Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 1C.205/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 1/2}
1C_205/2012

Arrêt du 6 novembre 2012
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président, Aemisegger et Chaix.
Greffière: Mme Mabillard.

Participants à la procédure
Genevoise Compagnie Immobilière SA, représentée par Me Jean-François Marti,
avocat,
recourante,

contre

Conseil d'Etat du canton de Genève, p.a. Chancellerie d'Etat, case postale
3964, 1211 Genève 3, agissant par le Département des constructions et des
technologies de l'information du canton de Genève, place de la Taconnerie 7,
1204 Genève.

Objet
Classement,

recours contre le jugement de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre
administrative, du 28 février 2012.

Faits:

A.
La Genevoise compagnie immobilière SA (ci-après: la Genevoise) est propriétaire
du bâtiment H86, sis sur la parcelle 4138, feuille 6, de la commune de Genève,
à l'adresse 49 rue du Rhône et 30 quai du Général-Guisan.
Depuis 1982, l'entreprise Relais de l'Entrecôte SA exploite au rez-de-chaussée
de l'immeuble précité le restaurant à l'enseigne "Le Relais de l'Entrecôte".
Selon le plan de site de la rade, établi le 17 avril 1991 et adopté par le
Conseil d'Etat les 25 novembre 1992 et 4 octobre 1993, l'immeuble de la
Genevoise est considéré comme bâtiment maintenu. Le règlement du plan de site
précise qu'en cas de rénovation ou de transformation, les structures porteuses,
de même que, en règle générale, les éléments architecturaux caractéristiques,
notamment les verrières, les décors intérieurs et extérieurs, les terrasses
entre les bâtiments et la rue, doivent être sauvegardés (art. 4 al. 2). Les
rez-de-chaussée des bâtiments sont, en règle générale, destinés aux activités
commerciales ouvertes au public et compatibles avec le quartier, à l'exclusion
des activités administratives et d'autres activités qui ne s'intègrent pas au
caractère des lieux. Ceux des bâtiments affectés à des activités qui
contribuent directement à l'animation des espaces publics, tels que boutiques,
restaurants, cafés ou autre commerces, conservent cette destination (art. 8 al.
1).

B.
Lors de sa séance du 27 novembre 2007 et faisant suite au recensement des
établissements publics (cafés et restaurants) établi en 2005 par Madame
Isabelle Brunier, historienne de l'art, la commission des monuments, de la
nature et des sites du canton de Genève (la CMNS) a formulé une résolution
concernant les cafés et restaurants historiques de Genève, dont fait partie Le
Relais de l'Entrecôte.
Le 17 mars 2008, le conseil municipal de la Ville de Genève (ci-après : le
conseil municipal) a adopté une motion intitulée «Pour le classement de
l'ancienne brasserie Bavaria, actuellement Relais de l'Entrecôte». Au terme de
ce document, il demandait au conseil administratif d'engager une procédure de
classement. Le conseil administratif a répondu à cette motion le 9 septembre
2009. Il a considéré que la protection offerte par le plan de site ne suffisait
effectivement pas pour conserver l'aménagement intérieur et l'affectation des
locaux, de sorte qu'il convenait de les classer. Le même jour, il a formé une
demande de classement auprès du département cantonal des constructions et des
technologies de l'information (ci-après: le département) pour ces locaux.

C.
Par arrêt du 23 mars 2010 rendu en matière de baux et loyers, le Tribunal
fédéral a retenu que le congé signifié le 4 mai 2006 par la Genevoise au Relais
de l'Entrecôte était valable, accordant une prolongation unique jusqu'au 30
avril 2013 au restaurateur (cause 4A_557/2009).

D.
Le 25 mai 2011, le Conseil d'Etat a prononcé le classement des locaux du
rez-de-chaussée de l'immeuble de la Genevoise. Il en a été de même de
l'extérieur de ceux-ci situé côté rue du Rhône 49 et côté quai du
Général-Guisan, ainsi que de leur intérieur, y compris le mobilier (chaises
d'origine, pieds des tables).
La Genevoise a porté sa cause devant la Chambre administrative de la Cour de
justice du canton de Genève (ci-après: la Chambre administrative), qui, après
avoir procédé à un transport sur place en présence des parties, a rejeté le
recours par arrêt du 28 février 2012. Les juges cantonaux ont considéré en
substance que la protection offerte par le plan de site était insuffisante pour
préserver les caractéristiques internes de l'établissement. La mesure de
classement contestée était par ailleurs compatible avec les libertés
constitutionnelles de la Genevoise et n'avait pas pour conséquence de l'obliger
à poursuivre une activité économique déficitaire.

E.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, la Genevoise
demande au Tribunal fédéral de constater la nullité de l'arrêté du Conseil
d'Etat du 25 mai 2011 et de l'arrêt de la Chambre administrative du 28 février
2012. Subsidiairement, elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et de la
décision de classement. La recourante se plaint pour l'essentiel d'une
constatation incomplète des faits et d'une violation arbitraire du droit
cantonal.
La chambre administrative s'en rapporte à justice quant à la recevabilité du
recours et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. Le
Conseil d'Etat s'en rapporte également à justice quant à la recevabilité du
recours; il conclut à son rejet ainsi qu'à la confirmation de l'arrêt attaqué
et, en tant que de besoin, de la décision de classement. La recourante a
répliqué le 28 juin 2012, persistant dans les conclusions de son recours.
Par ordonnance du 2 mai 2012, le Président de la Ire Cour de droit public a
rejeté la requête d'effet suspensif de la recourante.

Considérant en droit:

1.
Dirigé contre une décision rendue dans le domaine du droit public de
l'aménagement du territoire et des constructions, le recours est en principe
recevable comme recours en matière de droit public conformément aux art. 82 ss
LTF, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. En tant
que propriétaire de l'immeuble concerné par la mesure de classement litigieuse,
la recourante est particulièrement touchée par l'arrêt attaqué et peut ainsi se
prévaloir d'un intérêt personnel et digne de protection à son annulation ou à
sa modification. Elle a dès lors qualité pour agir au sens de l'art. 89 al. 1
LTF.

2.
Dans un premier grief relatif à l'établissement des faits, la recourante
reproche à la Chambre administrative de n'avoir pas instruit la question de la
propriété des pieds de tables et des chaises. Elle fait valoir que ces objets
ne lui appartiennent pas et qu'elle ignore qui en est propriétaire. La décision
de classement serait nulle puisque le propriétaire du mobilier n'a pas pu
participer à la procédure.

2.1 La procédure administrative est régie certes essentiellement par la maxime
inquisitoire, selon laquelle l'autorité définit les faits pertinents et les
preuves nécessaires, qu'elle ordonne et apprécie d'office. Cette maxime doit
cependant être relativisée par son corollaire, à savoir le devoir des parties
de collaborer à l'établissement des faits (ATF 128 II 139 consid. 2b p. 142;
120 V 357 consid. 1a p. 360). Conformément au principe général de procédure
consacré à l'art. 8 CC, il incombe en effet à l'administré d'établir les faits
qui sont de nature à lui procurer un avantage, spécialement lorsqu'il s'agit
d'élucider des faits qu'il est le mieux à même de connaître, telle sa situation
patrimoniale (arrêt 1B_152/2008 du 30 juin 2008 consid. 3.2; voir aussi ATF 125
IV 161 consid. 4 p. 164; 120 Ia 179 consid. 3a p. 181).
En l'espèce, la recourante n'a pas soulevé la moindre remarque, en cours de
procédure, sur les objets mobiliers touchés par le classement, en particulier
quant à leur appartenance. La chambre administrative pouvait dès lors partir du
principe qu'ils étaient également propriété de la Genevoise (cf. art. 644 al. 2
CC). La maxime inquisitoire n'imposait pas d'instruire d'office une question
qui n'était pas litigieuse et l'on ne voit pas en quoi les juges cantonaux
auraient établi les faits de façon manifestement inexacte ou incomplète. En
tout état de cause, le fait que la recourante ne serait pas propriétaire du
mobilier est allégué pour la première fois en procédure fédérale et a valeur de
nova; il ne peut dès lors être pris en considération (cf. art. 99 al. 1 LTF).
Partant, le grief doit être rejeté sur ce point.

2.2 En arguant qu'elle n'est pas propriétaire des pieds de table et des chaises
de l'établissement, ce qui rendrait nulle la décision de classement, la
recourante présente une argumentation nouvelle. L'art. 99 LTF n'interdit pas de
présenter, pour la première fois devant le Tribunal fédéral, une nouvelle
argumentation juridique, à la condition toutefois que celle-ci repose
entièrement sur l'état de fait qui lie le Tribunal fédéral, puisqu'il n'est pas
admis de présenter des faits nouveaux ou des moyens de preuve nouveaux (art. 99
al. 1 LTF; ATF 134 III 643 consid. 5.3.2 p. 651). En l'occurrence, cette
nouvelle motivation de la recourante se base sur des nova; elle est par
conséquent irrecevable.

2.3 Au surplus, en tant qu'elle invoque les droits de partie ainsi que le droit
d'être entendu de l'éventuel propriétaire du mobilier classé, la recourante
agit dans l'intérêt d'un tiers, ce qu'elle n'est pas habilitée à faire (art. 89
al. 1 LTF).

3.
Au fond, la recourante se plaint d'une violation du principe de la
proportionnalité. Elle estime que le plan de site protège suffisamment le
bâtiment et qu'une mesure de classement ne serait par conséquent pas
nécessaire.
Il est en l'espèce douteux que la motivation du grief, rédigé dans un style
appellatoire, réponde aux exigences accrues de l'art. 106 al. 2 LTF. Quoi qu'il
en soit, la critique est mal fondée. La chambre administrative a en effet
expliqué de façon convaincante que la protection du bâtiment par le plan de
site n'était pas aussi efficace que celle découlant d'un classement, notamment
car elle ne permettait pas d'empêcher des interventions fondamentales à
l'intérieur de l'édifice. En particulier, le plan de site est insuffisant pour
préserver les caractéristiques internes de l'établissement, soit in casu les
boiseries et le mobilier, qui présentent un intérêt historique et patrimonial
indéniable, reconnu par les spécialistes. La mesure de classement litigieuse ne
contrevient dès lors pas au principe de la proportionnalité.

4.
Enfin, la recourante affirme en vain que la mesure de classement serait
arbitraire, car détournée de son but. Le classement constituerait selon elle
une nouvelle tentative d'imposer au bailleur le maintien de l'activité du
"Relais de l'Entrecôte". Or, il ressort de l'arrêt attaqué que la mesure
litigieuse ne saurait chercher à imposer l'exploitation des locaux par une
personne déterminée, rapports relevant exclusivement du droit privé, ce que ne
conteste pas la recourante. A cela s'ajoute que, comme l'a rappelé le Conseil
d'Etat dans sa réponse du 1er juin 2012, l'objectif du classement visait
exclusivement la sauvegarde d'un patrimoine architectural dont la pérennité ne
pouvait être garantie durablement par les seules prescriptions du plan de site
de la rade. Le présent grief s'avère également mal fondé et doit être rejeté.

5.
Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté dans la mesure où
il est recevable, aux frais de la recourante qui succombe (art. 65 et 66 al. 1
LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Les frais judiciaires, fixés à 4'000 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, au Conseil
d'Etat et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre administrative.

Lausanne, le 6 novembre 2012
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Fonjallaz

La Greffière: Mabillard