Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 1C.72/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
1C_72/2012
1C_82/2012

Arrêt du 7 août 2012
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges Fonjallaz, Président,
Aemisegger et Merkli.
Greffière: Mme Mabillard.

Participants à la procédure
1C_72/2012
X.________ et Y.________,
représentés par Me Jean-Pierre Carera, avocat,
recourants,

et

1C_82/2012
Z.________ SA,
représentée par Me Jean-Daniel Borgeaud, avocat,
recourante,

contre

Conseil d'Etat du canton de Genève,
rue de l'Hôtel-de-Ville 2, 1204 Genève,
représenté par Me Pierre Louis Manfrini.

Objet
Aménagement du territoire, droit de préemption de l'Etat,

recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre
administrative, du 20 décembre 2011.

Faits:

A.
X.________ et Y.________ sont propriétaires des parcelles 13'435 de la commune
de A.________ et 10'103 de la commune de B.________. Ces bien-fonds contigus,
d'une surface totale d'environ 80'000 m2, sont situés en zone agricole et dans
le périmètre de la zone de développement de la zone industrielle de
Meyrin-Satigny. Ils renferment, sous une couverture argileuse de 3 à 8 m
d'épaisseur, des graviers exploitables sur une profondeur de plus de 30 m.

Le 20 août 1993, une autorisation n° 626-823 d'exploiter une gravière a été
octroyée pour ces parcelles, ainsi que pour le bien-fonds 13'436 de la commune
de B.________. Cette autorisation a été transférée le 26 juin 2001 à la société
Z.________ SA (ci-après: Z.________ SA).

Par acte instrumenté les 14 et 15 juin 2010, Y.________ et X.________ ont vendu
les parcelles 13'435 et 10'103 à Z.________ SA pour le prix de 40'000'000 fr.

Le 4 août 2010, le Conseil d'Etat du canton de Genève a déclaré exercer son
droit de préemption au prix de 23'700'000 fr. Il ne méconnaissait pas la
présence de la nappe de gravier, ce dont tenait compte le prix proposé. Il
s'agissait toutefois de garantir qu'immédiatement après l'achèvement de
l'exploitation du gravier, une utilisation industrielle et artisanale des deux
parcelles en cause puisse être mise en place, ce qui entraînerait des surcoûts
liés au remblayage des terrains et, ainsi, une diminution de leur valeur. Ces
surcoûts avaient été estimé par des experts en ingénierie et en géologie et
s'élevaient à 16'300'000 fr.

B.
Y.________ et X.________ ainsi que Z.________ SA ont recouru contre la décision
du Conseil d'Etat auprès du Tribunal administratif du canton de Genève, devenu
depuis le 1er janvier 2011 la Chambre administrative de la Cour de justice
(ci-après: la Chambre administrative).

Par arrêt du 20 décembre 2011, la Chambre administrative a rejeté les recours
précités. Elle a considéré en substance que l'Etat agissait dans un but
d'intérêt public et que l'exercice de son droit de préemption répondait à
l'objectif de lutte contre des opérations d'aliénation à des prix excessifs
prescrit par l'art. 11 de la loi générale sur les zones de développement
industriel du 13 décembre 1984 (ci-après: la LGZDI).

C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, X.________ et
Y.________ demandent au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Chambre
administrative du 20 décembre 2011 ainsi que la décision du Conseil d'Etat du 4
août 2010. Ils se plaignent pour l'essentiel d'une violation du principe de
l'instruction d'office, d'une violation de leur droit d'être entendus ainsi que
d'une violation de la garantie de la propriété.

Z.________ SA a également recouru contre l'arrêt de la Chambre administrative
du 20 décembre 2011. Elle demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt attaqué
ainsi que la décision du Conseil d'Etat du 4 août 2010 et de renvoyer la cause
à la Chambre administrative pour instruction complémentaire. Elle se plaint
d'une violation des garanties constitutionnelles de procédure ainsi que d'une
violation de la garantie de la propriété et de la liberté économique.

La Chambre administrative s'en rapporte à justice quant à la recevabilité des
recours et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. Le
Conseil d'Etat conclut à la jonction des causes et au rejet des recours, dans
la mesure où ils sont recevables. Les recourants se sont exprimés à plusieurs
reprises, confirmant les conclusions de leurs mémoires de recours.

Par ordonnance du 5 mars 2012, le Président de la Ire Cour de droit public a
admis la requête d'effet suspensif de Z.________ SA.

Considérant en droit:

1.
1.1 Compte tenu de leur connexité, il se justifie de joindre les deux recours,
dirigés contre une même décision, afin de statuer en un seul arrêt.

1.2 L'arrêt attaqué a été rendu, en dernière instance cantonale, dans une cause
de droit public. Il peut faire l'objet d'un recours en matière de droit public
au sens des art. 82 let. a et 86 al. 1 let. d LTF. Les recourants, qui se
voient imposer une restriction à leur liberté de vendre, respectivement
d'acquérir les parcelles en cause, ont qualité pour recourir au sens de l'art.
89 al. 1 LTF. Il y a lieu d'entrer en matière.

2.
Les recourants se plaignent tout d'abord d'une violation de leur droit d'être
entendus. Ils font valoir qu'ils n'ont jamais pu se déterminer sur la pièce 18
produite par l'Etat de Genève à l'appui de son mémoire de réponse du 2 novembre
2010.

2.1 Compris comme l'un des aspects de la notion générale de procès équitable au
sens des art. 29 ss Cst., le droit d'être entendu garantit notamment le droit
pour une partie à un procès de prendre connaissance de toute argumentation
présentée au tribunal et de se déterminer à son propos, que celle-ci contienne
ou non de nouveaux éléments de fait ou de droit, et qu'elle soit ou non
concrètement susceptible d'influer sur le jugement à rendre. Il appartient en
effet aux parties, et non au juge, de décider si une prise de position ou une
pièce nouvellement versée au dossier contient des éléments déterminants qui
appellent des observations de leur part. Ce droit à la réplique vaut pour
toutes les procédures judiciaires. Toute prise de position ou pièce nouvelle
versée au dossier doit dès lors être communiquée aux parties pour leur
permettre de décider si elles veulent ou non faire usage de leur faculté de se
déterminer (ATF 137 I 195 consid. 1 p. 197; 133 I 100 consid. 4.5 p. 103 s.; SJ
2012 I 117).

2.2 Il ressort du dossier que la réponse du Conseil d'Etat du 2 novembre 2010
comprenait de nombreuses annexes. Parmi celles-ci figuraient notamment une
étude non datée réalisée par C.________ SA (pièce 18), selon laquelle la
plus-value totale sur le coût des aménagements définitifs dû au remblayage
était estimée à 5'200'000 fr. si les ouvrages étaient fondés sur radier, et à
16'300'000 fr. si les ouvrages étaient fondés sur pieux. Le chargé de pièce de
la réponse du Conseil d'Etat comprenait également une étude géotechnique
réalisée par C.________ SA le 9 avril 2010 (pièce 17).
La réponse du Conseil d'Etat du 2 novembre 2010 et ses annexes ont été remis
aux recourants le 4 novembre 2010, avec la mention que les parties seraient
informées ultérieurement des suites de la procédure. Par courrier du 1er
décembre 2011, la Chambre administrative a informé les parties que la cause
était gardée à juger. Aucun délai n'était fixé pour le dépôt d'éventuelles
observations. L'arrêt attaqué a été rendu le 20 décembre 2011.

On ne saurait reprocher aux recourants de ne pas avoir déposé d'écriture
spontanée après le courrier du 4 novembre 2010. La mention selon laquelle "les
parties seraient informées ultérieurement des suites de la procédure" pouvait
de bonne foi être comprise en ce sens qu'aucune écriture supplémentaire n'était
autorisée à ce stade et qu'une réplique pourrait être envoyée ultérieurement,
cas échéant après d'autres actes d'instructions (par exemple vision locale ou
nouvelle expertise); selon ce courrier, les parties étaient en effet incitées à
attendre une invitation de la Chambre administrative avant de réagir à la
réponse du Conseil d'Etat et de déposer de nouvelles pièces. Or, le courrier
suivant de la Chambre administrative, du 1er décembre 2011, soit après une
année de silence et sans qu'aucune mesure d'instruction complémentaire n'ait
été ordonnée dans l'intervalle, était une simple information selon laquelle la
cause était gardée à juger. Les parties n'étaient toutefois pas formellement
invitées à se prononcer sur la réponse du Conseil d'Etat du 2 novembre 2010 et
ses annexes, alors que ces pièces contenaient des informations déterminantes
pour trancher la question litigieuse (caractère excessif ou non du prix de
vente convenu entre les parties, justification des surcoûts pris en compte par
le Conseil d'Etat). Dans ces circonstances confuses, la suite de la procédure
était incertaine pour les recourants. Ces derniers pouvaient s'attendre à des
éclaircissements de la part de la Chambre administrative. En s'en abstenant,
celle-ci a violé l'art. 29 al. 1 et 2 Cst.

3.
Le recours doit dès lors être admis pour ce motif, sans qu'il soit nécessaire
d'examiner les autres griefs soulevés par les recourants. La cause doit être
renvoyée à la Chambre administrative pour nouvelle décision après avoir permis
aux recourants d'exercer leur droit de réplique.
Conformément à l'art. 66 al. 4 LTF, les frais judiciaires ne sont pas mis à la
charge du canton de Genève. Celui-ci devra en revanche s'acquitter d'une
indemnité de dépens allouée aux recourants (art. 68 al. 1 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Les causes 1C_72/2012 et 1C_82/2012 sont jointes.

2.
Les recours sont admis et l'arrêt attaqué est annulé. La cause est renvoyée à
la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève pour
nouvelle décision dans le sens des considérants.

3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

4.
4.1 Le canton de Genève versera à X.________ et Y.________, solidairement entre
eux, une indemnité de 3'000 fr. à titre de dépens.

4.2 Le canton de Genève versera à la société Z.________ SA une indemnité de
3'000 fr. à titre de dépens.

5.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des recourants, au Conseil
d'Etat du canton de Genève et à la Cour de justice de la République et canton
de Genève, Chambre administrative.

Lausanne, le 7 août 2012

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Fonjallaz

La Greffière: Mabillard