Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 1C.497/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
1C_497/2012

Arrêt du 9 janvier 2013
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président, Aemisegger et Chaix.
Greffière: Mme Mabillard.

Participants à la procédure
A.________, représentée par Me Christophe A. Gal, avocat,
recourante,

contre

Asloca, Association genevoise de défense des locataires, rue du Lac 12, 1207
Genève, représentée par Me Romolo Molo, avocat,
intimée,

Département de l'urbanisme de la République et canton de Genève, Office de
l'urbanisme, Service des affaires juridiques, case postale 224, 1211 Genève 8.

Objet
Aliénation d'appartement loué,

recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre
administrative, du 24 août 2012.

Faits:

A.
La société A.________ est propriétaire de différents biens immobiliers, dont un
lot de trois appartements en propriété par étage (PPE), portant les nos 3.03,
3.04 et 3.05, situés dans un bâtiment à l'adresse rue Marignac 14 à Genève. Ces
trois appartements sont mis en location.
Par arrêté du 15 février 2010, le département cantonal des constructions et des
technologies de l'information, devenu depuis le département de l'urbanisme
(ci-après: le département), a autorisé l'aliénation de l'appartement de trois
pièces n° 3.04 à B.________.

B.
L'Association genevoise de défense des locataires (ci-après: l'Asloca) a
recouru contre cette autorisation auprès de la commission cantonale de recours
en matière administrative, devenue depuis le 1er janvier 2011 le Tribunal
administratif de première instance (ci-après: le TAPI).
Après avoir procédé à l'audition des parties, le TAPI a admis le recours et
annulé l'autorisation d'aliéner l'appartement n° 3.04 le 29 mars 2011.
Par arrêt du 24 août 2012, la Chambre administrative de la Cour de justice du
canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) a rejeté le recours de
A.________ contre le jugement du TAPI du 29 mars 2011. Elle a considéré en
substance que la société recourante ne justifiait pas d'avoir obtenu l'accord
du 60 % des autres locataires de l'immeuble et que, de toute façon, vu la
pénurie sévère de logements locatifs dans le canton de Genève, l'intérêt public
au maintien du statu quo était indéniable.

C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande
au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Cour de justice du 24 août 2012, de
dire que le recours de l'Asloca devant le TAPI était infondé et de rétablir
l'autorisation litigieuse. Subsidiairement, elle conclut au renvoi du dossier à
la cour cantonale pour instruction complémentaire et nouvelle décision. La
recourante se plaint pour l'essentiel d'un établissement inexact des faits,
d'une violation de son droit d'être entendue et du principe de la séparation
des pouvoirs ainsi que d'une application arbitraire du droit cantonal.
La Cour de justice s'en rapporte à justice quant à la recevabilité du recours
et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. Le département
propose l'admission du recours et l'Asloca conclut à son rejet.

Considérant en droit:

1.
1.1 Dirigé contre une décision rendue en dernière instance cantonale dans le
domaine du droit public des constructions, le recours est en principe recevable
comme recours en matière de droit public conformément aux art. 82 ss LTF,
aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. La recourante,
qui a pris part à la procédure devant la Cour de justice, est particulièrement
touchée par l'arrêt attaqué qui confirme l'annulation de l'autorisation
d'aliéner qu'elle avait obtenue du département cantonal. Elle a donc la qualité
pour agir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF.

1.2 Dans la mesure où la recourante s'en prend aussi au jugement du TAPI,
décision ayant précédé celle de la Cour de justice, son recours est irrecevable
en raison de l'effet dévolutif complet des actes déposés auprès de la dernière
instance cantonale (art. 67 de la loi cantonale du 12 septembre 1985 sur la
procédure administrative [LPA/GE]; ATF 136 II 101 consid. 1.2 p. 104). Point
n'est dès lors besoin d'examiner si le TAPI devait déclarer infondé le recours
de l'Asloca, comme le soutient la recourante.

2.
La recourante se plaint d'une constatation inexacte des faits et d'une
violation de son droit d'être entendue.

2.1 Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité
précédente (art. 105 al. 1 LTF). Le recourant ne peut critiquer ceux-ci que
s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à
celle d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 134 V 53 consid. 4.3 p. 62) -
ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 97 al. 1 LTF), ce qu'il
lui appartient d'exposer et de démontrer de manière claire et circonstanciée.
La correction du vice soulevé doit en outre être susceptible d'influer sur le
sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).
Le droit d'être entendu implique pour l'autorité l'obligation de motiver sa
décision, afin que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci
et l'attaquer en connaissance de cause. Selon la jurisprudence, la motivation
d'une décision est suffisante lorsque l'autorité mentionne, au moins
brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé son
raisonnement. L'autorité ne doit toutefois pas se prononcer sur tous les moyens
des parties; elle peut se limiter aux questions décisives (ATF 130 II 530
consid. 4.3 p. 540 et les arrêts cités).

2.2 En l'espèce, la recourante reproche à la Cour de justice d'avoir omis de
mentionner qu'avant d'être soumis en 1984 au régime de la PPE, l'immeuble en
cause était exploité sous la forme d'une société d'actionnaires-locataires. Ce
fait serait à son avis déterminant pour l'octroi d'une autorisation de vente en
application de l'art. 39 al. 4 de la loi genevoise du 25 janvier 1996 sur les
démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (LDTR); en
vertu de cette disposition, le département autorise l'aliénation d'un
appartement si celui-ci a été dès sa construction soumis au régime de la
propriété par étages ou à une forme de propriété analogue. En l'occurrence, le
fait allégué par la recourante n'est pas apte à démontrer que l'appartement
litigieux était, dès sa construction, soumis à une forme de propriété analogue
au régime de la PPE. Cet élément n'était par conséquent pas pertinent pour
trancher le litige et la Cour de justice, en l'omettant, n'a pas procédé à une
constatation inexacte des faits. De même, les juges cantonaux n'étaient pas
tenus de répondre au grief de la recourante fondé sur ce fait, dans la mesure
où il était manifestement sans consistance. L'absence de motivation de l'arrêt
à cet égard n'a de toute façon pas empêché l'intéressée de recourir céans sur
ce point.
Mal fondées, les critiques tirées d'une constatation incomplète des faits et
d'une violation du droit d'être entendu doivent être rejetées.

3.
La recourante reproche à la Cour de justice d'avoir violé la garantie de la
propriété et procédé à une application arbitraire de l'art. 39 al. 3 LDTR.

3.1 Une décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement une norme ou un
principe juridique clair et indiscuté, ou lorsqu'elle contredit d'une manière
choquante le sentiment de la justice et de l'équité; le Tribunal fédéral ne
s'écarte ainsi de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière
instance que si elle est insoutenable ou en contradiction manifeste avec la
situation effective, ou si elle a été adoptée sans motifs objectifs et en
violation d'un droit certain. En outre, il ne suffit pas que les motifs de la
décision critiquée soient insoutenables, encore faut-il que cette dernière soit
arbitraire dans son résultat (ATF 138 I 305 consid. 4.3 p. 319; 132 I 13
consid. 5.1 p. 17).

3.2 La LDTR a pour but la préservation de l'habitat et des conditions de vie
existants, en prévoyant notamment des restrictions quant à l'aliénation des
appartements destinés à la location (art. 1 al. 2 let. c LDTR). Ces mesures
figurent à l'art. 39 de la loi, dont la teneur est la suivante:
Art. 39 Aliénation
1 L'aliénation, sous quelque forme que ce soit (notamment cession de droits de
copropriété d'étages ou de parties d'étages, d'actions, de parts sociales),
d'un appartement à usage d'habitation, jusqu'alors offert en location, est
soumise à autorisation dans la mesure où l'appartement entre, à raison de son
loyer ou de son type, dans une catégorie de logements où sévit la pénurie.
Motifs de refus
2 Le département refuse l'autorisation lorsqu'un motif prépondérant d'intérêt
public ou d'intérêt général s'y oppose. L'intérêt public et l'intérêt général
résident dans le maintien, en période de pénurie de logements, de l'affectation
locative des appartements loués.
Exception
3 Afin de prévenir le changement d'affectation progressif d'un immeuble
locatif, le désir d'un locataire, occupant effectivement son logement depuis
trois ans au moins, d'acquérir ledit logement n'est présumé l'emporter sur
l'intérêt public que si les conditions suivantes sont réunies:
- 60 % des locataires en place acceptent formellement cette acquisition; dans
ce cas cependant, les locataires restants devront obtenir la garantie de ne pas
être contraints d'acheter leur appartement ou de partir.
Motifs d'autorisation
4 [...]
Relogement du locataire
5 [...]

3.3 Le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de considérer que l'intérêt public
poursuivi par la LDTR, qui tend à préserver l'habitat et les conditions de vie
existants, en restreignant notamment le changement d'affectation des maisons
d'habitation (art. 1 al. 1 et 2 let. a LDTR), procède d'un intérêt public
important (ATF 128 I 206 consid. 5.2.4 p. 211 s.; 113 Ia 126 consid. 7a p. 134;
111 Ia 23 consid. 3a p. 26 et les arrêts cités). Par ailleurs, la
réglementation mise en place par la LDTR est en soi conforme au droit fédéral
et à la garantie de la propriété, y compris dans la mesure où elle prévoit un
contrôle des loyers après transformations (cf. ATF 116 Ia 401 consid. 9 p.
414); de même, le refus de l'autorisation de vendre un appartement loué
lorsqu'un motif prépondérant d'intérêt public ou d'intérêt général s'y oppose
n'est pas une atteinte disproportionnée à la garantie de la propriété, pourvu
que l'autorité administrative effectue une pesée des intérêts en présence et
évalue l'importance du motif de refus au regard des intérêts privés en jeu (ATF
113 Ia 126 consid. 7b/aa p. 137).

4.
Dans le cas particulier, la Cour de justice a expliqué que, lorsque l'art. 39
al. 3 LDTR se réfère à l'accord de 60 % des locataires en place, il s'agit de
l'ensemble des locataires habitant le bâtiment à la date de la vente, et non
pas des locataires des seuls appartements liés aux parts de PPE appartenant au
requérant. Comme la recourante ne justifiait pas avoir l'accord du 60 % des
autres locataires de l'immeuble, il était inutile d'examiner si les autres
conditions de l'art. 39 al. 3 LDTR étaient satisfaites.
La recourante estime pour sa part que les conditions d'application de l'art. 39
al. 3 LDTR sont remplies puisque, à son avis, cette disposition ne concerne pas
tous les locataires de l'immeuble, mais uniquement les locataires des
appartements dont elle est propriétaire. Ce faisant, elle ne démontre nullement
en quoi le raisonnement de la cour cantonale serait déraisonnable, se
contentant, dans un style appellatoire, d'opposer son opinion à celle des juges
cantonaux. Quoi qu'il en soit, l'arrêt attaqué n'apparaît pas insoutenable sur
ce point si bien que le grief d'application arbitraire du droit cantonal doit
être écarté.

5.
La recourante critique également la pesée des intérêts effectuée par les juges
cantonaux, alléguant que celle-ci contreviendrait au principe de la
proportionnalité et, par voie de conséquence, à la garantie de la propriété.
En l'occurrence, la Cour de justice a considéré que, vu la pénurie sévère de
logements locatifs dans le canton de Genève, l'intérêt public à la préservation
d'un parc immobilier de logements à louer était particulièrement important. La
recourante, qui possédait un lot de trois appartements locatifs à la rue
Marignac 14, avait déjà obtenu du département l'autorisation de céder l'un
d'entre eux, laquelle était entrée en force. Si l'autorisation requise était
accordée, cela reviendrait à individualiser non seulement l'appartement
concerné par l'autorisation attaquée, mais également le troisième appartement,
ce qui augmenterait le risque que celui-ci soit lui aussi soustrait à une
affectation locative, en contradiction d'une application stricte de la LDTR. De
son côté, la recourante n'avait pas établi la nécessité qu'elle avait de céder
les parts de PPE liées à l'appartement. Elle avait certes invoqué un besoin
d'assainissement qu'elle n'avait aucunement démontré précisément. Son intérêt
n'allait donc pas au-delà d'un simple intérêt économique. Quant à l'acheteuse
de l'appartement n° 3.04, si son intérêt était certain, il demeurait de pure
convenance personnelle. Dans ces circonstances, l'intérêt public au maintien du
statu quo était indéniable.
En premier lieu, il apparaît que l'art. 39 al. 3 LDTR n'étant pas applicable,
l'intérêt privé du locataire désirant acquérir son logement n'est pas présumé
plus important que l'intérêt public. D'autre part, la recourante ne conteste
pas que son intérêt à la vente de l'appartement litigieux, tout comme celui de
la locataire à l'acquérir, est avant tout économique. Il ne s'agit ainsi de
toute évidence pas d'un intérêt particulier qui apparaîtrait prépondérant face
à l'intérêt public poursuivi par la LDTR, qui n'est du reste pas remis en cause
par l'intéressée. Il apparaît ainsi que l'arrêt attaqué, en tant qu'il confirme
l'annulation de l'autorisation litigieuse, procède d'une pesée des intérêts qui
échappe à l'arbitraire et ne consacre par conséquent pas de violation du
principe de la propriété. Mal fondé, le recours doit être rejeté sur ce point.

6.
Dans un grief confus, où sont invoqués les principes de la séparation des
pouvoirs et de la légalité, la recourante fait valoir que la Cour de justice
aurait complètement et arbitrairement ignoré la pesée des intérêts entreprise
par le département et n'aurait aucunement démontré en quoi cette pondération
était contraire au droit, voire constitutive d'un abus du pouvoir
d'appréciation du département. En l'occurrence, en confirmant dans son principe
la pesée des intérêts effectuée par le TAPI, la Cour de justice n'a pas pour
autant contrevenu au principe de la séparation des pouvoirs ou méconnu le
pouvoir d'appréciation du département, comme le soutient l'intéressée. Cette
critique doit par conséquent être écartée.

7.
Il résulte de ce qui précède que le recours, entièrement mal fondé, doit être
rejeté, aux frais de la recourante qui succombe (art. 65 et 66 LTF). Celle-ci
versera en outre une indemnité de dépens à l'intimée qui obtient gain de cause
avec l'assistance d'un avocat (art. 68 al. 1 et 2 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Les frais judiciaires, fixés à 3'000 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

3.
Une indemnité de 3'000 fr., à payer à l'intimée à titre de dépens, est mise à
la charge de la recourante.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Département cantonal de
l'urbanisme et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre
administrative.

Lausanne, le 9 janvier 2013
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Fonjallaz

La Greffière: Mabillard