Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 1C.148/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
1C_148/2012

Arrêt du 26 juin 2012
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges Fonjallaz, Président, Aemisegger et Merkli.
Greffier: M. Rittener.

Participants à la procédure
Hoirie X.________, soit pour elle:
A.________,
B.________,
représentés par Me Férida Béjaoui Hinnen, avocate,
recourants,

contre

C.________,
D.________,
représentées par Me François Bellanger, avocat,
intimées,

Conseil d'Etat du canton de Genève, rue de l'Hôtel-de-Ville 2, 1204 Genève.

Objet
expropriation d'une servitude,

recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre
administrative, du 8 février 2012.

Faits:

A.
Le 22 novembre 2006, le Conseil d'Etat genevois (ci-après: le Conseil d'Etat) a
adopté le plan localisé de quartier n° 29'468. Couvrant un secteur du
Petit-Saconnex, à Genève, ce plan prévoit notamment la construction de trois
immeubles sur les parcelles n° 1775, 2247, 2248 et 3056 du registre foncier,
dont C.________ et D.________ sont propriétaires. L'hoirie X.________ est
propriétaire de la parcelle n° 2249, contiguë aux parcelles n° 2247 et 2248
précitées. Avec d'autres opposants au plan de quartier, elle a saisi le
Tribunal administratif du canton de Genève, qui a rejeté le recours par arrêt
du 15 avril 2008. Le recours formé contre cet arrêt auprès du Tribunal fédéral
a été rejeté le 25 septembre 2008 (arrêt 1C_248/2008).
Le 31 juillet 2009, E.________ a requis l'autorisation de construire sur les
parcelles n° 1775, 2247, 2248 et 3056 cinq immeubles de logements et commerces,
des garages souterrains et des sondes géothermiques. Il demandait en outre
l'autorisation de démolir des bâtiments et abattre des arbres situés sur ces
parcelles. Par décision du 3 juin 2011, le Département des constructions et des
technologies de l'information du canton de Genève (ci-après: le département des
constructions) a délivré les autorisations requises. Publiées dans la Feuille
d'avis officielle du canton de Genève du 8 juin 2011, ces trois autorisations
ont fait l'objet d'un recours de l'hoirie X.________ auprès du Tribunal
administratif de première instance du canton de Genève.
Par décision du 28 juillet 2011, cette autorité a rejeté une demande de
restitution de l'effet suspensif. L'hoirie X.________ a recouru contre cette
décision auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de
Genève (ci-après: la Cour de justice), qui a rejeté le recours par arrêt du 8
novembre 2011. La Cour de céans a admis le recours formé contre cette décision
par l'hoirie X.________, en raison d'une violation du droit d'être entendu de
celle-ci; la cause a dès lors été renvoyée à la Cour de justice pour nouvelle
décision (arrêt 1C_568/2011 du 13 février 2012). Cette autorité a statué à
nouveau le 3 avril 2012, rejetant le recours. L'hoirie X.________ a derechef
contesté cet arrêt auprès du Tribunal fédéral, qui a déclaré ce recours
irrecevable pour cause de tardiveté (arrêt 1C_254/2012 du 21 mai 2012).

B.
La parcelle n° 1775 est grevée d'une servitude de restriction de bâtir au
profit de la parcelle n° 2249. Inscrite au registre foncier en 1928, cette
servitude comporte l'interdiction d'édifier sur le bien-fonds grevé toute
construction autre qu'une maison d'habitation dont le gabarit ne peut excéder
deux étages sur rez-de-chaussée ou un étage avec combles habitables. La
parcelle n° 2249 est grevée d'une servitude inscrite le même jour au profit de
la parcelle n° 1775.
Le 17 novembre 2010, le Conseil d'Etat a promulgué la loi n° 10646 déclarant
d'utilité publique le plan de quartier adopté le 22 novembre 2006. Cette loi se
fonde sur l'art. 6A de la loi générale sur les zones de développement (LGZD;
RSG L 1 35), qui a la teneur suivante:
Afin d'éviter les effets de servitudes de restriction à bâtir, le Grand Conseil
peut déclarer d'utilité publique la réalisation d'un plan localisé de quartier
pour autant qu'au moins 60% des surfaces de plancher, réalisables selon ce
plan, soient destinées à l'édification de logements d'utilité publique au sens
des articles 15 et suivants de la loi générale sur le logement et la protection
des locataires, du 4 décembre 1977. La déclaration d'utilité publique
s'applique uniquement à la levée des servitudes de restriction à bâtir.
L'alinéa 2 de la loi n° 10646 précitée autorise le Conseil d'Etat à décréter
l'expropriation des servitudes empêchant la réalisation des bâtiments prévus
par le plan, au profit des propriétaires des parcelles situées à l'intérieur du
périmètre de celui-ci, conformément à l'art. 5 de la loi cantonale sur
l'expropriation pour cause d'utilité publique (LEx/GE; RSG L 7 05).
Par courrier du 10 janvier 2011, le département des constructions a invité
l'hoirie X.________ à renoncer à la servitude constituée à son profit et
grevant la parcelle n° 1775. Un délai était imparti à cet effet au 31 janvier
2011, à défaut de quoi le Conseil d'Etat serait requis de procéder à
l'expropriation de la servitude. L'hoirie X.________ a répondu qu'elle n'était
pas en mesure de vérifier si la proportion de 60% de logements d'utilité
publique prévue par l'art. 6A LGZD était respectée. Elle demandait des
informations sur ce point ainsi qu'une prolongation du délai imparti. Le 10
mars 2011, le département des constructions a répondu qu'il était établi que le
pourcentage de logements d'utilité publique requis pour la déclaration
d'utilité publique serait effectivement atteint, de sorte qu'il transmettait un
projet d'arrêté d'expropriation au Conseil d'Etat. Par deux arrêtés distincts
du 25 mai 2011, communiqués séparément aux deux membres de l'hoirie X.________,
le Conseil d'Etat a prononcé l'expropriation de la servitude grevant la
parcelle n° 1775 au profit de la parcelle n° 2249. Le 30 juin 2011, l'hoirie
X.________ a recouru contre ces arrêtés auprès de la Cour de justice. Ce
dernier recours a été rejeté par arrêt du 8 février 2012. La Cour de justice a
rejeté un grief de violation du droit d'être entendu ainsi que les moyens
relatifs à la régularité formelle des arrêtés litigieux. Considérant que la
garantie de la propriété n'était pas violée, elle a estimé par ailleurs qu'elle
n'était pas compétente pour statuer sur le moyen relatif à un usage
prétendument abusif de la clause d'urgence. Relevant que l'hoirie ne s'opposait
pas à l'envoi en possession anticipée, la Cour de justice a autorisé C.________
et D.________ à prendre possession anticipée de la servitude de restriction de
bâtir litigieuse dès le 1er mars 2012. Enfin, elle a considéré que l'hoirie
X.________ n'avait droit à aucune indemnité d'expropriation, de sorte qu'il n'y
avait pas lieu de donner suite à sa requête tendant à la désignation d'un
expert pour examiner cette question.

C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, l'hoirie X.________
- soit pour elle A.________ et B.________ - demande au Tribunal fédéral
d'annuler cet arrêt ainsi que les arrêtés du Conseil d'Etat du 25 mai 2011,
subsidiairement de renvoyer la cause à l'instance précédente pour nouvelle
décision. Elle se plaint d'arbitraire dans l'établissement des faits et
l'appréciation des preuves, d'une violation du droit d'être entendu et d'une
atteinte injustifiée à la garantie de la propriété. Elle requiert en outre
l'octroi de l'effet suspensif. La Cour de justice a renoncé à se déterminer.
C.________ et D.________ ont présenté des observations et conclu à
l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. Le Conseil d'Etat a
également formulé des observations détaillées, concluant au rejet du recours.

D.
Par ordonnance du 23 avril 2012, le Président de la Ire Cour de droit public a
admis la demande d'effet suspensif. Le 1er juin 2012, C.________ et D.________
ont sollicité la levée de cette mesure, en alléguant que l'autorisation de
construire serait devenue "exécutoire" dès lors que le refus d'accorder l'effet
suspensif au recours contre le permis de construire était devenu définitif
suite à l'arrêt 1C_254/2012 précité.

Considérant en droit:

1.
Dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF), prise en dernière instance
cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans une cause de droit public (art. 82
let. a LTF), le recours est en principe recevable comme recours en matière de
droit public au sens des art. 82 ss LTF, aucune des exceptions prévues à l'art.
83 LTF n'étant réalisée. Les recourants sont particulièrement touchés par la
décision attaquée, qui confirme l'expropriation d'une servitude dont
bénéficiait leur parcelle et autorise la prise de possession anticipée de cette
servitude, sans leur octroyer d'indemnité d'expropriation. Ils ont donc la
qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF. Pour le surplus, déposé
en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans les formes prévues par la loi (art.
42 LTF), le recours est recevable.

2.
L'écriture de recours comporte de nombreux éléments de fait qui ne ressortent
pas de l'arrêt attaqué et les recourants se plaignent d'arbitraire dans
l'établissement des faits et l'appréciation des preuves. Conformément à l'art.
105 al. 1 LTF, le Tribunal fédéral statue en principe sur la base des faits
établis par l'autorité précédente. L'art. 105 al. 2 LTF lui permet cependant de
rectifier ou compléter d'office les constatations de l'autorité précédente si
les faits ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du
droit au sens de l'art. 95 LTF. Cette disposition vise en particulier la
violation de l'interdiction constitutionnelle de l'arbitraire (art. 97 al. 1
LTF; ATF 134 V 53 consid. 4.3 p. 62; Message concernant la révision totale de
l'organisation judiciaire fédérale du 28 février 2001, FF 2001 p. 4135; pour
une définition de l'arbitraire cf. ATF 134 I 263 consid. 3.1 p. 265 s.; 133 I
149 consid. 3.1 p. 153). Il appartient au recourant de démontrer cette
violation, par une argumentation répondant aux exigences de motivation de
l'art. 42 al. 2 LTF. Les recourants ne le font pas en l'espèce, puisqu'ils
n'exposent pas précisément quels faits auraient été retenus arbitrairement ni
en quoi l'arrêt attaqué serait lacunaire. Les critiques présentées à cet égard
relèvent davantage du fond, les recourants reprochant essentiellement à la Cour
de justice d'avoir omis de suivre leurs arguments ou de statuer sur leurs
griefs visant l'autorisation de construire. Dans ces conditions, il n'y a pas
lieu de s'écarter des faits retenus dans la décision attaquée, le présent grief
se confondant au demeurant pour l'essentiel avec la contestation de
l'appréciation juridique examinée ci-après.

3.
Invoquant une violation de leur droit d'être entendus, les recourants
reprochent à la Cour de justice d'avoir omis d'administrer des preuves qu'ils
avaient requises et de statuer sur certains de leurs griefs.

3.1 Tel qu'il est garanti à l'art. 29 al. 2 Cst., le droit d'être entendu
comprend notamment le droit pour l'intéressé de s'exprimer sur les éléments
pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique,
le droit de consulter le dossier, de produire des preuves pertinentes,
d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuve pertinentes, de
participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de
s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la
décision à rendre (ATF 136 I 265 consid. 3.2 p. 272; 135 II 286 consid. 5.1 p.
293; 132 II 485 consid. 3.2 p. 494 et les arrêts cités).
L'autorité peut cependant renoncer à procéder à des mesures d'instruction
lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que,
procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves
qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne
pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 130 II 425 consid. 2.1 p. 429;
125 I 127 consid. 6c/cc in fine p. 135; 124 I 208 consid. 4a p. 211 et les
arrêts cités). De même, l'autorité peut se limiter à l'examen des questions
décisives pour l'issue du litige; il suffit que le justiciable puisse apprécier
correctement la portée de la décision et l'attaquer à bon escient et que
l'autorité de recours puisse exercer son contrôle (ATF 134 I 83 consid. 4.1 p.
88; 133 I 270 consid. 3.1 p. 277; 130 II 530 consid. 4.3 p. 540; 125 II 369
consid. 2c p. 372 et les références).

3.2 En l'espèce, les recourants reprochent d'abord à la Cour de justice d'avoir
omis de statuer sur un certain nombre de leurs griefs. Cette autorité a en
effet considéré que les critiques dirigées contre l'autorisation de construire
délivrée le 3 juin 2011 ne visaient pas l'objet du litige, de sorte qu'elles
étaient irrecevables. Contrairement à ce que prétendent les recourants, l'arrêt
attaqué est suffisamment motivé à cet égard, dès lors qu'il expose les motifs
ayant conduit la cour cantonale à ne pas entrer en matière sur les griefs en
question. Les recourants tentent de remettre en cause cette appréciation en
affirmant que le critère de l'utilité publique du projet ne peut pas être
examiné indépendamment de l'autorisation de construire. Il serait en effet
indispensable d'établir que cette autorisation respecte la proportion de 60% de
logements d'utilité publique prévue par l'art. 6A LGZD pour déterminer si elle
est bien d'intérêt public. Ce grief se confond cependant avec le fond, le
Conseil d'Etat ayant considéré, en adoptant la loi n° 10646 susmentionnée, que
le critère de l'art. 6A LGZD était respecté. Cette loi vise au demeurant "les
bâtiments prévus par le plan localisé de quartier" et non pas l'autorisation de
construire en elle-même, qui a d'ailleurs été délivrée ultérieurement dans une
procédure distincte. Dans ces conditions, on ne voit pas ce qui imposerait un
examen du permis de construire dans le cadre de la loi déclarant d'utilité
publique le plan localisé de quartier. C'est donc à juste titre que les griefs
visant ledit permis ont été déclarés irrecevables dans la présente procédure,
cette décision ne consacrant aucune violation du droit d'être entendu.
Les recourants invoquent une violation de ce même droit en raison du refus de
la Cour de justice d'administrer des preuves. Ils contestent à cet égard le
rejet de leur requête tendant à la désignation d'un expert pour évaluer
l'indemnité d'expropriation à laquelle ils prétendent avoir droit. La Cour de
justice ayant précisément considéré qu'ils ne pouvaient pas prétendre à une
telle indemnité, la motivation du refus d'administrer le moyen de preuve
précité apparaît clairement. Cela étant, dans la mesure où les considérants qui
suivent remettent en cause l'appréciation de l'instance précédente sur ce
point, il n'est pas exclu que l'expertise requise s'avère finalement nécessaire
pour évaluer l'indemnité éventuellement due aux recourants. Il appartiendra à
la Cour de justice de trancher cette question dans le cadre de la nouvelle
décision à rendre en application du présent arrêt.

4.
Pour le surplus, les recourants se plaignent essentiellement d'une atteinte
injustifiée à la garantie de la propriété. Ils invoquent en outre une violation
des principes de la proportionnalité et une absence d'intérêt public, sans que
l'on puisse rattacher leurs arguments à ces notions. On comprend cependant
qu'ils reprochent à la Cour de justice d'avoir considéré que l'expropriation de
la servitude dont bénéficiait leur parcelle ne donnait droit à aucune
indemnité.

4.1 Conformément à l'art. 26 al. 2 Cst., une pleine indemnité est due en cas
d'expropriation ou de restriction de la propriété qui équivaut à une
expropriation. Ce principe est repris à l'art. 14 LEx/GE, qui prévoit que
l'expropriation ne peut avoir lieu que moyennant indemnité pleine et entière.
Aux termes de l'art. 18 al. 1 LEx/GE, cette indemnité comprend la pleine valeur
vénale du droit exproprié (let. a), en cas d'expropriation partielle d'un
immeuble ou de plusieurs immeubles dépendant économiquement les uns des autres,
le montant dont est réduite la valeur vénale de la partie restante (let. b) et
le montant de tous autres préjudices, non réparés par les indemnités allouées
en vertu des deux lettres qui précèdent, pour autant que ces préjudices peuvent
être prévus, dans le cours normal des choses, comme une conséquence de
l'expropriation (let. c).

4.2 La servitude expropriée n'ayant pas de valeur vénale, l'indemnité se
détermine selon les règles de l'expropriation partielle (ATF 129 II 420 consid.
3.1.1 p. 425; 121 II 436 consid. 8a p. 445). A cet égard, la Cour de justice a
appliqué par analogie l'art. 19 let. b de la loi fédérale sur l'expropriation
(LEx; RS 711), dont l'art. 18 al. 1 let. b LEx/GE a repris la teneur.
Conformément à la jurisprudence, l'indemnité pour expropriation partielle se
détermine selon la méthode dite de la différence, qui consiste à déduire de la
valeur vénale du fonds avant l'expropriation celle du fonds après cette
expropriation (ATF 129 II 420 consid. 3.1.1 p. 425; 122 II 337 consid. 4c p.
343; 114 Ib 321 consid. 3. p. 324 et les arrêts cités). En cas d'expropriation
partielle, il n'est pas accordé d'indemnité de dépréciation pour la partie
restante, lorsque la dépréciation se trouve compensée par des avantages
particuliers résultant de l'entreprise de l'expropriant (art. 22 al. 1 LEx et
21 al. 1 LEx/GE). Par contre, il faut tenir compte du dommage résultant de la
perte ou de la diminution d'avantages influant sur la valeur vénale et que la
partie restante aurait, selon toute vraisemblance, conservés s'il n'y avait pas
eu d'expropriation (art. 22 al. 2 LEx et 21 al. 2 LEx/GE). La jurisprudence
prend notamment en considération à cet égard la perte d'avantages valorisant ou
protégeant l'immeuble touché: protection contre les nuisances provenant du
voisinage, garantie d'une vue dégagée sur le paysage, interdiction de
construire grevant le fonds voisin en vertu d'une servitude, etc. (perte d'un
"écran protecteur"); cette dépréciation doit être indemnisée (ATF 129 II 420
consid. 3.1.2 p. 426 et les références citées).

4.3 En l'occurrence, la Cour de justice estime qu'il n'est pas nécessaire de
déterminer la valeur du fonds touché par l'expropriation, car celle-ci ne cause
selon elle aucun dommage aux recourants. Elle considère que la parcelle
concernée bénéficie même d'une augmentation de sa valeur du fait de
l'expropriation de la servitude. Si l'on en croit l'arrêt attaqué, la
suppression de la servitude permettrait en effet aux propriétaires concernés de
bénéficier à terme eux aussi "d'un potentiel à bâtir notablement plus élevé".
On peine cependant à suivre ce raisonnement. La présente procédure a en effet
pour objet les arrêtés du Conseil d'Etat du 25 mai 2011, qui portent uniquement
sur l'expropriation de la servitude inscrite au profit de la parcelle des
recourants (n° 2249), servitude qui visait à interdire sur le bien-fonds n°
1775, sis à proximité, toute construction autre qu'une maison d'habitation dont
le gabarit ne peut excéder deux étages sur rez ou un étage avec combles
habitables. Dès lors que l'expropriation litigieuse a pour effet de permettre
la construction sur la parcelle n° 1775 de deux immeubles comportant
respectivement cinq étages sur rez et deux étages sur rez ainsi que des
attiques, on ne discerne pas d'emblée l'avantage que les recourants en
retirent.
En particulier, il ne ressort pas de l'arrêt attaqué que l'expropriation de la
servitude dont bénéficiaient les recourants s'accompagnerait nécessairement de
la radiation d'autres servitudes grevant leur bien-fonds. Dans l'état de fait
de cet arrêt, on trouve certes la mention d'une servitude de restriction de
bâtir grevant la parcelle n° 2249 au profit de la parcelle n° 1775, mais on
ignore si l'expropriation litigieuse aura un effet sur cette servitude, dont on
ne connaît au demeurant pas la portée exacte. Par ailleurs, selon un courrier
daté du 5 juin 2009 produit par le Conseil d'Etat, il semble que l'intimée
propriétaire de la parcelle n° 1775, se soit déclarée prête à radier la
servitude inscrite en faveur de sa parcelle à charge de la parcelle des
recourants, au cas où ceux-ci renonceraient volontairement à la servitude
faisant l'objet du présent litige. Cette offre n'ayant vraisemblablement pas
été acceptée, on ne peut pas en inférer que l'expropriation litigieuse
contraindra l'intimée précitée à faire radier la servitude grevant le
bien-fonds des recourants.

4.4 Dans ces conditions, l'arrêt attaqué ne permet pas de déterminer si les
recourants bénéficient effectivement d'un avantage du fait de l'entreprise de
l'expropriant. Il est vrai que l'existence d'un éventuel dommage n'est pas non
plus manifeste, la parcelle bénéficiant de la servitude expropriée n'étant pas
directement voisine du bien-fonds grevé. On ne saurait cependant exclure toute
dépréciation sans examiner plus avant la situation, et encore moins conclure à
une augmentation de valeur sans étayer cette appréciation. L'arrêt souffre à
tout le moins d'un défaut de motivation sur ces questions, de sorte que c'est à
juste titre que les recourants invoquent une violation de l'art. 29 al. 2 Cst.
à cet égard. Il y a donc lieu d'admettre le recours sur ce point et de renvoyer
la cause à la Cour de justice pour qu'elle rende une nouvelle décision
suffisamment motivée. Il lui appartiendra d'exposer les motifs qui
permettraient le cas échéant de retenir que l'expropriation ne cause pas de
dommage aux recourants. Si le motif retenu est effectivement la radiation d'une
servitude grevant le bien-fonds des recourants, il conviendra encore de
démontrer l'influence concrète de cette radiation sur le potentiel
constructible de la parcelle et de dire dans quelle mesure cela compenserait
d'éventuels inconvénients tels que les pertes de dégagement et de tranquillité
mentionnées par les recourants.

4.5 La question de l'indemnité d'expropriation étant indépendante des autres
griefs soulevés par les recourants, le recours doit être admis partiellement,
les considérants portant sur l'autorisation de prise de possession anticipée
n'étant pas remis en cause par le présent arrêt. Il ressort cependant de
l'arrêt attaqué que le droit cantonal n'autorise pas la prise de possession
anticipée avant que l'indemnité d'expropriation n'ait été fixée et/ou garantie
par des sûretés ou des avances (arrêt attaqué consid. 10; art. 81B let. c LEx/
GE). L'annulation du point du dispositif refusant toute indemnité aux
recourants entraîne donc l'annulation de l'autorisation de prise de possession
anticipée de la servitude, sans que le bien-fondé de ladite autorisation ne
soit remis en question. Il appartiendra à la Cour de justice de statuer sur ce
point également, le cas échéant en exigeant d'emblée le dépôt d'une garantie
afin que la prise de possession anticipée ne soit pas gelée jusqu'à droit connu
sur l'indemnité, seule cette dernière demeurant litigieuse.

5.
Il s'ensuit que le recours doit être admis partiellement. L'arrêt attaqué est
annulé et la cause est renvoyée à la Cour de justice pour nouvelle décision
dans le sens des considérants. Dans ces conditions, la requête de levée de
l'effet suspensif présentée le 1er juin 2012 devient sans objet. Vu l'issue du
recours, les frais de la présente procédure seront répartis par moitié entre
les recourants et les intimées (art. 66 al. 1 LTF), leurs dépens étant
compensés (art. 68 al. 1 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis partiellement. L'arrêt attaqué est annulé et la cause est
renvoyée à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre administrative, pour
nouvelle décision dans le sens des considérants.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis pour 1'500 fr. à la charge
des recourants et pour 1'500 fr. à la charge des intimées.

3.
Il n'est pas alloué de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, au Conseil d'Etat
et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre administrative.

Lausanne, le 26 juin 2012
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Fonjallaz

Le Greffier: Rittener