Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.173/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_173/2012

Arrêt du 28 juin 2012
Ire Cour de droit civil

Composition
Mmes et M. les Juges Klett, Présidente,
Rottenberg Liatowitsch et Kolly.
Greffière: Mme Monti.

Participants à la procédure
X.________, représentée par
Me Basile Schwab,
recourante,

contre

Y.________,
intimée.

Objet
société en nom collectif; indemnisation de l'associé sortant,

recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 23 février 2012 par la Cour
d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel.

Faits:

A.
X.________ et Y.________se sont associées en septembre 1996 pour exploiter une
agence de placement de personnel dans le cadre d'une société en nom collectif.
Elles partageaient les risques et profits de l'entreprise à parts égales et
consacraient tout leur temps à l'exercice de cette activité.

Impliquée dans un trafic de cocaïne, X.________ a été placée en détention
préventive du 8 septembre au 28 décembre 1999. Comme les associées
envisageaient de dissoudre la société, elles ont chargé leur fiduciaire
d'évaluer l'entreprise selon les comptes arrêtés au 31 août 1999 et extrapolés
au 31 décembre 1999. Dans un rapport du 14 octobre 1999, la fiduciaire a estimé
la valeur de la société à 142'300 fr. en tablant sur un bénéfice de 94'500 fr.

Le 1er décembre 1999, les parties ont signé une convention prévoyant la
dissolution de la société en nom collectif et la reprise des actifs et passifs
par Y.________, qui devait poursuivre seule l'activité commerciale en raison
individuelle et indemniser son ex-associée selon un décompte au 31 décembre
1999, que leur fiduciaire devait établir. Celle-ci, dans un avenant du 6 avril
2000, a retenu une valeur nulle pour l'entreprise compte tenu d'une perte de
35'600 fr. Les parties n'ont pas pu se mettre d'accord sur l'indemnité de
départ de X.________.

Y.________a demandé une expertise privée à la société A.________, qui a chiffré
la valeur de rendement de l'entreprise à 42'000 fr.

Ultérieurement, Y.________a fait l'objet d'un prononcé de faillite rendu par le
Tribunal de Bienne-Nidau en date du 22 juillet 2009.

B.
B.a Le 24 janvier 2003, X.________ a actionné Y.________devant l'une des Cours
civiles du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel en concluant d'une part au
paiement de 113'750 fr. à titre de compensation pour sa sortie de la société en
nom collectif, d'autre part au paiement de 85'600 fr. à titre de salaire pour
l'année 1999.

Un expert a été mis en ?uvre en cours de procédure. Il a expliqué qu'il existe
deux méthodes d'évaluation: d'une part, celle de la valeur substantielle,
correspondant à la valeur réelle des actifs après déduction des dettes et des
provisions; d'autre part, celle de la valeur de rendement, fondée sur la
capacité de la société à générer des bénéfices. L'expert était d'avis qu'il
fallait se fonder sur ces deux critères et retenir une valeur moyenne.
Reprenant telle quelle la valeur de rendement fixée par A.________ à 42'000
fr., et chiffrant à -16'172 fr. la valeur selon bilan au 31 décembre 1999, il a
estimé la valeur moyenne de la société à 12'914 fr., respectivement à 18'130
fr. la part revenant à l'associée sortante. L'expert pensait toutefois que ce
dernier montant était sous-évalué, car le bilan présentait probablement des
réserves latentes sur les actifs matériels et les travaux en cours, réserves
dont l'expert n'était pas en mesure de déterminer l'importance. A son avis,
celles-ci engendraient une plus-value de 25 % sur la part revenant à l'associée
sortante.

Par jugement du 27 avril 2011, le Juge instructeur de la Ire Cour civile a
rejeté la demande. En substance, il a considéré que les parties, en signant la
convention du 1er décembre 1999, avaient connaissance de la méthode de calcul
appliquée lors de l'évaluation du 14 octobre 1999 et étaient liées par cette
méthode dès lors qu'elles n'avaient pas formulé de réserves. En conséquence, il
fallait admettre avec la fiduciaire que la valeur de l'entreprise était nulle.
B.b X.________ a déféré la cause à la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal
en réitérant les conclusions prises en première instance.

Par arrêt du 23 février 2012, la cour cantonale a partiellement admis l'appel
en ce sens que Y.________doit payer à X.________ la somme de 14'563 fr. à titre
d'indemnité de sortie. En bref, la cour a considéré que la convention du 1er
décembre 1999 ne contenait aucune référence à des principes d'évaluation ou à
une méthode de calcul de l'indemnité de sortie, ni aucun renvoi à l'évaluation
faite par la fiduciaire le 14 octobre 1999, de sorte que les parties ne
pouvaient être liées par l'avenant du 6 avril 2000. A défaut d'accord, il
incombait au juge de fixer la somme revenant à l'associé sortant, conformément
à l'art. 580 al. 2 CO. Pour ce faire, la Cour d'appel s'est essentiellement
fondée sur l'expertise judiciaire, à laquelle elle a apporté quelques
correctifs. A l'instar de ce que proposait le premier juge dans un obiter
dictum, elle a tenu compte, y compris dans le calcul de la valeur de rendement,
d'une rémunération de 10'000 fr. par mois et par associée pour une activité à
plein temps; elle a en outre rectifié le montant des prélèvements effectués par
la recourante en 1999. En raison de ces correctifs, elle a chiffré la valeur de
rendement à 72'900 fr., soit 36'450 fr. par associée. Elle a en outre retenu
pour X.________ une valeur selon bilan de -13'150 fr. au 31 décembre 1999. Elle
a ainsi obtenu une valeur moyenne de 11'650 fr. (36'450 + [-13'150] = 23'300 :
2). La cour a augmenté ce chiffre de 25 % pour tenir compte des éventuelles
réserves latentes, fixant en définitive l'indemnité de sortie à 14'563 fr.

C.
Par-devant le Tribunal fédéral, X.________ (ci-après: la recourante) a déposé
un recours en matière civile dans lequel elle conclut au paiement de 113'750
fr. plus intérêts. Elle a formé une demande d'assistance judiciaire qui a été
rejetée par ordonnance du 30 mai 2012. A la suite de ce rejet, elle s'est
acquittée en temps utile de l'avance de frais requise.

L'intimée n'a pas été invitée à déposer une réponse.

Considérant en droit:

1.
Le recours satisfait sur le principe aux conditions de recevabilité du recours
en matière civile (cf. art. 72 al. 1, art. 75, art. 76 al. 1, art. 90 et art.
100 al. 1 LTF). En particulier, la valeur litigieuse excède manifestement le
minimum légal de 30'000 fr. (art. 51 al. 1 let. a et art. 74 al. 1 let. b LTF).

2.
2.1 Le recours peut être formé pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a
LTF), lequel est appliqué d'office, sous réserve des droits constitutionnels
(cf. art. 106 LTF). N'étant pas lié par l'argumentation des parties, le
Tribunal fédéral s'en tient cependant, d'ordinaire, aux questions de droit que
la partie recourante soulève conformément aux exigences légales relatives à la
motivation du recours (art. 42 al. 2 LTF; ATF 135 III 397 consid. 1.4).

2.2 Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des
faits retenus par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en
écarter que si ces faits ont été établis de façon manifestement inexacte -
c'est-à-dire arbitraire (ATF 137 I 58 consid. 4.1.2) - ou en violation du droit
au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF).

Cette faculté d'intervenir d'office doit notamment permettre au Tribunal
fédéral de parer à une erreur manifeste, ou de compléter un état de fait trop
succinct par un élément qui ressort à l'évidence du dossier et permet de
répondre à un argument du recourant (BERNARD CORBOZ, in Commentaire de la LTF,
2009, n° 62 ad art. 105 LTF). Le Tribunal fédéral n'a toutefois pas à examiner
d'office pour chaque point de fait s'il y a matière à le rectifier. Il
appartient bien plutôt au recourant qui entend s'écarter des constatations de
l'arrêt attaqué d'expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions de
l'art. 105 al. 2 LTF sont réalisées (cf. art. 97 al. 1 LTF); à défaut, il ne
peut être tenu compte d'un état de fait qui diverge de celui contenu dans la
décision attaquée (ATF 133 IV 286 consid. 6.2; cf. aussi ATF 133 II 249 consid.
1.4.3).

3.
3.1 La recourante reproche à la Cour d'appel d'avoir calculé son indemnité de
sortie en se fondant arbitrairement sur une rémunération de 10'000 fr. par mois
et par associée, nonobstant leur volonté claire de prélever uniquement le
bénéfice au-delà d'une rémunération raisonnable comprise entre 7'000 et 8'000
fr.

3.2 Le travail déployé par l'associé pour le compte de la société en nom
collectif ne donne droit à des honoraires que s'il en a été convenu ainsi. A
défaut d'un tel accord, le travail est considéré comme un apport en industrie
rémunéré par une participation au bénéfice (LUKAS HANDSCHIN/HAN-LIN CHOU,
Commentaire zurichois, 4e éd. 2009, n°s 63 et 66 ad art. 558-560 CO;
PIERRE-ALAIN RECORDON, in Commentaire romand, 2008, n° 12 ad art. 558-560 CO).

En pratique, il n'est pas toujours aisé de déterminer si les montants versés
régulièrement aux associés sont des participations au bénéfice ou des
honoraires. Les montants perçus à l'occasion d'un exercice déficitaire peuvent
constituer un indice du montant de la rémunération due. Lorsque les exercices
précédents étaient tous bénéficiaires, il s'agira de déterminer la
contre-valeur objective du travail fourni pour arrêter le montant des
honoraires, le surplus étant considéré comme une participation au bénéfice
(HANDSCHIN/CHOU, op. cit., n° 64 s. ad art. 558-560 CO; cf. toutefois WILHELM
HARTMANN, Commentaire bernois, 1943, n° 17 ad art. 558 CO, qui estime qu'en cas
de doute, il faut retenir une participation au bénéfice).

3.3 La recourante ne conteste pas le principe d'une rémunération pour chaque
associée, mais uniquement les montants retenus. Il n'y a ainsi pas à revenir
sur le premier point.

3.4 Les décisions cantonales ne précisent pas le montant des prélèvements
opérés par les deux associées en 1997. En 1998, celles-ci ont perçu des sommes
quasi équivalentes, soit 118'046 fr. pour Y.________et 118'955 fr. 90 pour
X.________. En 1999, Y.________a prélevé 144'428 fr. 65 et X.________ 87'235
fr. 75; cette dernière n'a travaillé que 8,3 mois pour la société.

Dans son évaluation de l'entreprise faite en octobre 1999, la fiduciaire des
ex-associées a tenu compte d'une rémunération de 10'000 fr. par mois et par
associée.

Quant à A.________, qui a estimé la valeur de rendement sur la base des
exercices 1998 et 1999, elle a déterminé la rémunération des associées en
tenant compte des conditions locales de rétribution dans la branche des
prestations de services. Elle a estimé que les associées avaient droit à une
rétribution fixe de 8'000 fr. par mois ainsi qu'à une part variable comprise
entre 10 et 30 % du salaire de base, en fonction des résultats annuels. Elle a
retenu pour chaque associée une rémunération totale de 120'000 fr. pour 1998
(soit 10'000 fr. par mois), et de 105'600 fr. pour 1999 (8'800 fr. par mois).

L'expert judiciaire a dit ne pas avoir connaissance d'un accord sur la
rémunération des associées; un tel accord n'était à son sens pas utile tant que
les deux associées travaillaient à plein temps, puisque le résultat et la
rémunération étaient partagés. Tel n'était toutefois pas le cas en 1999, où la
recourante n'avait travaillé que 8,3 mois. De l'avis de l'expert, une
rémunération annuelle de 120'000 fr. était "plutôt modeste" pour un responsable
d'agence de travail temporaire à plein temps. Ce chiffre pouvait dès lors être
retenu pour l'intimée, tandis que la recourante n'avait droit qu'à une
rémunération de 83'000 fr. eu égard à son temps d'activité en 1999. L'expert a
intégré ces chiffres dans son calcul de la valeur substantielle, tandis qu'il
reprenait telle quelle la valeur de rendement calculée par A.________. Dans son
rapport complémentaire, il a précisé que la valeur de rendement devait se
calculer en tenant compte de la rémunération de l'ensemble des personnes
travaillant pour la société, y compris les exploitants, le critère déterminant
pour ces derniers étant le salaire qu'un tiers recevrait pour un travail
identique.

En définitive, la Cour d'appel a repris les rémunérations retenues par l'expert
dans son calcul de la valeur substantielle. Elle a rectifié en conséquence le
calcul de la valeur de rendement, en ce sens qu'une rémunération globale de
203'000 fr. (au lieu de 211'200 fr.) devait être retenue en 1999.

3.5 La recourante reproche à l'autorité d'appel d'avoir retenu un salaire
mensuel de 10'000 fr. en se fondant sur un motif erroné, à savoir que les
parties auraient tacitement admis le montant retenu par la fiduciaire dans son
évaluation du 14 octobre 1999. Cet argument avait certes été invoqué par le
premier juge, mais il n'apparaît pas que la Cour d'appel l'ait fait sien.
Celle-ci s'est manifestement fondée sur l'avis de l'expert judiciaire. A
l'évidence, celui-ci a tenu compte des prélèvements opérés en 1998 et 1999, et
les a confrontés aux chiffres de la pratique pour retenir le montant de 10'000
fr. En bref, la Cour d'appel a recouru au principe de la confiance faute
d'avoir pu établir la volonté réelle des parties.

La recourante objecte que les associées avaient une volonté claire à ce sujet.
Elle n'indique toutefois pas quels allégués et moyens de preuve auraient dû
conduire la cour cantonale à retenir un accord prévoyant une rémunération de
base comprise entre 7'000 et 8'000 fr. La recourante se réfère aux prélèvements
opérés en 1997, qui n'auraient été que de 83'000 fr. par associée. Or, un tel
montant ne ressort pas des décisions cantonales. La recourante elle-même admet
en page 3 de son mémoire qu'aucun élément ne permet de déterminer le montant
prélevé en 1997. Elle ne saurait dès lors, en contradiction avec ses propos,
chercher à reconstituer artificiellement les prélèvements effectués cette
année-là. Quant à l'argument selon lequel les associées se partageaient un
"poste unique" et ne pouvaient prétendre à une rémunération de 100 % chacune,
il est de type appellatoire et n'est étayé par aucun élément concret. L'arrêt
attaqué retient, sans être critiqué sur ce point précis, que les deux associées
consacraient tout leur temps à la société jusqu'à l'arrestation de la
recourante en septembre 1999.

Pour le surplus, la recourante ne conteste pas que la valeur de rendement se
fonde sur une rémunération objective des exploitants (cf. CARL HELBLING,
Unternehmensbewertung und Steuern, 9e éd. 1998, p. 363), ce qui n'excluait pas
de retenir pour 1998 une rémunération légèrement supérieure aux prélèvements
opérés.

Il s'ensuit que le grief de la recourante doit être rejeté.

4.
4.1 La recourante se plaint d'une fausse application de l'art. 580 al. 2 CO,
respectivement d'un abus du pouvoir d'appréciation.
4.2
4.2.1 L'art. 580 CO intitulé "Somme due à l'associé sortant" a la teneur
suivante:
"1 La somme qui revient à l'associé sortant est fixée d'un commun accord.
2 Si le contrat de société ne prévoit rien à cet égard et si les parties ne
peuvent s'entendre, le juge détermine cette somme en tenant compte de l'état de
l'actif social lors de la sortie et, le cas échéant, de la faute de l'associé
sortant."
L'indemnité prévue par cette disposition vise à compenser le fait que l'associé
sortant perd sa participation en main commune à l'entreprise, ses droits de
nature réelle sur l'actif social (JEAN-PAUL VULLIÉTY, in Commentaire romand, n°
2 ad art. 580 CO; MARIO SCHAEDLER, Die Abfindung des ausscheidenden
Gesellschafters, 1962, p. 9).
La fixation de l'indemnité de sortie doit se faire en deux temps. Le juge doit
tout d'abord déterminer l'état du patrimoine social au moment de la sortie de
l'associé, puis définir la prétention individuelle de l'associé sur ce
patrimoine.
4.2.2 Pour arrêter la situation patrimoniale, il convient d'établir un bilan
spécial d'indemnisation, qui tient compte de la valeur d'exploitation de la
société (ATF 100 II 376 consid. 2b p. 379; 93 II 247 consid. 2b et 2c; plus
récemment, arrêts 4A_31/2009 du 30 novembre 2009 consid. 5.1.1 et 4C.278/2005
du 8 mai 2006 consid. 4.1; DANIEL STAEHELIN, in Commentaire bâlois, 4e éd.
2012, n° 4 ad art. 580 CO; VULLIÉTY, op. cit., n° 12 s. ad art. 580 CO). Les
bilans annuels d'exploitation ne peuvent pas être utilisés tels quels, car ils
ne reflètent pas nécessairement la valeur réelle de la société. En particulier,
ils ne font pas apparaître les réserves latentes, à la constitution desquelles
l'associé sortant a contribué, et qui doivent être prises en compte dans le
calcul de sa part (ATF 93 II 247 consid. 2b p. 254; HANDSCHIN/CHOU, op. cit.,
n°s 40 et 48 ad art. 580 CO). Il faut aussi prendre en compte la valeur que les
éléments d'actif représentent ensemble pour une entreprise qui continue, en
particulier son organisation, sa clientèle, sa réputation, en bref son
goodwill, ainsi que le bénéfice net que l'on peut attendre des affaires en
cours (ATF 93 II 247 consid. 2b p. 255; HANDSCHIN/CHOU, op. cit., n° 50 s. ad
art. 580 CO; VULLIÉTY, op. cit., n° 13 ad art. 580 CO; SCHAEDLER, op. cit., p.
28 s.).
L'estimation de la société peut se faire selon différentes méthodes, en
particulier selon la valeur substantielle et/ou la valeur de rendement. La
première correspond à la valeur de remplacement de l'actif net; elle revient à
déterminer combien il en coûterait pour mettre sur pied une entreprise ayant la
même capacité de production que celle évaluée (Rapport du Conseil fédéral du
1er avril 2009, Valeur des entreprises en droit successoral, p. 15, accessible
sur le site internet de l'Office fédéral de la justice, www.bj.admin.ch,
rubrique "Documentation"; cf. aussi HELBLING, op. cit., p. 85 s. et 215;
ETIENNE SCHÖN, Unternehmensbewertung im Gesellschafts- und Vertragsrecht, 2000,
p. 26-30). Quant à la valeur de rendement, elle tient compte de la capacité de
rendement futur de l'entreprise. Deux facteurs sont déterminants: le rendement
futur est ramené à sa valeur actuelle par un taux de capitalisation (Rapport
précité du Conseil fédéral, p. 9; cf. aussi SCHÖN, op. cit., p. 34 ss;
SCHAEDLER, op. cit., p. 32 ss).

L'art. 580 al. 2 CO n'impose pas une méthode d'estimation. Le choix dépend des
circonstances d'espèce, le juge pouvant se fonder sur toute méthode permettant
de déterminer une valeur de continuation. En particulier, il peut combiner la
valeur substantielle avec la valeur de rendement (STAEHELIN, op. cit., n° 4 ad
art. 580 CO; HANDSCHIN/CHOU, op. cit., n° 54 ad art. 580 CO; SCHÖN, op. cit.,
p. 92 s. et 101).
4.2.3 L'évaluation de la société à la date de sortie de l'associé fait
apparaître un accroissement ou une diminution du patrimoine, qu'il convient de
répartir entre les comptes d'apports des associés (HANDSCHIN/CHOU, op. cit., n°
57 ad art. 580 CO), conformément à la règle conventionnelle ou légale prévue
pour la répartition des bénéfices et des pertes (cf. ATF 77 II 48 consid. 2b).
Les comptes d'apports, ou comptes de capital, sont tenus séparément pour chaque
associé; ils comprennent leur apport initial et les éventuels apports
subséquents, auxquels s'ajoutent les bénéfices non touchés et les intérêts; les
prélèvements et pertes non compensées en sont débités (HANDSCHIN/CHOU, op.
cit., n° 24 ad art. 558-560 CO; SCHAEDLER, op. cit., p. 8; HARTMANN, op. cit.,
n° 11 ad art. 558 CO). Alors que ces comptes, dans les bilans d'exploitation en
cours, n'indiquent qu'une valeur comptable, ils font apparaître, dans le bilan
spécial d'indemnisation, la valeur réelle de la participation de l'associé
sortant et, partant, la hauteur de son indemnité de sortie (HANDSCHIN/CHOU, op.
cit., n° 60 ad art. 580 CO).
4.2.4 Ces principes étant exposés, il convient de passer en revue les griefs
soulevés par la recourante.
4.3
4.3.1 La recourante reproche à l'expert judiciaire, et partant à la Cour
d'appel, d'avoir tenu compte uniquement de la valeur comptable de l'entreprise
au 31 décembre 1999, sans faire de projections dans le futur. L'expert aurait
effectué l'estimation d'une société gérée par deux personnes, alors que
l'intimée devait poursuivre seule l'exploitation, avec la perspective d'obtenir
le double de gains puisqu'elle n'avait plus à les partager. Seule la valeur de
rendement aurait dû être prise en compte. Si la cour avait appliqué la méthode
dite des multiplicateurs comme la recourante le préconisait, l'indemnité de
sortie aurait été fixée à 113'750 fr.
4.3.2 L'expert judiciaire a décidé de se fonder sur une valeur moyenne
comprenant la valeur substantielle et la valeur de rendement. Or, cette
dernière, au contraire de la valeur substantielle, tient compte du
développement futur de la société; elle permet d'intégrer la contribution de
l'associé sortant à la construction de la société, contribution qui continue de
profiter aux associés restants (HANDSCHIN/CHOU, op. cit., n° 44 ad art. 580
CO). Quant au pronostic sur la réalisation des gains futurs, il se fonde
habituellement sur la base des résultats passés (HANDSCHIN/CHOU, op. cit., n°
37 ad art. 580 CO; SCHÖN, op. cit., p. 35 s.; HELBLING, op. cit., p. 358 s. et
368).

Contrairement à ce que plaide la recourante, le développement ultérieur de la
société a donc été pris en compte au titre de la valeur de rendement. Le fait
que l'expert, pour établir son pronostic, se soit fondé sur des résultats
passés ne prête pas le flanc à la critique. Pour le surplus, l'on ne saurait en
soi considérer la sortie d'une des deux associées comme une perspective
d'augmentation de gain pour l'autre associée. Encore une fois, la capacité
future de l'entreprise à produire un rendement doit être évaluée en fonction
des forces de travail qui la composent, y compris celles fournies par les
exploitants (cf. HELBLING, op. cit., p. 363). Selon l'arrêt attaqué, la
recourante consacrait tout son temps à la société jusqu'en septembre 1999. La
perte de sa force de travail a donc dû être compensée d'une manière ou d'une
autre, que ce soit par exemple par l'engagement d'une autre personne,
éventuellement par l'augmentation de l'activité de l'intimée, ou par une baisse
du chiffre d'affaires.

La recourante critique le fait d'avoir pris en compte la valeur substantielle.
Toutefois, l'art. 580 al. 2 CO ne s'oppose nullement à ce que le juge combine
la valeur substantielle et la valeur de rendement. La première représente le
coût de remplacement pour obtenir une entreprise ayant la même capacité de
production. Une telle valeur fait sens lorsqu'il s'agit d'apprécier l'étendue
de la part revenant à un associé ayant contribué à mettre en place
l'entreprise.

La recourante invoque l'ATF 136 III 209, en soulignant que pour certaines
petites et moyennes entreprises (PME), la jurisprudence admet de se fonder sur
la seule valeur de rendement.

L'arrêt en question se rapporte à l'estimation d'une entreprise commerciale
dans le cadre de la liquidation d'un régime matrimonial. Dans ce contexte, il a
été souligné qu'en droit des sociétés également, la valeur de continuation doit
en principe être déterminée en incluant la valeur de rendement et la valeur
substantielle. S'agissant des PME, l'arrêt concède que l'on puisse se fonder
sur la seule valeur de rendement, lorsque les deux valeurs divergent tellement
que l'entreprise ne peut manifestement pas retirer un rendement approprié des
actifs liés au capital investi; la continuation de l'entreprise ne doit
toutefois faire aucun doute (ATF 136 III 209 consid. 6.2.3 p. 216). Est ainsi
visé un cas de figure où la valeur substantielle est supérieure à la valeur de
rendement. Or, il n'apparaît pas qu'une telle hypothèse soit réalisée dans le
cas concret. La jurisprudence en question n'est ainsi d'aucun secours à la
recourante.

L'on peut donner acte à la recourante qu'au sein de la doctrine, la valeur de
rendement a progressivement acquis de l'importance au détriment de la valeur
substantielle (cf. SCHÖN, op. cit., p. 46-48 et les réf. citées), des critiques
ayant été émises sur cette dernière (cf. Rapport précité du Conseil fédéral, p.
15 s. et p. 19 s., et HELBLING, op. cit., p. 130). Il n'en demeure pas moins
qu'en pratique, la combinaison des deux critères reste fréquente (SCHÖN, op.
cit., p. 55; HELBLING, ibidem). Dans un domaine largement régi par
l'appréciation, l'on ne saurait considérer qu'une telle combinaison contrevient
à l'art. 580 al. 2 CO. Il n'apparaît pas que la Cour d'appel ait abusé de son
pouvoir d'appréciation en se ralliant à la méthode mixte choisie par l'expert
judiciaire au détriment de la seule valeur de rendement proposée par
l'expertise privée. Pour le même motif, le grief formulé à l'encontre de la
pondération des deux valeurs doit être rejeté. Il n'existe en effet pas de
règle précise en la matière (cf. SCHÖN, op. cit., p. 53 s.; HELBLING, op. cit.,
p. 130-132), et la recourante ne démontre pas un abus du pouvoir
d'appréciation, se contentant d'insister sur la valeur qui lui était la plus
favorable.

Quant à la méthode dite des multiplicateurs préconisée par la recourante, elle
consiste à appliquer aux bénéfices un multiplicateur basé sur des valeurs
d'expérience pour les entreprises du même secteur (Rapport précité du Conseil
fédéral, p. 18). La doctrine relève que le choix du multiplicateur est plus
délicat que celui du taux de capitalisation (cf. HELBLING, op. cit., p. 135 s.,
spéc. note 12 p. 136). Sur ce point également, on ne saurait dénoter un abus du
pouvoir d'appréciation dans le fait que l'expert et les juges cantonaux n'ont
pas appliqué cette méthode.

4.4 La recourante objecte encore que dans son rapport complémentaire, l'expert
aurait admis que son estimation ne tenait pas compte, ou insuffisamment, du
goodwill et des actifs immatériels de la société.
4.4.1 L'expert a précisé que le bilan au 31 décembre 1999 présentait
probablement des réserves latentes sur les actifs matériels et les travaux en
cours (non comptabilisés), sans qu'il soit possible de déterminer l'importance
de ces réserves. L'expert était d'avis que ces réserves, qui influençaient
uniquement la valeur substantielle, engendraient une plus-value de 25 % par
rapport à la part revenant à l'associée sortante, part qui correspondait
elle-même à la moitié de la valeur de la société. La Cour d'appel a majoré
d'autant l'indemnité de sortie "pour tenir compte d'éventuelles réserves
latentes".
4.4.2 Dans son complément d'expertise, l'expert a effectivement admis que la
nouvelle entreprise individuelle de l'intimée avait débuté dans des
circonstances particulièrement favorables puisqu'elle avait pu reprendre la
structure et l'organisation en place, ainsi que la clientèle déjà acquise.
L'expert a toutefois laissé en suspens la question de savoir si ces éléments
devaient être pris en compte dans la fixation de la valeur de l'entreprise,
estimant qu'il s'agissait d'interpréter la convention du 1er décembre 1999. Il
a ajouté que les résultats réalisés entre 1997 et 1999 étaient globalement
insuffisants, ce qui influençait négativement la valorisation de l'entreprise.
Alors qu'il était invité à préciser la valeur de l'entreprise selon le bilan
d'indemnisation, il a répondu qu'il ne voyait pas de motif de s'écarter de ses
calculs, en l'état actuel de la documentation et de la convention de décembre
1999, sous réserve de la question des prélèvements effectués en 1999. Dans son
rapport principal, l'expert avait par ailleurs souligné que la valeur de
rendement permet de valoriser le goodwill; il avait en outre indiqué que
l'entreprise souffrait d'une certaine vulnérabilité en raison de la trop forte
dépendance à l'égard de quelques clients importants.

Au vu de tous ces éléments, et compte tenu de l'augmentation de 25 % retenue
par la Cour d'appel alors qu'on ignore tout des travaux en cours et des
réserves latentes sur les actifs matériels, il n'y a pas de raison de
considérer que le goodwill n'aurait pas été pris en compte, ou sous-évalué au
point de constituer un abus du pouvoir d'appréciation.

4.5 L'on peut donner acte à la recourante qu'aux dires de l'expert, un tiers
aurait pu, pour des raisons subjectives, accepter de payer un prix supérieur à
la valeur de rendement. Toutefois, l'on ne saurait y voir l'aveu d'une
sous-estimation de l'indemnité de sortie, mais tout au plus la reconnaissance
de la part d'aléa qui entoure l'estimation d'une entreprise, et les divergences
qui peuvent exister avec la valeur subjective. L'expert n'a du reste pas manqué
de souligner dans la foulée l'insuffisance des résultats réalisés entre 1997 et
1999.

4.6 La recourante insiste sur le fait que l'entreprise individuelle a réalisé
en 2000 un résultat de 490'000 fr. Ce chiffre ressort effectivement de
l'expertise, qui précise qu'il s'agit du résultat avant rémunération de
l'exploitante. Cela étant, les circonstances dans lesquelles ce chiffre
apparemment exceptionnel a été réalisé ne sont pas explicitées, et l'on observe
qu'il ne s'est pas répété l'année suivante, le résultat avant rémunération ne
s'élevant plus qu'à 187'000 fr. Sans plus autres informations, on ne saurait
voir dans ces résultats la preuve d'une sous-estimation de l'indemnité de
sortie revenant à la recourante.

4.7 Pour le surplus, la recourante ne prétend pas que les juges cantonaux
auraient méconnu les notions de valeur de rendement et de valeur substantielle.
Elle ne conteste pas non plus les critères pris en compte, hormis les arguments
déjà discutés, et ne critique pas les calculs effectués par la cour. En
définitive, le grief tiré d'une violation de l'art. 580 al. 2 CO se révèle
infondé.

5.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. En conséquence, la
recourante supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). L'intimée, qui
n'a pas été invitée à déposer une réponse, n'a pas droit à des dépens.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour d'appel civile du
Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel.

Lausanne, le 28 juin 2012

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

La Présidente: Klett

La Greffière: Monti