Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.67/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
1B_67/2012

Arrêt du 29 mai 2012
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges Fonjallaz, Président, Merkli et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.

Participants à la procédure
A.________, rue de la Bergère 1A, 1217 Meyrin, représentée par Me Christian
Lüscher, avocat, rue Bovy-Lysberg 2, 1204 Genève,
recourante,

contre

Ministère public du canton de Genève, case postale 3565, 1211 Genève 3.

Objet
procédure pénale, non-entrée en matière,

recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de
Genève, Chambre pénale de recours, du 16 décembre 2011.

Faits:

A.
Le 16 juin 2011, A.________ a déposé plainte pénale à Genève pour soustraction
de données (art. 143 CP), en raison du piratage de son compte de
télécommunications qui aurait permis à des personnes non identifiées de passer
des appels à ses frais, du 20 au 23 décembre 2010. La facture pour le mois de
décembre 2010 était de 14'537 fr., alors que d'habitude elle s'élevait en
moyenne à 2'000 fr.
Par ordonnance du 10 octobre 2011, le Ministère public du canton de Genève a
refusé d'entrer en matière. Selon le rapport de police du 3 octobre 2011, les
auteurs du piratage avaient probablement masqué leurs adresses IP d'origine en
utilisant un serveur proxy. Ils n'avaient pas pu être identifiés et n'avaient
quasiment aucune chance de l'être. La procédure pourrait être reprise en cas de
découverte de nouveaux moyens de preuve ou de faits nouveaux.

B.
Par arrêt du 16 décembre 2011, la Chambre pénale de recours de la Cour de
justice genevoise a confirmé cette décision. Le Ministère public pouvait
refuser d'entrer en matière, même après avoir demandé une enquête par la
police. La découverte des auteurs du piratage nécessitait des actes
d'instruction à l'étranger et les chances de succès étaient insuffisantes.

C.
Par acte du 1er février 2012, A.________ forme un recours en matière pénale par
lequel elle conclut à l'annulation de l'arrêt cantonal et de l'ordonnance de
non-entrée en matière, et demande que l'ordre soit donné au Ministère public
d'ouvrir une enquête et d'accorder à la recourante l'accès au dossier ainsi que
le droit d'offrir des preuves.
La Chambre pénale se réfère aux considérants de son arrêt. Le Ministère public
conclut au rejet du recours.

Considérant en droit:

1.
La décision attaquée a été rendue en matière pénale au sens de l'art. 78 LTF.
Elle a un caractère final (art. 90 LTF) et émane de l'autorité cantonale de
dernière instance (art. 80 LTF). La recourante a agi en temps utile (art. 100
al. 1 LTF).

1.1 Selon l'art. 81 al. 1 let. a et b ch. 5 LTF, la partie plaignante qui a
participé à la procédure de dernière instance cantonale est habilitée à
recourir au Tribunal fédéral, si la décision attaquée peut avoir des effets sur
le jugement de ses prétentions civiles. Selon l'art. 42 al. 1 LTF, il incombe
au recourant d'alléguer les faits qu'il considère comme propres à fonder sa
qualité pour recourir (cf. ATF 133 II 353 consid. 1 p. 356, 249 consid. 1.1 p.
251).
Lorsque, comme en l'espèce, le recours est dirigé contre une décision de
classement ou de non-entrée en matière, il n'est pas nécessaire que la partie
plaignante ait déjà pris des conclusions civiles (ATF 137 IV 246 consid.
1.3.1). En revanche, elle doit expliquer dans son mémoire quelles prétentions
civiles elle entend faire valoir à moins que, compte tenu notamment de la
nature de l'infraction alléguée, l'on puisse déduire directement et sans
ambiguïté quelles prétentions civiles pourraient être élevées et en quoi la
décision attaquée pourrait influencer négativement leur jugement (ATF 137 IV
219 consid. 2.4 p. 222 et les arrêts cités).

1.2 La recourante ne s'exprime pas du tout sur cette question. On peut
toutefois aisément déduire du dossier qu'elle entend, après avoir découvert les
auteurs du piratage dont elle a été la victime, exiger d'eux le remboursement
des frais de télécommunications qui lui ont été indûment facturés, soit environ
12'000 fr. Il y a donc lieu d'entrer en matière.

2.
La recourante se plaint d'une violation de l'art. 310 al. 1 in initio CPP. Elle
estime qu'une ordonnance de non-entrée en matière ne pourrait être rendue que
dans le cas où aucune instruction n'a été ouverte. En l'occurrence, la cause a
été renvoyée à la police qui, après un rapport de la brigade de la criminalité
économique du 5 septembre 2011, aurait rendu son rapport le 3 octobre 2011. Il
s'agirait de mesures d'instruction au sens de l'art. 312 al. 1 CPP et non d'un
simple avis préliminaire selon l'art. 309 al. 2 CPP.

2.1 Une ordonnance de non-entrée en matière, au sens de l'art. 310 CPP, est
rendue immédiatement par le ministère public lorsqu'il apparaît notamment, à
réception de la plainte ou après une procédure préliminaire limitée aux
investigations de la police (art. 300 al. 1 et 306 s. CPP), que les éléments
constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale
ne sont manifestement pas réunis (al. 1 let. a), qu'il existe des empêchements
de procéder (let. b) ou qu'il y a lieu de renoncer à l'ouverture d'une
poursuite pénale pour des motifs d'opportunité (let. c). Le ministère public ne
peut donc pas rendre une telle ordonnance après avoir ouvert une instruction au
sens de l'art. 309 CPP (CORNU, Commentaire romand CPP, n° 2 ad art. 310).

2.2 En l'espèce, le Ministère public a reçu la plainte le 16 juin 2011. Une
enquête préliminaire a été ouverte et le dossier a été transmis à la police,
qui a rendu son rapport le 3 octobre 2011. Aucune décision formelle d'ouverture
d'une instruction n'a donc été prise par le Ministère public avec la mention
des prévenus et des infractions qui leur sont imputées, comme le prévoit l'art.
309 al. 3 CPP. Contrairement à ce que soutient la recourante, un rapport de
police peut également être requis avant l'ouverture d'une instruction par le
ministère public, comme le prévoit l'art. 309 al. 2 CPP non seulement lorsqu'il
s'agit de compléter un précédent rapport au sens de l'art. 307 CPP, mais aussi
lorsque la dénonciation elle-même apparaît insuffisante (CORNU, Commentaire
romand CPP, n° 20 ad art. 309). Tel a été le cas en l'occurrence, de sorte que
la procédure n'a pas dépassé le stade de l'investigation policière. Cela
permettait au Ministère public de rendre une ordonnance de non-entrée en
matière. Le grief doit être écarté.

3.
La recourante estime ensuite qu'une ordonnance de non-entrée en matière ne
pourrait pas être rendue au seul motif que l'auteur de l'infraction ou son lieu
de séjour seraient inconnus. Dans un tel cas, l'art. 314 al. 1 let. a CPP
imposerait de suspendre la procédure après avoir laissé à la partie plaignante
la possibilité de proposer des actes d'instruction.

3.1 Selon l'art. 314 al. 1 CPP, le ministère public peut suspendre
l'instruction, notamment lorsque l'auteur ou son lieu de séjour est inconnu ou
qu'il existe des empêchements momentanés de procéder (al. 1 let. a).
Contrairement à ce que soutient la recourante, cette disposition est
potestative et les motifs de suspension ne sont pas exhaustifs. Le ministère
public dispose dès lors d'un certain pouvoir d'appréciation lui permettant de
choisir la mesure la plus opportune entre une suspension de la procédure ou un
refus d'entrer en matière.

3.2 En l'occurrence, la décision litigieuse admet que les éléments constitutifs
de l'infraction dénoncée sont réunis. Toutefois, une non-entrée en matière peut
également se justifier lorsque les charges sont manifestement insuffisantes, et
si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments utiles à la
poursuite (CORNU, op. cit. n° 9 ad art. 310). Tel est le cas lorsque l'identité
de l'auteur de l'infraction ne peut vraisemblablement pas être découverte. A
l'instar du Ministère public, la cour cantonale a retenu qu'aucun acte
d'enquête raisonnable ne serait à même de permettre la découverte des auteurs
de l'infraction. Les investigations possibles devraient en effet se dérouler,
sur commissions rogatoires, en Tchéquie ou en Egypte pour tenter de découvrir
les détenteurs d'adresses IP. Ces dernières pourraient vraisemblablement être
localisées dans d'autres contrées, voire ne plus exister actuellement. De tels
actes d'instruction seraient disproportionnés au regard des intérêts en jeu.
Ces considérations ne sont pas contestées par la recourante, laquelle n'indique
pas non plus quel acte d'enquête raisonnable elle entendrait proposer si
l'occasion lui en était donnée. Dans ces conditions, le Ministère public
pouvait renoncer à une suspension de la procédure, laquelle l'aurait contraint,
selon l'art. 314 al. 3 in fine CPP, à mettre préalablement en oeuvre des
recherches jugées disproportionnées et auxquelles l'autorité a voulu, à juste
titre, renoncer en l'état. Dans son résultat, la non-entrée en matière ne se
distingue pas fondamentalement d'une suspension de la procédure puisque selon
l'art. 323 al. 1 CPP (applicable par renvoi de l'art. 310 al. 2 CPP), la
procédure pourra être reprise en cas moyens de preuve ou de faits nouveaux.
Cette possibilité est expressément réservée dans la décision du Ministère
public.

4.
Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté. Cela dispense
d'examiner le grief relatif à l'octroi d'une indemnité pour la procédure
cantonale. Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF, les frais judiciaires sont mis à
la charge de la recourante, qui succombe.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, au Ministère
public et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre
pénale de recours.

Lausanne, le 29 mai 2012
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Fonjallaz

Le Greffier: Kurz