Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.528/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_528/2012

Arrêt du 14 décembre 2012
Ire Cour de droit civil

Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux Klett, Présidente,
Kolly et Kiss.
Greffière: Mme Monti.

Participants à la procédure
A.________, représenté par Me Christian Pirker,
recourant,

contre

B.________, représenté par Me Robert Fiechter,
intimé,

Objet
requête de preuve à futur,

recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 8 août 2012 par la Chambre
civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Faits:

A.
A.a Le 11 mars 1993, le marchand d'art A.________, ressortissant israélien
domicilié en Israël, a ouvert un compte auprès de la succursale de la banque
V.________ à Genève (aujourd'hui W.________ SA; ci-après: la banque). Les
avoirs déposés sur ledit compte ont fait l'objet d'un mandat de gestion confié
à B.________. Ce dernier est le directeur depuis 1996 de X.________ SA, société
sise à Genève dont le but est la gestion de patrimoines privés ou
institutionnels. Le 6 janvier 2003, A.________ a signé une formule de la banque
intitulée "power of attorney for the management of assets", par laquelle il
autorisait X.________ SA à donner des instructions et mener des opérations sur
son compte; ce document, contresigné par le directeur de la société précitée,
prévoyait un for juridique exclusif à Genève et l'application du droit suisse.

A la fin de l'année 2004, à la suite d'une baisse de ses avoirs sous gestion,
A.________ a saisi le Tribunal de district de Haïfa en Israël d'une demande en
paiement dirigée contre X.________ SA et B.________. Le demandeur prétendait
que B.________ lui aurait promis oralement en 2002 que son portefeuille ne
descendrait pas en dessous d'un million de dollars américains, promesse qui
n'aurait pas été tenue. Dans le cadre de cette procédure, B.________ a soulevé
une exception d'incompétence des tribunaux israéliens en raison du lieu; il
alléguait que A.________ aurait signé, en sa faveur, un "power of attorney for
the management of assets" identique à celui établi le 6 janvier 2003 à
l'attention de X.________ SA, document prévoyant également une compétence
exclusive des tribunaux genevois et l'application du droit suisse. Le 17
janvier 2011, la Cour suprême d'Israël a pris acte du retrait de la demande en
tant qu'elle visait X.________ SA et s'est déclarée compétente pour connaître
de la cause opposant A.________ à B.________, à défaut d'élection de for en
faveur des tribunaux genevois.
A.b Par courriers des 6 et 23 février 2011, B.________ a mis A.________ et la
banque en demeure de lui remettre le document par lequel A.________ lui avait
conféré le mandat de gérer son compte auprès de la banque. Cette dernière s'y
est refusée. B.________ a alors ouvert une nouvelle action devant le Tribunal
de district de Haïfa en vue d'obtenir cette pièce. L'action a été rejetée le 11
mai 2011 en première instance, puis le 2 août 2011 en deuxième instance, au
motif que la question de la compétence avait déjà été tranchée et que le
document requis n'était donc pas pertinent.

B.
B.a Le 21 septembre 2011, B.________ a déposé une "requête de preuves à futur"
contre A.________ et la banque, par-devant le Tribunal de première instance du
canton de Genève. Il concluait à ce que les deux intimés soient condamnés
solidairement à produire une copie certifiée conforme des documents d'ouverture
de son compte, y compris tout "power of attorney for the management of assets",
mandat de gestion ou procuration signés par A.________ en sa faveur. A.________
et la banque ont conclu à l'irrecevabilité et au rejet de la requête. Par
ordonnance du 9 février 2012, le Tribunal de première instance a rejeté la
requête de preuve à futur et de reddition de compte par voie de mesures
provisionnelles.
B.b Statuant par arrêt du 8 août 2012 sur l'appel interjeté par B.________, la
Chambre civile de la Cour de justice a annulé l'ordonnance du Tribunal de
première instance et notamment prononcé:
"Condamne A.________ et W.________ SA conjointement et solidairement à produire
en mains de B.________ une copie certifiée conforme des documents d'ouverture
du compte no (...) établis le 11 mars 1993, y compris toute procuration (power
of attorney for the management of assets), mandat de gestion ou procuration
signés par A.________ en faveur de B.________.
Impartit à A.________ et W.________ SA un délai de quinze jours dès l'entrée en
force de ladite décision pour produire les documents cités ci-dessus.
Dit que W.________ SA sera condamnée à une amende de mille francs par jour de
retard en cas d'inexécution de la présente décision. (...)"

C.
C.a A.________ (ci-après: le recourant) a interjeté un recours en matière
civile auprès du Tribunal fédéral. A teneur du mémoire déposé le dernier jour
du délai de recours, soit le 17 septembre 2012, le recours est dirigé contre le
seul B.________ (ci-après: l'intimé); il contient des conclusions principales
visant au rejet de la requête de l'intimé. Par la suite, constatant que l'avis
de réception de la cour de céans ne mentionnait pas la banque au titre des
"autres participants à la procédure", le recourant a écrit pour préciser que
son recours était bien entendu aussi dirigé contre la banque, comme indiqué
dans l'en-tête de sa lettre accompagnant le mémoire de recours.
C.b La banque, qui a elle-même renoncé à recourir contre la décision d'appel, a
été invitée à déposer des observations. Elle s'en est remise à justice sur la
question de savoir si elle est ou non partie à la procédure devant la cour de
céans. Elle a en outre évoqué un problème d'interprétation de l'arrêt attaqué,
qui l'a conduite à saisir la Cour de justice le 17 août 2012. La banque est
d'avis que le délai de 15 jours pour produire les pièces requises commence à
courir dès l'entrée en force "cumulative" de la décision à l'égard de la banque
et de A.________; toute autre interprétation signifierait que la décision est
exécutable à son encontre et que le recours de A.________ est privé de toute
substance et de tout objet. La banque a encore précisé que pour éviter l'amende
prévue en cas d'insoumission, elle avait déjà produit les documents requis sous
pli scellé auprès du greffe de la Cour de justice, à charge pour celle-ci de
les transmettre au moment jugé conforme à l'arrêt rendu.
C.c Par arrêt du 28 septembre 2012, la Chambre cantonale a rejeté la requête en
interprétation. Niant toute ambiguïté du dispositif, elle a relevé que la
banque en avait d'ailleurs parfaitement compris le sens et les conséquences, à
savoir que la décision entrait en force à l'égard de la partie qui s'abstenait
de recourir.
C.d Invité à se déterminer sur le recours du 17 septembre 2012, l'intimé a
conclu principalement à l'irrecevabilité du recours et subsidiairement à son
rejet; il estime en outre que la banque n'est pas partie à la procédure de
recours. Recourant et intimé ont par la suite encore déposé diverses
observations, les dernières respectivement en date des 24 et 31 octobre 2012.
La présidente de la cour de céans a accordé l'effet suspensif au recours.

Considérant en droit:

1.
Le recourant et la banque ont été condamnés "conjointement et solidairement" à
produire certains documents. Le recourant plaide qu'en raison de la manière
dont cette condamnation est formulée, la banque est de facto partie à la
procédure de recours qu'il a lui-même initiée. En réalité, il s'agit d'une
obligation que, par nature, chacune des deux parties débitrices peut exécuter
seule, sans le concours de l'autre; une condamnation à titre solidaire
sous-entend nécessairement une telle faculté (cf. art. 147 CO). Le terme
conjointement n'y change rien; il exprime uniquement le fait que les deux
débiteurs ont été "actionnés conjointement" dans une seule et même procédure en
qualité de consorts simples (art. 71 al. 1 CPC; gemeinsam beklagt werden,
essere convenute congiuntamente). Le recourant et la banque pouvaient donc
chacun procéder indépendamment de l'autre (art. 71 al. 3 CPC).

La banque n'a pas recouru contre l'arrêt la condamnant à produire les pièces.
Partant, l'arrêt attaqué est entré en force à son égard. Elle n'est en
conséquence plus partie à la procédure devant la cour de céans.

La banque affirme s'être exécutée et avoir remis les pièces requises sous pli
scellé au greffe de la Chambre cantonale, à charge pour celle-ci de les
transmettre à qui de droit. Ce fait est expressément relevé dans un courrier du
28 septembre 2012 dont copie a été notifiée au recourant et à l'intimé; ces
derniers n'ont pas contesté la réalité du dépôt dans leurs écrits postérieurs,
si bien que ce fait peut être considéré comme incontesté. Il s'agit d'un fait
nouveau qui fait suite à l'arrêt attaqué et qui est déterminant pour juger de
la recevabilité du présent recours; il peut dès lors être retenu (cf. art. 99
LTF; BERNARD CORBOZ, Commentaire de la LTF, 2009, n° 20 ss ad art. 99 LTF). Il
n'est en outre pas contesté que la banque a fourni toutes les pièces dont la
production a été ordonnée dans l'arrêt attaqué, et que le recourant ne détient
pas de documents supplémentaires. Le recourant l'admet à tout le moins
implicitement dans ses courriers des 12 et 22 octobre 2012, lorsqu'il précise
que son recours serait vidé de toute substance s'il fallait conclure que la
banque n'est pas partie à la présente procédure. Quant à l'intimé et la banque,
ils l'admettent expressément, le premier dans sa réponse du 4 octobre 2012, la
seconde dans des courriers des 28 septembre et 3 octobre 2012. Il y a donc
accord sur ce point.

L'exécution d'une obligation solidaire par l'un des débiteurs solidaires éteint
la dette envers le créancier et libère les autres débiteurs (art. 147 CO).
L'extinction de l'obligation par l'un des débiteurs prive de tout objet la
procédure divisant le créancier aux autres débiteurs solidaires. Il s'ensuit
que le présent recours est sans objet sur la question principale.

Il est vrai que l'arrêt attaqué met des frais et dépens à la charge du
recourant, lequel a un intérêt légitime et actuel à obtenir l'annulation de
cette condamnation (cf. ATF 117 Ia 251 consid. 1b p. 255). Toutefois, l'examen
de la décision sur les frais et dépens ne saurait servir à contrôler de manière
indirecte la décision au fond, alors que les griefs se rapportant à celle-ci
sont sans objet ou irrecevables (cf. ATF 129 II 297 consid. 2.2 p. 300; 100 Ia
298 consid. 4 p. 299). Dans une telle hypothèse, le recourant doit invoquer
d'autres motifs que ceux qu'il faisait valoir à propos de la question
principale (cf. ATF 109 Ia 90; plus récemment, arrêt 4A_134/2012 du 16 juillet
2012 consid. 3). Tel n'est pas le cas en l'occurrence.

2.
Le recours est irrecevable. Le recourant supporte les frais et dépens de la
procédure (art. 66 et 68 LTF). Il n'est pas alloué de dépens à la banque dès
lors que celle-ci n'en demande pas.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge du recourant.

3.
Le recourant versera à l'intimé une indemnité de 3'500 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, à la Chambre
civile de la Cour de justice de Genève et, pour information, à W.________ SA.

Lausanne, le 14 décembre 2012
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

La Présidente: Klett

La Greffière: Monti