Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.609/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_609/2012

Arrêt du 26 février 2013
Ire Cour de droit civil

Composition
Mmes et MM. les Juges fédéraux Klett, Présidente, Corboz, Kolly, Kiss et
Niquille.
Greffière: Mme Monti.

Participants à la procédure
1. A.________,
2. B.________,
tous deux représentés par Me François Bohnet,
recourants,

contre

1. C.________,
2. D.________,
tous deux représentés par Me Pierre Stastny,
intimés.

Objet
bail à loyer; contrats en chaîne,

recours en matière civile contre l'arrêt rendu le
10 septembre 2012 par la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice du
canton de Genève.

Faits:

A.
A.a Par contrat du 27 février 2004, A.________ et B.________ (ci-après: les
bailleurs) ont cédé à C.________ et E.________ l'usage d'un appartement de 4,5
pièces au troisième étage d'un immeuble en ville de Genève. Le bail était
conclu pour une durée déterminée d'un an; il devait prendre fin sans congé le
28 février 2005. Le loyer annuel était de 19'800 fr., charges comprises. L'avis
de fixation du loyer précisait que celui-ci se situait dans les limites des
loyers usuels pratiqués dans la localité ou le quartier; le précédent loyer,
fixé en novembre 2003, était de 14'868 fr.
Suite au départ de son colocataire, C.________ a souhaité poursuivre la
location avec D.________. Cette dernière, comme le précité, était récemment
venue d'Espagne pour travailler au Centre X.________, qui attribue des emplois
sur une base annuelle. Le 7 décembre 2004, les bailleurs ont signé un nouveau
contrat avec ces deux locataires. Le bail était limité à deux ans, soit du 1er
février 2005 au 31 janvier 2007. Une clause permettait toutefois aux locataires
de résilier le bail pour le 31 janvier 2006, moyennant un préavis de trois
mois.
Un nouveau contrat a été signé le 3 octobre 2006 pour la période du 1er février
2007 au 31 janvier 2009, avec les mêmes locataires et aux mêmes conditions de
loyer. Les locataires reconnaissaient expressément que le contrat était conclu
pour une durée fixe de deux ans et qu'il ne serait donc pas reconduit
tacitement.
A.b Le 7 janvier 2009, la régie immobilière en charge de la gérance de
l'appartement a rappelé aux locataires que le contrat expirait à la fin du
mois; elle leur a proposé de proroger le bail pour une année, soit du 1er
février 2009 au 31 janvier 2010, sans renouvellement possible. Par courriel du
9 janvier 2009, les locataires ont émis le souhait de conclure un bail de deux
ans, avec renouvellement possible. La régie a répondu négativement, tout en
maintenant son offre initiale.
Le 23 janvier 2009, les locataires ont insisté pour que le bail soit au moins
renouvelé jusqu'à la fin du mois de juin 2010, date à laquelle ils prétendaient
mensongèrement devoir rentrer en Espagne; en réalité, ils n'avaient aucun
projet de retour au pays et entendaient rester en Suisse. Les bailleurs ont
donné leur accord afin d'être agréables aux locataires. Ceux-ci ont reçu un
avis de modification du bail sur formule officielle, où il était précisé:
"reconduction du contrat de bail à terme fixe jusqu'au 30 juin 2010, sans
renouvellement possible". Les deux locataires ont contresigné la formule.
A.c Le 11 mars 2010, les locataires ont demandé à la régie une nouvelle
reconduction de leur contrat. Les bailleurs ont refusé, en expliquant à la
régie qu'ils avaient déjà exceptionnellement prolongé le bail jusqu'au 30 juin
2010 et qu'ils avaient besoin de l'appartement qui avait été promis à une autre
personne. De fait, la cobailleresse avait proposé l'appartement au début de
l'année 2010 à un ami de son fils. La régie a communiqué ce refus aux
locataires en précisant que les propriétaires avaient d'autres projets pour
l'appartement.
Le 28 avril 2010, les locataires ont saisi la Commission de conciliation en
matière de baux et loyers. Ils qualifiaient d'illicite et d'abusive la
conclusion "en chaîne" de baux de durée déterminée, dès lors qu'elle revenait à
les priver de leurs droits, et plus particulièrement des dispositions
impératives contre les congés abusifs et les loyers abusifs.
La conciliation a échoué.
A.d La situation professionnelle des locataires a évolué. Le locataire
C.________ a quitté le Centre X.________ pour travailler comme informaticien
dans une banque genevoise, au bénéfice d'un contrat de durée indéterminée;
quant à la locataire D.________, elle a continué de travailler au Centre
X.________, avant de se retrouver au chômage dès juin 2010.

B.
B.a Le 8 juillet 2010, les locataires ont porté l'affaire devant le Tribunal
des baux et loyers du canton de Genève. Leur mémoire, rédigé sur papier à
en-tête de l'ASLOCA (Association genevoise de défense des locataires),
comportait une élection de domicile en faveur de cette entité; il était signé
par "Z.________, ASLOCA". Les conclusions des locataires visaient
principalement à faire constater l'existence d'un contrat de durée
indéterminée, subsidiairement à obtenir une prolongation de bail de quatre ans.
Dans leur réponse, les bailleurs ont pour leur part requis le tribunal de
constater que le bail avait pris fin le 30 juin 2010 et de refuser toute
prolongation. A titre reconventionnel, ils ont conclu à l'évacuation des
locataires.
Au cours de la procédure, la cobailleresse a fait en substance les déclarations
suivantes: propriétaire de plusieurs immeubles locatifs à Genève, elle avait
pour pratique, dans la gestion de son parc immobilier, de privilégier les baux
à durée déterminée; cette solution lui laissait le choix, à l'expiration du
contrat, de conclure ou non un nouveau bail. Elle ne proposait pas
systématiquement la conclusion d'un nouveau bail. Plusieurs critères pouvaient
intervenir, tels que d'éventuels travaux à effectuer, ou l'intérêt que des
tiers pouvaient manifester envers l'objet concerné. En 2009, il y avait eu
plusieurs changements de locataires dans l'immeuble, car elle avait reloué les
logements à des amis de ses enfants qui avaient de petits salaires et
souhaitaient vivre dans ce quartier. Elle avait promis l'appartement visé par
la procédure à un ami de son fils.
Le Tribunal des baux et loyers (1ère Chambre) a rendu son jugement le 24
novembre 2011. Il a constaté que les parties étaient liées par un contrat de
bail de durée indéterminée et a débouté les bailleurs de leur demande
reconventionnelle en évacuation. En résumé, il a considéré qu'à défaut de
poursuivre un objectif réel et légitime, l'enchaînement de baux de durée
déterminée procédait en l'espèce d'un abus de droit. Le jugement ne mentionne
pas le fait que les locataires travaillaient pour le Centre X.________ et que
cette institution attribuait des emplois sur une base annuelle.
B.b Par arrêt du 10 septembre 2012 rendu sur appel des bailleurs, la Cour de
justice (Chambre des baux et loyers) a confirmé le jugement du Tribunal des
baux et loyers.

C.
Par-devant le Tribunal fédéral, les bailleurs (recourants) interjettent un
recours en matière civile. Ils concluent principalement au rejet de la demande
des locataires et à l'admission de leur demande reconventionnelle en
évacuation.
Les locataires (intimés) ont déposé une réponse signée en leur nom par
"Z.________, avocat". Ils concluent principalement à l'irrecevabilité du
recours, subsidiairement à son rejet.
Dans des observations complémentaires, les recourants critiquent le ton de la
réponse. Ils contestent en outre la capacité de Z.________ à représenter les
intimés devant le Tribunal fédéral, au motif qu'il n'est pas un avocat
indépendant, mais un employé de l'ASLOCA.
Z.________ s'est déterminé au nom des intimés. Il convient que certains de ses
propos "peuvent sembler regrettables" et prie la partie adverse et la cour de
céans de ne pas en tenir compte. Pour le surplus, il apporte en substance les
précisions suivantes quant à son statut: il est inscrit comme avocat au
registre cantonal. Lui-même et les associés de son étude défendent les membres
de l'ASLOCA uniquement dans des procédures où le monopole des avocats
s'applique. Ces causes ne constituent de loin pas la majeure partie de son
activité d'avocat indépendant. Les montants facturés au client ne sont pas
reversés à l'association, qui ne donne aucune instruction sur la conduite du
procès. Au demeurant, il ne saurait y avoir de conflit d'intérêts dans la
mesure où l'ASLOCA a précisément intérêt à voir ses membres obtenir gain de
cause. Il est licite pour un avocat employé d'exercer la représentation en
justice à titre accessoire.
L'autorité précédente se réfère à son arrêt.
La Cour de céans a délibéré sur le recours en séance publique.

Considérant en droit:

1.
L'art. 40 al. 1 LTF énonce qu'en matière civile et pénale, ont seuls qualité
pour agir comme mandataires devant le Tribunal fédéral les avocats autorisés à
pratiquer la représentation en justice en vertu de la loi du 23 juin 2000 sur
les avocats (LLCA, RS 935.61), ou en vertu d'un traité international. L'avocat
titulaire d'un brevet d'avocat cantonal qui entend pratiquer la représentation
en justice doit demander son inscription au registre du canton dans lequel il a
son adresse professionnelle (art. 6 al. 1 LLCA). Pour être inscrit, il doit
notamment être en mesure de pratiquer en toute indépendance; il ne peut être
employé que par des personnes elles-mêmes inscrites dans un registre cantonal
(art. 8 al. 1 let. d LLCA). Une exception à cette exigence existe pour l'avocat
employé par une organisation reconnue d'utilité publique; il peut demander son
inscription au registre à condition de limiter son activité de défenseur à des
mandats concernant strictement le but visé par cette organisation (art. 8 al. 2
LLCA). L'avocat qui ne remplit plus l'une des conditions d'inscription est
radié du registre (art. 9 LLCA).
La loi ne définit pas la notion "d'organisation reconnue d'utilité publique".
Au cours des travaux législatifs, il a été question d'introduire une définition
plus large telle que "l'association à but non lucratif", qui devait inclure
clairement les associations de défense des locataires ou des travailleurs; le
Parlement n'a pas accepté cette proposition. Dans un arrêt de 2004, le Tribunal
fédéral a souligné qu'un tel historique pourrait signifier que les avocats
employés par une association de défense des locataires sont empêchés de
représenter les membres de leur employeuse dans les procédures où s'applique le
monopole des avocats (ATF 130 II 87 consid. 5.1.1 p. 100 et les réf. citées).
La doctrine, tout en citant cette jurisprudence, paraît plus catégorique
(STAEHELIN/OETIKER, in Kommentar zum Anwaltsgesetz, 2011, n° 57 ad art. 8 LLCA;
MEIER/REISER, in Commentaire romand, 2010, n° 69 ad art. 8 LLCA; BOHNET/
MARTENET, Droit de la profession d'avocat, 2009, p. 277 s. n. 625; cf. aussi
KASPAR SCHILLER, Schweizerisches Anwaltsrecht, 2009, p. 282 n. 1124).
En l'occurrence, Z.________ est inscrit au registre des avocats genevois.
L'adresse et la case postale indiquées sur le papier à en-tête de son étude
sont les mêmes que celles de l'ASLOCA/Genève. Le site Internet de cette
association contient une rubrique "Collaborateurs", dans laquelle figure le
précité, ainsi que les autres membres de son étude. En instance cantonale, les
intérêts des intimés ont été défendus par l'ASLOCA, pour laquelle agissait
Z.________; ils le sont désormais par Z.________ lui-même, en qualité d'avocat.
L'on peut se demander si, dans cette cause à tout le moins, Z.________
satisfait à l'exigence légale d'indépendance. Cela étant, une réponse négative
n'entraînerait pas l'irrecevabilité de l'écriture des intimés, mais
nécessiterait l'octroi d'un délai pour remédier à l'irrégularité (art. 42 al. 5
LTF). Par économie de procédure, l'on renoncera à instruire la question plus
avant et l'on admettra que la réponse des intimés est recevable, étant précisé
que l'issue du recours prive ceux-ci de toute prétention en dépens.

2.
A teneur de l'art. 99 al. 1 LTF, aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut
être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente.
Dans leur réponse, les intimés invoquent des faits ne figurant pas dans l'arrêt
attaqué, mais qu'ils considèrent comme notoires. Ils produisent des versions
imprimées de divers sites Internet sur lesquels ils ont trouvé ces
informations.
Les faits en question sont sans pertinence pour l'issue de la cause; il est dès
lors superflu d'examiner dans quelle mesure ils peuvent être considérés comme
notoires.

3.
Les intimés objectent que le recours est irrecevable dès lors que ses auteurs
n'ont critiqué qu'une seule des deux motivations alternatives de l'arrêt
attaqué (cf. ATF 133 IV 119 consid. 6.3); l'autorité précédente aurait retenu
deux motifs différents pour admettre le caractère illicite des contrats de bail
successifs, à savoir l'abus de droit et l'interdiction de la fraude à la loi.
Cette distinction ne ressort pas en tant que telle de l'arrêt attaqué; quand
bien même ce serait le cas, il faudrait constater qu'il ne s'agit pas de deux
motifs distincts. L'autorité cantonale a jugé que l'enchaînement de contrats à
durée limitée visait à éluder des règles impératives destinées à protéger les
locataires. L'on parle de fraude à la loi lorsqu'un justiciable évite
l'application d'une norme imposant ou interdisant un certain résultat (norme
éludée) par le biais d'une autre norme permettant d'aboutir à ce résultat de
manière apparemment conforme au droit (norme éludante; ATF 132 III 212 consid.
4.1; CHRISTINE CHAPPUIS, in Commentaire romand, 2010, n° 54 ad art. 2 CC). Il
convient de rechercher si, d'après son sens et son but, la norme éludée entend
uniquement prohiber une certaine manière de procéder, ou si elle veut interdire
un résultat en soi. Dans cette seconde hypothèse, la norme éludée doit être
appliquée nonobstant la construction destinée à la contourner (ATF 79 II 79
consid. 4a; PAUL-HENRI STEINAUER, Le Titre préliminaire du Code civil, TDP II/
1, 2009, p. 105 n. 308; MAX BAUMANN, in Zürcher Kommentar, 3e éd. 1998, n° 53
ad art. 2 CC; HANS MERZ, in Berner Kommentar, 3e éd. 1962, n° 90 ad art. 2 CC).
La fraude à la loi est parfois traitée comme un cas particulier de l'abus de
droit (art. 2 al. 2 CC; cf. par ex. ATF 129 III 618 consid. 6.2 p. 624), qui
recouvre des comportements tels que l'utilisation d'une institution juridique -
ou l'exercice d'un droit - de façon contraire à son but. La doctrine
majoritaire estime que la fraude à la loi est un problème ressortissant à
l'application du droit et à l'interprétation de la loi éludée, de sorte que le
recours à l'art. 2 al. 2 CC n'est pas indiqué (CHAPPUIS, op. cit., n° 54 ad
art. 2 CC; HEINRICH HONSELL, in Basler Kommentar, 4e éd. 2010, n° 31 ad art. 2
CC; BAUMANN, op. cit., n° 53 s. ad art. 2 CC; MERZ, op. cit., n° 93 ad art. 2
CC; cf. ATF 117 II 290 consid. 4c p. 296; 125 III 257 consid. 3b); des
exceptions sont réservées (HAUSHEER/AEBI-MÜLLER, in Berner Kommentar, 4e éd.
2012, n°s 85 et 93 ad art. 2 CC; STEINAUER, op. cit., p. 106 note infrapaginale
90).
En bref, sous l'angle du devoir de motivation, les intimés ne peuvent tirer
aucun argument des discussions concernant la classification de la fraude à la
loi.

4.
Les recourants invoquent une violation des art. 255 et 266 al. 1 CO. En
substance, ils plaident qu'il est en principe licite de conclure successivement
plusieurs baux à durée déterminée, sauf dans l'hypothèse d'une fraude à la loi.
La cour cantonale aurait retenu à tort que cette exception était réalisée, en
se fondant sur la prémisse erronée que les contrats en chaîne ne doivent être
admis que de façon restrictive, soit uniquement lorsqu'un intérêt objectif et
légitime du bailleur le justifie.

4.1 La question des "contrats en chaîne" ("Kettenverträge") s'est tout d'abord
posée en droit du travail. Il convient d'évoquer la jurisprudence et la
doctrine y relatives.
Le contrat de travail peut être conclu pour une durée déterminée ou
indéterminée (art. 319 al. 1 CO). Le droit suisse autorise en principe les
parties à conclure un nouveau contrat de durée déterminée à la suite d'un
contrat du même type; toutefois, l'art. 2 al. 2 CC, qui prohibe la fraude à la
loi, s'oppose à la conclusion de "contrats en chaîne" dont la durée déterminée
ne se justifie par aucun motif objectif, et qui ont pour but d'éluder
l'application des dispositions sur la protection contre les congés ou
d'empêcher la naissance de prétentions juridiques dépendant d'une durée
minimale des rapports de travail (ATF 129 III 618 consid. 6.2 p. 624; 119 V 46
consid. 1c p. 48; arrêt 4C.51/1999 du 20 juillet 1999 consid. 2b, in JAR 2000
p. 105; Message du 9 mai 1984 concernant [...] la révision des dispositions sur
la résiliation du contrat de travail dans le code des obligations, FF 1984 II
617 s.). En règle générale, une succession de deux contrats ne constitue pas un
abus de droit; cependant, le nombre de contrats n'est à lui seul pas
déterminant (arrêt 4C.51/1999 précité, ibidem).
La doctrine ne critique pas cette jurisprudence; elle insiste sur le fait que
la fraude doit être retenue lorsqu'aucune raison objective, respectivement
aucune circonstance économique ou sociale particulière ne justifie de conclure
une chaîne de contrats à durée limitée (STREIFF/VON KAENEL/RUDOLPH,
Arbeitsvertrag, 7e éd. 2012, n° 7 ad art. 334 CO; GABRIEL AUBERT, in
Commentaire romand, 2e éd. 2012, n° 6 ad art. 334 CO; FAVRE/TOBLER/MUNOZ, Le
contrat de travail, 2e éd. 2010, n° 2.1 ss ad art. 334 CO; RÉMY WYLER, Droit du
travail, 2e éd. 2008, p. 453; BRUNNER/BÜHLER/WAEBER/BRUCHEZ, Commentaire du
contrat de travail, 3e éd. 2004, n° 6 ad art. 334 CO; STAEHELIN/VISCHER,
Zürcher Kommentar, 3e éd. 1996, n° 5 ad art. 334 CO; MANFRED REHBINDER, Berner
Kommentar, 1992, n° 13 ad art. 334 CO). Elle ne cache pas qu'il peut être
difficile de départager un cas licite d'une fraude à la loi (SUBILIA/DUC, Droit
du travail, 2010, n° 7 ad art. 334 CO). Entre autres exemples de motif
objectif, elle cite le cas où le travailleur lui-même ne veut s'engager que
pour une durée déterminée (STREIFF/VON KAENEL/RUDOLPH, op. cit., p. 887 n° 7 ad
art. 334 CO; WOLFGANG PORTMANN, in Basler Kommentar, 5e éd. 2011, n° 8 ad art.
334 CO).

4.2 Comme le contrat de travail, le bail à loyer peut être conclu pour une
durée déterminée ou indéterminée. Il est de durée déterminée lorsqu'il doit
prendre fin, sans congé, à l'expiration de la durée convenue (art. 255 al. 1 et
2 et art. 266 al. 1 CO); si un tel bail est reconduit tacitement, il devient un
contrat de durée indéterminée (art. 266 al. 2 CO).
4.2.1 Le Tribunal fédéral n'a que rarement été saisi de litiges concernant une
succession de baux à durée déterminée.
En 2000, il s'est vu soumettre une affaire où les parties avaient
successivement conclu trois baux d'une année se rapportant à un magasin
self-service entièrement équipé, dans l'enceinte d'un camping; il était convenu
que les négociations en vue d'un éventuel renouvellement devaient avoir lieu au
moins trois mois avant l'échéance. Peu après la conclusion du troisième
contrat, il avait été précisé que le renouvellement n'était pas automatique et
que cette "prolongation" était le "dernier test pour un contrat de longue durée
en cas de convenance et d'efficacité prouvées". Par formule notifiée en
septembre 1997, le bailleur avait déclaré résilier le bail pour la fin de
l'année, soit le terme convenu.
Le Tribunal fédéral a jugé que la qualification de contrats à durée déterminée
était conforme au droit fédéral. L'arrêt attaqué faisait clairement ressortir
que les parties avaient la volonté réelle et concordante de conclure des baux
de durée déterminée, prenant fin sans résiliation. Il n'y avait aucun motif
dans le cas concret de déroger à l'autonomie contractuelle. Le fait que le
bailleur ait notifié une résiliation superflue ne modifiait en rien cette
analyse (arrêt 4C.455/1999 du 21 mars 2000, rés. et commenté in DB 2002 p. 34
et MRA 2001 p. 69, consid. 2).
En 2003, la cour de céans s'est prononcée sur l'enchaînement de six baux ayant
pour objet un local de dancing, et dont la durée était limitée à un an et huit
mois pour le premier contrat, respectivement un an pour les baux ultérieurs.
L'autorité cantonale avait constaté que la bailleresse - une banque - avait un
motif objectif de conclure des contrats de durée restreinte: ayant repris
l'immeuble dans le cadre d'une exécution forcée, elle était en droit de
minimiser le risque financier lié au bail, dans un domaine qui sortait de son
cercle d'affaires. Elle avait en outre dû sommer plusieurs fois le locataire
pour des retards de loyer.
Le Tribunal fédéral a approuvé la solution cantonale quant à son résultat. Il a
précisé que le cas concret ne révélait pas de motifs de transposer en droit du
bail la jurisprudence sur les contrats de travail en chaîne. A l'instar de
PETER HIGI, il ne voyait pas quelle règle vouée à la protection des locataires
aurait été éludée, sachant que le locataire, à la différence du travailleur, ne
pouvait tirer aucune prétention de la durée du contrat en tant que telle. Si
les parties s'étaient engagées pour une durée indéterminée, la bailleresse
aurait tout aussi bien pu résilier le bail pour le prochain terme. Enfin, dans
la perspective d'une éventuelle prolongation, l'on devait tenir compte de la
durée totale de la relation contractuelle, de sorte que le locataire n'était
pas lésé (arrêt 4C.155/2003 du 3 novembre 2003 consid. 3.2 et 3.3).
En 2010, le Tribunal fédéral a été saisi d'un recours contre un refus de
prolongation de bail. Le deuxième contrat à durée déterminée avait été conclu
alors que la bailleresse se trouvait en liquidation concordataire. Il
s'agissait de réaliser le produit de liquidation le plus élevé possible; dans
cette perspective, l'on pouvait trouver des avantages à maintenir le bail, ou
au contraire à le résilier. Il était légitime que les liquidateurs veuillent
garder toutes les options ouvertes. Il ne pouvait dès lors être question de
contrats en chaîne destinés à éluder les règles contre les congés abusifs
(arrêt 4A_420/2009 du 11 juin 2010 consid. 5.3 et 5.4).
Dans les quelques affaires jugées, le recours aux baux de durée déterminée
pouvait donc clairement s'expliquer par un autre motif que l'intention du
bailleur de frauder la loi.
4.2.2 La loi ne contient aucune disposition interdisant de conclure
successivement plusieurs baux à durée déterminée. A l'instar de l'art. 334 CO
pour le contrat de travail, l'art. 266 al. 2 CO envisage expressément une
reconduction tacite du bail à durée déterminée et présume que le nouveau
contrat est de durée indéterminée; rien n'empêche toutefois les parties de
convenir d'un nouveau contrat à terme fixe (cf. par ex. DAVID LACHAT, Le bail à
loyer, 2008, p. 605 s.; PETER HIGI, Zürcher Kommentar, 4e éd. 1995, n° 49 ad
art. 266 CO; pour le contrat de travail, cf. FF 1984 II 617). Cela étant, la
conclusion successive de baux à durée déterminée peut aboutir globalement au
même résultat qu'un contrat de durée indéterminée résiliable; il faut
rechercher dans quelle mesure la première construction juridique est
susceptible d'éluder des dispositions impératives protégeant le locataire.
4.2.3 Certaines prétentions du travailleur sont directement dépendantes de la
durée des rapports de travail; l'on peut citer le droit au salaire en cas
d'empêchement de travailler (art. 324a CO), les délais de résiliation (art.
335c CO), l'interdiction pour l'employeur de résilier en temps inopportun (art.
336c CO), ou encore le droit à une indemnité de licenciement à raison de longs
rapports de travail (art. 339b CO). Tel n'est pas le cas en droit du bail, ce
qui n'exclut pas encore une fraude à la loi pour d'autres motifs (cf. toutefois
art. 253a al. 2 CO, qui n'entre pas en considération).
Le bail à durée déterminée se distingue du bail à durée indéterminée en
particulier sur les points suivants: prenant fin sans congé, il sort du champ
d'application des règles de protection contre les congés abusifs, qui sont de
nature impérative (cf. art. 273c CO). Dans le bail à terme fixe, le loyer ne
peut pas être modifié en cours de contrat. En raison du principe de fidélité
contractuelle, la loi autorise à augmenter ou diminuer le loyer uniquement pour
le prochain terme de résiliation, qui est en l'occurrence un terme extinctif (
ATF 128 III 419 consid. 2.4.1; LACHAT, op. cit., p. 399 n. 3.1.3 et p. 414 s.
n. 4.2.8); si les parties décident de conclure un nouveau contrat, le bailleur
pourra augmenter le loyer, qui sera susceptible de contestation au titre de
loyer initial (art. 270 CO). Enfin, le délai pour requérir une prolongation de
bail varie selon que le contrat est de durée déterminée ou indéterminée (art.
273 al. 2 CO).
L'impossibilité de modifier le loyer peut être à l'avantage de l'une ou l'autre
partie. Cela étant, l'enchaînement de baux à durée déterminée procure divers
avantages au bailleur. Si le locataire a la possibilité de contester le loyer
initial, la doctrine relève à juste titre que la loi pose des conditions plus
restrictives que pour s'opposer à une majoration de loyer en cours de contrat à
durée indéterminée (cf. SÉBASTIEN FETTER, La contestation du loyer initial,
2005, p. 132 s. n. 285; HIGI, op. cit., n° 54 ad art. 266 CO). L'on se
contentera ici d'évoquer le fait que dans le premier cas, le locataire n'est
pas quitte d'établir le caractère abusif du nouveau loyer (cf. art. 270b CO).
Il doit encore démontrer une contrainte (art. 270 al. 1 let. a CO); à défaut,
le loyer initial est attaquable uniquement s'il a sensiblement augmenté par
rapport au précédent, par quoi il faut entendre une augmentation supérieure à
10 % (art. 270 al. 1 let. b CO; ATF 136 III 82 consid. 3.4). L'on ajoutera que
dans un système de contrats en chaîne, le bailleur pourra imposer à chaque
nouveau contrat une augmentation inférieure ou égale à 10 % en échappant à tout
contrôle judiciaire si le locataire ne se trouve pas dans une situation de
contrainte. La possibilité de s'opposer à une majoration de loyer conduisant à
un rendement excessif (art. 270b CO) serait ainsi rendue inopérante (cf. HIGI,
op. cit., n° 54 ad art. 266 CO).
Le délai pour requérir une prolongation de bail est de 30 jours dès la
réception du congé s'il s'agit d'un bail de durée indéterminée; il est de 60
jours avant l'expiration d'un bail de durée déterminée (art. 273 al. 2 CO). La
conclusion successive de baux de très courte durée, inférieure au délai légal,
pourrait mettre à néant ce droit (LACHAT, op. cit., p. 604 n. 3.2.4). A cela
s'ajoute que la formule officielle, obligatoire pour notifier un congé, doit
expressément signaler ce droit (art. 266l al. 2 CO et art. 9 al. 1 let. d OBLF
- RS 221.213.11), alors que le signataire d'un bail à durée déterminée,
pourtant soumis à un délai de réquisition plus sévère, ne bénéficiera pas d'une
telle information.
Subsiste la question de la protection contre les congés. Celle-ci est
étroitement liée à la protection des droits conventionnels et légaux du
locataire, en particulier le droit à un loyer non abusif. Il s'agit d'éviter
que le risque de résiliation ne dissuade le locataire de faire valoir ses
droits; le bailleur ne doit pas profiter abusivement d'une position
prédominante sur le locataire (cf. Message du 27 mars 1985 concernant
l'initiative populaire "pour la protection des locataires" [...], FF 1985 I
1376 et 1378). La loi prévoit que le congé est annulable lorsqu'il contrevient
aux règles de la bonne foi (art. 271 al. 1 CO), et notamment s'il est dû au
fait que le locataire a émis de bonne foi des prétentions découlant du bail, ou
s'il est donné pendant une procédure de conciliation ou une procédure
judiciaire en rapport avec le bail, ou dans les trois ans à compter de la fin
d'une telle procédure (art. 271a al. 1 let. a, d et e CO).
Dans un système de baux à durée déterminée, chaque partie est entièrement libre
de conclure ou non un nouveau contrat à l'expiration du précédent, sans avoir à
se justifier. Le bailleur peut ainsi refuser son accord parce qu'il a succombé
dans une procédure, ou parce qu'il estime le locataire trop revendicateur; le
locataire n'a aucun moyen juridique de le contraindre à la poursuite des
relations contractuelles. Ce risque peut inciter le locataire à se montrer
docile et à ne pas revendiquer des droits, afin de ne pas compromettre ses
chances d'obtenir un renouvellement de son bail; il pourra notamment hésiter à
contester un loyer initial abusif (NICOLAS SAVIAUX, Baux de courte durée
successifs et contestation du loyer initial, PJA 2010 p. 289 et 300 s.; BOHNET/
DIETSCHY, in Commentaire pratique, Droit du bail à loyer, 2010, n° 9 ad art.
255 CO), à demander des travaux ou à contester des décomptes de chauffage. L'on
peut également imaginer que le bailleur entende garder la liberté de conclure
avec un autre locataire disposé à payer davantage, alors qu'il s'expose
normalement à une annulation de congé si l'application de la méthode de calcul
absolue permet d'exclure l'hypothèse qu'il puisse majorer légalement le loyer (
ATF 120 II 105 consid. 3b/bb). Les art. 271 ss CO ne visent pas seulement à
réglementer l'exercice du droit formateur à la résiliation du contrat, mais
aussi et surtout à garantir l'effectivité des droits du locataire, considéré
comme la partie faible au contrat.
4.2.4 Il découle de ce qui précède que la conclusion successive de baux à durée
limitée peut permettre au bailleur d'échapper à des règles impératives
conférant des droits au locataire, telles les règles contre les loyers abusifs,
ou contre les congés abusifs (LACHAT/THANEI, in Das Mietrecht für die Praxis,
8e éd. 2009, p. 502 n. 24/3.11; RAOUL FUTTERLIEB, Erstreckung eines befristeten
Mietverhältnisses, Kommentar, MRA 2001 p. 72 s., contra HIGI, op. cit., n° 42
ad art. 266 CO).
L'on en vient donc à la conclusion qu'il est sur le principe licite d'enchaîner
des baux de durée déterminée, sous réserve d'une fraude à la loi (cf. MAJA
BLUMER, Gebrauchsüberlassungsverträge, TDP VII/3, 2012, p. 105 s. n. 327;
Commentaire SVIT, Le droit suisse du bail à loyer, adaptation française, 2011,
n° 20 ad art. 255 CO; HIGI, op. cit., n° 42 ad art. 266 CO). Commet une telle
fraude le bailleur qui, en soi, a l'intention de s'engager pour une durée
indéfinie, mais opte pour un système de baux à durée déterminée aux seules fins
de mettre en échec des règles impératives. S'il est vrai que le système des
contrats en chaîne est susceptible de procurer des avantages importants au
bailleur, l'on ne saurait postuler l'illicéité de principe d'un tel procédé,
alors que la loi ne l'interdit nullement (contra ROGER WEBER, in Basler
Kommentar, n° 6 ad art. 255 CO, approuvé par LACHAT/THANEI, op. cit., p. 502 n.
24/3.11). La partie qui entend faire appliquer la norme éludée - soit en
l'occurrence le locataire - doit établir l'existence d'une fraude à la loi.
Il n'est pas aisé de tracer la frontière entre le choix consensuel d'une
construction juridique offerte par la loi et l'abus de cette liberté,
constitutif d'une fraude à la loi. Répondre à cette question implique une
appréciation au cas par cas, en fonction des circonstances d'espèce (cf. ATF
125 III 257 consid. 3b).
4.3
4.3.1 La Cour de justice a évoqué la jurisprudence et la doctrine relatives aux
contrats en chaîne; elle a résumé la position doctrinale en ce sens que seules
des conditions particulières requérant la poursuite d'intérêts légitimes
pouvaient permettre la conclusion de contrats en chaîne. La cour a ensuite émis
son propre avis, selon lequel l'enchaînement de baux d'habitation de durée
limitée ne devait être admis que de manière restrictive, soit lorsque cette
pratique répondait à un intérêt objectif et légitime du bailleur; à son sens,
il convenait de se montrer particulièrement strict lorsque le locataire
subissait cette pratique et n'y souscrivait qu'à raison de la pénurie sévère de
logements sur le marché local.
Passant à l'examen du cas concret, la cour cantonale a relevé que les bailleurs
n'avaient pu établir aucun motif susceptible de rendre légitime la conclusion
de baux de durée déterminée, laquelle était érigée en politique de gestion de
leur parc immobilier. Ils n'avaient pas indiqué pour quel motif ils avaient
refusé en janvier 2009 d'accorder un bail de deux ans et avaient expressément
spécifié que le bail ne serait pas renouvelé après l'échéance proposée; la
volonté de relouer le logement à un locataire de leur choix, plus précisément
un ami du fils de la bailleresse, ne pouvait légitimer ce comportement,
puisqu'ils n'avaient fait une proposition en ce sens que l'année suivante, en
2010. Quant aux locataires, ils n'étaient certes à l'époque, en 2004 comme en
2005, sans doute pas opposés à la conclusion de baux à durée déterminée, dès
lors qu'ils étaient récemment venus d'Espagne pour occuper des emplois [au
Centre X.________] notoirement attribués sur des bases annuelles. Leur
situation avait toutefois évolué par la suite. L'intimé avait été engagé par
une banque, par contrat de durée indéterminée; quant à l'intimée, elle avait
continué de travailler pour le Centre X.________ avant de se trouver au chômage
dès juin 2010. Ils avaient ainsi conçu de demeurer durablement à Genève, ce
qu'ils avaient exprimé aux bailleurs en janvier 2009. Ils avaient certes menti
en affirmant leur intention de vouloir retourner en Espagne en juin 2010; ce
mensonge était toutefois destiné à convaincre les bailleurs de leur accorder
une prolongation de quelques mois. En définitive, il fallait conclure que les
baux avaient été limités dans leur durée pour éluder les dispositions légales
sur la protection des locataires.
4.3.2 La Cour de justice semble avoir adopté une prémisse erronée, selon
laquelle l'enchaînement de baux à durée déterminée ne serait admissible que si
le bailleur peut justifier d'un motif particulier, à défaut de quoi la fraude à
la loi devrait être retenue. En réalité, la loi ne requiert aucun motif
particulier pour conclure un bail de durée déterminée et n'interdit pas
d'enchaîner deux ou plusieurs baux de ce type. Il s'agit bien plutôt de
rechercher si les faits recueillis conduisent à la conclusion que le bailleur a
mis en place un système qui ne s'explique que par la volonté de contourner des
règles impératives. Le fardeau de la preuve incombe au locataire; le bailleur
n'a pas à établir un intérêt spécial à conclure des baux de durée déterminée.
4.3.3 L'état de fait ne fournit que quelques éléments sur les circonstances
entourant la conclusion des contrats. La Cour de justice retient apparemment
que les bailleurs ont spontanément proposé des baux à durée déterminée, au nom
d'une politique de gestion visant à leur laisser le plus de liberté possible.
Elle a concédé, manifestement sur la base d'une interprétation objective, que
les locataires, vu leur situation professionnelle, n'étaient initialement "sans
doute" pas opposés à des baux de durée déterminée. Le doute peut être levé: à
la signature, en février 2004, du premier bail annuel, la situation de l'intimé
était incertaine, puisqu'il arrivait d'Espagne et devait travailler pour le
Centre X.________, sur la base d'un contrat de travail annuel. Il a cosigné le
bail avec un colocataire qui est parti avant l'échéance contractuelle. L'intimé
a alors trouvé une autre colocataire, également venue d'Espagne, employée comme
lui par le Centre X.________ sur la base de contrats annuels. Leur premier bail
commun signé en décembre 2004 était limité à deux ans, les locataires - et eux
seuls - ayant toutefois la faculté de résilier le contrat après une année.
La Cour de justice relève que la situation des locataires a ensuite évolué, et
qu'ils ont conçu de rester durablement à Genève. Il n'apparaît pas que ces
éléments étaient déjà réunis lorsque a été signé le contrat du 3 octobre 2006.
A cette époque, l'intimée était toujours employée par le Centre X.________.
Quant à l'intimé, il est constant qu'il a changé d'employeur et obtenu un
contrat de durée indéterminée, mais à une date indéfinie. Rien n'indique que sa
situation professionnelle était déjà stabilisée à ce moment-là.
Subsiste le dernier contrat, négocié en janvier 2009. Les bailleurs ont proposé
un bail d'un an, non renouvelable. Les locataires ont demandé un bail de deux
ans, renouvelable. Toutefois, deux semaines après, ils ont déclaré qu'ils
devaient regagner l'Espagne à la fin du mois de juin 2010 et ont sollicité un
bail jusqu'à cette date. Les bailleurs ont fait droit à leur demande. Même si
l'intention réelle des locataires était autre, les bailleurs pouvaient de bonne
foi se fier à leurs déclarations.
Les éléments qui précèdent, en particulier ceux afférents à la situation
professionnelle des intimés, n'autorisent pas à conclure que les bailleurs
avaient l'intention de s'engager pour une durée indéterminée, mais ont opté
pour des baux de durée limitée afin d'échapper aux règles sur le loyer abusif
et sur la protection contre les congés. Il n'est pas non plus établi que les
bailleurs auraient concrètement cherché à tirer profit de la construction
juridique proposée. Les bailleurs ont certes augmenté le premier loyer initial
de 33 %, mais les locataires n'allèguent pas avoir été dissuadés de le
contester et, surtout, ne plaident pas que ce loyer était abusif. Par la suite,
les bailleurs n'ont jamais augmenté le loyer. Les locataires ne soutiennent pas
non plus avoir été empêchés de faire valoir d'autres prétentions. La Cour de
justice relève certes que les bailleurs n'ont pas indiqué pour quel motif ils
avaient refusé en janvier 2009 de prolonger une nouvelle fois le bail de deux
ans et avaient expressément spécifié qu'il ne serait pas reconduit. Cela ne
signifie pas encore que le refus de poursuivre la relation contractuelle puisse
être assimilé à un congé contraire à la bonne foi. En particulier, il
n'apparaît pas que les bailleurs auraient agi par vengeance ou représailles;
l'hypothèse d'un congé économique abusif ne saurait non plus être retenue, sans
plus autre renseignement sur le loyer.
La Cour de justice s'est focalisée sur la situation de pénurie notoire existant
sur le marché du logement en ville de Genève, et sur la déclaration des
bailleurs selon laquelle ils privilégiaient les baux à durée limitée afin de
préserver leur liberté de conclure ou non de nouveaux contrats. Il est
indéniable que de tels éléments peuvent constituer des indices d'une fraude à
la loi; dans une situation de pénurie, l'on admettra facilement que le
locataire ne contrevient pas à la bonne foi en invoquant une fraude à la loi
après avoir accepté de conclure des contrats de durée déterminée. Toutefois,
l'appréciation des circonstances concrètes, prises dans leur ensemble, ne
permet en l'occurrence pas de conclure que la construction juridique proposée
par les bailleurs ne s'expliquait que par le but de contourner les règles
impératives de protection des locataires, alors que la situation
professionnelle des locataires, venus d'Espagne pour travailler en Suisse, est
restée longtemps indécise, et que les locataires ont ensuite affirmé devoir
rentrer dans leur pays.
En définitive, la cour cantonale a enfreint le droit fédéral en retenant une
fraude à la loi, qui l'a conduite à constater que les parties étaient toujours
liées par un contrat de durée indéterminée. Il faut au contraire constater que
le bail a valablement pris fin le 30 juin 2010. Les autres griefs soulevés par
les recourants s'en trouvent par là-même privés d'objet.

5.
Devant les instances cantonales, les intimés avaient subsidiairement conclu à
une prolongation de bail de quatre ans. Vu la solution retenue, les autorités
cantonales n'ont pas eu à examiner cette question. Dans la réponse adressée à
la cour de céans, les intimés concluent uniquement au rejet du recours, sans
réitérer leur conclusion subsidiaire en prolongation de bail; anticipant une
éventuelle requête en ce sens, les recourants avaient expliqué dans leur
mémoire pour quels motifs ils y étaient opposés. Il n'y a donc pas à traiter
cette question. Au demeurant, il faut constater que le bail a pris fin le 30
juin 2010 et que les intimés ont ainsi déjà bénéficié d'une prolongation de
fait supérieure à deux ans et demi.

6.
Les intimés succombent. En conséquence, ils supporteront solidairement entre
eux les frais et dépens de la présente procédure (art. 66 et 68 LTF).
La cause est renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle se prononce sur les
dépens des recourants pour la procédure cantonale (cf. art. 116 al. 1 CPC et
art. 22 al. 1 LaCC/GE - RSG E 1 05 [= ancien art. 17 al. 1 LaCC/GE]), ainsi que
sur la conclusion reconventionnelle des recourants en évacuation.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé.

2.
Il est constaté que le bail à loyer portant sur l'appartement de 4,5 pièces
situé au troisième étage de l'immeuble sis ... à Genève a pris fin au 30 juin
2010.

3.
La cause est renvoyée à la Cour de justice, Chambre des baux et loyers, pour
suite de la procédure.

4.
Les frais judiciaires, fixés à 3'000 fr., sont mis solidairement à la charge
des intimés.

5.
Les intimés verseront solidairement 3'500 fr. aux recourants à titre de dépens.

6.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre des
baux et loyers de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 26 février 2013
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

La Présidente: Klett

La Greffière: Monti