Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.139/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_139/2012

Arrêt du 8 juin 2012
Ire Cour de droit civil

Composition
Mmes et MM. les Juges Klett, Présidente, Corboz, Rottenberg Liatowitsch, Kolly
et Kiss.
Greffier: M. Piaget.

Participants à la procédure
1. X.________ SA,
2. Y.________ SA,
toutes les 2 représentées par Me Lucien Tissot,
recourantes,

contre

Z.________ SA, représentée par
Me David Lambert,
intimée.

Objet
designs, nullité de l'enregistrement,

recours contre le jugement de la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de
Neuchâtel du 9 février 2012.

Faits:

A.
X.________ SA et Y.________ SA (ci-après: les demanderesses) sont des sociétés
soeurs. Le but de la première est la fabrication et la commercialisation des
montres haut de gamme X.________ alors que le but de la seconde est
l'acquisition et l'administration de droits de propriété intellectuelle.
Les demanderesses ont réalisé des inventions dans le domaine du tourbillon.
Certains de leurs mouvements intégrant ce dispositif mécanique sont logés dans
un boîtier qui présente une protubérance de forme arrondie venant casser le
cercle de la boîte. Le design de ce boîtier a fait l'objet d'un dépôt, par les
demanderesses, auprès de l'Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle le
25 janvier 2005; il y a été enregistré le 8 mars 2005, puis a été publié le 31
mars 2005 (design suisse no 1).
A la fin de l'année 2008, les demanderesses ont constaté que la société
Z.________ SA (ci-après: la défenderesse) lançait un modèle de montre
présentant une boîte munie d'une protubérance.

B.
Devant la Cour civile du Tribunal cantonal neuchâtelois, les demanderesses, se
fondant sur leur design, ont notamment conclu à ce qu'il soit ordonné à la
défenderesse de cesser de mettre dans le commerce une montre dont le boîtier
présente une protubérance (conclusion no 1), de fournir le nom des fabricants
de la boîte litigieuse (no 2), ainsi que tous les documents utiles permettant
de déterminer le chiffre d'affaires réalisé par la défenderesse (no 3), à la
condamnation de celle-ci à restituer le gain brut réalisé (no 4) et à ce que la
confiscation et la destruction du stock de montres en sa possession soient
ordonnées (no 5).
La défenderesse, dans sa réponse et demande reconventionnelle, a notamment
conclu au rejet de la demande et à ce que soit déclaré nul le design suisse no
1. Elle est d'avis que son boîtier laisse une impression générale différente de
celle du design des demanderesses. Elle relève également que celui-ci n'est ni
nouveau ni original et, invoquant une tierce antériorité, elle fait valoir le
principe de la priorité du dépôt; selon elle, le design suisse no 2 de
A.________ SA, déposé le 23 novembre 2004 (et enregistré le 8 février 2005,
puis publié le 28 février 2005), est prioritaire sur celui des demanderesses,
de sorte que celles-ci ne peuvent se prévaloir d'aucun droit.
Lors de l'audience d'instruction du 15 juin 2011, il a été convenu de juger de
manière séparée les conclusions nos 1 et 2 de la demande ainsi que la
conclusion de la défenderesse visant la nullité du design suisse no 1.
Par jugement sur moyen séparé du 9 février 2012, la Cour civile du Tribunal
cantonal neuchâtelois a rejeté les conclusions nos 1 et 2 de la demande
principale et, donnant suite à la demande reconventionnelle, constaté la
nullité du design suisse no 1. En substance, elle a admis que la nullité de
l'enregistrement, invoquée par voie d'exception, pouvait être fondée sur l'art.
6 LDes. Elle a expliqué que la priorité d'un dépôt antérieur valait aussi bien
pour des designs identiques que pour des designs similaires qui créent la même
impression d'ensemble. Elle a alors observé que le design déposé par les
demanderesses présentait les mêmes caractéristiques que le design déposé
antérieurement par A.________ SA et conclu qu'en raison de cette (tierce)
antériorité l'enregistrement des demanderesses était nul.

C.
Les demanderesses exercent un recours en matière civile au Tribunal fédéral
contre le jugement cantonal du 9 février 2012. Sollicitant l'octroi de l'effet
suspensif à leur recours, elles concluent à l'annulation du jugement entrepris
et au renvoi de la cause à la cour précédente. Les recourantes reprochent à
celle-ci d'avoir fait une interprétation erronée de l'art. 6 LDes, accordant à
cette disposition une portée trop large.
L'intimée conclut au rejet du recours.
L'effet suspensif sollicité par les recourantes a été accordé par ordonnance
présidentielle du 4 avril 2012.

Considérant en droit:

1.
1.1 Le Tribunal fédéral examine librement et d'office la recevabilité des
recours qui lui sont soumis (ATF 137 III 261 consid. 1 p. 262, 417 consid. 1).

1.2 Le recours en matière civile étant un recours en réforme (cf. art. 107 al.
2 LTF), la partie recourante doit en principe prendre des conclusions sur le
fond et non se borner à conclure à l'annulation de l'arrêt attaqué; elle ne
peut s'abstenir de conclusions sur le fond que si le Tribunal fédéral, dans
l'hypothèse où il admettrait le recours, ne serait pas en mesure de statuer
lui-même sur le fond (ATF 134 III 379 consid. 1.3 p. 383; 133 III 489 consid.
3.1 p. 489 s.; récemment: arrêt 4A_490/2011 du 10 janvier 2012 consid. 1.1). En
l'espèce, la Cour de céans, si elle suivait l'argumentation des recourantes, ne
pourrait statuer sur la demande (pour les conclusions, cf. supra let. B) et on
ne saurait reprocher à celles-ci de s'être abstenues de conclusions sur le
fond.

1.3 Le Code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC; RS 272) est entré en
vigueur le 1er janvier 2011 (RO 2010 p. 1835). Selon la disposition transitoire
figurant à l'art. 405 al. 1 CPC, les recours sont régis par le droit en vigueur
au moment de la communication de la décision aux parties.
En l'espèce, la cour cantonale devait trancher un litige portant sur la nullité
d'un droit de propriété intellectuelle. Elle pouvait valablement prendre sa
décision en instance cantonale unique (art. 5 al. 1 let. a CPC); l'exigence
selon laquelle l'autorité précédant immédiatement le Tribunal fédéral doit
statuer sur recours ne s'applique donc pas (art. 75 al. 2 let. a LTF). Il en
résulte également que le recours est recevable sans qu'il y ait lieu de se
demander si la valeur litigieuse exigée par l'art. 74 al. 1 LTF est atteinte
(art. 74 al. 2 let. b LTF).

1.4 La décision attaquée constate la nullité du droit au design qui fonde la
demande. Le jugement de l'autorité précédente met un terme à l'ensemble de la
procédure et, bien qu'intervenant sur moyen séparé, il représente une décision
finale au sens de l'art. 90 LTF.
Pour le reste, interjeté par les parties qui ont succombé dans leurs
conclusions visant notamment à ce que la validité de l'enregistrement de leur
design suisse soit constatée (art. 76 al. 1 LTF) et dirigé contre un jugement
rendu en matière civile (art. 72 al. 1 LTF), le recours est en principe
recevable, puisqu'il a été déposé dans le délai (art. 45 al. 1 et 100 al. 1
LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi.

1.5 Le recours en matière civile peut être interjeté pour violation du droit
fédéral (art. 95 let. a LTF), y compris le droit constitutionnel (ATF 136 I 241
consid. 2.1 p. 247; 136 II 304 consid. 2.4 p. 313).
Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est
pas limité par les arguments soulevés dans le recours ni par la motivation
retenue par l'autorité précédente; il peut donc admettre un recours pour
d'autres motifs que ceux qui ont été articulés, ou à l'inverse, rejeter un
recours en adoptant une argumentation différente de celle de l'autorité
précédente (ATF 137 II 313 consid. 1.4 p. 317 s.; 135 III 397 consid. 1.4 et
l'arrêt cité). Compte tenu de l'exigence de motivation contenue à l'art. 42 al.
1 et 2 LTF, sous peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF), le
Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués; il n'est pas
tenu de traiter, comme le ferait une autorité de première instance, toutes les
questions juridiques qui se posent, lorsque celles-ci ne sont plus discutées
devant lui (ATF 137 III 580 consid. 1.3 p. 584; 135 II 384 consid. 2.2.1 p.
389; 135 III 397 consid. 1.4).
Par exception à la règle selon laquelle il applique le droit d'office, il ne
peut entrer en matière sur la violation d'un droit constitutionnel ou sur une
question relevant du droit cantonal ou intercantonal que si le grief a été
invoqué et motivé de manière précise par la partie recourante (art. 106 al. 2
LTF; ATF 135 III 397 consid. 1.4 in fine).

1.6 Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des
faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en
écarter que si les constatations factuelles de l'autorité cantonale ont été
établies de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle
d'arbitraire telle que l'entend l'art. 9 Cst. (ATF 137 I 58 consid. 4.1.2 p.
62; 137 II 353 consid. 5.1 p. 356) - ou en violation du droit au sens de l'art.
95 LTF (art. 105 al. 2 LTF).
La partie recourante qui entend s'écarter des constatations de l'autorité
précédente doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions
d'une exception prévue par l'art. 105 al. 2 LTF seraient réalisées, faute de
quoi il n'est pas possible de tenir compte d'un état de fait qui diverge de
celui contenu dans la décision attaquée (ATF 137 II 353 consid. 5.1 p. 356; 136
I 184 consid. 1.2 p. 187). Une rectification de l'état de fait ne peut être
demandée que si elle est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97
al. 1 LTF). Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins
de résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF).

1.7 Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties (art.
107 al. 1 LTF). Toute conclusion nouvelle est irrecevable (art. 99 al. 2 LTF).

2.
2.1 Aux termes de l'art. 9 al. 1 LDes, le droit à un design confère à son
titulaire le droit d'interdire aux tiers l'utilisation du design à des fins
industrielles. Par utilisation, on entend notamment la fabrication,
l'entreposage, l'offre, la mise en circulation, l'importation, l'exportation,
le transit et la possession à ces fins. Le droit prend naissance avec
l'enregistrement du design dans le registre suisse (art. 5 al. 1 LDes), ou, si
la Suisse est désignée, avec un enregistrement international effectué selon
l'Arrangement de La Haye (art. 29 LDes).
Outre l'enregistrement, la protection légale suppose que le design soit nouveau
et original (art. 2 al. 1 LDes). Dès le dépôt de la demande d'enregistrement,
le design est présumé nouveau et original (art. 21 LDes).

2.2 Sur la base de l'art. 33 LDes, celui qui y a un intérêt juridique peut agir
en justice afin de faire constater qu'un design enregistré ne bénéficie pas de
la protection légale. Ainsi, l'action peut être menée non seulement par le
titulaire d'un design antérieur, mais par toute personne qui, en raison du
design enregistré, pourrait être entravée dans sa liberté économique (cf. PETER
HEINRICH, DesG/HMA Kommentar, 2002, no 33.79 ad art. 33 LDes).
Le demandeur peut notamment faire valoir, le cas échéant, que ce design n'est
pas nouveau ou pas original; il lui incombe de prouver le défaut de nouveauté
ou d'originalité. Il peut notamment présenter des objets au design identique et
prouver que ces objets étaient commercialisés en Suisse déjà avant le dépôt de
la demande d'enregistrement (ATF 134 III 205 consid. 3 p. 208 et les
références).
En l'occurrence, les recourantes intentent une action contre l'intimée dans le
but qu'elle cesse son activité économique portant sur des montres dont le
boîtier présente une protubérance. Il est ainsi patent que l'intimée dispose
d'un intérêt juridique à faire déclarer nul le design des demanderesses, ce qui
n'est d'ailleurs pas contesté.
Il est de jurisprudence que l'action en nullité de l'enregistrement peut aussi
être exercée par voie d'exception contre une action fondée sur le design
litigieux et tendant à l'interdiction prévue par l'art. 9 al. 1 LDes (ATF 134
III 205 consid. 3 p. 208; 129 III 545 consid. 1 p. 548).
En l'espèce, l'intimée a invoqué la nullité de l'enregistrement et la cour
cantonale lui a donné raison. Les recourantes reprochent à cette dernière
d'avoir retenu à tort la nullité de leur design (no 1).

2.3 Lorsqu'un design entre en collision avec un design déposé antérieurement,
celui-ci a le plus souvent déjà été enregistré dans le registre suisse. Le
design antérieur est alors considéré comme divulgué au public (cf. art. 2 al. 2
et 3 LDes; HEINRICH, op. cit., no 2.14 ad art. 2 LDes, qui, no 2.08 ad art. 2
LDes, souligne à juste titre que le critère de la divulgation s'applique aussi
bien à l'al. 2 qu'à l'al. 3 de l'art. 2 LDes; STUTZ/BEUTLER/KÜNZI, Designgesetz
- Handkommentar, 2006, no 77 ss ad art. 2 LDes); le design postérieur, qui ne
remplit alors pas les conditions fixées à l'art. 2 LDes au moment de son dépôt,
est exclu de la protection (cf. art. 4 let. b LDes).
La situation d'espèce est toutefois différente. Sa particularité tient au fait
que le design no 1 (dont les recourantes sont titulaires) a été déposé alors
même que le design no 2 (tierce antériorité invoquée par l'intimée), déposé
antérieurement, n'avait pas encore été enregistré. Cette situation particulière
implique nécessairement de réfléchir sur l'application de l'art. 6 LDes (cf.
infra).
Les recourantes considèrent que l'art. 4 LDes énumère les motifs d'exclusion de
la protection de manière exhaustive. Elles sont d'avis qu'un design uniquement
déposé mais pas encore enregistré ne peut pas être connu du public (cf. art. 2
LDes) et que, sur la base de l'art. 4 let. b LDes, il ne peut donc pas
entraîner la nullité d'un design déposé postérieurement dans l'ignorance du
premier dépôt. Les recourantes soutiennent que l'art. 6 LDes doit être compris
dans ce cadre. Selon elles, l'antériorité du droit découlant du premier dépôt
ne peut ruiner la nouveauté (ou l'originalité) du second dépôt que si elle a pu
être connue des milieux spécialisés du secteur concerné en Suisse ou si elle a
été divulguée au public avant la date de dépôt du second design. Autrement dit,
l'enregistrement du premier design déposé n'ayant pas encore eu lieu, il ne
peut être compris dans l'"état du design" et ce premier design n'est pas
susceptible, de l'avis des recourantes, de causer la nullité du design déposé
postérieurement.

2.4 On ne saurait suivre les recourantes lorsqu'elles tentent de se prévaloir
du caractère exhaustif de l'art. 4 LDes pour donner à l'art. 6 LDes une portée
s'inscrivant restrictivement dans le cadre de l'art. 4 let. b LDes. Cela
reviendrait à ignorer le contenu de l'art. 6 LDes, disposition pourtant située
au même niveau normatif que l'art. 4 LDes (cf. HEINRICH, op. cit., no 4.02 ad
art. 4 LDes; SASKIA ESCHMANN, Rechtsschutz von Modedesign, thèse Zurich 2005,
p. 106 note de pied 506).
Selon l'art. 6 LDes, le droit sur un design appartient à la personne qui a
effectué le dépôt en premier. Le principe de la priorité du dépôt est ainsi
clairement exprimé (cf. MICHAEL A. MEER, Das neue Designgesetz - ein Überblick,
PJA 8/2002 p. 938). Le droit appartenant au premier déposant, il en résulte
logiquement que le deuxième déposant ne peut s'en prévaloir. Pour celui-ci, la
protection du design est d'emblée exclue; on peut donc en déduire que l'art. 6
LDes crée un motif de nullité (MARKUS WANG, Designrecht, SIWR VI, 2007, p. 140;
HEINRICH, op. cit., no 6.07 ad art. 6 LDes; STUTZ/BEUTLER/KÜNZI, op. cit., no
14 ad art. 6 LDes; KAMEN TROLLER, Précis du droit suisse des biens immatériels,
2e éd. 2006, p. 271, observe qu'à l'art. 4 LDes la nullité du dépôt a également
été déduite du texte de la loi, celle-ci se limitant à énumérer des motifs
d'exclusion; cf. également l'ordonnance de la Cour de justice de Genève du 28
juillet 1995, publiée in SMI 1996 p. 378, qui parle d'un deuxième dépôt "dénué
de valeur").
Ce motif de nullité est indépendant de l'art. 2 LDes et la divulgation (en
l'occurrence l'enregistrement, cf. supra consid. 2.3) du design antérieur ne
joue donc aucun rôle dans l'application de l'art. 6 LDes. On observe que cette
dernière règle prend toute son importance dans l'hypothèse d'un dépôt suisse
effectué avant la divulgation d'un design antérieur, mais après le dépôt de
celui-ci, le premier déposant ne pouvant, dans cette hypothèse, pas invoquer
l'art. 4 let. b LDes (cf. infra consid. 2.3; WANG, op. cit., p. 141).
Certes, le message du Conseil fédéral relatif à l'Acte de Genève de
l'Arrangement de La Haye concernant l'enregistrement international des dessins
et modèles industriels et à la loi fédérale sur la protection des designs du 16
février 2000 indique, dans le commentaire relatif à l'art. 4 LDes, que la "P/
LDes énumère de façon exhaustive les motifs d'exclusion" (FF 2000 ch. 2.2.1.1
p. 2599; cf. également ATF 130 III 636 consid. 2.1.2 p. 640). Cela signifie
simplement que le juge ne peut se fonder sur d'autres motifs d'exclusion que
ceux expressément prévus par la loi. Le caractère exhaustif de ces motifs ne
saurait par contre se rapporter à la seule énumération de l'art. 4 LDes, le
législateur ayant lui-même prévu, à l'art. 6 LDes, un motif d'exclusion
supplémentaire par rapport à ceux inscrits à l'art. 4 LDes.
Le simple fait que l'art. 4 LDes, qui contient les "motifs d'exclusion" de la
protection (cf. note marginale), n'a pas fait l'objet d'une adaptation formelle
au cours du processus législatif, pour y englober expressément le motif inscrit
à l'art. 6 LDes (cf. HEINRICH, op. cit., no 6.07 ad art. 6 LDes), ne permet pas
d'adhérer à la thèse défendue par les recourantes. Il s'agit là d'une simple
question rédactionnelle; la volonté du législateur d'inscrire dans la loi un
motif de nullité supplémentaire n'en demeure pas moins reconnaissable à la
lecture de l'art. 6 LDes (STUTZ/BEUTLER/KÜNZI, op. cit., no 14 ad art. 6 LDes
et les références).

2.5 Les recourantes ajoutent qu'elles ne pourraient admettre que la divulgation
du design antérieur ne joue aucun rôle dans l'application de l'art. 6 LDes que
si la LDes prévoyait une dérogation expresse aux al. 2 et 3 de son art. 2.
Elles en veulent pour preuve que le législateur, en matière de droit des
brevets, a expressément indiqué qu'en ce qui concerne la nouveauté, l'état de
la technique comprend également le contenu d'une demande antérieure, dont la
date de dépôt est antérieure à la date de dépôt de la seconde demande, rendue
accessible au public au plus tôt à la date du dépôt de la seconde demande (cf.
art. 7 al. 3 LBI qui correspond pour l'essentiel à l'art. 7a de l'ancienne LBI
en vigueur au moment de l'adoption de la LDes).
La comparaison ne convainc pas puisqu'elle permet tout au plus de montrer que
le législateur n'a pas utilisé la même technique législative lors de la
rédaction de la LDes. Au cours des travaux préparatoires relatifs à la LDes, le
législateur a en effet sciemment renoncé à reprendre dans cette loi une
réglementation similaire à celle prévue à l'art. 7a aLBI, l'effet juridique
visé (la nullité de l'enregistrement du design déposé postérieurement) pouvant
aisément être déduit du seul texte de l'art. 6 LDes (cf. HEINRICH, op. cit., no
6.07 ad art. 6 LDes).

2.6 On peut encore observer qu'il n'existe aucune controverse doctrinale sur la
portée ainsi définie de l'art. 6 LDes, les auteurs étant unanimes à ce sujet
(WANG, op. cit., p. 140 s.; STUTZ/BEUTLER/KÜNZI, op. cit., no 14 ad art. 6
LDes; ANNETTE OBOLENSKY, Designrecht - Kommentar, Staub/Celli (éd.) 2003, nos
15 et 17 ad art. 6 LDes; ESCHMANN, op. cit., p. 106 note de pied 506; HEINRICH,
op. cit., no 6.07 ad art. 6 LDes est du même avis, même si les explications
qu'il donne, nos 2.33 et 2.14 ad art. 2 LDes, peuvent prêter à confusion).
Plusieurs auteurs soulignent la nécessité d'adopter une telle interprétation en
rappelant que, dans l'hypothèse d'un ajournement de la publication au sens de
l'art. 26 LDes, il peut s'écouler jusqu'à trente mois entre le premier dépôt et
sa publication (entre autres auteurs: HEINRICH, op. cit., no 6.06 ad art. 6
LDes). Dans cette hypothèse, le design est inscrit dans le registre (art. 25
al. 2 let. b ODes), mais cette inscription ne peut être consultée par le public
(art. 26 al. 1 ODes); le design n'est donc pas encore divulgué au sens de
l'art. 2 LDes.
Les recourantes contestent l'argumentation fournie par ces auteurs, estimant
que la particularité de l'ajournement ne justifie pas de retenir une priorité
de droit "automatique", c'est-à-dire indépendante de la divulgation du design
antérieur. Selon elles, il incombe au premier déposant qui demande
l'ajournement de la publication de supporter le risque de ne pas pouvoir faire
constater la nullité (pour défaut de nouveauté/d'originalité sur la base de
l'art. 2 LDes) d'un second dépôt intervenu avant la divulgation du premier
dépôt.
La critique des recourantes ne convainc pas à deux points de vue. Premièrement,
même si la procédure d'enregistrement d'un design est relativement rapide (cf.
ESCHMANN/THOUVENIN, Das revidierte Schweizer Designrecht, sic! 6/2002, p. 468),
il peut quand même se passer - comme cela a été le cas en l'espèce - plusieurs
semaines entre le moment du dépôt et celui de l'inscription dans le registre
(qui vaut divulgation), en dehors de toute demande d'ajournement de la
publication (cf. HEINRICH, op. cit., no 6.06 ad art. 6 LDes). On ne peut donc
parler, comme le font les recourantes, d'un "risque inhérent à l'ajournement"
que le premier déposant "prend sciemment" et qu'il doit alors supporter.
Deuxièmement, même dans l'hypothèse d'une demande d'ajournement, on ne saurait
faire supporter au premier déposant ce "risque inhérent". Cela serait contraire
au système adopté par le législateur dans la LDes. Celui-ci a octroyé au
déposant la possibilité de demander l'ajournement de la publication sans
apporter aucune correction quant à l'effet (ordinaire) du dépôt (cf. art. 6
LDes); il n'était en particulier pas question de lier la demande d'ajournement
à un éventuel report de la date de dépôt (pour un exemple de report
explicitement prévu par le législateur, cf. art. 29 al. 2 LPM; cf. LUCAS DAVID,
Lexikon des Immaterialgüterrechts, SIWR I/3, 2005, p. 17). Dans son message, le
Conseil fédéral l'a d'ailleurs exprimé sans aucune ambiguïté puisqu'il indique,
en parlant de l'ajournement, que les "designs non divulgués [déploient]
néanmoins des effets juridiques" (FF 2000 ch. 2.2.2.3 p. 2609).
On ne saurait d'ailleurs pas non plus faire supporter au déposant ce "risque
inhérent" en tirant argument de la protection de l'utilisateur de bonne foi qui
peut être entravé par l'existence de designs non divulgués. Cela reviendrait à
ignorer que le législateur a tenu compte des intérêts d'un tel utilisateur par
un procédé différent, qui consiste à lui donner le droit de poursuivre son
utilisation dans les conditions fixées à l'art. 12 LDes (cf. HEINRICH, op.
cit., no 26.03 ad art. 26 LDes; TROLLER, op. cit., p. 195; VON BÜREN/MARBACH/
DUCREY, Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht, 3e éd. 2008, n. 536 ss p. 111
s.).

2.7 L'argument fondé sur l'absence d'intérêt public "important", soulevé par
les recourantes, tombe à faux. L'art. 6 LDes a pour fonction d'éviter que le
registre des designs contienne deux droits portant sur un design identique ou
similaire (sur cette dernière notion, cf. infra consid. 3) (cf. STUTZ/BEUTLER/
KÜNZI, op. cit., no 13 ad art. 6 LDes; OBOLENSKY, op. cit., nos 15 et 17 ad
art. 6 LDes). Le législateur a ainsi estimé qu'il était opportun de laisser la
possibilité au premier déposant d'exclure de la protection, et donc du
registre, le second design en procédant devant le juge civil (cf. OBOLENSKY,
op. cit., no 19 ad art. 6 LDes). Il a laissé entendre que l'action du premier
déposant permet alors d'augmenter "la sécurité juridique, puisque la réponse à
la question de savoir qui est le titulaire d'un design doit en principe
ressortir du registre" (FF 2000 ch. 2.2.1.2 p. 2600). Le législateur a
entrepris un choix et l'a concrétisé dans la LDes et la question, contrairement
à ce que pensent les recourantes, n'est plus de savoir si le procédé choisi
correspond à un "intérêt public important".
Quant à la comparaison avec la LBI, elle fournit plutôt des arguments
supplémentaires en défaveur de la thèse des recourantes. En effet, reconnaître
celle-ci reviendrait à admettre des "droits dépendants sur le design", soit des
droits (postérieurs) valablement inscrits dans le registre, mais dont
l'utilisation implique la violation d'un droit antérieur (cf. HEINRICH, op.
cit., no 6.12 ad art. 6 LDes), terminologie qui n'est pas sans rappeler la
notion d'"inventions dépendantes" utilisée en droit des brevets. Or, si le
législateur a mis sur pied une réglementation adéquate pour ce dernier cas de
figure à l'art. 36 LBI, il n'a précisément rien prévu de tel en droit des
designs (cf. HEINRICH, op. cit., no 6.12 ad art. 6 LDes).
S'agissant enfin de l'argument tiré de l'art. 3 al. 3 LBI, il ne convainc pas.
Le simple fait de faire référence à une norme du droit des brevets traitant de
la priorité du dépôt n'apporte encore aucun argument décisif. Pour trancher le
litige d'espèce, il est indispensable d'adopter une réflexion faisant
intervenir, à côté de la question du dépôt, celle du champ de protection
(Schutzumfang) du design (cf. infra consid. 3). A cet égard, il serait
inapproprié de tirer des enseignements de la LBI, les dispositions concernées
figurant dans cette loi se rapportant déjà à un objet de protection (cf. art. 1
LBI) différent de celui visé par les règles contenues dans la LDes (art. 1
LDes) (cf. OBOLENSKY, op. cit., no 7 ad art. 8 LDes).
Le premier grief soulevé par les recourantes se révèle infondé.

3.
3.1 Dans une argumentation subsidiaire, les recourantes soutiennent que le
premier dépôt de A.________ SA ne peut avoir aucun effet sur leur propre dépôt
(postérieur), celui-ci n'étant pas identique ou quasi identique à celui-là. Ils
présupposent que la portée de l'art. 6 LDes doit être limitée aux designs
identiques, à l'exclusion des designs similaires créant la même impression
d'ensemble (ci-après: designs similaires).
Les recourantes s'appuient sur l'avis d'un auteur de doctrine (HEINRICH, op.
cit., no 6.11 ad art. 6 LDes) qui postule que la lettre de la loi ("droit sur
un design") désigne un design et que, partant, l'exclusion ne peut viser qu'un
design postérieur identique.
La position de cet auteur reste toutefois isolée, la doctrine majoritaire
professant que le premier déposant peut, sur la base de son dépôt prioritaire
au sens de l'art. 6 LDes, exclure tout design identique ou similaire, soit tout
design qui tombe dans son champ de protection (WANG, op. cit., p. 142;
OBOLENSKY, op. cit., nos 15 et 17 ad art. 6 LDes; STUTZ/BEUTLER/KÜNZI, op.
cit., no 13 ad art. 6 LDes).

3.2 Le raisonnement adopté par les recourantes, sur la base d'une position
doctrinale isolée, ne convainc pas. Il consiste en réalité à isoler un mot (un
design) de son contexte pour en tirer une conclusion (portée de la priorité du
premier dépôt limitée aux designs identiques) favorable à la thèse émise. Cette
façon de procéder ne trouve aucune justification dans l'"interprétation
littérale" prétendument entreprise par les recourantes.
La recherche du sens littéral d'une règle suppose de confronter les mots
composant un texte avec le sens de l'entier du texte (PAUL-HENRI STEINAUER, Le
Titre préliminaire du Code civil, TDPS II/1, 2009, p. 91 n. 271; cf. ERNST A.
KRAMER, Juristische Methodenlehre, 3e éd. 2010, p. 78 et la référence). Or, il
est patent que, à l'art. 6 LDes, le législateur a simplement voulu indiquer que
le premier déposant dispose d'un droit ("droit sur un design"). La portée de ce
droit ne résulte par contre pas du sens littéral de l'art. 6 LDes; elle doit
être recherchée à l'art. 8 LDes ("Etendue de la protection"), disposition qui
indique que la protection conférée par le "droit sur un design" s'étend aux
designs similaires dégageant la même impression d'ensemble (cf. art. 8 LDes;
ATF 134 III 205 consid. 6 p. 210 ss; 129 III 545 consid. 2 p. 548 ss; ROBERT M.
STUTZ, Individualität, Originalität oder Eigenart? Schutzvoraussetzungen des
Design, thèse Berne 2002, p. 239; NICOLAS MEYER, Der designrechtliche Schutz
von Ersatzteilen, thèse Bâle 2004, p. 162 et les auteurs cités).
Dans ce contexte, la doctrine relève très justement qu'elle n'a identifié aucun
motif qui obligerait à retenir que l'effet de l'exclusion - qui découle du
dépôt du premier design - selon l'art. 6 LDes aurait une portée plus restreinte
que le champ de protection (cf. art. 8 LDes) de ce même design (WANG, op. cit.,
p. 142). Une conclusion contraire aurait d'ailleurs pour effet, non désirable,
d'admettre que le design postérieur similaire est valablement né, alors même
que toute utilisation future qui en serait faite violerait le design antérieur
(cf. déjà supra consid. 2.7).
Quant à la référence faite à l'art. 3 al. 3 LBI, elle appelle la même
observation que celle émise en rapport avec le premier moyen soulevé par les
recourantes (cf. supra consid. 2.7).
Enfin, c'est à tort que les recourantes soutiennent encore que la défense des
droits du titulaire, souci du législateur lors de l'adoption de la LDes, ne
nécessite pas une protection plus large. Le titulaire d'un design antérieur
déposé mais pas encore divulgué au moment du dépôt d'un second design similaire
ne peut pas invoquer la nullité de celui-ci en se fondant sur l'art. 2 LDes
(cf. supra consid. 2.4). Ce titulaire a donc bel et bien besoin de pouvoir
invoquer l'art. 6 LDes, qui s'applique également aux designs similaires.
Ainsi, la nullité de l'enregistrement fondée sur l'art. 6 LDes vise aussi bien
les designs identiques que les designs similaires dégageant la même impression
d'ensemble (cf. art. 8 LDes).
Le moyen subsidiaire se révèle également infondé.

4.
Il résulte des considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté.
Les frais judiciaires et les dépens sont mis solidairement à la charge des
recourantes qui succombent (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 et 2 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 5'000 fr., sont mis solidairement à la charge
des recourantes.

3.
Les recourantes verseront solidairement à l'intimée une indemnité de 6'000 fr.
à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour civile du Tribunal
cantonal du canton de Neuchâtel.

Lausanne, le 8 juin 2012

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

La Présidente: Klett

Le Greffier: Piaget