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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.369/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_369/2012

Arrêt du 10 octobre 2012
Ire Cour de droit civil

Composition
Mme et MM. les Juges Klett, Présidente, Corboz et Kolly.
Greffière: Mme Godat Zimmermann.

Participants à la procédure
A.________, représenté par Me Cyril Mizrahi,
recourant,

contre

X.________ Sàrl, représentée par Me Gilda Modoianu,
intimée.

Objet
loi sur l'élimination des inégalités frappant les personnes handicapées
(LHand); prestations de particuliers,

recours contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de
Genève du 11 mai 2012.

Faits:

A.
A.________ est paraplégique depuis vingt ans. Le 4 octobre 2008, il s'est rendu
seul au cinéma V.________, à Genève, pour assister à la projection d'un film
qui ne figurait à l'affiche d'aucune autre salle genevoise. Le bâtiment
abritant le cinéma, exploité par X.________ Sàrl, n'est pas adapté aux
personnes en fauteuil roulant; celles-ci ne peuvent ni accéder aux salles, ni
en sortir sans l'aide de tiers. A.________ s'est vu refuser l'accès au cinéma
en vertu de directives de sécurité internes de la société exploitante. Il s'en
est plaint auprès de cette dernière, sans succès.

B.
Le 28 septembre 2009, A.________ a ouvert action contre X.________ Sàrl,
concluant au paiement d'une indemnité de 5'000 fr. plus intérêts. Il
considérait avoir subi une discrimination en se voyant refuser l'accès au
cinéma. Dans le même acte, Integration Handicap, association venant en aide aux
personnes handicapées, a demandé qu'il soit constaté que A.________ avait été
traité de façon discriminatoire et que l'interdiction faite par la société
exploitante aux personnes avec un handicap physique d'accéder au cinéma
constituait un traitement discriminatoire. Cette organisation fondait sa
qualité pour agir sur l'art. 9 al. 1, 2 et 3 let. a LHand, ainsi que sur le ch.
6 de l'annexe 1 OHand.

X.________ Sàrl a conclu au rejet de l'action de A.________ et à
l'irrecevabilité de l'action d'Integration Handicap faute de qualité pour agir,
subsidiairement à son rejet.

Au cours de l'instruction, il a été procédé à un transport sur place. A cette
occasion, A.________ - qui pèse 80 kg - a fait la démonstration qu'avec l'aide
de deux personnes, il pouvait entrer en fauteuil roulant - d'un poids d'environ
15 kg - dans la salle de cinéma et sortir par l'issue de secours.

Par jugement du 15 septembre 2011, le Tribunal de première instance du canton
de Genève a rejeté l'action de A.________ et, dans la mesure où elle était
recevable, celle d'Integration Handicap.

A.________ a déposé un recours (art. 319 CPC) alors que Integration Handicap
s'est pourvue en appel (art. 308 CPC). Après avoir ordonné la division des
causes, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a rejeté le
recours de A.________ par arrêt du 11 mai 2012. Dans un arrêt du même jour,
elle a rejeté l'appel de Integration Handicap et confirmé le jugement de
première instance.

C.
A.________ interjette un recours en matière civile et, à titre subsidiaire, un
recours constitutionnel. Il conclut à la condamnation de X.________ Sàrl à lui
payer la somme de 5'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 4 octobre 2008.

X.________ Sàrl propose le rejet des recours en tant qu'ils sont recevables.

Integration Handicap a également déposé un recours en matière civile (cause
4A_367/1012). Dans l'arrêt rendu parallèlement dans cette affaire, la cour de
céans nie que X.________ Sàrl ait commis envers A.________ une discrimination
prohibée par l'art. 6 LHand.

Considérant en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 138 III 46 consid. 1, 471 consid. 1 p. 475; 137 III
417 consid. 1).

1.1 Selon l'art. 6 de la loi fédérale du 13 décembre 2002 sur l'élimination des
inégalités frappant les personnes handicapées (LHand; RS 151.3), les
particuliers qui fournissent des prestations au public ne doivent pas traiter
une personne handicapée de façon discriminatoire du fait de son handicap. Toute
personne qui subit une discrimination au sens de cette disposition peut
demander au tribunal le versement d'une indemnité (art. 8 al. 3 LHand) d'un
montant maximal de 5'000 fr. (art. 11 al. 2 LHand).

L'action du recourant porte sur le versement de cette indemnité à hauteur de
5'000 fr. La valeur litigieuse minimale requise pour la recevabilité du recours
en matière civile n'est pas atteinte (art. 74 al. 1 let. b LTF). Invoquant
l'art. 74 al. 2 let. a LTF, le recourant soutient que la contestation soulève
une question juridique de principe et que le recours en matière civile est dès
lors ouvert sans égard à la valeur litigieuse. A titre subsidiaire, il demande
que son écriture soit traitée comme un recours constitutionnel.

Dans l'arrêt rendu sur le recours en matière civile de Integration Handicap -
dont l'argumentation est identique à celle du recours examiné ici -, le grief
tiré d'une violation de l'art. 6 LHand est rejeté; en outre, le moyen fondé sur
la violation de la CEDH est écarté. Examinés dans le cadre d'un recours
constitutionnel subsidiaire, le premier grief se révélerait irrecevable, le
recourant ne se plaignant pas d'une application arbitraire du droit fédéral
(cf. art. 116 LTF), et le second serait également rejeté. Quelle que soit la
qualification du recours, le recourant ne peut donc obtenir gain de cause, de
sorte que la question de la voie de droit ouverte en l'occurrence restera
indécise.

1.2 Pour le reste, interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions
en paiement (cf. art. 76 al. 1 et art. 115 LTF) et dirigé contre une décision
finale (art. 90 et art. 117 LTF) rendue par une autorité cantonale de dernière
instance statuant sur recours (art. 75, art. 113 et art. 114 LTF), le recours
est recevable puisqu'il a été déposé dans le délai (art. 45 al. 1 et art. 100
al. 1 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi.

2.
Invoquant l'art. 97 al. 1 LTF, le recourant reproche tout d'abord à la cour
cantonale d'avoir établi les faits de manière manifestement inexacte.

2.1 Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des
faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en
écarter que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte - ce
qui correspond à la notion d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 137 I 58
consid. 4.1.2 p. 62; 137 II 353 consid. 5.1 p. 356) - ou en violation du droit
au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF).

La partie recourante qui entend s'écarter des constatations de l'autorité
précédente doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions
d'une exception prévue par l'art. 105 al. 2 LTF seraient réalisées, faute de
quoi il n'est pas possible de tenir compte d'un état de fait qui diverge de
celui contenu dans la décision attaquée (ATF 137 II 353 consid. 5.1 p. 356; 136
I 184 consid. 1.2 p. 187). Une rectification de l'état de fait ne peut être
demandée que si elle est de nature à influer sur le sort de la cause (art. 97
al. 1 LTF).

Une décision n'est annulée pour arbitraire (art. 9 Cst.) que lorsqu'elle est
manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contradiction claire avec la
situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique
indiscuté, ou encore lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la
justice et de l'équité. Par ailleurs, il ne suffit pas qu'une autre solution
soit concevable, voire préférable; encore faut-il que la décision apparaisse
arbitraire dans son résultat (ATF 138 I 49 consid. 7.1 p. 51; 137 I 1 consid.
2.4 p. 5; 136 III 552 consid. 4.2 p. 560; 135 V 2 consid. 1.3 p. 4 s.).

En matière d'appréciation des preuves, il y a arbitraire lorsque l'autorité ne
prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à
modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa
portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en
tire des constatations insoutenables (ATF 137 I 58 consid. 4.1.2 p. 62; 136 III
552 consid. 4.2 p. 560; 134 V 53 consid. 4.3 p. 62; 129 I 8 consid. 2.1 p. 9).

2.2 Selon les constatations de la cour cantonale, la manipulation de la chaise
roulante occupée par A.________, d'une charge totale de 100 kg, "ne semble pas
aisée, en particulier lorsqu'il s'agit de gravir plusieurs marches d'escalier."
Le recourant critique cette conclusion en se référant aux procès-verbaux
dressés en première instance. D'après lui, la manoeuvre est à la portée de
n'importe quelle personne capable de suivre ses instructions; il en veut pour
preuve la démonstration faite lors du transport sur place, un homme sans force
particulière et une femme atteinte d'une hernie discale ayant réussi à lui
faire monter les escaliers.

Le recourant joue quelque peu sur les mots. La Chambre civile n'a pas constaté
que la manoeuvre était impossible ou particulièrement difficile, mais
uniquement qu'elle n'était pas aisée. Or, il n'y a rien d'insoutenable à
retenir que faire monter un escalier à une personne en fauteuil roulant, d'un
poids total de 100 kg, n'est pas chose aisée, en tout cas pour des
accompagnateurs non habitués à cette tâche.

Comme on le verra par la suite, la question n'est toutefois pas déterminante
pour l'issue du litige, de sorte qu'une rectification de l'état de fait n'entre
de toute manière pas en considération.

3.
En deuxième lieu, le recourant se plaint d'une violation de l'art. 6 LHand.

3.1 A juste titre, il ne critique pas le fait que le bâtiment abritant le
cinéma est construit de telle manière que l'accès aux salles est impossible ou
difficile pour les personnes en fauteuil roulant. En effet, la LHand ne
s'applique pas à cet édifice, construit et rénové avant l'entrée en vigueur de
la loi, le 1er janvier 2004 (art. 3 let. a LHand). Le recourant ne s'en prend
pas non plus à l'absence de personnel chargé d'aider les personnes en chaise
roulante à accéder à la salle, puisque la LHand ne crée pas d'obligation dans
ce sens à la charge du prestataire privé (art. 6 LHand a contrario; Message du
11 décembre 2000 relatif à l'initiative populaire fédérale «Droits égaux pour
les personnes handicapées» et au projet de loi fédérale sur l'élimination des
inégalités frappant les personnes handicapées, FF 2001 1698 ch. 5.4.4).

Le recourant conteste en revanche les motifs avancés par l'intimée pour lui
refuser l'accès à la salle de cinéma. Il relève que les risques particuliers en
cas d'évacuation sont inhérents à la condition de personne en fauteuil roulant
et propres à de très nombreuses situations de la vie quotidienne des personnes
concernées; à titre d'exemple, il cite le non-fonctionnement des ascenseurs en
cas d'incendie d'un bâtiment, éventualité qui ne saurait manifestement
justifier une interdiction d'entrée, sauf à exclure les handicapés de tous les
locaux accessibles uniquement par escalier ou ascenseur. En outre, le recourant
est d'avis que le défaut de personnel susceptible d'assister la personne
handicapée n'est pas déterminant si des tiers sont prêts à l'aider, tiers qu'en
l'occurrence, il était disposé à rechercher lui-même parmi les spectateurs.
Enfin, il fait valoir que, contrairement à ce que l'intimée prétend, la
responsabilité de l'exploitant de cinéma n'aurait pas été engagée si lui-même
ou les tiers précités s'étaient blessés à cette occasion. Le recourant en
déduit qu'il n'y avait pas de motif justificatif valable pour lui refuser
l'accès du cinéma et qu'il a subi une discrimination au sens de l'art. 6 LHand.

3.2 Les objections du recourant ne sont pas dénuées de toute pertinence. Elles
ne font pas pour autant apparaître comme inconsistants les motifs avancés par
l'intimée pour justifier le refus de lui vendre un billet d'entrée.

Certes, l'évacuation d'urgence de n'importe quel bâtiment ou local comporte des
risques particuliers pour une personne en fauteuil roulant, d'autant plus si
celle-ci n'est pas accompagnée. Cependant, ces risques sont encore accrus lors
de l'évacuation d'urgence d'une salle de spectacle, en raison du grand nombre
de personnes pouvant s'y trouver et du danger de bousculade que cela implique.
Par ailleurs, même si la responsabilité juridique de l'exploitant du cinéma
devait ne pas être engagée en cas de décès ou de blessures de la personne
handicapée ou d'un tiers lui ayant prêté assistance, il est compréhensible que
l'exploitant craigne les critiques qui pourraient lui être adressées par des
proches de la victime ou par des tiers pour ne pas s'être soucié d'une personne
handicapée à qui il avait pourtant fait payer un billet pour accéder à la
salle.

Cela étant, il convient d'examiner si, en refusant au recourant l'entrée au
cinéma pour les motifs susmentionnés, l'intimée a commis à son égard une
discrimination prohibée par la loi.

3.3 Selon l'art. 6 LHand, les particuliers qui fournissent des prestations au
public ne doivent pas traiter une personne handicapée de façon discriminatoire
du fait de son handicap. La notion de discrimination au sens de cette
disposition doit être interprétée, en se référant en particulier à la volonté
du législateur telle qu'elle ressort notamment des travaux préparatoires (cf.
ATF 135 III 20 consid. 4.4 p. 23, 112 consid. 3.3.2 p. 116).
3.3.1 A part le remplacement de la dénomination "personnes privées" par
"particuliers", l'art. 6 LHand correspond à l'art. 6 du projet du Conseil
fédéral. Les Chambres fédérales ont adopté cette disposition sans discussion
(cf. BO 2001 CE 619 et BO 2002 CN 944). Dans le message déjà cité, la
discrimination prohibée est définie en ces termes: "La discrimination est une
inégalité qualifiée, c'est-à-dire une différence de traitement manifeste ou
particulièrement choquante qui peut avoir une connotation dépréciative.
Appliqué à une personne privée, le principe de non-discrimination n'entraîne
cependant pas pour cette personne l'obligation de prendre des mesures
particulières (positives) pour éliminer des inégalités de fait. Elle ne
l'oblige pas davantage à adopter des comportements égalitaires et ne lui
interdit pas de différencier ses prestations en fonction de ses clients. En
d'autres termes, cette disposition a pour but de prévenir des comportements
ségrégationnistes graves qui tendent à exclure les personnes handicapées de
certaines activités de peur que leur seule présence ne trouble la quiétude ou
les habitudes sociales de la clientèle habituelle. Ainsi un restaurateur ne
saurait refuser à une personne mentalement handicapée l'accès à son
établissement, par seule crainte que la présence de cette personne handicapée
ne dissuade sa clientèle habituelle de venir chez lui et sans qu'il ait des
indices suffisants pour penser que cette personne compromettra l'ambiance et la
tranquillité de son établissement. Dans la mesure où la personne handicapée ne
trouble pas l'ordre et la bienséance des lieux et où son comportement n'est pas
de nature à perturber les autres clients, il serait discriminatoire de lui en
refuser l'accès. Cette norme vise donc des comportements particulièrement
choquants et contraires à la tolérance que se doivent mutuellement les
différents membres d'une même société" (FF 2001 1671 ch. 4.3.2 ad art. 6).

Le Conseil fédéral a repris ces principes dans l'ordonnance d'application;
celle-ci définit la discrimination au sens des art. 6 et 8 al. 3 LHand comme
toute différence de traitement particulièrement marquée et gravement
inégalitaire qui a pour intention ou pour conséquence de déprécier une personne
handicapée ou de la marginaliser (art. 2 let. d de l'ordonnance sur
l'élimination des inégalités frappant les personnes handicapées [OHand; RS
151.31]).

En l'espèce, le refus de prestation incriminé ne saurait être qualifié de la
sorte. Fondé sur des considérations sécuritaires à tout le moins
compréhensibles, le comportement adopté par l'exploitant à l'égard du recourant
ne peut pas être tenu pour particulièrement choquant; il ne dénote ni un manque
de tolérance, ni une volonté d'exclusion des personnes handicapées en fauteuil
roulant. L'intimée accorde d'ailleurs à ces dernières un accès libre aux autres
salles de cinéma qu'elle exploite à Genève, dans la mesure où elles sont
adaptées aux personnes à mobilité réduite.
3.3.2 Se fondant sur un avis récent de deux auteurs, le recourant défend une
notion plus étendue de la discrimination et soutient que l'art. 6 LHand doit
être interprété conformément à la Constitution. Sans autre démonstration, les
auteurs en question affirment qu'une discrimination n'a pas besoin d'être
particulièrement crasse; il suffit qu'il y ait une inégalité de traitement qui
ne peut être suffisamment justifiée (MARKUS SCHEFER/CAROLINE HESS-KLEIN, Die
Gleichstellung von Menschen mit Behinderung bei Dienstleistungen, in der
Bildung und in Arbeitsverhältnissen, Jusletter du 19 septembre 2011, B/II/2 p.
6).

Est ainsi posée la question de l'application de l'interdiction
constitutionnelle de discrimination (art. 8 al. 2 Cst.) aux relations entre
particuliers, soit, plus généralement, de l'effet horizontal des droits
fondamentaux. Selon l'art. 35 Cst., les droits fondamentaux doivent être
réalisés dans l'ensemble de l'ordre juridique (al. 1) et les autorités veillent
à ce que ces droits, dans la mesure où ils s'y prêtent, soient aussi réalisés
dans les relations qui lient les particuliers entre eux (al. 3). S'il l'on
admet que les droits fondamentaux n'ont pas seulement une fonction de défense
contre les atteintes dues à l'État, mais fondent également un devoir étatique
de protection contre les atteintes provoquées par des tiers, il n'en demeure
pas moins que les droits constitutionnels de ces tiers doivent également être
protégés; une pesée des différents intérêts en présence est alors nécessaire.
C'est en priorité la tâche de la législation spécifique de fixer quels sont les
actes admissibles ou non et de délimiter les droits des particuliers impliqués.
La question de l'étendue du devoir de protection des droits fondamentaux se
confond ainsi avec celle de l'application correcte de la législation spécifique
(ATF 126 II 300 consid. 5 p. 314 s.; cf. également ATF 137 I 305 consid. 2.4 p.
315).

En l'espèce, l'art. 6 LHand pose le principe selon lequel l'interdiction de la
discrimination au sens de l'art. 8 al. 2 Cst. ne vaut pas seulement dans les
rapports entre l'État et les particuliers, mais également dans les relations
entre particuliers (FF 2001 1671 ch. 4.3.2 ad art. 6). Cette disposition a
ainsi été adoptée expressément dans le but de fixer l'effet horizontal de
l'interdiction constitutionnelle de discrimination. Il convient dès lors de
s'en tenir à la notion de discrimination voulue par le législateur, telle
qu'exposée plus haut (consid. 3.3.1).

3.4 En conclusion, le moyen tiré d'une violation de l'art. 6 LHand est mal
fondé.

4.
En dernier lieu, le recourant se plaint d'une violation du droit international.
Il invoque l'art. 14 CEDH relatif à l'interdiction de discrimination en
liaison, d'une part, avec l'art. 10 CEDH qui garantit la liberté d'expression
et, d'autre part, avec l'art. 8 CEDH qui garantit le droit au respect de la vie
privée et familiale. Il fait valoir que le droit d'accéder à une salle de
cinéma, haut lieu de diffusion de productions culturelles, est couvert par
l'art. 10 CEDH combiné avec l'art. 14 CEDH et que ce droit lui a été refusé
sans aucune justification pertinente du point de vue de la CEDH. De même, le
refus qui lui a été opposé, en tant qu'il porte une atteinte grave à son
intégrité psychique, constituerait, en l'absence de justification objective,
une violation de l'art. 8 CEDH combiné avec l'art. 14 CEDH.

4.1 L'obligation de respecter les droits fondamentaux résultant de la CEDH
s'adresse à l'État (art. 1 CEDH). Pour garantir l'effectivité de ces droits, il
peut être néanmoins nécessaire de les protéger dans les relations entre
particuliers. Sous peine de violer les droits conventionnels, l'État peut se
trouver dans l'obligation de prendre les mesures suffisantes pour protéger
lesdits droits contre les atteintes par les particuliers (cf. ATF 136 I 167
consid. 2.2 p. 170; FRANZ WERRO/IRÈNE SCHMIDLIN, La protection de la
personnalité et les médias: une illustration de la rencontre du droit civil et
du droit constitutionnel, in Droit civil et Convention européenne des droits de
l'homme, 2006, p. 184).

4.2 En l'espèce, la Suisse a adopté la LHand dans le but de prévenir, de
réduire ou d'éliminer les inégalités qui frappent les personnes handicapées
(art. 1 LHand). Dans ce cadre, le législateur fédéral a prévu notamment que les
constructions et installations accessibles au public pour lesquelles
l'autorisation de construire ou de rénover était accordée après l'entrée en
vigueur de la LHand devaient être facilement accessibles aux personnes
handicapées (art. 2 al. 3 et art. 3 let. a LHand); il a imposé une interdiction
de discrimination aux particuliers qui fournissent des prestations au public
(art. 6 LHand); il a également donné aux personnes handicapées et à certaines
organisations d'aide aux handicapés le droit d'agir en justice le cas échéant
(art. 7 al. 1, art. 8 al. 3, art. 9 al. 3 let. a et b LHand). La question est
de savoir si ces mesures législatives sont suffisantes ou non au regard de la
CEDH et, en particulier, si la Convention impose à la Suisse d'adopter une
notion de discrimination plus étendue que celle de l'art. 6 LHand (cf. consid.
3.3.1 et 3.3.2).

Le recourant l'affirme en se fondant sur des considérations générales. Mais il
ne cite aucun arrêt dans lequel la Cour européenne des droits de l'homme aurait
retenu une obligation comparable. L'arrêt Botta contre Italie du 24 février
1998 qu'il invoque (Recueil CourEDH 1998-I p. 412) concerne le cas d'une
personne handicapée qui reprochait aux autorités de n'avoir pas réagi à ses
plaintes au sujet de plages non équipées de structures pour handicapés,
pourtant prescrites par la loi sous menace de révocation de licence. La Cour a
nié une violation des art. 8 et 14 CEDH au motif que le droit invoqué par le
requérant, à savoir celui de pouvoir accéder à la plage et à la mer loin de sa
demeure habituelle pendant ses vacances, concerne des relations
interpersonnelles d'un contenu si ample et indéterminé qu'aucun lien direct
entre les mesures exigées de l'État pour remédier aux omissions des
établissements de bains privés et la vie privée de l'intéressé n'était
envisageable (§ 35). L'arrêt est certes assez ancien, mais le recourant ne
démontre pas que la Cour s'en serait explicitement ou implicitement écartée
récemment.

Au contraire, dans un arrêt ultérieur concernant des personnes à mobilité
réduite ne pouvant pas accéder à des bâtiments ouverts au public (Zehnalová et
Zehnal contre République tchèque du 14 mai 2002, Recueil CourEDH 2002-V p.
317), la Cour a jugé que le champ d'intervention de l'État et la notion
progressive de vie privée ne correspondent pas toujours au contenu plus limité
des obligations positives de l'État. Elle a estimé que l'art. 8 CEDH ne saurait
s'appliquer en règle générale et chaque fois que la vie quotidienne de la
personne handicapée est en cause, mais seulement dans les cas exceptionnels où
un manque d'accès aux établissements publics et ouverts au public empêchent
cette personne de mener sa vie de façon telle que le droit à son développement
personnel et son droit d'établir et d'entretenir des rapports avec d'autres
êtres humains et le monde extérieur sont mis en cause; elle a en outre relevé,
même si elle n'y attachait pas une importance déterminante, que les autorités
nationales n'étaient pas restées inactives (p. 332).

Le recourant fait encore référence à l'arrêt Glor contre Suisse du 30 avril
2009 (in ASA 80 p. 693), dans lequel la Cour a admis un traitement
discriminatoire, violant l'art. 14 CEDH combiné avec l'art. 8 CEDH, d'une
personne qui souffre de diabète. Comme cette cause concerne la soumission à la
taxe d'exemption du service militaire, à savoir une taxe étatique, l'arrêt
précité est d'emblée sans pertinence lorsqu'il s'agit, comme en l'espèce,
d'apprécier l'effet horizontal des droits fondamentaux entre particuliers.

Dans ces circonstances, il n'apparaît pas que la CEDH oblige la Suisse à
adopter, dans sa législation visant à éliminer les inégalités qui frappent les
personnes handicapées, une notion de la discrimination plus large que celle
décrite plus haut ou qu'elle contraint le juge à interpréter de manière plus
étendue la discrimination au sens de l'art. 6 LHand.

5.
Sur le vu de ce qui précède, le recours sera rejeté dans la mesure où il est
recevable.

Le recourant prendra à sa charge les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF; art.
10 al. 3 LHand) et versera des dépens à l'intimée (art. 68 al. 1 et 2 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr., sont mis à la charge du recourant.

3.
Le recourant versera à l'intimée une indemnité de 1'000 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre
civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 10 octobre 2012

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

La Présidente: Klett

La Greffière: Godat Zimmermann