Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 2C.166/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
2C_166/2012

Arrêt du 10 mai 2012
IIe Cour de droit public

Composition
MM. et Mme les Juges Zünd, Président,
Karlen et Aubry Girardin.
Greffier: M. Chatton.

Participants à la procédure
X.________,
représentée par Me Damien Bonvallat, avocat,
recourante,

contre

Département de la sécurité, de la police et de l'environnement du canton de
Genève, rue de l'Hôtel-de-Ville 14, case postale 3962, 1204 Genève 3.

Objet
Exploitation d'un salon de massage, solvabilité,

recours contre l'arrêt de la Cour de Justice de la République et canton de
Genève, Chambre administrative, 2ème Section, du 10 janvier 2012.

Faits:

A.
X.________, domiciliée à Genève, est titulaire d'un permis d'établissement.
Depuis 1999, elle est enregistrée en tant que prostituée auprès de la police
genevoise.
En juillet 2010, X.________ a annoncé au département genevois de la sécurité,
de la police et de l'environnement (ci-après: le Département cantonal) qu'elle
exploitait un salon de massage, dénommé A.________, auprès duquel travaillaient
trois personnes, dont elle-même, qui était en outre la seule titulaire du bail.
Il résulte des pièces fournies à l'appui de son annonce que X.________ faisait
l'objet de trente-quatre actes de défaut de biens totalisant 72'795 fr. 55 -
montant actualisé de 64'805 fr. 25 conformément à l'arrêt attaqué (p. 8) -, de
diverses poursuites en cours, ainsi que d'un jugement de faillite rendu en
2009, la faillite ayant été suspendue faute d'actifs; parmi les créanciers de
l'intéressée figuraient B.________, C.________, D.________ et E.________, ainsi
que des entreprises privées. L'intéressée a exposé à ce titre avoir été victime
d'un abus de confiance de la part de la gérante de son précédent salon de
massage et rembourser ses dettes.

B.
En réponse à un courrier du Département cantonal envisageant d'ordonner la
fermeture du salon pour cause d'insolvabilité, X.________ a affirmé s'être
désignée par erreur en tant que responsable d'un salon; en réalité, sa
"colocataire" exerçait le métier de prostituée de façon indépendante et se
contentait de participer au règlement du loyer mensuel de 2'000 fr. La
situation financière précaire de X.________ s'expliquait par les arriérés de
pensions alimentaires qu'elle avait été condamnée à verser, à raison de 500 fr.
par mois et par enfant, pour ses deux enfants.
Par décision du 12 janvier 2011, le Département cantonal a ordonné la fermeture
définitive du salon de massage au motif qu'X.________ ne répondait pas à la
condition légale de solvabilité.
Lors d'un contrôle effectué à A.________ le 17 mars 2011, la police cantonale a
constaté la présence de trois femmes, déclarant se prostituer et payer 100 fr.
de loyer par jour à X.________. Le salon comportait cinq chambres aménagées; il
ressortait d'une liste concernant l'établissement que six personnes s'y
prostituaient, dont l'une n'était pas dûment enregistrée auprès de la police;
d'après les indications de la recourante, elle s'était récemment séparée d'une
autre des prostituées figurant dans la liste précitée.
Par arrêt du 10 janvier 2012, la Chambre administrative de la Cour de Justice
de la République et canton de Genève (ci-après: la Cour de Justice) a rejeté le
recours que X.________ avait formé contre la décision du 12 janvier 2011.

C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, X.________ conclut,
avec suite de frais et dépens, principalement, à l'annulation de l'arrêt de la
Cour de Justice et de la décision du Département cantonal, subsidiairement, à
l'annulation des deux actes précités ainsi qu'au renvoi de la cause à la Cour
de Justice ou au Département cantonal pour instruction complémentaire et/ou
nouvelle décision. Elle demande par ailleurs l'octroi de l'effet suspensif, de
même que l'assistance judiciaire.
La Cour de Justice persiste dans les considérants et le dispositif de son
arrêt. Le Département cantonal conclut au rejet du recours, sous suite de
frais. Dans ses observations du 16 avril 2012, la recourante maintient les
conclusions de son recours.
Par ordonnance présidentielle du 12 mars 2012, le Tribunal fédéral a admis la
demande d'effet suspensif formée par la recourante.

Considérant en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et
contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 136 II
101 consid. 1 p. 103).

1.1 L'arrêt attaqué est une décision finale (art. 90 LTF), rendue en dernière
instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 86 al. 1 let. d et al. 2
LTF) ne tombant pas sous le coup des exceptions de l'art. 83 LTF. La voie du
recours en matière de droit public est donc en principe ouverte. Le mémoire de
recours a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans les formes
prescrites (art. 42 LTF) par la destinataire de l'acte attaqué qui a un intérêt
digne de protection à son annulation ou à sa modification, de sorte qu'il faut
lui reconnaître la qualité pour recourir (art. 89 al. 1 LTF). Il convient donc
d'entrer en matière.

1.2 Dans la mesure où la recourante s'en prend aussi à la décision de
l'autorité ayant précédé la Cour de Justice, son recours est irrecevable en
raison de l'effet dévolutif complet des actes déposés auprès de la Cour de
Justice (ATF 136 II 101 consid. 1.2 p. 104). En tant que les pièces qui
accompagnent la réponse de l'intimé du 21 mars 2012 ne ressortent pas déjà de
la procédure cantonale, il s'agit de moyens nouveaux irrecevables (art. 99 al.
1 LTF).

2.
2.1 Sauf exceptions non pertinentes en l'espèce (cf. art. 95 let. d LTF), l'on
ne peut invoquer la violation du droit cantonal en tant que tel devant le
Tribunal fédéral (art. 95 a contrario LTF). Il est néanmoins possible de faire
valoir que son application consacre une violation du droit fédéral, comme la
protection contre l'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. ou la garantie d'autres
droits constitutionnels. Le Tribunal fédéral n'examine cependant de tels moyens
que s'ils sont formulés conformément aux exigences de motivation qualifiée
prévues à l'art. 106 al. 2 LTF, qui valent en particulier pour le grief
d'arbitraire (ATF 136 II 304 consid. 2.5 p. 314; 134 III 379 consid. 1.2 p. 382
s.).

2.2 L'examen du Tribunal fédéral se fonde sur les faits constatés par
l'autorité précédente (cf. art. 105 al. 1 LTF), à moins que ces faits n'aient
été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle
d'arbitraire (cf. ATF 136 III 552 consid. 4.2 p. 560; 134 V 53 consid. 4.3 p.
62) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (cf. art. 105 al. 2
LTF). Si le recourant entend s'écarter des constatations de fait de l'autorité
précédente (cf. art. 97 al. 1 LTF), il doit expliquer de manière circonstanciée
en quoi les conditions d'une exception prévue par l'art. 105 al. 2 LTF seraient
réalisées. Sinon, il n'est pas possible de tenir compte d'un état de fait
divergent de celui qui est contenu dans l'acte attaqué.
Seules les critiques liées aux faits répondant aux exigences précitées seront
examinées. Pour le surplus, la Cour de céans se fondera sur les faits
ressortant de l'arrêt entrepris (cf. ATF 135 II 313 consid. 5.2.2 p. 322).

3.
Le présent litige porte sur la question de savoir si c'est à bon droit que le
Département cantonal a ordonné la fermeture du salon de massage exploité par la
recourante au motif que cette dernière n'offrirait pas toute garantie de
solvabilité, au sens de la loi genevoise sur la prostitution du 17 décembre
2009 (LProst/GE; RS/GE I 2 49) et de son règlement d'exécution du 14 avril 2010
(RProst/GE; RS/GE I 2 49.01).
A teneur de l'art. 9 al. 1 LProst/GE, toute personne physique qui, en tant que
locataire (...), exploite un salon et met à disposition de tiers des locaux
affectés à l'exercice de la prostitution doit s'annoncer, préalablement et par
écrit, aux autorités compétentes en indiquant le nombre et l'identité des
personnes qui y exercent la prostitution. Selon l'art. 10 let. c LProst/GE, la
personne responsable d'un salon doit notamment, en tant que condition
personnelle, offrir, par ses antécédents et son comportement, toute garantie
d'honorabilité et de solvabilité concernant la sphère d'activité envisagée. En
vertu de l'art. 14 al. 1 let. b LProst/GE, fait l'objet de mesures et sanctions
administratives la personne d'un salon qui ne remplit pas ou plus les
conditions personnelles de l'art. 10; l'autorité compétente prononce, selon la
gravité ou la réitération de l'infraction, notamment la fermeture définitive du
salon (art. 14 al. 2 let. c in initio LProst/GE).

4.
Dans un grief d'ordre formel, qu'il convient d'examiner en premier lieu (ATF
132 V 387 consid. 5.1 p. 390; arrêt 2C_116/2011 du 29 août 2011 consid. 5), la
recourante reproche tout d'abord à la Cour de Justice d'avoir, "en violation de
son droit à la preuve, et arbitrairement", refusé d'auditionner les prostituées
travaillant dans son salon, de sorte à retenir un "état de fait manifestement
incomplet". D'après elle, l'audition de ces témoins aurait permis de démontrer
que ces dernières s'adonnaient librement à la prostitution, que la recourante
n'avait aucune maîtrise sur leur comptabilité et que le loyer de sous-location
dont elles s'acquittaient était indépendant du chiffre d'affaires réalisé ou du
nombre de clients reçus.

4.1 Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. comprend notamment
le droit pour l'intéressé de s'exprimer sur les éléments pertinents avant
qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, de produire des
preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves
pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à
tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à
influer sur la décision à rendre (ATF 135 I 279 consid. 2.3 p. 282). Ce droit
ne concerne toutefois que les éléments qui sont pertinents pour décider de
l'issue du litige (cf. ATF 133 I 270 consid. 3.1 p. 277). Il ne s'oppose pas à
ce que l'autorité mette un terme à l'instruction lorsque les preuves
administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une
manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont
encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener
à modifier son opinion (ATF 136 I 229 consid. 5.2 p. 236 s.; 134 I 140 consid.
5.3 p. 148).
Une décision est arbitraire (art. 9 Cst.) lorsqu'elle contredit clairement la
situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique
clair et indiscuté ou qu'elle heurte d'une manière choquante le sentiment de la
justice et de l'équité. Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une solution
autre que celle de l'autorité cantonale semble concevable, voire préférable
(ATF 132 III 209 consid. 2.1 p. 211). Pour qu'une décision soit annulée, il ne
suffit pas que sa motivation soit insoutenable; il faut encore que cette
décision soit arbitraire dans son résultat (ATF 136 III 552 consid. 4 p. 560).

4.2 Les juges cantonaux se sont, à juste titre, déclarés suffisamment
renseignés pour trancher le litige sans devoir procéder aux actes d'instruction
requis par la recourante. Tel qu'il ressort sans arbitraire de l'arrêt
querellé, le point de savoir si les prostituées utilisant les locaux tenus par
la recourante subissaient une forme de contrainte ou de contrôle de la part de
cette dernière n'est pas pertinent s'agissant de déterminer si la recourante
exploite un salon au sens de la LProst/GE. Il suffit en effet, comme l'ont
retenu les juges cantonaux par rapport à l'intéressée, que, selon le droit
cantonal, cette activité professionnelle s'exerce dans des lieux de rencontre
soustraits à la vue du public (cf. art. 8 al. 1 et 2 LProst/GE) et qu'une
personne physique, notamment en tant que locataire, exploite un salon et mette
à disposition de tiers des locaux affectés à l'exercice de la prostitution (cf.
art. 9 al. 1 LProst/GE; arrêt attaqué, p. 8 ch. 5).
Par ailleurs, on ne voit pas en quoi les allégués précités dont la recourante
souhaitait faire administrer la preuve, auraient été pertinents au regard de
l'examen de la proportionnalité de la décision de fermeture de l'établissement.
En effet, la fermeture a été en première ligne ordonnée en raison de
l'insolvabilité durable, au demeurant non contestée (recours, p. 2), de la
recourante (cf. art. 10 let. c cum art. 14 al. 2 let. c LProst/GE) et non en
raison d'une éventuelle entrave à la liberté d'action des prostituées exerçant
dans les locaux loués par l'intéressée (cf. art. 12 let. d LProst/GE).

4.3 Les offres de preuves présentées par la recourante portant sur des éléments
sans pertinence, la Cour de Justice n'a pas violé le droit d'être entendue de
la recourante et n'a pas procédé à une appréciation anticipée des preuves
arbitraire en refusant d'y donner suite. Ces griefs doivent être écartés.

5.
D'après la recourante, l'arrêt attaqué, qui confirme la décision ordonnant la
fermeture de son salon de massage pour défaut de garantie de solvabilité,
constituerait une atteinte disproportionnée à sa liberté économique.

5.1 Comme le relève pertinemment la recourante, le Tribunal fédéral s'est
prononcé sur la constitutionnalité de la LProst/GE dans le cadre d'un recours
normatif abstrait, mais n'a pas examiné la conformité à la Constitution de
l'exigence de solvabilité prévue à l'art. 10 let. c LProst/GE (arrêt 2C_230/
2010 du 12 avril 2011 consid. 11, non publié aux ATF 137 I 167). Cette question
peut donc être examinée dans le cadre du présent recours concret.

5.2 Invocable tant par les personnes physiques que morales, la liberté
économique (art. 27 Cst.) protège toute activité économique privée, exercée à
titre professionnel et tendant à la production d'un gain ou d'un revenu (ATF
135 I 130 consid. 4.2 p. 135). Les personnes exerçant la prostitution ainsi que
l'exploitation d'établissements permettant son exercice peuvent s'en prévaloir
(ATF 137 I 167 consid. 3.1 p. 172). Une restriction à cette liberté est
toutefois admissible aux conditions de l'art. 36 Cst. Sous l'angle de l'intérêt
public, et en rapport avec l'exercice de la prostitution, sont autorisées les
mesures de police ou de politique sociale, de même que les mesures dictées par
la réalisation d'autres intérêts publics, à l'exclusion notamment des mesures
de politique économique. Pour être conforme au principe de la proportionnalité
(art. 36 al. 3 Cst.), une restriction d'un droit fondamental doit être apte à
atteindre le but visé, lequel ne peut pas être obtenu par une mesure moins
incisive; il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets
de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du
point de vue de l'intérêt public (ATF 137 I 167 consid. 3.6 p. 175 s.).

5.3 L'ordre donné par l'autorité de fermer définitivement le salon de massage
exploité par la recourante constitue une ingérence grave dans la liberté
économique de celle-ci; dans la gradation des mesures et sanctions
administratives prévues par l'art. 14 al. 2 LProst/GE, cette mesure représente
d'ailleurs une ultima ratio; elle est cependant ancrée dans une loi cantonale
au sens formel et dispose ainsi d'une base légale suffisante (cf. art. 36 al.
1, 2e phr. Cst.).

5.4 Contrairement à ce que semble suggérer la recourante, il ressort des
travaux préparatoires relatifs à la LProst/GE qu'outre la prévention du risque
d'exploitation des prostitué(e)s par une personne criblée de dettes, l'exigence
de garantie de solvabilité selon l'art. 10 let. c LProst/GE poursuit également
l'intérêt public d'éviter les conséquences d'une mauvaise gestion d'un salon de
prostitution, notamment par rapport aux éventuels employés de celui-ci; un
parallèle a de plus été tracé avec la législation applicable aux cafés et
restaurants (cf. Rapport de la Commission judiciaire et de la police du Grand
Conseil genevois chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat sur la
prostitution, du 17 novembre 2009 [PL 10447-A], p. 37 s.; ci-après: le Rapport
de la Commission). En présence d'une activité soumise à la surveillance
renforcée de l'Etat (cf. ATF 137 I 167 consid. 8.4.1 p. 189), il existe un
intérêt public légitime à éviter l'insolvabilité de son exploitante de même que
les répercussions potentiellement néfastes d'une telle situation sur ses
méthodes de gestion ainsi que sur les personnes (clients, prostitué[e]s,
usagers des locaux, etc.) concernées par cette activité.

5.5 Au regard du principe de la proportionnalité (cf. art. 5 al. 2 et 36 al. 3
Cst.), la recourante fait valoir plusieurs arguments.
5.5.1 Selon celle-ci, la décision lui interdisant d'exploiter un salon pour
cause d'insolvabilité ne serait pas nécessaire pour atteindre les intérêts
poursuivis; la répression de diverses formes d'exploitation et de contrainte
par le Code pénal suisse, la possibilité pour la police d'effectuer des
contrôles non annoncés dans les salons (cf. art. 13 LProst/GE et 11 al. 1
RProst/GE), de même que la tenue obligatoire d'un registre mentionnant les
prestations fournies aux prostitué(e)s (cf. art. 12 let. a LProst/GE) seraient
suffisantes pour décourager et sanctionner les cas d'exploitation et d'usure.
En s'en prenant à la seule prostituée insolvable et non aux organisations
criminelles à l'origine de la plupart des infractions que la LProst/GE vise à
combattre, la mesure administrative prise à l'encontre de la recourante
s'avérerait de plus inapte à atteindre le but recherché.
Ces griefs tombent à faux. Il résulte en effet du mémoire de réponse de
l'intimé que les différentes mesures évoquées par la recourante sont certes
nécessaires en tant que telles, mais qu'elles ne suffisent pas à elles seules à
endiguer les risques d'exploitation sus-évoqués; ceci est d'autant plus vrai en
tant que ces mesures peuvent en partie être déjouées notamment par
l'impossibilité ou la crainte des prostitué(e)s, précarisé(e)s, de déposer
plainte contre une pratique usurière, et par l'existence d'une double
"comptabilité" au niveau des prestations facturées (cf. ATF 137 I 167 consid.
8.2 p. 188). En outre, il a déjà été vu que le but poursuivi par la LProst/GE
ne se confine pas à la prévention d'infractions pénales; cette loi tend aussi à
favoriser l'exercice conforme au droit de l'activité de prostitution dans son
ensemble, ainsi qu'une gestion correcte et transparente des établissements
publics actifs dans ce domaine à risque (cf. art. 1 LProst/GE; consid. 5.3
supra; cf. ATF 137 I 167 consid. 7.2.2 p. 182 s., consid. 7.5 p. 185, consid.
8.2 p. 188 et consid. 9.1.4 p. 192).
5.5.2 La recourante se plaint aussi du caractère disproportionné stricto sensu
de la décision de fermeture pour cause d'insolvabilité. La clôture litigieuse
du salon risquerait de pousser les usagères d'un salon géré par une exploitante
insolvable à la rue, voire dans les bras d'un proxénète. Par ailleurs, les
autorités cantonales auraient également pu, par des moyens moins rigoureux
(contrôles policiers plus réguliers, vérification des registres, diligentement
de poursuites pénales contre les contrevenants), atteindre les buts poursuivis
par la loi.
5.5.3 Il convient d'écarter ce grief. Tout d'abord, il sied de rappeler que les
arguments développés par la recourante se limitent à placer dans la balance des
intérêts le seul but de prévention d'infractions pénales (cf. consid. 5.5.1
supra), alors que ce dernier ne représente que l'un parmi plusieurs intérêts
poursuivis par la LProst/GE et, singulièrement, par l'exigence de solvabilité.
Ensuite, les juges cantonaux soulignent à juste titre que l'ordre de fermeture
de l'établissement litigieux ne prive ni la recourante ni les autres
prostituées qui utilisent les locaux du salon, de l'exercice de toute activité
économique dans le domaine de la prostitution; quand bien même l'arrêt attaqué
représente une atteinte importante à la liberté économique de la recourante,
celle-ci conserve la faculté de se prostituer dans ses locaux à titre
individuel, de sorte que son entreprise ne serait plus perçue comme un salon
(art. 8 al. 3 LProst/GE); quant aux prostituées partageant actuellement les
chambres du salon exploité par la recourante, elles sont libres de s'adonner à
leur activité dans les salons exploités par des concurrents solvables, tel que
l'évoque à raison le Département cantonal, ou à ouvrir leur propre salon dans
le respect des conditions légales. Cela ne signifie donc nullement que de
facto, les prostituées concernées par la fermeture du salon de la recourante
vont se retrouver dans la rue.
5.5.4 Dans le cadre de la pesée globale des intérêts qui doit être effectuée
afin de déterminer le caractère proportionné de la mesure administrative
querellée, il y a également lieu de tenir compte, notamment, des éléments
suivants: à teneur de l'intitulé de l'art. 10 LProst/GE, le critère de la
solvabilité constitue l'une des conditions personnelles cumulatives que doit
obligatoirement remplir le responsable en vue de pouvoir exploiter un salon à
Genève; il s'agit donc d'un prérequis indispensable à l'exercice de cette
activité. Cela étant, et tel que le relève l'arrêt attaqué (p. 7), le
législateur cantonal a d'emblée souhaité introduire des considérations liées à
la proportionnalité dans la condition de "garantie de solvabilité". Tandis
qu'un commissaire parlementaire proposait en effet de conditionner
l'exploitation d'un salon à la preuve que le futur responsable ne fasse pas
l'objet d'un acte de défaut de biens, le Grand Conseil genevois a opté pour la
notion de "garantie de solvabilité", de manière à "laisser une marge de man?
uvre au département pour dire qu'un acte de défaut de biens de peu d'importance
n'empêche pas de donner l'autorisation mais qu'un même acte pour plusieurs
dizaines de milliers de francs empêcherait de délivrer cette autorisation"
(Rapport de la Commission, p. 37 s.). Or, compte tenu de l'importance des
dettes supportées par la recourante (plus de 64'000 fr. à la date de l'arrêt
attaqué), ainsi que du nombre des actes de défaut de biens (trente-quatre) et
des poursuites encourues, sans compter la faillite clôturée après suspension
pour défaut d'actifs en 2009, la Cour de Justice pouvait sans arbitraire
considérer que le seuil minimum pour retenir l'absence de garantie de
solvabilité avait été atteint dans le cas d'espèce. S'ajoute à cela, dans le
cadre de la pesée des intérêts à effectuer, le comportement général dont a fait
preuve la recourante durant la procédure administrative litigieuse, en
particulier le fait d'avoir mis à disposition ses chambres à une prostituée non
dûment enregistrée ou encore d'avoir présenté des versions des faits
fluctuantes par rapport à l'exploitation d'un salon; ces éléments pouvaient
renforcer le doute des juges cantonaux au sujet des capacités et de la volonté
de la recourante à assumer la responsabilité d'un salon conformément à la
LProst/GE.
5.5.5 En pondérant l'ensemble des éléments qui précèdent avec l'intérêt de la
recourante à pouvoir gérer un salon de prostitution et mettre ses locaux à la
disposition de tiers, la Cour de Justice était en droit de faire primer
l'intérêt public au respect des conditions gouvernant l'exploitation d'un tel
établissement sur l'intérêt privé de la recourante à jouir sans entrave de sa
liberté économique dans le domaine de la prostitution. Le résultat inverse
aurait conduit à accepter que la recourante déroge durablement à l'une des
prémisses légitimes auxquelles est soumise l'exploitation d'un salon de
prostitution à Genève, de sorte que l'on ne voit pas de mesure moins incisive
parmi celles figurant à l'art. 14 LProst/GE qui eût été apte à rétablir une
situation conforme au droit. Par conséquent, le grief tiré de la liberté
économique de la recourante doit être écarté.

6.
La recourante soutient encore que la Cour de Justice aurait commis un abus ou
un excès de son pouvoir d'appréciation, ainsi que procédé à une application
arbitraire de l'art. 10 let. c LProst/GE. Elle l'accuse en substance de s'être
bornée à examiner la seule absence de solvabilité, sans interpréter cette
notion à l'aune des termes de "sphère d'activité envisagée", qui sont également
contenus dans cette disposition. Selon elle, le rapprochement entre ces termes
aurait conféré à l'autorité une plus grande marge d'appréciation; grâce à cette
marge accrue, l'autorité aurait pu relativiser l'importance de la condition de
solvabilité et aurait disposé de plus de souplesse en vue de choisir la
sanction pour non-respect de la condition légale de solvabilité.

6.1 En l'occurrence, on ne discerne, contrairement à ce que soutient la
recourante, aucun abus ni excès du pouvoir d'appréciation de la Cour de Justice
(pour cette notion, cf. ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 73).
6.1.1 Comme il a déjà été évoqué (consid. 5.5.3 ss supra), les juges cantonaux
pouvaient, sans tomber dans l'arbitraire, considérer que la mesure de fermeture
contestée était nécessaire, apte et proportionnée compte tenu de la situation
financière obérée de la recourante et des risques qui y étaient attachés. En
outre, la dernière instance cantonale était en droit de retenir que le seuil de
tolérance incorporé à la notion de "garantie de solvabilité" au sens de l'art.
10 let. c LProst/GE (cf. ibidem supra) ne pouvait valoir compte tenu du nombre
d'actes de défaut de biens (trente-quatre) et de poursuites constaté, de
l'importance considérable (plus de 64'000 fr.) des dettes inscrites au nom de
la recourante, ainsi qu'au vu du caractère durable de celles-ci eu égard à
certaines charges périodiques élevées assumées par l'intéressée, notamment les
contributions d'entretien vis-à-vis de ses deux enfants. En considérant que la
fermeture du salon se justifiait en pareilles circonstances, l'arrêt attaqué ne
révèle ainsi aucun abus ni excès du pouvoir d'appréciation que la LProst/GE
concède aux autorités en relation avec la condition de solvabilité. A ce titre,
il faut rappeler que la notion juridique d'insolvabilité suppose que le
débiteur se trouve dans une incapacité durable de faire face à ses engagements
(ATF 137 II 353 consid. 5.2.1 p. 357), ce qui est le cas de la recourante, qui
ne le remet du reste pas en cause.
6.1.2 C'est en vain que la recourante reproche en outre à l'arrêt entrepris de
consacrer une interprétation arbitraire de l'art. 10 let c LProst/GE en
relation avec le passage "concernant la sphère d'activité envisagée". Pour
rappel, la disposition précitée prévoit:
"La personne responsable d'un salon doit remplir les conditions suivantes
(...): offrir par ses antécédents et son comportement, toute garantie
d'honorabilité et de solvabilité concernant la sphère d'activité envisagée".
Premièrement, la recourante ne démontre nullement en quoi le renvoi à la
"sphère d'activité envisagée" relativiserait davantage l'exigence de la
garantie de solvabilité et encore moins le choix de la sanction à prononcer en
cas de non-respect; comme il a été en effet vu, la condition de solvabilité
prévue à l'art. 10 let. c LProst/GE laisse d'ores et déjà, en elle-même, une
certaine marge de man?uvre, en ce qu'elle permet aux autorités d'accorder
l'autorisation de gérer un salon à la personne qui présenterait des dettes,
voire des actes de défaut de biens pour des montants de peu d'importance.
Deuxièmement, l'exigence légale de garantie de solvabilité serait vidée de son
sens si elle aboutissait à tolérer des situations d'insolvabilité durable et
caractérisée, comme cela est le cas en l'espèce. Troisièmement, il n'est pas
arbitraire, comme l'affirme le Département cantonal sur la base des travaux
préparatoires relatifs à la LProst/GE, de considérer que la notion de "sphère
d'activité envisagée", qui préexistait à l'insertion de l'exigence de
solvabilité par le Grand Conseil (cf. art. 11 let. c du projet de loi du
Conseil d'Etat sur la prostitution, du 9 mars 2009; Rapport de la Commission,
p. 38), n'était censée se rapporter qu'à la notion d'honorabilité et non à
celle de solvabilité; compte tenu du domaine d'activité concerné, qui fait
souvent l'objet d'une perception sociale négative (ATF 137 I 167 consid. 8.4.1
p. 189), la condition d'honorabilité doit bel et bien être appréciée de façon
nuancée, ce qui ne vaut pas nécessairement en matière de solvabilité.

6.2 Par conséquent, l'arrêt attaqué ne consacre aucune application arbitraire
du droit cantonal, ni un quelconque abus ou excès arbitraire du pouvoir
d'appréciation des juges cantonaux.

7.
7.1 Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que la Cour de Justice a
confirmé la décision du Département cantonal du 12 janvier 2011. Partant, le
recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité.

7.2 La recourante a sollicité sa mise au bénéfice de l'assistance judiciaire.
Sa cause paraissant dépourvue de chances de succès dès le dépôt du recours (cf.
ATF 135 I 1 consid. 7.1 p. 2), la demande d'assistance judiciaire doit être
rejetée (art. 64 al. 1 et 2 LTF). Les frais seront mis à la charge de la
recourante, mais fixés en tenant compte de sa situation financière obérée (art.
65 al. 2 et 3 et 66 al. 1 LTF). Il ne sera pas alloué de dépens (art. 68 al. 1
et 3 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours en matière de droit public est rejeté dans la mesure où il est
recevable.

2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.

3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

4.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, au Département
de la sécurité, de la police et de l'environnement du canton de Genève, et à la
Cour de Justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative,
2ème Section.

Lausanne, le 10 mai 2012

Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Zünd

Le Greffier: Chatton