie obtenant totalement ou partiellement gain de cause.
Lorsqu'il existe un tarif ou une règle légale fixant des minima et maxima, le
juge ne doit motiver sa décision que s'il sort de ces limites, ou si des
éléments extraordinaires sont invoqués par la partie concernée (ATF 111 Ia 1
consid. 2).

3.3 En l'occurrence, le grief relatif au droit d'être entendu tombe à faux. Il
ressort des explications de la recourante que les juges s'en sont tenus aux
limites du tarif cantonal, ce qui exclut un devoir de motivation, selon la
jurisprudence précitée. A juste titre, la recourante ne soutient pas que le CPC
conférerait à cet égard un droit plus étendu. Elle plaide en outre que la Cour
de justice a arrondi sans base légale le montant issu de son calcul (23'360
fr.) à la tranche supérieure (23'500 fr.). Ce grief est dépourvu de fondement.
En effet, l'art. 85 RTFMC (Règlement fixant le tarif des frais en matière
civile; RSG E 1 05.10) permet de s'écarter de plus ou moins 10 % du barème, et
l'art. 90 RTFMC indique que pour les procédures d'appel, les montants sont
réduits "dans la règle" d'un tiers ou deux tiers par rapport au barème de
l'art. 85.
Pour le surplus, la Cour de céans ne saurait contrôler l'application du droit
cantonal (cf. art. 96 et 105 al. 2 CPC), faute pour la recourante d'avoir
soulevé le grief d'arbitraire (cf. art. 106 al. 2 LTF; ATF 135 III 232 consid.
1.2; 134 II 244 consid. 2.2). Il s'ensuit le rejet du grief dans la mesure où
il est recevable.

4.
La recourante, qui succombe, supportera les frais de la présente procédure et
versera une indemnité de dépens à l'intimée (art. 66 et 68 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 12'000 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

3.
La recourante versera à l'intimée la somme de 14'000 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre
civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 16 avril 2013

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

La Présidente: Klett

La Greffière: Monti

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