Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.152/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_152/2012

Arrêt du 3 août 2012
Ire Cour de droit civil

Composition
Mmes et MM. les Juges Klett, Présidente, Corboz, Kolly et Kiss et Mme la Juge
suppléante Fellrath Gazzini.
Greffière: Mme Monti.

Participants à la procédure
X.________ SA, représentée par Me Jean-Yves Rebord,
recourante,

contre

1. A.________ et B.________, représentés par Me Thibault Blanchard,
2. Z.________ SA, représentée par Me Daniel Pache,
intimés.
Objet

requête de preuve à futur; for,

recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 23 janvier 2012 par le Juge
délégué de la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Faits:

A.
A.________ et B.________ (maîtres d'?uvre) ont fait construire un chalet sur le
territoire de la commune vaudoise de .... Ils ont confié les travaux de
charpente et de menuiserie à la société X.________ SA (entrepreneur); l'art. 4
du contrat d'entreprise prévoyait qu'en cas de contestation, le for serait à
Lausanne. L'ouvrage a été réceptionné le 1er décembre 2009. Ayant constaté à
fin 2010 un écartement des joints des lambris des plafonds sous la toiture, les
maîtres ont adressé un avis de défaut à l'entrepreneur; ils ont en outre
dénoncé le cas à Z.________ SA en sa qualité de caution solidaire.

B.
Le 29 juillet 2011, les maîtres ont saisi le Juge de paix du district d'Aigle
d'une requête de preuve à futur dirigée contre l'entrepreneur et la caution.
Les deux parties intimées, se fondant sur la clause contractuelle de
prorogation de for, ont contesté la compétence locale du Juge de paix d'Aigle.
Par ordonnance du 19 octobre 2011, celui-ci a déclaré la requête irrecevable au
motif qu'il était incompétent ratione loci.

Par arrêt du 23 janvier 2012, le Juge délégué de la Cour d'appel civile du
Tribunal cantonal vaudois a admis l'appel formé par les maîtres et a réformé
l'ordonnance en ce sens que le Juge de paix d'Aigle est déclaré compétent pour
statuer sur la requête de preuve à futur. Le juge d'appel a considéré qu'au
regard de l'art. 13 CPC, le tribunal du lieu où les mesures provisionnelles
doivent être exécutées est compétent nonobstant une élection de for concernant
l'action principale; il a en outre retenu que la valeur litigieuse était
supérieure à 30'000 fr.

C.
L'entrepreneur (recourante) interjette un recours en matière civile au Tribunal
fédéral, en concluant principalement à ce que la requête de preuve à futur soit
déclarée irrecevable. Par ordonnance du 30 avril 2012, la Présidente de la cour
de céans a accordé l'effet suspensif au recours.

Les maîtres (intimés) concluent au rejet du recours. La caution s'en remet à
justice.

Considérant en droit:

1.
L'arrêt attaqué est une décision incidente sur la compétence, susceptible d'un
recours immédiat (art. 92 LTF). La voie de recours est la même que pour la
cause au fond (ATF 133 III 645 consid. 2.2 p. 648); il n'y a pas de motif de
mettre en doute la valeur litigieuse estimée par l'autorité précédente (cf.
art. 112 al. 1 let. d LTF; ATF 136 III 60 consid. 1.1.1 p. 62 i.f.), si bien
que la voie du recours en matière civile est ouverte (cf. art. 74 al. 1 let. b
LTF). Toutefois, les décisions portant sur l'administration de preuves à futur
sont des mesures provisionnelles au sens de la LTF (ATF 138 III 46 consid. 1.1;
cf. art. 158 al. 2 CPC); seule la violation de droits constitutionnels peut
être invoquée, y compris lorsque le recours vise une décision sur la compétence
de prendre de telles mesures (art. 98 LTF; cf. arrêt 4A_146/2010 du 2 juin 2010
consid. 2, in sic! 2011 390).

2.
La recourante se plaint d'une violation de l'interdiction constitutionnelle de
l'arbitraire lors de l'application de l'art. 13 CPC. A teneur de cette
disposition, est impérativement compétent pour ordonner des mesures
provisionnelles le tribunal compétent pour statuer sur l'action principale
(let. a) ou le tribunal du lieu où la mesure doit être exécutée (let. b).

2.1 De l'avis de la recourante, l'alternative prévue à l'art. 13 let. b CPC ne
serait offerte qu'en cas d'urgence. Cette disposition serait reprise de l'art.
33 aLFors (ancienne loi fédérale du 24 mars 2000 sur les fors en matière
civile; RO 2000 2087), qui aurait déjà imposé une telle limitation. La
recourante se fonde en outre sur un arrêt rendu en 1999 dans une cause à
caractère international, où la cour de céans avait souligné qu'une prorogation
de for ne doit pas être vidée de sa portée et qu'en conséquence, la partie
ayant souscrit une telle clause ne peut pas choisir de requérir des mesures
provisionnelles au for de l'exécution, sauf quand le tribunal du lieu en
question est le seul à pouvoir prendre à temps les mesures nécessaires (ATF 125
III 451 consid. 3a p. 454).

2.2 Le texte de l'art. 13 CPC ne prévoit aucune limitation en ce sens que le
for du lieu d'exécution ne serait ouvert qu'en cas d'urgence (cf. art. 13 let.
b CPC). A s'en tenir au texte non équivoque de la loi, ce for est alternatif
avec celui de l'action principale. Cela suffit en soi pour exclure tout
arbitraire de la part de l'autorité cantonale, qui n'a pas subordonné à des
restrictions le choix du for du lieu d'exécution.
L'art. 13 CPC correspond certes à l'art. 33 aLFors (Message du 28 juin 2006
relatif au code de procédure civile suisse, FF 2006 6879 ch. 5.2.2 ad art. 12).
Le projet pour cette dernière disposition (art. 34 du projet) prévoyait
qu'avant la litispendance, était compétent pour ordonner des mesures
provisionnelles "un tribunal du lieu dans lequel est donnée la compétence pour
connaître de la demande principale et en plus, en cas d'urgence, un tribunal du
lieu dans lequel la mesure devra être exécutée" (Message du 18 novembre 1998
concernant la loi fédérale sur les fors en matière civile, FF 1999 2647 ad art.
34). Mais le texte du projet a été modifié devant le Conseil des États; la
limitation au cas d'urgence pour le for du lieu d'exécution a été supprimée.
Lors des débats, la rapporteuse Christiane Brunner a fait la déclaration
suivante: "Nous avons donc introduit un for alternatif, et non plus
subsidiaire, au tribunal du lieu dans lequel la mesure doit être exécutée" (BO
1999 CE 895). On ne saurait dès lors soutenir que sous le régime de l'art. 33
aLFors, le for au lieu d'exécution ne s'appliquait manifestement qu'en cas
d'urgence (cf. KELLERHALS/GÜNGERICH, in Gerichtsstandsgesetz, 2001, n° 13 ad
art. 33 LFors; MARCEL DIETRICH, Vorsorgliche Massnahmen nach
Gerichtsstandsgesetz, in Das Gerichtsstandsgesetz, 2001, p. 137 s.).

Enfin, le for du lieu d'exécution de la mesure est impératif (art. 13 CPC), si
bien que les parties ne peuvent pas y déroger (art. 9 al. 2 CPC); il en allait
de même sous le régime de l'ancien droit (art. 2 et 33 aLFors, RO 2000 2080 et
2087). L'arrêt de 1999 cité par la recourante a été rendu avant l'entrée en
vigueur de l'aLFors, et dans une cause à caractère international; il n'est pas
pertinent en l'espèce.

Il s'ensuit que le grief d'application arbitraire de l'art. 13 CPC est infondé.

3.
La recourante se plaint d'une violation de la liberté économique (art. 27
Cst.). Elle semble vouloir déduire de cette garantie que les parties peuvent
librement convenir du for et exclure les fors légaux impératifs. Il n'y a pas à
examiner cette question plus avant. Il suffit de relever que la loi peut
restreindre les droits fondamentaux (art. 36 Cst.) et que la recourante ne
démontre pas en quoi l'art. 9 CPC ne serait pas une base légale suffisante pour
imposer un for à des acteurs économiques. Au demeurant, l'art. 9 CPC, en tant
que disposition d'une loi fédérale, s'impose au juge qui ne saurait refuser de
l'appliquer pour cause d'inconstitutionnalité (art. 190 Cst.).

4.
La recourante, enfin, se plaint d'une violation de son droit d'être jugé par un
tribunal établi par la loi, compétent, indépendant et impartial (art. 30 al. 1
Cst.). La compétence du Juge de paix d'Aigle découle de la loi, à savoir de
l'art. 13 CPC; pour le surplus, la recourante ne soulève aucune critique au
sujet de cette autorité.

5.
Le recours, pour autant que recevable, ne peut qu'être rejeté. En conséquence,
la recourante supportera les frais de la procédure et versera des dépens aux
intimés (art. 66 et 68 LTF). Il n'est pas alloué de dépens à la caution qui n'a
pas déposé de réponse.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

3.
La recourante versera aux intimés A.________ et B.________, créanciers
solidaires, une indemnité de 3'500 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et au Juge délégué
de la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 3 août 2012

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

La Présidente: Klett

La Greffière: Monti