Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.300/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
1B_300/2012

Arrêt du 14 mars 2013
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges fédéraux Aemisegger, Juge présidant, Merkli et Chaix.
Greffier: M. Kurz.

Participants à la procédure
X.________ AG,
représentée par Me Miriam Mazou, avocate,
recourante,

contre

Ministère public central du canton de Vaud, Division entraide, criminalité
économique et informatique, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens VD,

Y.________,
représenté par Me Yannis Sakkas, avocat,

Objet
procédure pénale, ordonnance de levée de scellés,

recours contre l'ordonnance du Tribunal des mesures
de contrainte du canton de Vaud du 10 mai 2012.

Faits:

A.
Une instruction pénale est en cours contre Y.________ pour escroquerie,
falsification de marchandises et faux dans les titres. Il lui était reproché,
dans un premier temps, d'avoir utilisé sans droit une raison sociale figurant
sur des bouteilles de vin. Par la suite, l'autorité d'instruction a cherché à
vérifier l'origine du vin en question. Le 20 janvier 2011, le Ministère public
vaudois a exigé la production de la comptabilité vinicole du fournisseur
X.________ AG (à Zoug) relative au vin blanc d'appellation Saint-Saphorin pour
les années 2005 à 2007, ainsi que les bulletins de livraison. Les documents ont
été remis sous scellés. Le 21 décembre 2011, le Ministère public a requis la
levée des scellés auprès du Tribunal des mesures de contrainte du canton de
Vaud (Tmc).
Par ordonnance du 10 mai 2012, le Tmc a ordonné la levée des scellés. Les
conditions posées à l'art. 197 CPP étaient réunies; la mesure apparaissait
proportionnée et X.________ AG ne pouvait se prévaloir d'aucun secret protégé.

B.
Par acte du 21 mai 2012, X.________ AG a formé un recours en matière pénale au
Tribunal fédéral. Elle conclut au maintien (ou à une nouvelle pose) des scellés
et à la restitution des documents, subsidiairement au renvoi de la cause au Tmc
pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Elle a demandé l'effet
suspensif, qui a été accordé le 25 mai 2012. Le Ministère public a fait savoir,
le 31 mai 2012, que les scellés avaient déjà été levés et les pièces versées au
dossier. Il a requis une levée de l'effet suspensif le 4 juin 2012, ce qui a
été refusé par ordonnance du 6 juin suivant.
Le Tmc renonce à se déterminer et se réfère à son ordonnance. Le Ministère
public conclut au rejet du recours. Y.________ a conclu à l'admission du
recours, au terme d'observations essentiellement consacrées à la réfutation des
charges retenues contre lui.
Le 2 août 2012, X.________ AG a demandé à pouvoir consulter l'intégralité du
dossier car il apparaissait que l'instruction pourrait être étendue à d'autres
sociétés susceptibles de prendre connaissance des documents remis sous scellés.
Elle a été invitée à s'adresser au Ministère public, lequel a, par ordonnance
du 9 août 2012, rejeté la demande de consultation: X.________ AG était
suffisamment renseignée sur l'objet de la procédure et avait pu faire valoir
tous ses moyens. Cet incident a fait l'objet d'un recours cantonal rejeté par
arrêt du 3 septembre 2012, puis d'un recours au Tribunal fédéral. Par arrêt du
14 décembre 2012 (1B_593/2012), le Tribunal fédéral a rejeté le recours,
considérant que la recourante n'avait accès au dossier que dans la mesure
nécessaire à la sauvegarde de ses droits. En l'occurrence, l'invocation d'un
secret d'affaires ne justifiait pas la consultation de l'intégralité du
dossier; la recourante disposait d'informations suffisantes pour faire valoir
ses arguments.
L'instruction de la cause, suspendue par ordonnance du 27 août 2012, a été
reprise le 21 décembre 2012. Y.________ a déposé de nouvelles observations le
17 septembre 2012. La recourante a déposé des déterminations le 15 février,
puis le 4 mars 2013.

Considérant en droit:

1.
Conformément à l'art. 393 al. 1 let. c CPP, le recours au sens du CPP n'est
ouvert contre les décisions du Tmc que dans les cas prévus par ledit code. Aux
termes de l'art. 248 al. 3 let. a CPP, le Tmc statue définitivement sur la
demande de levée des scellés au stade de la procédure préliminaire. Le recours
au Tribunal fédéral est par conséquent directement ouvert (art. 80 LTF).

1.1 La décision attaquée est susceptible de causer un préjudice irréparable au
sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, en ce sens qu'elle pourrait, selon la
recourante, conduire à dévoiler ses secrets commerciaux et d'affaires au sens
de l'art. 162 CP.

1.2 Pour le surplus, le recours est formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF);
la recourante a qualité pour agir (art. 81 al. 1 LTF) et les conclusions
présentées sont recevables au regard de l'art. 107 al. 2 LTF, à l'exception de
la demande, faite en réplique, tendant à ce que le Tribunal fédéral procède
lui-même à une audition de témoin. Un tel acte d'instruction n'entre pas en
considération, la procédure d'instruction devant le Tribunal fédéral étant
limitée, selon l'art. 102 LTF, à un ou plusieurs échanges d'écritures.
Sous cette réserve, il y a lieu d'entrer en matière.

1.3 La procédure judiciaire de levée des scellés ne saurait être assimilée à
une procédure sur mesures provisionnelles au sens de l'art. 98 LTF. La
recourante n'est donc pas limitée dans ses griefs, qui peuvent se rapporter au
droit fédéral ou constitutionnel (art. 95 LTF).

1.4 Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité
précédente (art. 105 al. 1 LTF), et ne peut s'en écarter que si ces faits ont
été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de
l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF).

2.
Invoquant son droit d'être entendue, la recourante estime que la décision
attaquée ne se serait pas prononcée sur ses arguments concernant la pertinence
des documents, la protection de ses secrets d'affaires et de fabrication, les
motifs liés à la concurrence ainsi que la crédibilité de la déposition
impliquant la recourante. La décision attaquée serait également lacunaire en ce
qui concerne le principe de proportionnalité puisqu'elle se borne à affirmer
qu'il n'existe pas d'autre moyen pour parvenir au but recherché.

2.1 Le droit d'être entendu, garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., implique pour
l'autorité l'obligation de motiver sa décision. Selon la jurisprudence, la
motivation d'une décision est suffisante lorsque l'autorité mentionne, au moins
brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa
décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée
de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. L'autorité ne doit
toutefois pas se prononcer sur tous les moyens des parties; elle peut se
limiter aux questions décisives pour l'issue du litige (ATF 137 II 266 consid.
3.2 p. 270; 136 I 229 consid. 5.2 p. 236; 134 I 83 consid. 4.1 et les arrêts
cités). La portée de l'obligation de motiver dépend des circonstances concrètes
telles que la nature de la procédure, la complexité des questions de fait ou de
droit ainsi que la gravité de l'atteinte portée à la situation juridique des
parties (ATF 133 II 429 consid. 5.1.1 - non publié).

2.2 En l'occurrence, l'ordonnance attaquée expose l'origine et la nature des
soupçons. Dans un premier temps, une société s'était plainte de l'utilisation
sans droit de sa raison sociale apposée sur des bouteilles de Twanner, Aigle et
St-Saphorin 2006. La société en question ayant retiré sa plainte, l'instruction
s'est poursuivie pour les chefs d'escroquerie, falsification de marchandise et
faux. Y.________ n'ayant fourni les justificatifs que pour les deux premières
sortes de vin, mais ayant refusé de préciser la quantité de St-Saphorin acquise
auprès de X.________ AG, le Procureur s'était adressé directement à cette
dernière. L'ordonnance attaquée rappelle ensuite le déroulement de la
procédure, ainsi que les motifs invoqués par le Procureur à l'appui de sa
demande de levée de scellés. En droit, le Tmc a considéré qu'il existait des
soupçons suffisants, puisque l'on ignorait la provenance et la quantité du
St-Saphorin 2006 fourni au prévenu. La mesure d'instruction était pertinente et
proportionnée, X.________ AG ne pouvant se prévaloir d'aucun secret protégé au
sens de l'art. 173 CPP.
Cette motivation, si elle ne répond pas à l'ensemble des objections soulevées
par la recourante, permet néanmoins à cette dernière de comprendre les raisons
du prononcé autorisant la levée des scellés, et de l'attaquer en toute
connaissance de cause. Cela est suffisant, sous l'angle du droit d'être
entendu.

3.
La recourante se plaint d'une violation des art. 265 al. 2, 173 al. 2 et 169
CPP, ainsi que du secret commercial protégé à l'art. 162 CP et du principe de
la proportionnalité. Elle estime, contrairement au Tmc, que la comptabilité
commerciale et les bulletins de livraison seraient couverts par le secret
d'affaires, s'agissant des noms de ses fournisseurs et clients, des prix et des
marges, qui sont des éléments étrangers à l'enquête. Leur révélation pourrait
constituer une infraction à l'art. 162 CP. L'intérêt au maintien du secret
devrait l'emporter sur celui de l'enquête, car les mêmes renseignements
auraient pu être obtenus en interrogeant le prévenu ou la recourante elle-même,
voire en exigeant des extraits de comptabilité, le cas échéant caviardés. La
recourante estime qu'il n'existerait pas d'indices suffisants d'une infraction,
les soupçons étant fondés sur une simple "absence d'information" au sujet de la
provenance et des quantités de vin, ainsi que sur les déclarations incohérentes
d'un témoin. La recourante se plaint à ce sujet d'établissement inexact des
faits, ainsi que d'arbitraire.

3.1 Selon l'art. 246 CPP, les documents écrits peuvent être soumis à
perquisition lorsqu'il y a lieu de présumer qu'ils contiennent des informations
susceptibles d'être séquestrées. Les documents sont mis sous scellés lorsque
l'intéressé fait valoir son droit de refuser de déposer ou de témoigner (art.
248 al. 1 CPP). Disposent notamment d'un droit de refuser de témoigner -
respectivement de déposer - les personnes dont les déclarations sont
susceptibles de les mettre en cause soit pénalement, soit civilement (art. 169
al. 1 et 265 al. 2 let. c CPP), ainsi que les détenteurs de secrets
professionnels ou de fonction au sens des art. 170 ss CPP.

3.2 Saisi d'une demande de levée de scellés, le Tmc doit examiner d'une part
s'il existe des soupçons suffisants de l'existence d'une infraction et d'autre
part si les documents présentent apparemment une pertinence pour l'instruction
en cours (cf. art. 197 al. 1 let. b-d CPP). Cette question ne peut être résolue
dans le détail, puisque le contenu même des documents mis sous scellés n'est
pas encore connu. L'autorité de levée des scellés doit s'en tenir, à ce stade,
au principe de l'"utilité potentielle". En présence d'un secret professionnel
avéré, au sens de l'art. 171 CPP, l'autorité de levée des scellés élimine les
pièces couvertes par le secret professionnel et prend ensuite les mesures
nécessaires pour préserver, parmi les documents remis aux enquêteurs, la
confidentialité des tiers (ATF 132 IV 63 concernant la saisie de données chez
un avocat).

3.3 La recourante conteste en vain l'existence de soupçons suffisants. En
effet, il est apparu dans un premier temps qu'une raison sociale avait été
apposée sans droit sur des bouteilles de vin acquis auprès de la recourante,
notamment de l'appellation St-Saphorin. Il apparaît légitime, dans ces
circonstances, de vouloir vérifier la provenance et l'authenticité du produit,
ce d'autant que le prévenu a refusé d'indiquer la quantité qu'il avait acquise.
Les soupçons apparaissent ainsi suffisants, indépendamment des déclarations
contestées concernant les effets de la grêle de 2005 sur la récolte de 2006.

3.4 La pertinence prima facie des documents saisis ne saurait, elle non plus,
être contestée. Le prévenu lui-même a en effet refusé de s'expliquer sur les
quantités acquises, de sorte que l'autorité d'instruction était forcée de
s'adresser au fournisseur. Un simple interrogatoire de ce dernier n'aurait à
l'évidence pas la même force probante que la production des documents
comptables.

3.5 La recourante se prévaut également en vain de ses secrets d'affaires.
Ceux-ci ne bénéficient pas de la même protection que le secret de fonction ou
le secret professionnel visés aux art. 170 et 171 CPP. Selon l'art. 173 al. 2
CPP en effet, les détenteurs d'autres secrets protégés par la loi sont tenus de
déposer. Il peuvent en être dispensés par la direction de la procédure
lorsqu'il apparaît vraisemblable que l'intérêt au maintien du secret l'emporte
sur l'intérêt à la manifestation de la vérité, ce qui constitue un simple cas
d'application du principe de la proportionnalité.
En l'occurrence, l'ordre de production est limité aux documents comptables
relatifs à une appellation précise, pour les années 2005 à 2007, ainsi qu'aux
bulletins de livraison concernant un acheteur déterminé. Il n'est guère
vraisemblable que la production de ces documents soit susceptible de porter
sérieusement atteinte aux intérêts de la recourante. Celle-ci se limite à de
simples affirmations, sans rendre "vraisemblable" l'existence d'un intérêt
prépondérant. Elle ne saurait d'ailleurs prétendre qu'en produisant ses propres
documents comptables, elle pourrait s'exposer à des poursuites pour infraction
à l'art. 162 CP. En effet, l'ordre de production émanant de l'autorité
d'instruction constitue un motif justificatif au sens de l'art. 14 CP. La
recourante est enfin protégée contre une divulgation de données sensibles: la
procédure préliminaire n'est soumise à aucune publicité (art. 69 al. 3 let. a
CPP) et la plaignante initiale, qui a retiré sa plainte, ne participe donc plus
à la procédure. La recourante qui, selon le Ministère public, a le même
comptable que le prévenu, ne saurait prétendre avoir des secrets à l'égard de
ce dernier.

3.6 En définitive, l'ordonnance attaquée ne viole nullement le droit fédéral.
Le grief d'arbitraire, qui n'a en l'occurrence aucune portée propre, doit lui
aussi être rejeté.

4.
Le recours doit par conséquent être rejeté. Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF,
les frais judiciaires sont mis à la charge de la recourante qui succombe. Il
n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 1 et 3 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué à la mandataire de la recourante, au Ministère
public central du canton de Vaud, Division entraide, criminalité économique et
informatique, à Y.________ et au Tribunal des mesures de contrainte du canton
de Vaud.

Lausanne, le 14 mars 2013

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Juge présidant: Aemisegger

Le Greffier: Kurz