Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.240/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_240/2012

Arrêt du 20 août 2012
Ire Cour de droit civil

Composition
Mmes et M. les Juges Klett, présidente, Rottenberg Liatowitsch et Kolly.
Greffier: M. Carruzzo.

Participants à la procédure
1.X.________ SA,
2.Y.________ BV,
toutes deux représentées par Me Romain Félix,

recourantes,

contre

Y.________ SA, représentée par Mes Grégoire Mangeat et Claudius Triebold,
intimée.

Objet
arbitrage international; compétence,

recours en matière civile contre la sentence préliminaire rendue le 29 mars
2012 par l'arbitre unique ad hoc.

Faits:

A.
Le 16 juillet 2007, la société de droit suisse X.________ SA, dont le siège est
à A.________, et la société de droit néerlandais Y.________ BV, dont le siège
est à B.________, ont signé, avec la banque suisse Y.________ SA, dont le siège
est à ..., et avec un tiers, un contrat intitulé "Collateral Management
Agreement" (ci-après: CMA). Par ce contrat, les deux sociétés prénommées se
sont vu confier le soin de contrôler la délivrance et le stockage de céréales
achetées par le tiers en question en ... et dans d'autres pays au moyen de
crédits alloués par la susdite banque.

Le CMA contient notamment les clauses reproduites ci-après. On précisera, à ce
propos, que, par suite d'une inadvertance, son art. 14.4 a été omis dans la
citation insérée à la page 8 de la sentence où figure erronément, sous ce
numéro, le texte de l'art. 14.5. Il sera donc procédé à la rectification
nécessaire sur le vu de la photocopie du contrat versée au dossier de la cause.
"14. ARBITRATION

14.1 Save in regard to claims for payment of liquidated amounts or where
application may legitimately be made to a court of competent jurisdiction in
Switzerland for urgent relief, any dispute between the parties relating to:
The interpretation of; or
14.1.1 The effect of; or
14.1.2 The implementation of; or
14.1.3 Any other matter arising directly or indirectly out of the agreement or
the breach of any provision hereof shall be referred to arbitration.

14.2 The arbitration shall take place informally at Geneva or such other place
as the parties may, in writing, agree but otherwise under the provisions of the
arbitration laws then in force in Switzerland and wherever possible the
arbitration shall be completed within 21 (twenty one) days after the matter has
been referred to arbitration. Each of the parties shall be entitled to be
represented during the arbitration.

14.3 The arbitrator shall be, when the dispute is:
14.3.1 Principally an accounting matter, a chartered accountant with at least
10 (ten) years' experience as a practicing auditor, as agreed to by the
parties;
14.3.2 A legal matter or any other matter, a practicing senior barrister or a
practicing solicitor with at least 15 (fifteen) years' experience, agreed upon
between both parties.

14.4 If the parties cannot reach agreement within 3 (three) days after any
party has declared a dispute in writing as to the category in clause 16.3 to
which the matter belongs, the dispute will be dealt with in terms of clause
16.3.2

14.5 If the parties cannot agree upon an arbitrator within 5 (five) days of a
dispute being declared in terms of clause 16.1, the dispute will be referred to
the most senior executive officer of the professional body which represents the
profession concerned, for appointment of an arbitrator.

14.6 The arbitrator shall have the power to decide on the procedure to be
followed for the speedy finalization of the dispute. The arbitrator shall have
the sole discretion to decide whether it is necessary to file pleadings,
discover documents or to hear oral evidence.

14.7 The decision of the arbitrator, including any order as to costs, shall be
binding on the parties and shall be executed by all parties as though it were
an order of court.

14.8 The parties agree to keep the arbitration, including the subject matter of
the arbitration and the evidence heard during the arbitration, confidential and
not to disclose it to anyone except for purposes of obtaining a court order.

14.9 The parties waive any right they may have to dispute the stated location
of the arbitration on the grounds that it is an inconvenient forum."

***

"15. DOMICILIUM CITANDI ET EXECUTANDI

15.1 The parties choose as their domicilia citandi et executandi for all
purposes under this agreement, whether in respect of court process, notices or
other documents or communications of whatsoever nature (including exercise of
any option), the following addresses:

15.1.1 - 15.1.3 [liste d'adresses pour chacune des parties au CMA]

15.2 Any notice or communication required or permitted to be given in terms of
this agreement shall be valid and effective only if in writing but is [sic]
shall be competent to give notice by facsimile."

***

"16. GOVERNING LAW AND JURISDICTION

The validity of this agreement, its interpretation, the respective rights and
obligations of the parties and all other matters arising in any way out of this
agreement or its performance shall be determined in accordance with the Laws of
Switzerland. The parties consent to the jurisdiction of the courts of Geneva,
Switzerland for the purposes of legal proceedings in terms of clause 15.1"

B.
Le 18 octobre 2011, Y.________ SA, ayant découvert que les céréales stockées en
application du CMA et lui servant de garantie pour ses crédits avaient disparu,
a adressé une requête d'arbitrage à X.________ SA et Y.________ BV, qu'elle
tenait pour responsables de cette disparition, leur réclament le paiement de
quelque 78 millions de dollars au minimum.

Un arbitre unique ad hoc a été désigné, d'entente entre les parties, pour
traiter le cas. D'entrée de cause, les défenderesses ont soulevé une exception
d'incompétence, motif pris de ce que la demanderesse aurait dû agir devant les
tribunaux étatiques genevois conformément à la clause de prorogation de for
figurant à l'art. 16 CMA, cette clause l'emportant, à leur avis, sur la
convention d'arbitrage stipulée à l'art. 14 CMA. Il a été décidé de
restreindre, dans un premier temps, la procédure arbitrale à cette question.

Par sentence préliminaire du 29 mars 2012, l'arbitre unique ad hoc a admis sa
compétence pour connaître du litige divisant les parties.

C.
Le 30 avril 2012, les deux défenderesses (ci-après: les recourantes) ont formé
un recours en matière civile au Tribunal fédéral en vue d'obtenir l'annulation
de la sentence préliminaire et de faire constater que l'arbitre unique ad hoc
n'est pas compétent pour statuer dans la cause en litige.
Dans sa réponse du 4 juin 2012, la demanderesse et intimée conclut au rejet du
recours.

La requête d'effet suspensif soumise par les recourantes a été admise par
ordonnance présidentielle du 29 mai 2012.

Considérant en droit:

1.
D'après l'art. 54 al. 1 LTF, le Tribunal fédéral rédige son arrêt dans une
langue officielle, en règle générale dans la langue de la décision attaquée.
Lorsque cette décision a été rendue dans une autre langue (ici l'anglais), le
Tribunal fédéral utilise la langue officielle choisie par les parties. Devant
lui, celles-ci se sont servies toutes deux du français. Aussi le présent arrêt
sera-t-il rendu dans cette langue.

2.
2.1 Dans le domaine de l'arbitrage international, le recours en matière civile
est recevable contre les décisions de tribunaux arbitraux aux conditions
prévues par les art. 190 à 192 LDIP (art. 77 al. 1 LTF).

Le siège de l'arbitrage se trouve à Genève. L'une des parties au moins (i.e. la
recourante n° 2) n'avait pas son domicile, au sens de l'art. 21 al. 1 LTF, en
Suisse au moment déterminant. Les dispositions du chapitre 12 de la LDIP sont
donc applicables (art. 176 al. 1 LDIP).

Lorsque, comme c'est ici le cas, un tribunal arbitral, par une sentence
séparée, admet sa compétence, il rend une décision incidente (art. 186 al. 3
LDIP) qui ne peut être attaquée devant le Tribunal fédéral que pour les motifs
énumérés à l'art. 190 al. 3 LDIP. En l'espèce, les recourantes invoquent l'un
de ces motifs, à savoir la prétendue incompétence de l'arbitre unique pour
statuer sur la demande de l'intimée dirigée contre elles (art. 190 al. 2 let. b
LDIP).

L'arbitre unique a écarté l'exception d'incompétence soulevée par les
recourantes, lesquelles sont ainsi particulièrement touchées par la sentence
attaquée et ont donc un intérêt digne de protection à son annulation, ce qui
leur confère la qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF).

Déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF en liaison avec l'art. 46 al. 1 let.
a LTF), dans la forme prévue par la loi (art. 42 al. 1 LTF), le recours est
recevable.

2.2 Le recours reste purement cassatoire (cf. l'art. 77 al. 2 LTF qui exclut
l'application de l'art. 107 al. 2 LTF). Toutefois, lorsque le litige porte sur
la compétence d'un tribunal arbitral, il a été admis, par exception, que le
Tribunal fédéral pouvait constater lui-même la compétence ou l'incompétence (
ATF 136 III 605 consid. 3.3.4 p. 616; 128 III 50 consid. 1b).

La conclusion des recourantes visant à ce que le Tribunal fédéral constate
lui-même l'incompétence de l'arbitre unique pour connaître du différend les
opposant à l'intimée est ainsi recevable.

2.3 Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits constatés dans la sentence
attaquée (cf. art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter d'office
les constatations des arbitres, même si les faits ont été établis de manière
manifestement inexacte ou en violation du droit (cf. l'art. 77 al. 2 LTF qui
exclut l'application de l'art. 105 al. 2 LTF). En revanche, comme c'était déjà
le cas sous l'empire de la loi fédérale d'organisation judiciaire (cf. ATF 129
III 727 consid. 5.2.2; 128 III 50 consid. 2a et les arrêts cités), le Tribunal
fédéral conserve la faculté de revoir l'état de fait à la base de la sentence
attaquée si l'un des griefs mentionnés à l'art. 190 al. 2 LDIP est soulevé à
l'encontre dudit état de fait ou que des faits ou des moyens de preuve nouveaux
sont exceptionnellement pris en considération dans le cadre de la procédure du
recours en matière civile (arrêt 4A_54/2012 du 27 juin 2012 consid. 1.6).

2.4 Saisi du grief d'incompétence, le Tribunal fédéral examine librement les
questions de droit, y compris les questions préalables, qui déterminent la
compétence ou l'incompétence du tribunal arbitral. Il n'en devient pas pour
autant une cour d'appel. Aussi ne lui incombe-t-il pas de rechercher lui-même,
dans la sentence attaquée, les arguments juridiques qui pourraient justifier
l'admission du grief fondé sur l'art. 190 al. 2 let. b LDIP. C'est bien plutôt
à la partie recourante qu'il appartient d'attirer son attention sur eux, pour
se conformer aux exigences de l'art. 42 al. 2 LTF (ATF 134 III 565 consid. 3.1
et les arrêts cités).

3.
3.1 Dans sa sentence préliminaire, l'arbitre unique a commencé par examiner
séparément la clause compromissoire (art. 14 CMA) et la clause d'élection de
for (art. 16 CMA) au regard des principes gouvernant l'interprétation des
contrats et, singulièrement, des conventions d'arbitrage. Tenant compte,
notamment, des circonstances dans lesquelles le CMA était venu à chef, il est
arrivé à la conclusion que ce contrat contenait, d'une part, une clause
arbitrale valable et, d'autre part, une clause d'élection de for ne comportant
pas de restriction quant à sa portée. Il en a déduit l'existence d'un conflit
entre ces deux clauses.

Les recourantes renoncent expressément à critiquer cette conclusion, en
particulier à remettre en question la constatation de la validité intrinsèque
de la clause arbitrale, tout comme elles abandonnent leur requête initiale,
rejetée par l'arbitre unique, tendant à ce que les pièces produites par
l'intimée, en rapport avec la négociation et la signature du CMA, fussent
écartées des débats (recours, p. 9, let. C., et p. 16, let. e.).

Dès lors, le Tribunal fédéral ne traitera pas ces points de droit, qui doivent
être tenus pour acquis.

3.2 Dans un second temps, l'arbitre unique s'est employé à résoudre le conflit
entre la clause arbitrale et la clause d'élection de for. Il l'a fait sur la
base d'une argumentation qui peut être résumée comme il suit.

D'abord, l'art. 14 CMA couvre plus d'une page et est très détaillé. Il énonce,
dans sa première phrase, deux exceptions explicites à l'applicabilité de la
clause compromissoire au profit de la juridiction étatique suisse compétente,
exceptions qui portent, l'une, sur le paiement de "liquidated amounts"
(expression que les recourantes traduisent par "clause pénale"), l'autre, sur
les requêtes de mesures urgentes ("urgent relief"). Aussi l'affirmation de
l'intimée, selon laquelle elle pensait que le renvoi, opéré à l'art. 16 CMA,
aux "courts of Geneva" avait trait à ces deux exceptions, apparaît-elle
crédible et raisonnable.
Ensuite, la clause arbitrale, étant donné la longueur de l'art. 14 CMA, était
nettement plus perceptible pour le lecteur du contrat que la convention de for
contenue dans une petite phrase cachée à l'art. 16 CMA. Dès lors, selon les
règles de la bonne foi et le principe de la confiance, il appartenait aux
recourantes de démontrer que l'intimée avait compris, au moment de signer le
contrat, que la dernière phrase de l'art. 16 CMA l'emportait sur la longue
clause arbitrale, rendant cette dernière superflue. Or, semblable démonstration
n'a pas été faite.

Enfin, il ne faut pas oublier que ce sont les recourantes elles-mêmes qui ont
introduit le régime de l'arbitrage dans le CMA, comme elles semblaient
d'ailleurs le faire de manière systématique, à l'époque, dans les contrats du
même genre conclus par elles.

Sur la base de cette argumentation, l'arbitre unique a retenu que la clause
compromissoire l'emportait sur la clause d'élection de for, laquelle,
considérée dans son contexte, ne trouvait à s'appliquer qu'aux deux situations
spécifiques mentionnées à l'art. 14.1 CMA ("liquidated amounts" et "urgent
relief").

4.
4.1 L'interprétation d'une convention d'arbitrage se fait selon les règles
générales d'interprétation des contrats, sauf à dire que la jurisprudence
préconise de ne pas admettre trop facilement qu'une convention d'arbitrage a
été conclue, si ce point est contesté (ATF 138 III 29 consid. 2.2.3; 129 III
675 consid. 2.3 p. 680 ss, 128 III 50 consid. 2c/aa p. 58, 116 Ia 56 consid. 3b
p. 58). En l'espèce, toutefois, cette dernière hypothèse ne se vérifie pas
puisque les recourantes admettent expressément que le CMA contient une clause
arbitrale valable (cf. consid. 3.1 ci-dessus). Il ne s'agit donc pas, ici,
d'interpréter une convention d'arbitrage en tant que telle, mais un contrat
contenant une clause compromissoire et une clause d'élection de for apparemment
inconciliables pour savoir laquelle des deux est applicable in casu. Il suffit,
pour ce faire, de s'en tenir aux règles ordinaires gouvernant l'interprétation
des contrats.

Saisi d'un litige sur l'interprétation d'un contrat, le juge doit tout d'abord
s'attacher à rechercher la réelle et commune intention des parties, le cas
échéant empiriquement, sur la base d'indices, sans s'arrêter aux expressions et
dénominations inexactes dont elles ont pu se servir (art. 18 al. 1 CO; ATF 131
III 280 consid. 3.1). Cette interprétation dite subjective relève du fait et de
l'appréciation des preuves (ATF 132 III 626 consid. 3.1; 131 III 606 consid.
4.1 p. 611).

S'il ne parvient pas à établir suffisamment cette volonté effective, ou s'il
constate que l'une des parties contractantes n'a pas compris la volonté réelle
exprimée par l'autre, le juge recherchera le sens qu'elles pouvaient et
devaient donner, selon les règles de la bonne foi, à leurs manifestations de
volonté réciproques (application du principe de la confiance; ATF 136 III 186
consid. 3.2.1). Cette interprétation objective, qui relève du droit, s'effectue
non seulement d'après le texte et le contexte des déclarations, mais également
sur le vu des circonstances qui les ont précédées et accompagnées, à
l'exclusion des circonstances postérieures (ATF 136 III 186 consid. 3.2.1; 119
II 449 consid. 3a). Elle nécessitera, s'il subsiste un doute sur l'intention
des parties, le recours à des moyens complémentaires. Ainsi, dans l'esprit de
la favor negotii, en présence de clauses contradictoires, on choisira, dans la
mesure du possible, une interprétation qui permette d'harmoniser ces clauses
(BÉNÉDICT WINIGER, in Commentaire romand, Code des obligations I, 2e éd. 2012,
n° 45 ad art. 18 CO).

4.2 Dans la présente espèce, l'arbitre unique n'a pas mis en évidence une
volonté concordante des parties quant à la manière de concilier les deux
clauses antagonistes. Il a donc interprété celles-ci selon le principe de la
confiance.

Considérés à la lumière des principes jurisprudentiels susmentionnés et des
arguments avancés dans la réponse au recours, les motifs invoqués par les
recourantes pour contester le résultat de cette interprétation objective
appellent les remarques formulées ci-après.
4.2.1 Les recourantes s'en prennent, tout d'abord, aux déductions tirées par
l'arbitre unique de la longueur et du caractère détaillé de la clause
compromissoire comparativement à la clause d'élection de for. Elles font
valoir, à ce propos, qu'il est dans la nature des choses qu'une clause
arbitrale soit circonstanciée, alors qu'il est usuel qu'une clause d'élection
de for soit succincte, puisqu'elle se limite à indiquer le tribunal compétent
ratione loci. A leur avis, plus important que cette différence découlant du but
des clauses en question serait le fait que les parties ont indubitablement
porté une plus grande attention à la clause d'élection de for, durant la phase
de négociation du CMA, qu'à la clause compromissoire, dont les renvois,
manifestement erronés, sont demeurés inchangés au fil de la rédaction de ses
versions successives, tandis que le renvoi figurant dans la clause d'élection
de for a été adapté au cours des pourparlers contractuels (recours, let. c.
(i), p. 11 s.).
En soi, la remarque initiale formulée par les recourantes, pour expliquer la
différence de longueur des deux clauses litigieuses, n'est pas incorrecte. Il
n'en demeure pas moins que la clause arbitrale, qui occupe plus d'une page dans
un contrat n'en comprenant que quinze, est d'une longueur inhabituelle, au
point qu'elle ne saurait échapper à l'attention d'un quelconque lecteur et, à
plus forte raison, de parties - une banque et deux sociétés de services -
rompues aux affaires commerciales. Aussi est-il impensable d'imaginer que les
cocontractantes ne se soient pas avisées de l'existence d'une telle clause
lorsqu'elles ont signé le contrat comprenant la prorogation de for litigieuse.
A l'inverse, la clause d'élection de for, d'ailleurs placée plus loin dans le
texte du même contrat, ne saute pas aux yeux du lecteur, c'est le moins que
l'on puisse dire: non seulement, elle tient en une ligne et figure à la fin
d'une disposition - l'art. 16 CMA - consacrée aussi à une autre question
("governing law", i.e. le droit applicable), mais encore, et surtout, la
référence qui y est faite aux "legal proceedings in terms of clause 15.1"
apparaît des plus absconses, cette dernière clause ne faisant qu'énumérer les
"domicilia citandi et executandi" des parties. Que la clause d'élection de for
ait prétendument fait l'objet de plus amples négociations que la clause
arbitrale ne change rien, du reste, à ce constat. Quant aux erreurs de renvoi
que comporte la convention d'arbitrage, elles n'ont pas d'incidence sur le
processus d'interprétation des deux clauses examinées, d'autant que les deux
parties se sont mises d'accord, dans la procédure arbitrale, pour identifier
les clauses effectivement visées par le renvoi erroné (cf. sentence, n. 51).

Force est donc de retenir, sur ce point, que l'intimée pouvait admettre
objectivement et de bonne foi que la clause compromissoire, insérée à l'art. 14
CMA à l'initiative des recourantes, correspondait à la volonté de celles-ci.
Peu importe, au demeurant, que la volonté manifestée par les intéressées
correspondît ou non à leur volonté interne.
4.2.2 La clause compromissoire réserve la compétence des tribunaux étatiques
suisses à deux situations spécifiques, soit les prétentions basées sur une
clause pénale et les requêtes de mesures urgentes (cf. art. 14.1 CMA). Pour les
recourantes, qui soulignent la chose, cela ne signifierait nullement que les
parties aient voulu limiter la compétence des tribunaux genevois prévue dans la
clause d'élection de for à ces deux seules situations. Premièrement, semblable
réserve serait impraticable, s'agissant de la clause pénale, dont il n'existe
aucune trace dans le CMA, et sans portée pratique pour les mesures urgentes, la
compétence des tribunaux suisses pour ordonner de telles mesures découlant déjà
de la loi (art. 183 LDIP). Deuxièmement, si les parties avaient réellement
voulu accorder une compétence aux tribunaux étatiques dans les deux domaines
visés par l'art. 14.1 CMA, elles se seraient spécifiquement référées aux
tribunaux genevois, et non pas aux tribunaux suisses en général, sachant que
l'une des recourantes a son siège aux Pays-Bas. Troisièmement enfin, il est
contradictoire d'admettre, comme l'a fait l'arbitre unique, que la clause
d'élection de for ne contient aucune restriction quant à sa portée et, dans le
même temps, que les parties ont voulu limiter la compétence des tribunaux
genevois aux deux seules situations mentionnées dans la clause compromissoire.

Sur le premier point, l'intimée démontre, de manière convaincante, à la page 9
de sa réponse, avec références à l'appui, que la notion de "liquidated amounts"
ne se limite pas aux prétentions découlant d'une clause pénale, mais désigne un
montant déterminé à payer par l'une des parties en réparation d'un dommage
spécifique (voir aussi, p. ex., l'arrêt 4A_150/2012 du 12 juillet 2012, let. B.
et consid. 3.2.1); qu'il n'est pas impossible de trouver un cas d'application
de cette figure juridique dans le CMA et ses annexes; enfin, qu'il était déjà
fait référence aux "liquidated amounts" dans un autre contrat conclu à la même
époque par l'une des recourantes avec l'intimée et versé au dossier de
l'arbitrage (pièce C-14, citée sous le n. 68 let. d de la sentence attaquée).
L'intéressée en déduit à juste titre que, contrairement à ce que soutiennent
les recourantes, elle n'avait aucun motif d'admettre que la référence aux
prétentions fondées sur les "liquidated amounts" constituait un corps étranger
dans l'économie du CMA. Par ailleurs, comme l'intimée le souligne avec raison,
le fait que, par hypothèse, la réserve de la mise en oeuvre des tribunaux
étatiques pour le dépôt de requêtes de mesures urgentes ait pu s'avérer
théoriquement superflue n'était en aucun cas de nature à la faire douter de
l'applicabilité de la clause compromissoire. C'est à la même conclusion que
conduit, au surplus, l'absence de référence spécifique aux tribunaux genevois à
l'art. 14.1 CMA où il est question de la juridiction suisse compétente. De
surcroît, et quoi qu'en disent les recourantes, il n'était pas exclu que l'une
des parties contractantes puisse saisir d'autres tribunaux suisses que les
tribunaux genevois au titre du lieu de l'exécution de la mesure requise (cf.
art. 10 let. b LDIP; ANDREAS BUCHER, Commentaire romand, Loi sur le droit
international privé - Convention de Lugano, 2011, n° 11 ad art. 183 LDIP), de
sorte que la référence générale aux tribunaux suisses faisait sens. En tout
état de cause, l'éventuelle constatation de la prétendue inutilité des deux
exceptions réservées à l'art. 14.1 CMA n'impliquerait nullement que la clause
d'élection de for aurait vocation à régir l'ensemble des différends issus du
CMA, à l'exclusion de la clause compromissoire. Enfin, la contradiction
alléguée par les recourantes n'est qu'apparente: l'arbitre unique a certes
constaté que l'on ne pouvait pas déduire du texte même de la clause d'élection
de for une restriction touchant la portée de celle-ci; cependant, par une
interprétation objective des deux clauses litigieuses, prises conjointement et
replacées dans leur contexte, il est arrivé à la conclusion que l'art. 16 CMA
ne devait s'appliquer qu'aux deux situations exceptionnelles dans lesquelles
l'art. 14.1 réservait la compétence du juge étatique.
4.2.3 L'arbitre unique considère qu'il appartenait aux recourantes de démontrer
que l'intimée avait compris que la dernière phrase de l'art. 16 CMA l'emportait
sur la longue clause arbitrale figurant à l'art. 14 CMA, rendant celle-ci
superflue (sentence, n. 68 let. b). Selon les recourantes, la seule preuve qui
leur incombait était de démontrer que, des deux clauses inconciliables, il
convenait d'écarter la clause d'arbitrage en tant que corps étranger dans le
CMA. Or, elles l'auraient apportée en établissant qu'elles n'avaient jamais eu
l'intention de recourir à l'arbitrage, ce qui résultait, à les en croire, de
l'existence d'une clause d'élection de for usuelle, claire, non limitative et
ayant été soigneusement examinée par les parties, en comparaison avec la clause
compromissoire qui était obscure et impraticable, prévoyait une période
arbitrale irréaliste (21 jours) et contenait de nombreuses erreurs de renvoi
(recours, let. d., p. 14 s.).

Semblable argumentation est dénuée de fondement. Sous l'angle du fardeau de la
preuve, on ne voit déjà pas très bien la différence qu'il pourrait y avoir
entre l'opinion de l'arbitre unique et celle des recourantes, telles qu'elles
ont été rapportées ci-dessus, puisqu'il s'agissait, en définitive, de
déterminer laquelle des deux clauses antagonistes devait l'emporter
relativement au litige divisant les parties. L'arbitre unique ne s'est
d'ailleurs pas placé sur le terrain des faits, ni partant de la preuve, pour
résoudre cette question, dès lors qu'il a recouru à une interprétation
objective, qui relève du droit. Cela étant et d'un point de vue plus général,
il est indéniable que, dans la mesure où les recourantes excipaient de
l'incompétence de l'arbitre unique, c'était à elles de démontrer pourquoi, en
application du CMA, l'intimée aurait dû les assigner devant les tribunaux
étatiques genevois. Or, les arguments, précités, qu'elles font valoir à cette
fin ne sont nullement pertinents, comme on l'a déjà relevé plus haut. Tel est
également le cas de celui tiré de la brève période d'arbitrage prévue à l'art.
14.2 CMA. Celle-ci s'explique sans doute par la nature et l'objet des
obligations contractuelles souscrites par les recourantes, à savoir contrôler
la délivrance et le stockage, dans un pays étranger, de céréales achetées par
un tiers.
4.2.4 Les recourantes dénient, par ailleurs, toute pertinence à la question de
savoir laquelle des parties a initialement présenté le CMA, s'agissant de
déterminer si la clause compromissoire l'emporte sur la clause d'élection de
for (recours, let. f. (i), p. 16 s.). Sans doute n'ont-elles pas tort sur ce
point. Cependant, outre que pareille circonstance n'est pas décisive pour
résoudre la question litigieuse, il n'est pas indifférent de constater que ce
sont les recourantes elles-mêmes qui ont introduit dans le CMA les deux clauses
apparemment contradictoires.

Au demeurant, lorsqu'elles remettent en cause la conclusion de l'arbitre unique
(sentence, n. 68 let. d, seconde phrase), tirée d'un exemple concret, selon
laquelle elles avaient pour habitude d'insérer des clauses compromissoires dans
des contrats similaires (recours, let. f. (ii), p. 17 s.), les recourantes s'en
prennent, de manière irrecevable (cf. consid. 2.3 ci-dessus), à une
constatation de fait, plus précisément à une déduction factuelle (le
comportement usuel d'une partie) fondée sur une constatation (l'existence d'une
clause compromissoire dans un contrat de même nature que le CMA) tirée d'un
document versé au dossier de l'arbitrage (la pièce C-14).
4.2.5 Enfin, le précédent cité par les recourantes à l'appui de leur
argumentation, à savoir l'arrêt 4A_279/2010 du 25 octobre 2010, n'a rien de
topique. L'intimée en fait une démonstration convaincante, dans sa réponse (p.
15 s., n. 8). Effectivement, dans cette affaire, le Tribunal fédéral avait sous
les yeux une clause prévoyant de soumettre le différend à une "binding
arbitration through The American Arbitration Association or to any other US
court". Interprétant cette clause alternative au regard des circonstances de la
cause en litige, il est arrivé à la conclusion qu'il n'existait pas de volonté
claire et univoque des parties d'exclure la compétence des tribunaux étatiques.
Or, dans le cas présent, l'arbitre unique n'a pas eu à trancher entre les deux
termes irréductibles d'une alternative, mais à concilier, par voie
d'interprétation, deux clauses distinctes qui n'étaient finalement
incompatibles qu'en apparence. Il l'a fait en admettant que l'art. 16 CMA,
considéré à la lumière de l'art. 14 al. 1 CMA, prévoit la compétence résiduelle
des tribunaux étatiques genevois pour les situations exceptionnelles réservées
dans la clause compromissoire. Le résultat de son interprétation échappe à la
critique, quoi qu'en disent les recourantes.

Partant, c'est à bon droit que l'arbitre unique s'est déclaré compétent pour
connaître du différend opposant les parties. Le recours soumis à l'examen du
Tribunal fédéral ne peut, dès lors, qu'être rejeté.

5.
Succombant, les recourantes seront condamnées solidairement à supporter les
frais de la procédure fédérale (art. 66 al. 1 et 5 LTF) et à verser des dépens
à l'intimée (art. 68 al. 1, 2 et 4 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 25'000 fr., sont mis à la charge des
recourantes, solidairement entre elles.

3.
Les recourantes sont condamnées solidairement à verser à l'intimée une
indemnité de 30'000 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à l'arbitre
unique.

Lausanne, le 20 août 2012

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

La Présidente: Klett

Le Greffier: Carruzzo