Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.421/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_421/2012

Arrêt du 20 novembre 2012
Ire Cour de droit civil

Composition
Mmes et M. les Juges Klett, Présidente, Rottenberg Liatowitsch et Kolly.
Greffière: Mme Godat Zimmermann.

Participants à la procédure
X.________ SA, représentée par Me Philippe Reymond et Me Julie Laverrière,
recourante,

contre

A.Y.________ et B.Y.________, représentés par
Me François Roux,
intimés.

Objet
mesures provisionnelles,

recours contre l'arrêt de la Juge déléguée de la Cour d'appel civile du
Tribunal cantonal du canton de Vaud du 3 avril 2012.

Faits:

A.
Par contrat du 20 janvier 2009, A.Y.________ et B.Y.________ ont confié à
X.________ SA (ci-après: X.________) le mandat d'exécuter des prestations
d'architecte pour la réalisation de trois immeubles résidentiels à .... Les
parties ont signé et annexé au contrat un extrait - soit l'art. 1 - du
règlement SIA 102 (2003) concernant les prestations et honoraires des
architectes. Sous l'intitulé "Utilisation de documents de travail de
l'architecte", l'art. 1.6.4 dudit règlement prévoit que le paiement des
honoraires donne droit au mandant de faire usage des documents de travail de
l'architecte dans le but convenu. Au surplus, le contrat se réfère de manière
générale au règlement SIA 102 (2003).
X.________ a exécuté différentes prestations d'architecte et envoyé
régulièrement des factures aux mandants jusqu'en avril 2011. A ce moment-là,
les époux Y.________ ont mis un terme aux relations contractuelles.

Par courrier du 30 mai 2011, X.________ a notamment rendu les mandants
attentifs au fait qu'une indemnité représentant 10% du coût des travaux
résiduels et prestations retirées pouvait être réclamée par l'architecte en cas
de rupture unilatérale du contrat; elle leur rappelait également que les droits
d'auteur étaient réservés et que l'usage par quiconque des prestations,
documents et supports informatiques exécutés par l'architecte était subordonné
au paiement des honoraires. Parallèlement, X.________ a adressé aux époux
Y.________ une note d'honoraires portant sur un solde de 784'881 fr. HT,
montant qui n'incluait pas l'indemnité pour fin anticipée du contrat.

Le 21 septembre 2011, X.________ a établi la note d'honoraires finale qui se
rapportait à toutes les prestations effectuées, sauf celles relatives à la
plaquette de vente et aux images de synthèse; le solde à payer s'élevait alors
à 982'934 fr.70 HT.

Par lettre du 23 septembre 2011, le conseil de X.________ a invité les mandants
à lui confirmer, d'ici au 27 septembre 2011, qu'ils ne feraient aucun usage des
documents, plans, esquisses et autres prestations exécutés par l'architecte; il
les mettait également en demeure de payer le solde d'honoraires dans les trente
jours.

Dans sa réponse du 30 septembre 2011, le conseil des époux Y.________ a relevé
que ceux-ci avaient déjà versé 427'000 fr. d'honoraires; il considérait que
X.________ voulait contraindre les mandants à régler le solde réclamé en leur
interdisant d'utiliser ce qui leur appartenait déjà et qu'ils avaient payé plus
de 400'000 fr.

B.
Par requête de mesures provisionnelles et superprovisionnelles du 17 octobre
2011, X.________ s'est adressée au Président de la Chambre patrimoniale
cantonale du canton de Vaud et pris les conclusions suivantes:

"I. Il est fait interdiction à B.Y.________ et A.Y.________, ainsi qu'à tous
auxiliaires et mandataires de ceux-ci, à charge pour les époux Y.________ de
faire respecter cette interdiction par leurs auxiliaires et mandataires, de
faire un quelconque usage, sous quelques formes que ce soient, de reproduire,
de copier, de scanner, par tous moyens techniques, mécaniques ou informatiques,
tous les documents établis par X.________ SA, en particulier les plans de mise
à l'enquête publique, les plans d'appels d'offres, le devis détaillé, les
esquisses, variantes, le devis définitif, et toutes autres documentations
établies par X.________, jusqu'au paiement de la note d'honoraires et
d'indemnités de CHF 1'061'569.50 (...), TVA incluse, ou jusqu'à jugement
définitif et exécutoire sur les prétentions de X.________, respectivement
jusqu'à transaction judiciaire ou extrajudiciaire entre parties.

II. Ordonner aux époux Y.________ et à leurs auxiliaires et mandataires, à
charge pour les époux Y.________ de faire respecter cette obligation par leurs
auxiliaires et mandataires, de restituer à X.________, subsidiairement de
déposer au Greffe de la Chambre de céans, tous documents, plans, esquisses,
devis et autres documentations établis par X.________, dans les septante-deux
heures dès l'ordre à intervenir, interdiction étant faite aux époux Y.________,
à leurs auxiliaires et à leurs mandataires, de conserver toutes copies, sous
toutes formes, papier, informatique, documents scannés, clés USB, etc., de tous
plans, esquisses, devis et autres documentations établis par X.________.

III. Les interdiction et injonction données selon les conclusions ci-devant
sont assorties de la commination des peines d'amende de l'article 292 CP en cas
d'insoumission des époux Y.________, de leurs auxiliaires ou de leurs
mandataires, aux interdiction et injonction judiciaires."

Par ordonnance de mesures superprovisionnelles du 18 octobre 2011, la Juge
déléguée de la Chambre patrimoniale cantonale a prononcé l'interdiction requise
par X.________, valable jusqu'à droit connu sur les mesures provisionnelles, et
a rejeté toutes autres ou plus amples conclusions.

Une audience s'est tenue le 9 novembre 2011. Par ordonnance de mesures
provisionnelles du 5 décembre 2011 dont les motifs ont été notifiés le 7
février 2012, la Juge déléguée de la Chambre patrimoniale cantonale a interdit
à B.Y.________ et à A.Y.________, ainsi qu'à tous auxiliaires et mandataires de
ceux-ci, sous la menace de la peine d'amende prévue à l'art. 292 CP en cas
d'insoumission à une décision de l'autorité, à charge pour les susnommés de
faire respecter cette interdiction par leurs auxiliaires et mandataires, de
faire un quelconque usage, sous quelques formes que ce soient, de reproduire,
de copier, de scanner, par tous moyens techniques, mécaniques ou informatiques,
tous les documents établis par X.________, en particulier les plans de mise à
l'enquête publique, les plans d'appels d'offres, le devis détaillé, les
esquisses, les variantes, le devis définitif et toutes autres documentations
établies par la requérante jusqu'à jugement définitif et exécutoire sur les
prétentions de X.________, respectivement jusqu'à transaction judiciaire ou
extrajudiciaire entre parties (ch. I); la juge a en outre imparti à la
requérante un délai au 31 janvier 2012 pour faire valoir son droit en justice
(ch. II).

A.Y.________ et B.Y.________ ont formé appel contre l'ordonnance du 5 décembre
2011. Par arrêt du 3 avril 2012 dont les considérants ont été notifiés le 11
juin 2012, la Juge déléguée de la Cour d'appel civile du canton de Vaud a admis
le recours et rejeté la requête de X.________ du 17 octobre 2011.

C.
X.________ interjette un recours en matière civile. Elle demande au Tribunal
fédéral de réformer l'arrêt du 3 avril 2012 et d'ordonner les mesures
d'interdiction, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, telles que
prononcées par la Juge déléguée de la Chambre patrimoniale cantonale dans sa
décision du 5 décembre 2011.

Dans une requête séparée, la recourante conclut à ce que le Tribunal fédéral
prononce, à titre de mesures provisionnelles, les mêmes interdictions que
celles figurant dans le dispositif de l'ordonnance susmentionnée du 5 décembre
2011. Cette requête a été rejetée par ordonnance présidentielle du 6 août 2012.

Dans leur réponse, A.Y.________ et B.Y.________ proposent que le recours soit
déclaré irrecevable, subsidiairement qu'il soit rejeté.
X.________ a déposé des observations complémentaires.

Considérant en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 138 III 46 consid. 1, 471 consid. 1 p. 475; 137 III
417 consid. 1).

1.1 Le recours est dirigé contre une décision sur mesures provisionnelles. Une
telle décision est finale au sens de l'art. 90 LTF lorsqu'elle est rendue dans
une procédure indépendante d'une procédure principale et qu'elle y met un terme
(ATF 138 III 76 consid. 1.2 p. 79; 137 III 324 consid. 1.1 p. 328; 134 I 83
consid. 3.1 p. 86). Tel n'est pas le cas en l'espèce. Les mesures
d'interdiction ont été requises par la recourante avant l'introduction d'une
action en paiement de ses honoraires (cf. conclusion I de la requête du 17
octobre 2011); conformément à l'art. 263 CPC, la juge de première instance, qui
avait ordonné lesdites mesures, avait du reste imparti à la recourante un délai
pour faire valoir son droit en justice. Les mesures provisionnelles ici en
cause sont ainsi destinées à se greffer sur une procédure principale sur le
fond sans laquelle elles ne peuvent subsister. En pareil cas, la décision sur
mesures provisionnelles - que la requête soit admise ou rejetée - est qualifiée
de décision incidente (ATF 138 III 76 consid. 1.2 p. 79; 137 III 324 consid.
1.1 p. 328; 134 I 83 consid. 3.1 p. 86; cf. également arrêt 4A_478/2011 du 30
novembre 2011 consid. 1.1, in sic! 6/2012 p. 412).

Comme il ne porte ni sur la compétence ni sur une demande de récusation (cf.
art. 92 al. 1 LTF), l'arrêt attaqué est une décision incidente au sens de
l'art. 93 al. 1 LTF, contre laquelle le recours immédiat au Tribunal fédéral
n'est ouvert que si elle peut causer un préjudice irréparable (let. a) ou si
l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale
permettant d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (let. b). Le
second terme de l'alternative n'entre pas en ligne de compte en l'occurrence.
Il convient dès lors d'examiner si la décision entreprise peut causer un
préjudice irréparable.

Le préjudice ("Nachteil") visé à l'art. 93 al. 1 let. a LTF est de nature
juridique; il ne peut s'agir d'un préjudice de fait ou d'un préjudice purement
économique, comme l'allongement ou le renchérissement de la procédure (ATF 138
III 190 consid. 6 p. 192; 137 V 314 consid. 2.2.1 p. 317; 136 IV 92 consid. 4
p. 95; 135 II 30 consid. 1.3.4 p. 36). Il est en outre irréparable,
c'est-à-dire qu'il ne doit pas pouvoir être supprimé par une décision finale
ultérieure qui serait favorable à la partie recourante (ATF 138 III 190 consid.
6 p. 192; 137 III 522 consid. 1.3 p. 525; 137 V 314 consid. 2.2.1 p. 317; 134
IV 92 consid. 4 p. 95; 134 III 188 consid. 2.1 p. 190). Pendant longtemps, le
Tribunal fédéral a admis l'existence d'un préjudice irréparable en cas de
recours contre une décision admettant ou rejetant une mesure provisionnelle
(cf. ATF 134 I 83 consid. 3.1 p. 87). Il est revenu récemment sur ce principe
formulé de manière trop générale et s'est réservé à l'avenir d'examiner la
question plus attentivement, exigeant en tout cas du recourant qu'il démontre
désormais dans quelle mesure il est exposé concrètement à un préjudice
irréparable d'ordre juridique, à moins que cette conséquence ne découle
manifestement de la décision attaquée ou de la nature de la cause (ATF 137 III
324 consid. 1.1 p. 328 s.).

1.2 En l'espèce, ni la nature de la cause, ni les éléments ressortant de
l'arrêt attaqué ne laissent apparaître à l'évidence que le refus des mesures
provisionnelles sollicitées est propre à entraîner pour la recourante un
préjudice irréparable au sens décrit plus haut. Il convient donc d'examiner
l'argumentation développée à ce sujet dans le recours.

Selon la recourante, les intimés utilisent déjà les plans et documents qu'elle
a établis puisqu'ils les ont transmis à un autre bureau d'architectes, chargé
sans son autorisation d'exécuter l'oeuvre; ils auraient par ailleurs
l'intention de vendre tout ou partie de leurs parcelles, avec le projet, à des
tiers, lesquels pourraient donc faire usage des prestations de l'architecte
alors que celles-ci n'auraient pas été rémunérées et que l'auteur du projet
n'aurait pas donné son accord. La recourante fait valoir ainsi que la
protection des tiers de bonne foi est de nature à la priver de son droit -
fondé sur le contrat (art. 1.6.4 du règlement SIA 102/2003) et le droit
d'auteur - d'empêcher l'utilisation de plans et documents qui n'ont pas été
payés. A la suivre, le préjudice correspondant à la privation de son droit de
disposition sur l'oeuvre d'architecte est juridique; il serait au surplus
irréparable puisque, à défaut de protection immédiate, les plans et les
prestations de l'architecte seraient cédés à des tiers qui en acquerraient la
disposition de manière définitive.
Ces explications n'emportent pas la conviction. Il y a lieu en effet d'examiner
concrètement quelles sont les conséquences pour la recourante du refus
d'ordonner les mesures provisionnelles qu'elle réclame. Or, il faut rappeler à
cet égard que les interdictions en cause sont censées intervenir en relation
avec une action en paiement des honoraires de l'architecte. L'idée de la
recourante est d'empêcher les intimés d'utiliser les plans et autres documents
d'architecte établis par elle tant que la facture de 1'061'569 fr.50 n'a pas
été intégralement payée ou, en tout cas, tant qu'un jugement ou une transaction
sur les honoraires ne sont pas intervenus. Dans cette perspective, le refus des
mesures d'interdiction sollicitées a seulement pour effet de priver la
recourante d'un moyen de pression sur les intimés, destiné à amener ceux-ci à
payer le montant réclamé ou à transiger plus rapidement. En ce sens, la
recourante subit uniquement un inconvénient de fait, qui n'a aucun rapport avec
l'éventuel montant encore dû en droit sur les honoraires d'architecte. La
condition du préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF n'est
dès lors pas réalisée.

Il s'ensuit que le recours contre la décision incidente entreprise est
irrecevable.

2.
La recourante, qui succombe, prendra à sa charge les frais judiciaires (art. 66
al. 1 LTF) et versera des dépens aux intimés (art. 68 al. 1 et 2 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 6'000 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

3.
La recourante versera aux intimés, créanciers solidaires, une indemnité de
7'000 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Juge
déléguée de la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 20 novembre 2012

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

La Présidente: Klett

La Greffière: Godat Zimmermann