Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.128/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_128/2012

Arrêt du 7 août 2012
Ire Cour de droit civil

Composition
Mmes et MM. les Juges fédéraux Klett, présidente, Corboz, Rottenberg
Liatowitsch, Kolly et Kiss.
Greffier: M. Ramelet.

Participants à la procédure
1. V.________,
2. W.________ Sàrl,
tous deux représentés par Me Johnny Dousse,
recourants,

contre

1. X.________ Inc.,
2. Y.________ SA,
toutes deux représentées par Mes Thomas Legler et Michèle Burnier,
intimées.

Objet
droit des marques, marque de haute renommée,

recours contre le jugement de la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de
Neuchâtel du 31 janvier 2011.

Faits:

A.
X.________ Inc. (ci-après: X.________), société de droit américain ayant son
siège à New York (Etats-Unis d'Amérique), est titulaire de la marque verbale
suisse "Vogue" enregistrée le 19 mars 1921 et de la marque verbale suisse
"Vogue Patterns" enregistrée le 27 juillet 2009; ces deux marques sont
inscrites pour la classe n° 16 - selon l'Arrangement de Nice concernant la
classification internationale des produits et des services aux fins de
l'enregistrement des marques révisé à Stockholm le 14 juillet 1967 (RS
0.232.112.8) -, qui comprend en particulier les produits sur papier (produits
de l'imprimerie).

La société "Y.________ SA" (ci-après: Y.________) est une filiale de X.________
qui a son siège à Paris (France). Cette société est titulaire de
l'enregistrement international "Vogue" pour les produits de la classe n° 16
ainsi que des enregistrements internationaux "Vogue", "Vogue Europe" et "Vogue
Hommes" pour les produits de la classe n° 14, qui comprend les produits de la
joaillerie, de la bijouterie et de l'horlogerie. La société Y.________ publie
les éditions françaises des magazines Vogue, Vogue Hommes International, Vogue
Collections et Glamour.

V.________, domicilié au Locle (NE), est titulaire de la marque suisse "Vogue
My Style" enregistrée le 10 septembre 2007 pour les produits de la classe n° 3
et de la classe n° 14, ainsi que de la marque libanaise "Vogue" immatriculée le
23 mai 2007.

X.________ s'est opposée à l'enregistrement de la marque "Vogue My Style"
auprès de l'Institut fédéral de la propriété intellectuelle; la procédure est
actuellement suspendue.

W.________ Sàrl, qui a son siège au Locle, produit notamment des montres de la
marque "Vogue My Style".

Le 18 juillet 2008, un représentant de X.________ s'est adressé à V.________,
représentant de W.________ Sàrl, en se plaignant de ce que le logotype utilisé
pour les montres produites par celle-ci contrevenait à la protection dont
jouissait X.________ pour ses marques.

Lors du salon Baselworld du printemps 2009, la société Y.________ a demandé au
Panel de la foire de faire retirer immédiatement du stand exploité par
W.________ Sàrl les montres portant le label "Vogue" et "Vogue My Style", ce
qui a été ordonné.

Alors qu'une action en justice avait été introduite, V.________ et W.________
Sàrl ont présenté, lors de Baselworld 2011, une gamme de montres portant la
marque "Vogue My Style", étant relevé que les mots "My Style" figuraient en
caractères petits, voire minuscules.

B.
Par demande du 4 novembre 2009, X.________ et la société Y.________ ont ouvert
action devant la Cour civile du Tribunal cantonal neuchâtelois contre
V.________ et W.________ Sàrl, concluant à la nullité de la marque suisse
"Vogue My Style", à la destruction de tous les produits en possession des
défendeurs portant le signe "Vogue" ou "Vogue My Style", à ce qu'il soit fait
interdiction aux défendeurs, sous menace des peines de l'art. 292 CP,
d'utiliser les marques "Vogue" et "Vogue My Style", de fabriquer, faire
fabriquer, importer, exporter, commercialiser ou mettre en circulation d'une
quelconque manière des produits portant ces deux dénominations. Les
demanderesses ont soutenu que la marque "Vogue" était de haute renommée et que
les défendeurs tentaient de profiter du renom d'autrui d'une façon parasitaire.

Les défendeurs se sont opposés à la demande et ont conclu reconventionnellement
à ce que la cour prononce la nullité pour la Suisse, en ce qui concerne la
classe n° 14, des marques internationales "Vogue", "Vogue Europe" et "Vogue
Hommes" pour le motif qu'elles ne sont pas utilisées pour cette classe de
produits.

Statuant en instance cantonale unique par arrêt du 31 janvier 2011, la Cour
civile du Tribunal cantonal neuchâtelois a constaté que l'utilisation par les
défendeurs de la marque suisse "Vogue My Style" est illicite sous sa forme
actuelle; elle a fait ainsi interdiction aux défendeurs d'utiliser à des fins
commerciales, de quelque manière que ce soit, le signe "Vogue", seul ou en
combinaison, et le signe "Vogue My Style", sous une forme créant un risque de
confusion avec la marque "Vogue", cela sous menace des peines prévues par
l'art. 292 CP.

En substance, se référant à une enquête démoscopique effectuée par un institut
de sondage allemand à la requête des demanderesses, la cour cantonale a admis
que la marque "Vogue" était une marque de haute renommée. Elle a cependant
considéré que les produits (un magazine d'une part et une montre d'autre part)
étaient trop dissemblables pour que les demanderesses puissent fonder leurs
prétentions sur le droit à la marque. En revanche, la cour cantonale a admis un
usage parasitaire contrevenant à la loi fédérale du 19 décembre 1986 contre la
concurrence déloyale (LCD, RS 241). Quant à la demande reconventionnelle, elle
a été rejetée pour le motif qu'aucun moyen de preuve n'avait été proposé pour
rendre vraisemblable l'absence d'utilisation des marques litigieuses pour des
produits de la classe n° 14.

C.
V.________ et W.________ Sàrl exercent par un acte unique un recours en matière
civile au Tribunal fédéral. Soutenant que les faits ont été établis de manière
inexacte et que le droit fédéral a été violé aussi bien dans l'admission de la
demande principale que dans le rejet de la demande reconventionnelle, les
recourants concluent à l'annulation de l'arrêt attaqué et au rejet de la
demande, ainsi que, sur la reconvention, au prononcé de la nullité pour la
Suisse en ce qui concerne la classe n° 14 des marques internationales "Vogue",
"Vogue Europe" et "Vogue Hommes"; subsidiairement, ils requièrent le renvoi de
la cause devant l'autorité précédente.

La requête d'effet suspensif présentée par les recourants a été rejetée par
ordonnance présidentielle du 29 mars 2012.

Les intimées proposent le rejet du recours.

Considérant en droit:

1.
1.1 Dans l'arrêt attaqué, la cour cantonale a appliqué les dispositions civiles
de la loi fédérale du 28 août 1992 sur la protection des marques et des
indications de provenance (LPM; RS 232.11) et de la LCD. La décision a donc été
rendue en matière civile au sens de l'art. 72 al. 1 LTF.

L'arrêt querellé a été communiqué aux parties après l'entrée en vigueur, le 1er
janvier 2011, du CPC (RS 272), de sorte que les voies de recours sont régies
par le nouveau droit (art. 405 al. 1 CPC). Or, l'art. 5 al. 1 CPC prévoit que
le droit cantonal institue une juridiction statuant en instance cantonale
unique sur les litiges portant sur des droits de propriété intellectuelle (art.
5 al. 1 let. a CPC), ainsi que sur les litiges relevant de la concurrence
déloyale lorsque la valeur litigieuse - comme c'est manifestement le cas en
l'espèce - dépasse 30'000 fr. (art. 5 al. 1 let. d CPC). La situation n'était
pas différente sous l'empire de l'ancien droit en vertu de l'ancien art. 58 al.
3 LPM et de l'ancien art. 12 al. 2 LCD pour le cas où la loi contre la
concurrence déloyale était en connexité avec la loi sur les marques (cf. ATF
125 III 95). Le recours au Tribunal fédéral est donc ouvert en application de
l'art. 75 al. 2 let. a LTF, quand bien même l'autorité précédente n'a pas
statué sur recours.

Il en résulte que le recours au Tribunal fédéral n'est lui-même pas soumis à
l'exigence d'une valeur litigieuse (art. 74 al. 2 let. b LTF).

Interjeté par les parties qui ont succombé dans leurs conclusions libératoires
et leurs conclusions reconventionnelles et qui ont donc qualité pour recourir
(art. 76 al. 1 LTF), dirigé contre un jugement final (art. 90 LTF), le recours
est en principe recevable, puisqu'il a été déposé dans le délai (art. 100 al. 1
LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi.

1.2 Le recours peut être formé pour violation du droit, tel qu'il est délimité
par les art. 95 et 96 LTF.
Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est
pas limité par les arguments soulevés dans le recours ni par la motivation
retenue par l'autorité précédente; il peut donc admettre un recours pour
d'autres motifs que ceux qui ont été articulés, ou à l'inverse, rejeter un
recours en adoptant une argumentation différente de celle de l'autorité
précédente (ATF 137 II 313 consid. 1.4 p. 317 s.; 135 III 397 consid. 1.4 et
l'arrêt cité). Compte tenu de l'exigence de motivation contenue à l'art. 42 al.
1 et 2 LTF, sous peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF), le
Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués; il n'est pas
tenu de traiter, comme le ferait une autorité de première instance, toutes les
questions juridiques qui se posent, lorsque celles-ci ne sont plus discutées
devant lui (ATF 137 III 580 consid. 1.3 p. 584). Par exception à la règle selon
laquelle il applique le droit d'office, le Tribunal fédéral ne peut entrer en
matière sur la violation d'un droit constitutionnel ou sur une question
relevant du droit cantonal ou intercantonal que si le grief a été invoqué et
motivé de manière précise par la partie recourante (art. 106 al. 2 LTF; ATF 135
III 397 consid. 1.4 in fine).

1.3 Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des
faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en
écarter que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte -
notion qui correspond à celle d'arbitraire telle que l'entend l'art. 9 Cst. (
ATF 137 I 58 consid. 4.1.2 p. 62; 137 II 353 consid. 5.1 p. 356) - ou en
violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF).

La partie recourante qui veut s'écarter des constatations de l'autorité
précédente doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions
d'une exception prévue par l'art. 105 al. 2 LTF seraient réalisées, faute de
quoi il n'est pas possible de tenir compte d'un état de fait qui diverge de
celui contenu dans la décision attaquée (cf. ATF 137 II 353 consid. 5.1 p. 356;
136 I 184 consid. 1.2 p. 187). Si la partie recourante se plaint d'une
constatation manifestement inexacte des faits (art. 97 al. 1 LTF), ce qui
revient à se plaindre d'une forme d'arbitraire, elle doit motiver son grief
conformément aux exigences strictes de l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 137 I 58
consid. 4.1.2 p. 62). Une rectification de l'état de fait ne peut être demandée
que si elle est de nature à influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1
LTF). Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de
résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF).

1.4 Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties (art.
107 al. 1 LTF). Toute conclusion nouvelle est irrecevable (art. 99 al. 2 LTF).

2.
Les deux intimées au présent litige ont à l'étranger leur siège, lequel vaut
domicile pour les sociétés. Le siège de X.________ est à New York, alors que
celui de Y.________ est à Paris.

La cause revêt manifestement un caractère international, si bien que la
question du droit applicable doit être examinée d'office (ATF 137 III 481
consid. 2.1; 136 III 142 consid. 3.2 p. 144 et les arrêts cités). La question
doit être tranchée selon le droit international privé du for, soit en
l'occurrence la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international
privé (LDIP, RS 291; ATF 137 III 481 consid. 2.1).

Au vu des conclusions qui ont été prises dans la procédure, il n'est pas
douteux que le droit suisse est applicable en ce qui concerne la concurrence
déloyale en vertu de l'art. 136 al. 1 LDIP, norme qui instaure le principe de
l'effet sur le marché ou du marché affecté (ATF 136 III 23 consid. 6.1 p. 29),
dès l'instant où c'est sur le marché suisse que s'est déployée l'activité
illicite prétendue. Le droit suisse est également applicable s'agissant du
droit des marques, puisque la protection de la propriété intellectuelle a été
revendiquée pour la Suisse (art. 110 al. 1 LDIP).

3.
Les recourants se plaignent d'une constatation manifestement inexacte des faits
(art. 97 al. 1 LTF).

Comme on l'a vu (consid. 1.3 ci-dessus), les recourants visent sous cet angle
une forme d'arbitraire (art. 9 Cst.), de sorte qu'ils devaient motiver leur
grief conformément aux exigences strictes de l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 137 I 58
consid. 4.1.2 p. 62). Il leur appartenait donc de montrer par une argumentation
précise, en se référant si possible aux pièces du dossier, que les
constatations cantonales étaient en contradiction manifeste avec le résultat
univoque de l'administration des preuves (p. ex. BERNARD CORBOZ, in Commentaire
LTF, n° 19 in fine ad art. 97 LTF, p. 942).
La critique des recourants ne répond pas à ces exigences. Ils mettent en avant
de nombreux faits qui ne se trouvent pas dans la décision attaquée, sans se
référer à aucune pièce du dossier ni préciser d'où ils les tirent. Il n'est
donc pas possible, sur la base d'une telle argumentation, de constater que la
cour cantonale aurait apprécié arbitrairement les preuves apportées (sur cette
notion: cf. ATF 136 III 552 consid. 4.2 p. 560; 129 I 8 consid. 2.1 p. 9) et
qu'elle aurait dressé un état de fait insoutenable. Il n'y a en conséquence pas
lieu d'entrer en matière.

Par leur argumentation, les recourants voudraient surtout démontrer qu'ils
n'avaient pas, d'un point de vue subjectif, l'intention réelle de se comporter
de mauvaise foi. Cependant, l'acte de concurrence déloyale ne suppose ni
mauvaise foi ni faute de son auteur; une violation objective des règles de la
bonne foi suffit (ATF 116 II 365 consid. 3b p. 369; arrêt 4C.347/1998 du 4
février 1999 consid. 3b). Les recourants voudraient donc rectifier l'état de
fait sur un point - leur intention - qui ne peut influer sur le sort de la
cause, ce que l'art. 97 al. 1 LTF exclut expressément.

Sous le couvert de ce grief, les recourants se plaignent aussi de ce que la
cour cantonale se serait contentée d'une haute vraisemblance. Bien qu'ils ne
formulent pas correctement la critique d'un point de vue juridique, on peut
admettre qu'ils se plaignent ainsi d'une violation de l'art. 8 CC, dont on
déduit l'exigence d'une preuve, laquelle doit être distinguée d'une simple
vraisemblance (ATF 128 III 180 consid. 2d p. 184). En parlant d'une haute
vraisemblance au sujet d'un fait relevant du for intérieur et qui ne peut pas
être strictement prouvé - l'intention dolosive -, la cour cantonale s'est
manifestement référée à la notion de vraisemblance prépondérante qui exclut
tout doute sérieux et emporte la conviction (sur cette notion: cf. ATF 132 III
715 consid. 3.1 p. 720). Il n'apparaît nullement que la cour cantonale ait
méconnu l'exigence d'une preuve.

Le premier grief est donc sans consistance.

4.
La cour cantonale, tout en admettant que la marque "Vogue" était de haute
renommée (art. 15 al. 1 LPM), a considéré que les intimées ne pouvaient pas,
sur la base de leur droit exclusif de faire usage de la marque (art. 13 al. 1
LPM), faire prononcer la nullité de la marque des recourants, en raison de la
nature trop différente des produits.

4.1 Il faut tout d'abord vérifier si la cour cantonale a admis à bon droit que
la marque « Vogue » constitue une marque de haute renommée au sens de l'art. 15
al. 1 LPM.
4.1.1 Selon l'art. 15 LPM, le titulaire d'une marque de haute renommée peut
interdire à des tiers l'usage de cette marque pour tous les produits ou les
services pour autant qu'un tel usage menace le caractère distinctif de la
marque, exploite sa réputation ou lui porte atteinte (al. 1); les droits acquis
avant que la marque ne gagne sa haute renommée sont réservés (al. 2).

La loi ne définit pas la haute renommée. Selon la jurisprudence fermement
établie (ATF 130 III 748 consid. 1.1 p. 752 s. et les références), les critères
déterminants pour décider si une telle qualification s'applique à une marque
donnée peuvent être déduits du but de l'art. 15 LPM, lequel est de protéger les
marques de haute renommée contre l'exploitation de leur réputation, l'atteinte
portée à celle-ci et la mise en danger du caractère distinctif de la marque.
Semblable protection se justifie lorsque le titulaire de la marque a réussi à
susciter une renommée telle que cette marque possède une force de pénétration
publicitaire utilisable non seulement pour commercialiser les produits et
fournir les services auxquels elle était destinée à l'origine, mais encore pour
faciliter sensiblement la vente d'autres produits ou la fourniture d'autres
services. Cela suppose que la marque jouisse d'une considération générale
auprès d'un large public. Pour admettre l'existence d'une marque de haute
renommée, il ne suffit pas que la marque soit connue par un pourcentage élevé
de personnes, car cela ne permettrait plus de distinguer la haute renommée
d'une marque de sa notoriété. L'image positive que représente la marque auprès
du public est un critère qui ne doit pas être négligé. Il n'est cependant pas
nécessaire que cette image positive fasse l'unanimité en ce sens que les
produits ou les services désignés par la marque de haute renommée
remporteraient tous les suffrages sans exception. Ainsi, des marques de
cigarettes peuvent acquérir une haute renommée, quand bien même le fait de
fumer et, partant, les substances utilisées à cette fin sont désormais, comme
tels, l'objet de controverses au sein du public.

La notion de haute renommée, au sens de l'art. 15 LPM, ressortit au droit; en
revanche, le fait de savoir si une marque est connue d'un large public et si
elle bénéficie d'une image positive auprès des personnes qui la connaissent
sont des points de fait qui doivent être allégués et prouvés par tous moyens
adéquats, à l'exemple d'un sondage d'opinion, à moins d'être notoires (ATF 130
III 748 consid. 1.2 p. 753).
4.1.2 In casu, les recourants n'ont pas sollicité la mise en oeuvre d'un
sondage, sur une base contradictoire et sous contrôle judiciaire, pour établir
que la marque « Vogue » s'est imposée comme une marque de haute renommée.

La cour cantonale s'est ainsi référée, à titre d'indices, à une enquête
démoscopique, réalisée, à la requête des intimées, par l'institut de sondage
allemand "Institut für Demoskopie Allensbach" en partenariat avec la société
suisse Isopublic. Cette approche est conforme à la jurisprudence (ATF 131 III
121 consid. 7.3 p. 134 s.).

Il a été constaté (art. 105 al. 1 LTF) que cette enquête a été effectuées dans
les trois régions linguistiques de la Suisse, qu'elle a impliqué 1'100
personnes âgées de 15 à 74 ans, non ciblées (notamment en fonction de leur
sexe), et qu'elle comportait des questions portant tant sur des aspects
quantitatifs que qualitatifs. Il n'est pas contesté que la méthodologie suivie
par l'institut de sondage - méthode préconisées par NIEDERMANN/SCHNEIDER, Der
Beitrag der Demoskopie zur Entscheidfindung im schweizerischen Markenrecht:
durchgesetzte Marke, berühmte Marke, in sic ! 2002 p. 815 ss - était
appropriée. C'est ainsi à juste titre que l'autorité cantonale a considéré
comme pertinents les résultats de l'enquête démoscopique.
Il résulte de l'enquête précitée qu'une personne prise au hasard sur quatre
connaissait la marque « Vogue » et l'associait à un magazine de haute qualité.
A la lumière de ces résultats, la cour cantonale est parvenue à la conclusion
que la marque précitée était une marque de haute renommée telle que l'entend
l'art. 15 al. 1 LPM. Dès l'instant où il a été établi que la marque « Vogue »
est connue d'un large public dans la Suisse entière et qu'elle y jouit d'une
appréciation globalement positive, cette considération respecte le droit
fédéral.

4.2 La cour cantonale a jugé que les intimées, certes titulaires d'une marque
de haute renommée, ne pouvaient pas se prévaloir de la protection conférée par
ce signe distinctif, car la marque de haute renommée ne conférerait à son
titulaire une protection étendue qu'aux produits similaires à ceux pour
lesquels la marque s'est imposée. Or il n'y aurait pas de similitude entre des
magazines de mode - i. e Vogue, Vogue Hommes International, Vogue Collections
et Glamour - et des articles de joaillerie et d'horlogerie, à l'instar des
montres produites par les recourantes.

Ce raisonnement est erroné.

4.2.1 Pour les titulaires de marques de haute renommée, l'art. 15 LPM élargit
le champ de protection des droits conférés par la marque; dans cette mesure, le
principe de spécialité, qui régit le droit suisse des marques, ne s'applique
plus. Le titulaire d'une marque de haute renommée peut ainsi interdire à des
tiers l'usage de cette marque pour les produits et services de toute nature; il
peut, en particulier, leur interdire de l'utiliser pour offrir des produits ou
des services, de s'en servir à des fins publicitaires ou encore d'en faire
usage de quelque autre manière dans les affaires (art. 13 al. 2 LPM).

Le titulaire de la marque de haute renommée peut se défendre contre un usage
parasitaire de sa marque même dans un autre domaine d'activité que le sien; il
n'est donc pas nécessaire que les produits ou les services soient de même
nature (FLORENT THOUVENIN, in Markenschutzgesetz, Berne 2009 n° 1 ad art. 15
LPM; FRANÇOIS DESSEMONTET, La propriété intellectuelle et les contrats de
licence, Lausanne 2011, p. 348). La jurisprudence a affirmé que le titulaire
d'une marque de haute renommée peut en interdire l'usage pour n'importe quelle
marchandise ou service (ATF 130 III 748 consid. 1.3 p. 753 s.; 124 III 277
consid. 1). Ainsi, il a été jugé qu'une entreprise ne pouvait pas utiliser pour
des articles de parfumerie la marque des articles de sports "Nike" (ATF 124 III
277). De la même manière, il a été admis qu'une entreprise de literie ne
pouvait pas utiliser la marque de boissons gazeuses "Coca Cola" (ATF 116 II 463
). La marque de produits alimentaires "Nestlé" ne peut pas non plus être
utilisée par un tiers pour désigner un établissement médico-social (ATF 130 III
748).

La marque de haute renommée a précisément été pensée pour tenir compte de la
tendance à la diversification des produits qui conduit le producteur du signe
hautement renommé à fabriquer un objet différent de celui pour lequel il a
obtenu une protection par le droit des marques (DOMINIQUE BRANDT, La protection
élargie de la marque de haute renommée au-delà des produits identiques et
similaires, Lausanne 1985, p. 157 ss et 195 ss).
4.2.2 Il suit de là que les intimées, titulaires de la marque de haute renommée
« Vogue », sont en droit d'interdire l'utilisation de cette marque pour toutes
les catégories de biens et services, et non seulement pour ceux où leur marque
est utilisée. Autrement dit, les intimées sont habilitées à empêcher que les
recourants commercialisent des articles d'horlogerie ou de joaillerie, telles
des montres, avec les signes « Vogue » ou « Vogue My Style ».

Sur la base des constatations de la cour cantonale, il apparaît en outre que
les recourants ont exploité de manière déloyale la renommée des intimées, du
moment que les consommateurs étaient incités à penser qu'il existait un lien,
quel qu'en soit la nature, entre leurs entreprises et celles des intimées, qui
publient notamment le magazine de bonne réputation Vogue. Ce comportement tombe
sous le coup de la clause générale ancrée à l'art. 2 LCD (cf. ATF 131 III 384
consid. 5.1 in fine). Dans ces circonstances, il n'est pas utile d'examiner si
les recourants, en utilisant le mot « Vogue » sur leurs montres, ont encore
fait naître une confusion avec le produit d'autrui au sens de l'art. 3 let. d
LCD ou s'ils ont transféré l'image d'un produit connu à leurs propres
prestations, attitude qui est sanctionnée par l'art. 3 let. e LCD (arrêt 4A_467
/2007 du 8 février 2008 consid. 4.3, in sic ! 6/2008 p. 454).

Les mesures prises par la cour cantonale, en application du droit de la
concurrence déloyale, ne sont pas discutées dans le cadre du recours, si bien
qu'il n'y a pas lieu d'y revenir.

5.
La deuxième intimée est titulaire des enregistrements internationaux "Vogue",
"Vogue Europe" et "Vogue Hommes" pour les produits de la classe n° 14, laquelle
comprend la bijouterie et l'horlogerie.

A titre reconventionnel, les recourants ont demandé à la cour cantonale de
constater la nullité de ces marques pour la Suisse en raison du non-usage
pendant cinq ans. Les recourants se sont donc référés à l'art. 12 LPM.

La cour cantonale a rejeté la demande reconventionnelle en constatant que les
recourants n'avaient pas rendu vraisemblable le défaut d'usage.

Les recourants critiquent cette décision.

Selon l'art. 12 al. 3 LPM, quiconque invoque le défaut d'usage doit le rendre
vraisemblable; la preuve de l'usage incombe alors au titulaire.
Il appert que cette disposition prévoit une procédure en deux temps: il faut
tout d'abord que le demandeur rende vraisemblable le défaut d'usage et ce n'est
que si cette première condition est remplie qu'il incombe alors au titulaire de
la marque de prouver qu'il en a fait usage. Il s'ensuit qu'il appartenait aux
recourants, dans un premier temps, de rendre vraisemblable le défaut d'usage.
La jurisprudence a précisé qu'il ne suffit pas, pour rendre vraisemblable le
non-usage, de l'alléguer; le demandeur doit apporter des éléments de preuve ou,
à tout le moins, proposer des mesures probatoires sur cette vraisemblance
(arrêt 4A_253/2008 du 14 octobre 2008 consid. 4.1, in sic ! 4/2009 p. 268).

Or, la cour cantonale a constaté en fait - d'une manière qui lie le Tribunal
fédéral (art. 105 al. 1 LTF) - que les recourants, dans la procédure cantonale,
n'ont présenté aucune preuve à ce sujet et n'ont pas formulé d'offre de preuve
précise; ils se sont bornés à alléguer le non-usage.

Etablir la vraisemblance d'un défaut d'usage n'est pourtant pas impossible,
contrairement à ce que soutiennent les recourants. Il leur était loisible de
faire entendre des commerçants, voire le représentant d'une association
professionnelle, qui auraient pu dire s'ils avaient déjà entendu parler de
produits de la classe n° 14 portant les marques litigieuses.
Dès lors que les recourants, en tant que demandeurs, n'ont pas rendu
vraisemblable le défaut d'usage comme l'exige l'art. 12 al. 3 LPM, le rejet de
leur demande reconventionnelle ne viole pas le droit fédéral.

6.
Partant, le recours doit être entièrement rejeté.

En conséquence, les frais judiciaires et les dépens sont mis à la charge de la
partie qui succombe, soit les recourants, avec solidarité entre eux (art. 66
al. 1 et 5 et 68 al. 1, 2 et 4 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 5'000 fr., sont mis solidairement à la charge
des recourants.

3.
Les recourants, débiteurs solidaires, verseront aux intimées, créancières
solidaires, une indemnité de 6'000 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour civile du Tribunal
cantonal du canton de Neuchâtel.

Lausanne, le 7 août 2012

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

La Présidente: Klett

Le Greffier: Ramelet