Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.323/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_323/2012

Arrêt du 10 septembre 2012
Ire Cour de droit civil

Composition
Mme et MM. les Juges fédéraux Klett, Présidente, Corboz et Kolly.
Greffière: Mme Monti.

Participants à la procédure
H.X.________ et F.X.________, représentés par Me Laurent Trivelli,
recourants,

contre

Y.________, représenté par Me Marc Cheseaux,
intimé.

Objet
contrat d'entreprise; exécution défectueuse,

recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 5 mars 2012 par la Chambre
des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Faits:

A.
H.X.________ et F.X.________ sont propriétaires d'une ancienne ferme sise dans
la commune de ... (VD). Par un "contrat d'adjudication de travaux" conclu le 28
février 2005, ils ont chargé Y.________ (ci-après: l'entrepreneur) de
transformer et d'agrandir le logement existant dans ce bâtiment. Le prix des
travaux était alors estimé à 200'000 fr., hormis certaines prestations, tels
les frais d'architecte, à rémunérer en sus. Un architecte a effectivement
établi les plans nécessaires à la procédure du permis de construire. Les
propriétaires ont reçu le 3 mai 2005 un devis de 257'200 fr. qu'ils ont refusé
de signer. Les travaux ont néanmoins débuté et l'entrepreneur a reçu, sur le
prix, deux acomptes au total de 140'000 fr. Les propriétaires ont aussi payé
directement divers fournisseurs et sous-traitants.

Par lettre du 8 février 2006 émanant de leur avocat, les propriétaires, sans
sommation préalable, ont signifié à l'entrepreneur qu'ils mettaient fin au
contrat avec effet immédiat, "en raison notamment mais non exclusivement des
innombrables défauts affectant vos prestations, et que vous n'apparaissez pas
pouvoir gérer efficacement". L'entrepreneur devait établir sa facture finale et
il lui était désormais interdit d'entrer dans le bâtiment.

Devant le juge de paix compétent, les propriétaires ont requis une expertise
hors procès qui fut confiée à l'architecte A.________. Celui-ci a rendu son
rapport le 31 août 2006. Il y a énuméré de très nombreux défauts de l'ouvrage
et il a aussi constaté, en stigmatisant le "dilettantisme" de l'entrepreneur,
que les opérations nécessaires à la planification, à la conduite et à la
surveillance d'un chantier, normalement attendues d'un entrepreneur général,
n'avaient pas été accomplies.

B.
Le 5 février 2008, les propriétaires ont ouvert action contre l'entrepreneur
devant le Tribunal civil de l'arrondissement de La Côte. Après amplification de
la demande, l'entrepreneur devait être condamné à payer 99'999 fr. à titre de
dommages-intérêts. L'entrepreneur a conclu au rejet de l'action. Le Tribunal a
confié une nouvelle mission d'expertise à l'architecte B.________; il a en
outre entendu divers témoins. Ce deuxième expert a lui aussi trouvé de nombreux
et importants défauts dans l'ouvrage exécuté par l'entrepreneur.
Le Tribunal s'est prononcé le 30 novembre 2009. Il a constaté l'exécution
défectueuse de l'ouvrage et jugé que les propriétaires avaient droit à des
dommages-intérêts, principalement pour les frais d'élimination des défauts;
accueillant l'action, il a condamné l'entrepreneur à payer aux propriétaires,
créanciers solidaires, 69'098 fr. 65 avec intérêts dès le 7 mars 2008 et 30'900
fr. 35 avec intérêts dès le 20 mars 2009.

Saisie par l'entrepreneur, la Chambre des recours du Tribunal cantonal lui a
donné gain de cause le 13 avril 2011. Elle a réformé le jugement en ce sens que
l'action est entièrement rejetée.

Les propriétaires ont alors interjeté un recours en matière civile au Tribunal
fédéral. Par arrêt du 21 décembre 2011, la cour de céans a annulé l'arrêt de la
Chambre des recours et lui a renvoyé la cause pour qu'elle examine la liste des
défauts et les rapports d'expertise afin de déterminer si l'entrepreneur était
ou non incapable d'éliminer les défauts dans un délai convenable (arrêt 4A_518/
2011, rés. in JT 2012 II 260).

Par nouvel arrêt du 5 mars 2012, la Chambre des recours a tranché dans le même
sens que précédemment et derechef entièrement rejeté l'action des
propriétaires. Elle a retenu que l'entrepreneur "était apte à fournir des
prestations minimalistes, donc à tout le moins à la limite de l'acceptable" et
que dans ces circonstances, les propriétaires auraient dû lui fixer un délai
avant de se départir du contrat.

C.
Les propriétaires (ci-après: les recourants) interjettent un recours en matière
civile. Ils concluent principalement à la confirmation du jugement rendu le 30
novembre 2009 par le Tribunal d'arrondissement. L'entrepreneur (ci-après:
l'intimé) conclut au rejet du recours.

Considérant en droit:

1.
L'autorité cantonale est liée par les considérants de l'arrêt par lequel le
Tribunal fédéral lui renvoie une cause. De même, s'il est ultérieurement saisi
une seconde fois, le Tribunal fédéral est lié par son précédent arrêt de
renvoi. Il en découle en particulier que les questions tranchées dans l'arrêt
de renvoi le sont à titre définitif (ATF 135 III 334 consid. 2).

Dans l'arrêt de renvoi, la cour de céans a jugé que les recourants avaient
résilié le contrat les liant à l'intimé, motif pour lequel ils ne pouvaient pas
faire valoir des dommages-intérêts en se fondant sur l'art. 366 al. 2 CO qui
suppose le maintien du contrat; cette disposition permet, lorsqu'il est
"possible de prévoir avec certitude" que l'ouvrage sera exécuté de façon
défectueuse, de fixer un délai à l'entrepreneur pour parer à cette éventualité
avec menace de confier les travaux à un tiers. La cour de céans en a conclu que
des dommages-intérêts ne pouvaient, le cas échéant, qu'être fondés sur l'art.
107 al. 2 CO. Puis elle a jugé que la question déterminante en l'espèce était
celle de l'application de l'art. 108 ch. 1 CO qui dispose que la fixation d'un
délai au débiteur en demeure (selon l'art. 107 al. 1 CO) n'est pas nécessaire
lorsqu'il "ressort de l'attitude du débiteur que cette mesure serait sans
effet"; elle a ajouté que la résiliation sans sommation était un procédé
dérogatoire qui ne saurait être admis à la légère et qu'il était donc décisif
de savoir si l'intimé était de façon certaine, objectivement et réellement,
incapable d'éliminer les défauts de l'ouvrage dans un délai convenable.

La Chambre des recours, dans son second arrêt, a nié que l'intimé fût de façon
certaine, objectivement et réellement, incapable d'éliminer les défauts de
l'ouvrage dans un délai convenable; elle a retenu qu'il était capable de
fournir des prestations minimalistes, à tout le moins à la limite de
l'acceptable. Elle en a conclu que l'art. 108 ch. 1 CO ne s'appliquait pas et
que les recourants auraient dû fixer un délai à l'intimé avant de pouvoir se
départir du contrat.

2.
Dans l'arrêt de renvoi, il est relevé que l'art. 108 ch. 1 CO dispensait les
recourants de fixer un délai à l'intimé si ce dernier était de façon certaine,
objectivement et réellement, incapable d'éliminer les défauts de l'ouvrage dans
un délai convenable; il s'agit là d'une formule semblable à celle de l'art. 366
al. 2 CO, qui évoque la possibilité de "prévoir avec certitude" une exécution
défectueuse. Cette dernière disposition n'implique pas une certitude absolue,
qui ne se conçoit d'ailleurs guère; il est seulement exigé qu'il faille
objectivement s'attendre à une exécution ou réfection défectueuse; par contre,
de simples appréhensions subjectives du maître ne sont pas suffisantes (PETER
GAUCH, Der Werkvertrag, 5ème éd. 2011, n° 878; FRANÇOIS CHAIX, in Commentaire
romand, 2ème éd. 2012, n° 30 ad art. 366 CO; THEODOR BÜHLER, Commentaire
zurichois, 3ème éd. 1998, n° 65 ad art. 366 CO). Il n'apparaît pas que la
Chambre des recours ait méconnu cette notion; les recourants ne lui en font
d'ailleurs pas le reproche.

3.
Les recourants se plaignent uniquement d'une appréciation erronée et arbitraire
des faits.

3.1 Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité
précédente (art. 105 al. 1 LTF); en tant que cour suprême, il est instance de
révision du droit et non pas juge du fait. Il peut certes rectifier ou
compléter les faits s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte,
notion qui correspond à l'arbitraire, ou en violation du droit au sens de
l'art. 95 LTF et ce, pour autant que la correction soit susceptible d'influer
sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 et art. 105 al. 2 LTF). Néanmoins,
l'exception prévue par ces dispositions ne permet pas aux parties de rediscuter
les faits de la cause comme si elles plaidaient devant un juge d'appel. Le
recourant qui entend faire rectifier ou compléter l'état de fait doit expliquer
de manière circonstanciée en quoi les conditions pour le faire seraient
réalisées (ATF 133 IV 286 consid. 6.2); dans la mesure où le grief a trait au
caractère arbitraire de l'établissement des faits, les exigences de motivation
sont celles, plus strictes, de l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 133 II 249 consid.
1.4.3).

L'arbitraire ne résulte pas du seul fait qu'une solution différente de celle
retenue par l'autorité cantonale pourrait entrer en considération, ou serait
même préférable; le Tribunal fédéral ne s'écarte de la décision attaquée que
lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en
contradiction claire avec la situation de fait, qu'elle viole gravement une
norme ou un principe juridique indiscuté, ou encore lorsqu'elle heurte de
manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité (ATF 137 I 1
consid. 2.4; 132 I 13 consid. 5.1). En matière d'appréciation des preuves et
d'établissement des faits, il n'y a arbitraire que si le juge n'a manifestement
pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, si, sur la base des
éléments recueillis, il a fait des déductions insoutenables, ou encore s'il a
omis, sans raison sérieuse, de tenir compte d'un moyen important propre à
modifier la décision attaquée (ATF 137 I 58 consid. 4.1.2; 129 I 8 consid.
2.1).

3.2 La Chambre des recours a constaté les nombreux défauts de l'ouvrage fourni
par l'intimé; elle a également relevé et fait siennes les remarques critiques
des experts au sujet de l'intimé, de ses qualifications et de son travail. Dans
la mesure où les recourants exposent de nouveau ces éléments, ils ne présentent
pas une critique de l'arrêt attaqué.

La question déterminante en l'espèce est uniquement de savoir si la Chambre des
recours a versé dans l'arbitraire en considérant que ces éléments
n'autorisaient pas les recourants à pronostiquer avec certitude une réfection
défectueuse de l'ouvrage par l'intimé. A ce sujet, on peut certes hésiter sur
les conclusions à tirer des impérities de l'intimé. Mais si l'on considère la
retenue dont il faut faire preuve pour retenir une exception à l'exigence d'une
sommation et si l'on tient compte du fait qu'il s'agit de poser un pronostic
sur le futur qui, par la nature des choses, revêt un aspect aléatoire, on ne
saurait qualifier d'insoutenable l'appréciation portée par la Chambre des
recours. Les recourants ne démontrent en tout cas pas le contraire; il ne leur
suffit pas d'exposer leur analyse différente de la situation pour établir
l'arbitraire.

4.
Les recourants ne peuvent ainsi pas se prévaloir de la dérogation de l'art. 108
ch. 1 CO qui permet exceptionnellement au créancier d'exercer sans sommation
préalable les droits découlant de la demeure du débiteur; ils ne sauraient dès
lors faire valoir des dommages-intérêts fondés sur l'art. 107 al. 2 CO. En
outre, il a déjà été jugé que les recourants ne pouvaient pas invoquer l'art.
366 al. 2 CO pour obtenir le remboursement des coûts de réfection effectuée par
des tiers. Le rejet de leur action ne viole pas le droit fédéral.

5.
Les recourants succombent. Ils supportent en conséquence les frais et dépens de
la présente procédure de recours (art. 66 et 68 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 5'000 fr., sont mis à la charge des
recourants, solidairement entre eux.

3.
Les recourants sont condamnés solidairement à verser à l'intimé une indemnité
de 6'000 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre des
recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 10 septembre 2012

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

La Présidente: Klett

La Greffière: Monti