Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.338/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_338/2012

Arrêt du 30 août 2012
Ire Cour de droit civil

Composition
Mme et MM. les Juges fédéraux Klett, Présidente, Corboz et Kolly.
Greffière: Mme Monti.

Participants à la procédure
X.________ SA,
recourante,

contre

Y.________, représenté par Me Jacques Roulet,
intimé.

Objet
mesures provisionnelles,

recours contre l'arrêt rendu le 11 mai 2012 par la Chambre civile de la Cour de
justice du canton de Genève.

Faits:

A.
X.________ SA est inscrite au Registre du commerce du canton de Genève depuis
l'an 2000. Son but social comprend notamment ...; les 200 actions au porteur
qui constituent son capital sont détenues par Y.________ à raison de 98
actions, par A.________ à raison de 98 actions et par B.________ à raison de 4
actions. Le 24 juin 2008, X.________ SA a fait l'objet d'un prononcé de
faillite (cf. arrêt ...), qui a ensuite été révoqué le 4 juillet 2011.

Le 11 avril 2011, à un moment où Y.________ était administrateur-président avec
signature individuelle et C.________ administrateur avec signature collective à
deux, A.________ et B.________ ont adressé une lettre à X.________ SA en
liquidation (c/o C.________, administrateur) par laquelle ils demandaient la
convocation d'une assemblée générale extraordinaire aux fins de révoquer le
mandat d'administrateur-président de Y.________ et d'élire un nouveau conseil
d'administration; Y.________ n'a pas été avisé de cette démarche. La
convocation de l'assemblée générale extraordinaire avec ordre du jour
correspondant a été publiée dans la FOSC du ... 2011; Y.________ n'en a pas
pris connaissance.

L'assemblée générale extraordinaire a eu lieu le 19 mai 2011. C.________,
A.________ et B.________ étaient présents; ce dernier ignorait à ce moment-là
que ses actions avaient été saisies le jour précédent par l'Office des
poursuites de Lausanne. Le procès-verbal de l'assemblée retient que la majorité
du capital-actions était dûment représentée par A.________ et B.________ et
qu'à l'unanimité des actions représentées, il a été décidé de révoquer le
mandat de Y.________ et de nommer C.________ unique membre du conseil
d'administration avec signature individuelle. Le jour même, une réquisition
d'inscription a été envoyée au Registre du commerce.

L'inscription suivante a été portée le ... 2011 au registre journalier du
Registre du commerce, sous n° xxx: "Y.________ n'est plus administrateur; ses
pouvoirs sont radiés. C.________ reste seul administrateur et signe désormais
individuellement". Elle a été publiée le ... 2011 dans la FOSC et le ... 2011
dans la Feuille d'Avis Officielle (FAO). Le 29 juin 2011, Y.________ a formé
opposition à cette inscription auprès du Registre du commerce, qui l'a renvoyé
à saisir le juge.

B.
B.a Le 7 juillet 2011, Y.________ a ouvert action contre X.________ SA en
constatation de nullité et en annulation des décisions de l'assemblée générale.
B.b Le même 7 juillet 2011, Y.________ a requis des mesures provisionnelles à
l'encontre de X.________ SA. Il concluait à ce qu'il soit ordonné au Registre
du commerce de radier l'inscription n° xxx, de le réinscrire comme
administrateur et président avec signature individuelle et de réinscrire
C.________ en qualité d'administrateur avec signature collective à deux, le
tout à titre provisoire jusqu'à droit jugé.

Après qu'une première ordonnance rejetant la requête de mesures provisionnelles
eut été annulée par la Cour de justice, le Tribunal de première instance a
derechef rejeté la requête par une seconde ordonnance du 23 décembre 2011.
Y.________ s'est pourvu en appel.

Statuant par arrêt du 11 mai 2012, la Chambre civile de la Cour de justice a
admis l'appel et fait droit aux conclusions provisionnelles prises par
Y.________; elle a donc notamment ordonné la réinscription provisoire du
prénommé comme administrateur avec signature individuelle. La Chambre a jugé
que l'assemblée générale extraordinaire du 19 mai 2011 n'avait
vraisemblablement pas été convoquée de façon valable et que les décisions
prises par cette assemblée étaient susceptibles d'être nulles; elle a en outre
admis que Y.________ était menacé d'un dommage difficilement réparable dès lors
que la société était administrée par une personne non dûment légitimée.

C.
Par mémoire du 1er juin 2012 portant la signature de C.________, X.________ SA
(ci-après: la recourante) interjette un "recours en matière civile avec requête
de mesures superprovisionnelles, de mesures provisionnelles et requête en
restitution de l'effet suspensif". Au fond, la recourante conclut au rejet de
la requête de mesures provisionnelles de Y.________ (ci-après: l'intimé). Ses
autres réquisitions tendent à ce que le Préposé du Registre du commerce
n'exécute pas l'arrêt sur mesures provisionnelles attaqué et ne procède à
aucune inscription concernant une modification de la composition du conseil
d'administration.

Quelques jours après le dépôt du recours, à savoir le 7 juin 2012, le Tribunal
de première instance a rendu son jugement final sur l'action au fond introduite
par l'intimé. Il a constaté que les décisions prises le 19 mai 2011 par
l'assemblée générale étaient nulles et il a ordonné au Préposé du Registre du
commerce de procéder à titre définitif aux mêmes inscriptions que celles
ordonnées par la Chambre civile à titre provisionnel.

Dans ses écritures des 27 juin et 13 juillet 2012, l'intimé conclut
principalement à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

Par ordonnance du 23 juillet 2012, la Présidente de la cour de céans a rejeté
la demande d'effet suspensif.

Considérant en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office la recevabilité des recours (art. 29 al. 1
LTF; ATF 137 III 417 consid. 1).

1.1 L'intimé objecte que le recours, signé par C.________, est irrecevable. Le
prénommé n'aurait pas qualité pour agir seul au nom de la recourante dès lors
que la décision de l'assemblée générale par laquelle il a été nommé
administrateur avec signature individuelle serait entachée de nullité.

Savoir si cette décision est ou non valide et, partant, si C.________ est ou
non à bon droit inscrit comme administrateur unique de la recourante est
précisément l'objet du procès au fond. La question préjudicielle de
recevabilité soulevée par l'intimé se recouvre avec la question à trancher au
fond. Dans une telle situation, l'examen de la question déterminante pour la
recevabilité et pour le bien-fondé du recours, respectivement de l'action
principale - question doublement pertinente, ou de double pertinence - est
renvoyée à la suite de l'instance (cf. ATF 136 III 486 consid. 4). Elle est
donc laissée indécise au stade de l'examen de la recevabilité.

1.2 L'intimé plaide que les mesures provisionnelles ordonnées par l'arrêt
attaqué ont pris fin avec l'entrée en force du jugement au fond rendu le 7 juin
2012; selon lui, l'entrée en force de cette décision de première instance
devrait se déduire du fait que le conseil d'administration, dont la composition
régulière inclut C.________ et lui-même, n'a pas pris la décision de former un
quelconque recours contre ce jugement. Or, pour les motifs déjà exposés,
C.________ pouvait prendre seul cette décision. En l'état, on ne saurait donc
retenir que le jugement du 7 juin 2012 est définitif et que le recours contre
les mesures provisionnelles est ainsi devenu sans objet.

1.3 L'arrêt attaqué ordonne des mesures provisionnelles; il s'agit d'une
décision incidente susceptible, à certaines conditions, de recours immédiat
(art. 93 LTF). La voie de recours contre une décision incidente est la même que
celle ouverte contre la cause au fond (ATF 133 III 645 consid. 2.2 et 2.3).

La cause au fond est une action en constatation de nullité ou en annulation
d'une décision de l'assemblée générale d'une société anonyme; elle est de
nature pécuniaire (ATF 107 II 179 consid. 1). Le recours en matière civile
n'est en principe ouvert que si la valeur litigieuse minimale de 30'000 fr. est
atteinte (art. 74 al. 1 let. b LTF). Lorsque les conclusions ne tendent pas au
paiement d'une somme d'argent déterminée, le Tribunal fédéral fixe la valeur
litigieuse selon son appréciation (art. 51 al. 2 LTF). Ce contrôle d'office ne
supplée toutefois pas au défaut d'indication de la valeur litigieuse: en effet,
il n'appartient pas au Tribunal fédéral de procéder lui-même à des
investigations pour déterminer cette valeur si elle ne résulte pas d'emblée des
constatations de la décision attaquée ou d'autres éléments ressortant du
dossier. Le recourant doit ainsi indiquer les éléments suffisants pour
permettre au Tribunal fédéral d'estimer aisément la valeur litigieuse, sous
peine d'irrecevabilité (ATF 136 III 60 consid. 1.1.1).

En l'espèce, l'arrêt attaqué mentionne uniquement, sans autre précision, que la
valeur litigieuse est indéterminée; dès lors que la Chambre civile est entrée
en matière sur l'appel, l'on peut tout au plus en déduire qu'elle a estimé la
valeur litigieuse à 10'000 fr. au moins (cf. art. 308 al. 2 CPC). Le recourant
pour sa part n'aborde pas la question; à tort, il estime qu'un recours portant
sur une requête de mesures provisionnelles en vue d'une inscription au registre
du commerce est une affaire non pécuniaire. Cela étant, se pose la question des
critères permettant de chiffrer l'intérêt qu'avait la société au maintien d'une
décision relative à la composition du conseil d'administration. Il n'est
toutefois pas nécessaire d'examiner cette question plus avant.

En effet, l'incertitude quant à la valeur litigieuse reste sans conséquence.
Car si la voie ordinaire du recours en matière civile n'était pas ouverte,
alors celle du recours constitutionnel subsidiaire le serait (art. 113 LTF).
Or, ces deux types de recours connaissent une limitation identique des griefs
pouvant être formés contre une décision sur mesures provisionnelles; seule la
violation des droits constitutionnels peut être invoquée (art. 98 LTF). La
détermination de la voie de recours est dès lors sans pertinence, les griefs
constitutionnels valablement soulevés devant être traités sans égard à une
éventuelle fausse dénomination donnée par l'auteur du recours (cf. ATF 134 III
379 consid. 1.2).

1.4 Une décision incidente peut être attaquée séparément de la décision finale
uniquement si elle est propre à causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1
let. a LTF). Un préjudice irréparable n'est réalisé que lorsque la partie
recourante subit un dommage qu'une décision favorable sur le fond ne fera pas
disparaître complètement; il faut en outre un dommage de nature juridique,
tandis qu'un inconvénient seulement matériel, résultant par exemple d'un
accroissement de la durée et des frais de la procédure, est insuffisant (ATF
138 III 190 consid. 6). Il appartient à la partie recourante d'exposer et
rendre vraisemblable le risque d'un tel dommage (ATF 137 III 324 consid. 1.1).
1.4.1 La recourante se réfère principalement à un autre litige l'opposant à
l'intimé. Au sujet de ce litige, les faits suivants ressortent de l'arrêt
attaqué: A.________, en tant que cessionnaire de la masse en faillite de la
recourante, a ouvert action contre l'intimé afin que ce dernier soit condamné à
restituer 120 actions de la société V.________ SA en pleine propriété à la
recourante en faillite; à la suite de la révocation de faillite, le tribunal
saisi de la cause a ordonné la substitution de parties dans le sens que la
recourante succède à A.________; le procès au sujet de la propriété des actions
de V.________ SA oppose depuis lors la recourante et l'intimé. La recourante
allègue que dans ces circonstances, la réinscription à titre provisoire de
l'intimé comme son administrateur unique avec signature individuelle
permettrait à ce dernier, en cette qualité, de passer expédient en son nom à
elle et, par ce biais, de s'approprier définitivement les actions de V.________
SA pour lui-même.

La conclusion d'un contrat par le représentant avec lui-même - en ce domaine,
on assimile les organes d'une personne morale à des représentants au sens des
art. 32 ss CO - est en principe illicite en raison des conflits d'intérêts
qu'elle génère. L'acte juridique passé de cette manière est donc nul, à moins
que le risque de porter préjudice au représenté ne soit exclu par la nature de
l'affaire, que celui-ci n'ait spécialement autorisé le représentant à conclure
le contrat ou qu'il ne l'ait ratifié par la suite. Lorsque le contrat avec
soi-même est passé par l'unique membre du conseil d'administration, toute
ratification relève de la compétence de l'assemblée générale, en tant qu'organe
de rang supérieur (ATF 127 III 332 consid. 2a et 2b/aa i.f.).

Un éventuel passé-expédient déclaré par l'intimé au nom de la recourante serait
donc nul. Dès lors que l'intimé n'est pas actionnaire majoritaire de la
recourante et qu'il est en litige avec les deux autres actionnaires, une
décision de l'assemblée générale ratifiant un tel passé-expédient paraît très
improbable; quoi qu'il en soit, l'actionnaire qui se serait opposé à la
ratification pourrait attaquer la décision de l'assemblée générale au motif
qu'elle serait contraire à la loi (art. 706 al. 1 CO) parce qu'avalisant un
acte du conseil d'administration manifestement contraire aux intérêts de la
recourante (art. 717 al. 1 CO; BRIGITTE TANNER, Commentaire zurichois, 2ème éd.
2003, n° 121 ss ad art. 706 CO). On ne discerne donc pas le risque d'un
préjudice irréparable.
1.4.2 La recourante allègue en outre que l'intimé pourrait prendre, en sa
qualité d'administrateur unique, des décisions non spécifiées allant à
l'encontre de ses intérêts à elle. Mais toute représentation par un organe
comporte un risque inhérent, indépendamment de la personne désignée comme
organe; un risque spécifique dû à la personne de l'intimé n'est pas démontré.
Le conflit divisant la recourante et l'intimé au sujet des actions de
V.________ SA n'est à cet égard pas pertinent. Pour le surplus, il semble qu'il
y ait surtout litige entre les actionnaires de la recourante; on ne discerne
pas en quoi il en découlerait un risque que l'intimé prenne des décisions
préjudiciables à la recourante, et d'ailleurs celle-ci n'en dit mot.
1.4.3 La recourante ne démontre pas que l'exécution de la décision de la
Chambre civile est susceptible de lui causer un dommage irréparable. Il
s'ensuit l'irrecevabilité du recours. En conséquence, la demande de mesures
superprovisionnelles et provisionnelles pour la procédure fédérale est privée
d'objet.

2.
La recourante supporte les frais et dépens de la présente procédure (art. 66 et
68 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

3.
La recourante versera à l'intimé une indemnité de 5'000 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, à la Chambre
civile de la Cour de justice du canton de Genève ainsi qu'au Registre du
Commerce de Genève.

Lausanne, le 30 août 2012

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

La Présidente: Klett

La Greffière: Monti