Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.255/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
1B_255/2012

Arrêt du 15 mai 2012
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges Fonjallaz, Président, Aemisegger et Merkli.
Greffier: M. Kurz.

Participants à la procédure
A.________, représenté par Me Magali Buser, avocate,
recourant,

contre

Ministère public du canton de Genève, case postale 3565, 1211 Genève 3.

Objet
détention provisoire,

recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre
pénale de recours, du 30 mars 2012.

Faits:

A.
A.________, ressortissant algérien né en 1983, a été arrêté le 20 septembre
2011 et mis en prévention de tentatives de meurtre, voire d'assassinat, pour
avoir participé avec au moins cinq autres personnes, le 7 août 2011, à une
agression au cours de laquelle B.________ a été frappé et poignardé. Il a été
reconnu par la victime, mais nie toute participation à cette agression. Il est
également mis en cause pour une tentative de meurtre commise le 16 septembre
2011. La détention provisoire a été prolongée jusqu'au 22 décembre 2011, puis
jusqu'au 16 mars 2012.

B.
Par ordonnance du 13 mars 2012, le Tribunal des mesures de contrainte du canton
de Genève (Tmc) a refusé de prolonger une nouvelle fois la détention. Le
prévenu avait reconnu s'être trouvé sur les lieux au moment de la première
agression, mais contestait toute participation, sans se souvenir s'il avait un
couteau. La victime l'avait identifié, mais était revenue sur ses déclarations
lors d'une audience de confrontation. Aucun autre élément ne venait confirmer
les charges à l'encontre du prévenu, de sorte que celles-ci apparaissaient
insuffisantes.
Par acte du 13 mars 2012, le Ministère public du canton de Genève a déclaré
recourir auprès de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice contre
cette ordonnance. Il demandait le maintien en détention du prévenu, pour trois
mois. Invité à se déterminer dans les trois jours, le prévenu a conclu à
l'irrecevabilité du recours (l'ordonnance attaquée étant inexactement
désignée), et à son rejet sur le fond. A l'invitation de la Chambre pénale de
recours, le Ministère public a déposé une réplique le 22 mars 2012, reprenant
dans le détail le rôle joué selon lui par chacun des cinq prévenus. S'agissant
de A.________, il relevait que celui-ci avait admis sa présence sur les lieux
de la première agression, et qu'il apparaissait muni d'un couteau sur les
images de vidéosurveillance. Il avait également été reconnu par des tiers. Les
rétractations de la victime étaient manifestement dictées par la crainte. Cette
réplique a été transmise le vendredi 23 mars 2012 au prévenu, pour information.
Celui-ci l'a reçue le lundi 26 mars et a conclu à son irrecevabilité: le
Ministère public ne disposait pas d'un droit de réplique, dès lors qu'un second
échange d'écritures (incluant un droit de dupliquer) n'avait pas été ordonné.

C.
Par arrêt du 30 mars 2012, la Chambre pénale a admis le recours du Ministère
public et ordonné le maintien de la détention provisoire jusqu'au 13 juin 2012.
En dépit de l'absence d'éléments nouveaux, les charges suffisantes avaient déjà
été reconnues dans des arrêts précédents de la Chambre pénale de recours, dont
le Tmc ne pouvait faire abstraction. La présence des prévenus lors de
l'agression du 7 août 2011 était attestée par les enregistrements vidéo, où
A.________ était aperçu poursuivant la victime; l'un des prévenus avait admis
sa participation à l'agression et avait également impliqué les autres prévenus.
Les charges étaient également suffisantes s'agissant de la seconde agression.

D.
Par acte du 2 mai 2012, A.________ forme un recours en matière pénale par
lequel il demande l'annulation de l'arrêt précité, la confirmation de
l'ordonnance du Tmc et sa remise en liberté. Subsidiairement, il conclut au
renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision au sens des
considérants. Il demande l'assistance judiciaire.
La Chambre pénale de recours persiste dans les termes de son arrêt. Le
Ministère public conclut au rejet du recours

Considérant en droit:

1.
Selon l'art. 78 LTF, le recours en matière pénale est ouvert contre les
décisions relatives à la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté au
sens des art. 212 ss CPP.
Selon l'art. 81 al. 1 let. a et let. b ch. 1 LTF, le prévenu a qualité pour
agir. Le recours est formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une
décision rendue en dernière instance cantonale (art. 80 LTF). Les conclusions
présentées sont en soi recevables au regard de l'art. 107 al. 2 LTF.

2.
Le recourant soulève deux griefs d'ordre formel qu'il y a lieu d'examiner en
premier lieu. Dans un premier grief, il se plaint d'une violation de l'art. 390
al. 1 CPP. Il relève que le recours du Ministère public ne désignait pas
correctement la décision attaquée, de sorte que ses conclusions devaient être
déclarées irrecevables.

2.1 L'art. 390 al. 1 CPP, applicable à l'ensemble des procédures de recours
(art. 379 CPP), impose le dépôt d'un mémoire de recours. Celui-ci doit désigner
la décision attaquée, et faire ressortir une volonté d'en obtenir l'annulation
(art. 385 CPP; CALAME, Commentaire Romand CPP, n° 1 ad art. 390).

2.2 Le Ministère public a certes mentionné, dans son recours cantonal, des
numéros erronés d'ordonnances. La cour cantonale a toutefois considéré à juste
titre qu'en dépit de cette erreur de désignation, la décision attaquée était
clairement identifiable. Cela est conforme au principe de la bonne foi (art. 5
al. 3 Cst.), qui veut que les actes de procédure soient interprétés selon le
sens que l'on peut raisonnablement leur attribuer, sans s'arrêter aux
formulations manifestement inexactes (ATF 116 Ia 56 consid. 3b p. 58; 113 Ia 94
consid. 2 p. 96 ss et les références). En l'occurrence, il n'est pas contesté
que la décision entreprise par le Ministère public était parfaitement
reconnaissable. L'irrecevabilité du recours cantonal, préconisée par le
recourant, aurait donc manifestement constitué un formalisme excessif. Le grief
doit être écarté.

3.
Le recourant se plaint ensuite d'une violation de son droit d'être entendu en
relation avec l'art. 390 al. 2 et 3 CPP. Il reproche à la cour cantonale
d'avoir autorisé le Ministère public à déposer une réplique, sans ordonner
formellement de second échange d'écritures. Cette réplique lui aurait été
remise pour information, sans qu'un délai ne lui ait été imparti pour présenter
de nouvelles observations.

3.1 Selon les art. 29 al. 2 Cst. et 3 al. 2 let. c CPP, les parties ont le
droit d'être entendues. Cela comprend notamment le droit pour une partie à un
procès de prendre connaissance de toute argumentation présentée au tribunal et
de se déterminer à son propos, que celle-ci contienne ou non de nouveaux
éléments de fait ou de droit, et qu'elle soit ou non concrètement susceptible
d'influer sur le jugement à rendre. Il appartient en effet aux parties, et non
au juge, de décider si une prise de position ou une pièce nouvellement versée
au dossier contient des éléments déterminants qui appellent des observations de
leur part. Ce droit à la réplique découle aussi, en matière de détention, de
l'art. 5 par. 4 CEDH. Toute prise de position ou pièce nouvelle versée au
dossier doit ainsi être communiquée aux parties pour leur permettre de décider
si elles veulent ou non faire usage de leur faculté de se déterminer (ATF 137 I
195 consid. 2.3.1 p. 197; 133 I 100 consid. 4.5; 133 I 98 consid. 2.2; 132 I 42
consid. 3.3.2 - 3.3.4; arrêt 1C_196/2011 du 11 juillet 2011 publié in SJ 2012 I
p. 117; CourEDH, arrêt Schaller-Bossert contre Suisse du 28 octobre 2010 § 39
s.).

3.2 En matière de détention provisoire, la jurisprudence précise encore, dans
le cadre du droit de réplique garanti par l'art. 5 par. 4 CEDH, qu'une simple
remise "pour information" des observations de la partie adverse est
insuffisante, et qu'un délai doit être imparti afin de faire valoir le droit de
réplique (arrêt 1B_728/2011 du 13 janvier 2012, consid. 2.3 et les arrêts
cités).

3.3 En l'occurrence, la réplique du Ministère publique, qui comporte neuf
pages, a été transmise à l'avocate du recourant pour information. Aucun délai
n'était fixé pour le dépôt d'éventuelles observations. L'avocate du recourant a
certes réagi, mais en concluant à l'irrecevabilité du mémoire de réplique, en
se plaignant de ne pas disposer lui-même d'une occasion de déposer des
observations complémentaires. On ne saurait lui reprocher de ne pas avoir
déposé d'écriture spontanée avant le prononcé de l'arrêt attaqué, car
l'indication "pour information" pouvait de bonne foi être comprise en ce sens
qu'aucune écriture supplémentaire n'était autorisée. Il appartenait dès lors à
la cour cantonale d'octroyer au recourant un bref délai pour exercer son droit
de réplique. Ne l'ayant pas fait, elle a violé le droit d'être entendu.

3.4 La violation du droit d'être entendu ne peut plus être guérie en instance
fédérale puisque ce ne sont pas uniquement des questions de droit qui sont
controversées mais aussi des questions de fait que le Tribunal fédéral ne peut
pas revoir librement (cf. art. 105 LTF; ATF 126 I 68 consid. 2 p. 72; arrêt
1C_196/2011 précité, consid. 2.4).

4.
Le recours doit dès lors être admis pour ce motif, sans qu'il y ait à examiner
les griefs de fond. La cause doit être renvoyée à la Chambre pénale pour
nouvelle décision après avoir permis au recourant d'exercer son droit de
réplique. L'admission du recours pour ce motif formel n'a toutefois pas pour
conséquence la libération du recourant. En effet, l'ordonnance de mesures
provisionnelles par laquelle la cour cantonale a ordonné le maintien en
détention du prévenu, demeure en vigueur jusqu'au nouveau prononcé.
Conformément à l'art. 68 al. 1 et 2 LTF, le recourant, qui obtient gain de
cause, a droit à des dépens, à la charge du canton de Genève. Cela rend sans
objet la demande d'assistance judiciaire. Conformément à l'art. 66 al. 4 LTF,
il n'est pas perçu de frais judiciaires.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis; l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la
Chambre pénale de recours de la Cour de justice du canton de Genève pour
nouvelle décision dans le sens des considérants.

2.
Une indemnité de dépens de 2'000 fr. est allouée à l'avocate du recourant, à la
charge du canton de Genève. La demande d'assistance judiciaire est sans objet.

3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

4.
Le présent arrêt est communiqué à la mandataire du recourant, au Ministère
public et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale de recours.

Lausanne, le 15 mai 2012
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Fonjallaz

Le Greffier: Kurz