Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.745/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
1B_745/2012

Arrêt du 22 mars 2013
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges fédéraux Aemisegger, Juge présidant, Merkli et Chaix.
Greffier: M. Kurz.

Participants à la procédure
A.________, représentée par Me Stephen Gintzburger, avocat,
recourante,

contre

B.________, représenté par Me François Besse,
avocat,
intimé,

Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020
Renens.

Objet
Procédure pénale; classement,

recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Chambre des
recours pénale, du 24 août 2012.

Faits:

A.
Les 9 janvier 2008 et 5 novembre 2009, A.________ a porté plainte contre
B.________, C.________ et D.________ pour calomnie (art. 174 CP),
subsidiairement diffamation (art. 173 CP). Elle leur reprochait d'avoir, dans
le cadre d'une procédure civile les opposant devant un tribunal d'Hyderabad
(Inde), prétendu qu'un certificat délivré le 27 septembre 2004 par un office
vaudois des poursuites et faillites et produit par elle devant le tribunal,
aurait été obtenu "by fraud". Un premier non-lieu a été rendu le 26 novembre
2010 par le Juge d'instruction de l'arrondissement de La Côte, confirmé le 19
janvier 2011 par le Tribunal cantonal vaudois. Par arrêt du 19 janvier 2011, le
Tribunal fédéral a déclaré irrecevable - faute de qualité pour agir - le
recours interjeté par la plaignante contre cet arrêt (arrêt 1B_119/2011 du 20
avril 2011).
Le 21 février 2011, A.________ a déposé une nouvelle plainte pénale contre
B.________ pour les mêmes infractions, en lien avec une écriture datée du 18
novembre 2010 contenant les mêmes allégations. Par ordonnance du 31 juillet
2012, le Procureur de l'arrondissement de la Côte (que la plaignante avait
tenté en vain de récuser, cf. arrêt 1B_415/2011 du 25 octobre 2011) a ordonné
le classement de la plainte, faute d'atteinte à l'honneur. Par arrêt du 24 août
2012, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois a confirmé
cette décision, considérant que l'expression litigieuse, qui pouvait signifier
fraude, supercherie, dol ou escroquerie, devait être interprétée dans son
contexte et tendait plutôt à remettre en cause la validité du certificat
produit par la plaignante.

B.
Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ demande au
Tribunal fédéral de réformer l'arrêt cantonal en ordonnant un renvoi en
jugement sous l'accusation de calomnie ou de diffamation. Subsidiairement, elle
demande le renvoi de la cause au Tribunal cantonal pour nouvelle décision au
sens des considérants. Elle requiert l'assistance judiciaire.
La Chambre des recours pénale se réfère à son arrêt, sans déterminations. Le
Ministère public se réfère également à l'arrêt attaqué. B.________ n'a pas
répondu au recours.

Considérant en droit:

1.
L'arrêt attaqué a été rendu dans le cadre d'une procédure pénale, de sorte que
le recours en matière pénale au sens de l'art. 78 LTF est ouvert.

1.1 S'agissant de la confirmation d'une décision de classement, l'arrêt attaqué
a un caractère final (art. 90 LTF) et émane de l'autorité cantonale de dernière
instance (art. 80 LTF). La recourante a agi en temps utile (art. 100 al. 1
LTF).

1.2 Selon l'art. 81 al. 1 let. a et b ch. 5 LTF, la partie plaignante qui a
participé à la procédure de dernière instance cantonale est habilitée à
recourir au Tribunal fédéral si la décision attaquée peut avoir des effets sur
le jugement de ses prétentions civiles. Constituent de telles prétentions
celles qui sont fondées sur le droit civil, telles les prétentions en
réparation du dommage et du tort moral au sens des art. 41 ss CO.

1.3 La recourante explique en l'occurrence qu'elle a ouvert action civile
tendant notamment à la réparation du tort moral subi en raison des propos tenus
par sa partie adverse. Il s'agit là d'une indication suffisante au regard des
exigences d'allégation qui découlent de l'art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF. Il y
a donc lieu d'entrer en matière.

1.4 Compte tenu de l'issue évidente de la cause, il n'y a pas lieu de
s'interroger sur la recevabilité, au regard de l'art. 99 LTF, des différentes
pièces nouvelles produites à l'appui du recours.

2.
La recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue. Elle
considère que l'arrêt cantonal serait insuffisamment motivé, s'agissant du sens
qu'il conviendrait objectivement de donner au mot "fraud".

2.1 Le droit d'être entendu, garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., implique pour
l'autorité l'obligation de motiver sa décision. Selon la jurisprudence, la
motivation d'une décision est suffisante lorsque l'autorité mentionne, au moins
brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa
décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée
de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. L'autorité ne doit
toutefois pas se prononcer sur tous les moyens des parties; elle peut se
limiter aux questions décisives pour l'issue du litige (ATF 137 II 266 consid.
3.2 p. 270; 136 I 229 consid. 5.2 p. 236134 I 83 consid. 4.1 et les arrêts
cités). La portée de l'obligation de motiver dépend des circonstances concrètes
telles que la nature de la procédure, la complexité des questions de fait ou de
droit ainsi que la gravité de l'atteinte portée à la situation juridique des
parties (ATF 133 II 429 consid. 5.1.1 - non publié).

2.2 L'arrêt attaqué considère que l'expression "obtained by fraud" devrait être
replacée dans son contexte, soit des débats judiciaires dans le cadre desquels
la validité d'un document se trouve contestée. Il ne serait pas fait reproche à
la recourante d'avoir adopté un comportement pénalement répréhensible. Une
telle motivation est suffisante, sous l'angle du droit d'être entendu. Elle
fait ressortir que la signification littérale de l'expression contestée n'est
pas seule décisive, raison pour laquelle la cour cantonale ne s'est pas
déterminée sur le sens précis à donner au mot "fraud" dans le cas particulier.
La recourante est ainsi en mesure de faire valoir ses objections en toute
connaissance de cause.

3.
Sur le fond, la recourante se plaint d'arbitraire. Elle relève que dans tous
les pays anglophones, le terme " fraud " signifie escroquerie, soit un
comportement pénalement répréhensible. Même s'il s'agissait de simple fraude ou
de tromperie, cela constituerait néanmoins un comportement méprisable ou
moralement réprouvé, ce qui suffirait dans la perspective d'une atteinte à
l'honneur. Les explications de la cour cantonale (volonté de mettre en doute la
validité d'un document) n'empêcheraient nullement la réalisation d'une telle
atteinte. La recourante se prévaut également du principe "in dubio pro
duriore".

3.1 Le principe "in dubio pro duriore" découle du principe de la légalité (art.
5 al. 1 Cst. et 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 CPP; ATF
138 IV 86 consid. 4.2 p. 91). Il signifie qu'en principe, un classement ou une
non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que
lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les
conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et
l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation que
le Tribunal fédéral revoit avec retenue. La procédure doit se poursuivre
lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou
lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent
équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave (ATF 138 IV 86
consid. 4.1.2 p. 91; 186 consid 4.1 p. 190; 137 IV 285 consid. 2.5 p. 288).

3.2 Le caractère attentatoire à l'honneur d'une déclaration ne doit pas être
déterminé selon le point de vue de la personne visée, mais selon le sens qu'un
destinataire non prévenu doit, dans les circonstances données, lui attribuer (
ATF 131 IV 160 consid. 3.3.3 p. 164; 128 IV 53 consid. 1a p. 58). S'agissant
plus précisément d'un texte, il doit être analysé non seulement en fonction des
expressions utilisées, prises séparément, mais aussi selon le sens général qui
s'en dégage dans son ensemble (ATF 131 IV 160 consid. 3.3.3 p. 164; 128 IV 53
consid. 1a p. 57 s. et les réf.). La jurisprudence a également eu l'occasion de
préciser que, dans le cadre d'une procédure judiciaire, les allégations
attentatoires à l'honneur d'une partie sont justifiées par le devoir de plaider
la cause pour autant qu'elles soient pertinentes, qu'elles n'aillent pas
au-delà de ce qui est nécessaire et qu'elles ne soient pas inutilement
blessantes ou propagées de mauvaise foi; de simples suppositions doivent être
présentées comme telles (ATF 131 IV 154 consid. 1.3 p. 157; arrêt 6B_906/2009
du 22 décembre 2009).

3.3 En l'occurrence, la partie qui prétend qu'un document produit dans la
procédure aurait été obtenu "by fraud" ne va pas plus loin que celle qui
allègue un faux dans les titres ou qui prétend que les moyens employés par sa
partie adverse ne seraient "pas légaux" (cf. ATF 131 IV 154 consid. 1.4 p.
158). Il s'agit là de simples allégations, présentées comme telles et qui
doivent être évaluées par le juge saisi, dès lors que ce dernier devra de toute
façon s'interroger sur la validité du document en question.
Indépendamment de la signification littérale de l'expression utilisée, c'est
donc avec raison que le Ministère public, puis la cour cantonale, ont refusé
d'y voir une atteinte à l'honneur. Les conditions d'un classement étaient par
conséquent réunies.

4.
Manifestement mal fondé, le recours doit être rejeté. Cette issue, d'emblée
évidente, conduit au rejet de la demande d'assistance judiciaire. Les frais
judiciaires sont mis à la charge de la recourante, conformément à l'art. 66 al.
1 LTF. Il n'est pas alloué de dépens, l'intimé n'ayant pas procédé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.

3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr., sont mis à la charge de la
recourante. Il n'est pas alloué de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, au Ministère
public central et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Chambre des recours
pénale.

Lausanne, le 22 mars 2013
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Juge présidant: Aemisegger

Le Greffier: Kurz