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I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.112/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
1B_112/2012

Arrêt du 6 décembre 2012
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président, Eusebio et Chaix.
Greffière: Mme Arn.

Participants à la procédure
A.________, représentée par Me Olivier Wasmer, avocat,
recourante,

contre

B.________, représenté par Me Yves Bruderlein, avocat,
intimé,

Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213
Petit-Lancy.

Objet
Procédure pénale; non-entrée en matière,

recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de
Genève, Chambre pénale de recours, du 20 janvier 2012.

Faits:

A.
Le 23 mars 2011, A.________ a déposé plainte pénale contre B.________ pour
escroquerie, gestion déloyale et toutes autres infractions que l'instruction
serait susceptible de déterminer. A.________ reprochait à B.________, d'une
part, d'avoir fait profiter C.________, société dont il était actionnaire
unique, d'avantages excessifs en rapport avec des travaux de sous-traitance
confiés par A.________; d'autre part, dans le cadre du chantier de sa propre
villa, B.________ aurait fait travailler des ouvriers et aurait utilisé du
matériel de A.________ sans facturer entièrement ces prestations, causant de la
sorte à la plaignante un préjudice de 317'157 fr.
Après avoir fait procéder à l'audition de B.________ par la police, le
Ministère public du canton de Genève a décidé, par ordonnance du 15 novembre
2011, de ne pas entrer en matière. Par arrêt du 20 janvier 2012, la Chambre
pénale de recours de la Cour de justice (ci-après: la Cour de justice ou la
cour cantonale) a rejeté le recours de A.________.

B.
Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt cantonal et de renvoyer la cause à la Cour
de justice afin qu'elle statue dans le sens des considérants.
La Cour de justice renonce à se déterminer et se réfère aux considérants de son
arrêt. Le Ministère public conclut au rejet du recours. L'intimé B.________
conclut au rejet du recours avec suite de frais et dépens. La recourante a
encore répliqué dans des observations du 16 mai 2012.

Considérant en droit:

1.
L'arrêt attaqué confirme la décision de non-entrée en matière dans la procédure
pénale ouverte à la suite de la plainte déposée par la recourante. Rendu en
matière pénale (art. 78 al. 1 LTF) par une autorité cantonale de dernière
instance (art. 80 al. 1 LTF), il met fin à la procédure pénale (art. 90 LTF).
Partant, il peut faire l'objet d'un recours en matière pénale selon les art. 78
ss LTF.
Selon l'art. 81 al. 1 let. a et b ch. 5 LTF, la partie plaignante qui a
participé à la procédure de dernière instance cantonale est habilitée à
recourir au Tribunal fédéral, si la décision attaquée peut avoir des effets sur
le jugement de ses prétentions civiles. Constituent de telles prétentions
celles qui sont fondées sur le droit civil et doivent en conséquence être
déduites ordinairement devant les tribunaux civils. Il s'agit principalement
des prétentions en réparation du dommage et du tort moral au sens des art. 41
ss CO. Lorsque le recours est dirigé contre une décision de non-entrée en
matière ou de classement de l'action pénale, il n'est pas nécessaire que la
partie plaignante ait déjà pris des conclusions civiles (ATF 137 IV 246 consid.
1.3.1 p. 248). En revanche, elle doit expliquer dans son mémoire quelles
prétentions civiles elle entend faire valoir contre l'intimé à moins que,
compte tenu notamment de la nature de l'infraction alléguée, on puisse déduire
directement et sans ambiguïté quelles prétentions civiles pourraient être
élevées et en quoi la décision attaquée pourrait influencer négativement leur
jugement (ATF 137 IV 219 consid. 2.4 p. 222 et les arrêts cités).
En l'espèce, la recourante, qui a pris part à la procédure devant la cour
cantonale, affirme avoir subi un important préjudice du fait de la réalisation
de travaux sur la maison de l'intimé, sans contre-prestation, pour une valeur
de près de 320'000 fr. La recourante a dès lors qualité pour agir au sens de
l'art. 81 al. 1 LTF.

2.
Dans un grief d'ordre procédural qu'il convient d'examiner en premier lieu, la
recourante fait grief au Ministère public et à la police de n'avoir procédé
qu'à l'audition de l'intimé, alors que - à son sens - ses organes et employés
auraient aussi dû être entendus. La recourante se plaint également de ne pas
avoir eu l'occasion, devant la cour cantonale, de se déterminer sur les
observations et pièces produites par l'intimé.

2.1 La phase qui précède l'ouverture d'une instruction au sens de l'art. 309
CPP constitue les investigations policières des art. 306 et 307 CPP (art. 300
al. 1 let. a CPP). Durant cette phase, le Ministère public peut donner des
directives à la police ou lui confier des mandats (art. 306 al. 1 CPP; arrêt
1B_67/2012 du 29 mai 2012 consid. 2.2). Comme le précise l'art. 306 al. 3 CPP,
la police observe dans son activité les dispositions applicables, notamment,
aux moyens de preuve (art. 139 à 195 CPP). Dans ce contexte, les autorités
pénales mettent certes en ?uvre tous les moyens de preuve licites qui sont
propres à établir la vérité (art. 139 al. 1 CPP). Cependant, conformément à
l'art. 139 al. 2 CPP, il n'y a pas lieu d'administrer des preuves sur des faits
non pertinents, notoires, connus de l'autorité ou déjà suffisamment prouvés.
Cette disposition codifie, pour la procédure pénale, la règle jurisprudentielle
déduite de l'art. 29 al. 2 Cst. en matière d'appréciation anticipée des preuves
(arrêt 1B_653/2011 du 19 mars 2012 consid. 5.2). Le refus d'instruire ne viole
ainsi le droit d'être entendu des parties que si l'appréciation anticipée de la
pertinence du moyen de preuve offert, à laquelle le juge a procédé, est
entachée d'arbitraire (ATF 136 I 229 consid. 5.3 p. 236).
La cour cantonale a retenu en l'espèce que l'audition des organes de la
recourante était inutile puisque la recourante s'était exprimée dans sa plainte
et son recours. S'agissant des éventuels employés de la plaignante, la cour a
considéré que la recourante n'avait pas rendu vraisemblable que cette audition
porterait sur des faits pertinents, susceptibles de rendre crédibles les
soupçons nécessaires à l'ouverture d'une instruction pénale. Par rapport à
cette argumentation, la recourante se limite à affirmer péremptoirement que les
personnes qu'elles souhaitaient faire entendre "auraient contredit les
déclarations fantaisistes" de l'intimé ou "étaient fondé(e)s à confirmer les
agissements" de l'intimé. Ce faisant, elle ne démontre pas en quoi
l'appréciation anticipée de l'instance cantonale serait constitutive
d'arbitraire: à défaut, en particulier, d'exposer ce que ses organes ou
employés pouvaient ajouter par rapport aux éléments de faits dénoncés dans la
plainte ou contenus dans ses écritures ultérieures, la recourante ne parvient
pas à démontrer que la cour cantonale serait arrivée à une décision
insoutenable ou choquante en refusant les auditions en question. Pour le
surplus, l'argumentation de la recourante est de nature appellatoire et, par
voie de conséquence, irrecevable (ATF 137 II 353 consid. 5.1 p. 356 et les
références citées).

2.2 La recourante reproche également à la cour cantonale de ne pas lui avoir
donné l'occasion de se déterminer, avant de rendre sa décision, sur les
observations et pièces produites par l'intimé.
Il ressort du dossier cantonal que les observations de l'intimé sur le recours
ont été déposées au greffe de la Chambre pénale de la Cour de justice le 16
décembre 2011 puis transmises au Ministère public et à la partie plaignante par
pli recommandé du 19 décembre 2011. Ce courrier indiquait que ces observations
étaient transmises "pour votre information". L'arrêt cantonal a été prononcé le
20 janvier 2012 et notifié aux parties le 25 janvier 2012. Ces opérations sont
conformes aux règles relatives à la procédure écrite devant l'instance de
recours (art. 379 et 390 CPP); la recourante ne soutient en particulier pas
qu'un second échange de mémoires aurait été nécessaire (art. 390 al. 3 CPP);
elle ne prétend pas non plus en avoir sollicité un.
Pour le surplus, le Tribunal fédéral ne connaît de la violation des droits
fondamentaux que si un tel moyen est invoqué et motivé par le recourant (art.
106 al. 2 LTF), c'est-à-dire s'il a été expressément soulevé et exposé de
manière claire et détaillée (ATF 134 I 83 consid. 3.2 p. 88). En l'occurrence,
la critique de la recourante se limite à la seule constatation que l'autorité
de recours ne lui a pas donné l'occasion de se déterminer sur les observations
de l'intimé; elle ne précise en particulier pas quel droit constitutionnel ou
principe juridique aurait été violé, comme par exemple le droit d'être entendu.
Il est dès lors douteux que la motivation de la recourante en lien avec une
éventuelle violation du droit d'être entendu satisfasse aux exigences de l'art.
106 al. 2 LTF. Quoi qu'il en soit, à supposer recevable, son grief aurait dû
être rejeté. En effet, la cour cantonale a rendu son jugement un mois après
avoir transmis les observations de l'intimé à titre d'information à la
recourante. Celle-ci, assistée d'un avocat, a donc disposé de suffisamment de
temps pour prendre connaissance des observations de l'intimé et envoyer
spontanément des observations à l'autorité de recours si elle l'estimait utile
(ATF 138 III 252 consid. 2.2 p. 255).

2.3 Par conséquent, le recours doit être rejeté sur ces premiers griefs, dans
la mesure de leur recevabilité.

3.
Sur le fond, la recourante voit une violation des art. 309 et 310 CPP dans la
décision de la cour cantonale de ne pas entrer en matière sur sa plainte. A la
suivre, cette décision de non-entrée en matière violerait également les art.
138, 146 et 158 CP.

3.1 Selon l'art. 310 CPP, le Ministère public rend immédiatement une ordonnance
de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de
police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à
l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (let. a). Il
peut faire de même en cas d'empêchement de procéder (let. b) ou en application
de l'art. 8 CPP (let. c). Le Ministère public doit ainsi être certain que les
faits ne sont pas punissables (ATF 137 IV 285 consid. 2.3 p. 287 et les
références citées).
Le principe "in dubio pro duriore" découle du principe de la légalité (art. 5
al. 1 Cst. et 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 CPP; ATF
138 IV 86 consid. 4.2 p. 91). Il signifie qu'en principe, un classement ou une
non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le Ministère public que
lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les
conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le Ministère public et
l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation que
le Tribunal fédéral revoit avec retenue. La procédure doit se poursuivre
lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou
lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent
équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave (ATF 138 IV 86
consid. 4.1.2 p. 91; 137 IV 285 consid. 2.5 p. 288). Une non-entrée en matière
s'impose lorsque le litige est de nature purement civile (ATF 137 IV 285
consid. 2.3 p. 287).

3.2 Dans sa plainte, la recourante reprochait à l'intimé d'avoir fait profiter
C.________, société dont il était actionnaire unique, d'avantages excessifs en
rapport avec des travaux de sous-traitance confiés par elle. A cet égard, la
cour cantonale s'est fondée sur le rapport de fiduciaire établi en 2007 et
produit par la recourante qui faisait état d'une simple hypothèse au sujet des
soupçons de la recourante; constatant qu'aucun élément plus substantiel n'était
venu, en près de cinq ans, confirmer cette hypothèse, la cour en a déduit que
la recourante n'avait pas rendu vraisemblable l'existence de délits commis par
l'intimé dans ce contexte.
La recourante ne remet pas en question ces constatations cantonales, de sorte
que le Tribunal fédéral n'a pas à aborder cet aspect-là du litige.

3.3 S'agissant du chantier de la villa de l'intimé, la recourante exposait dans
sa plainte que celui-ci aurait fait travailler des ouvriers et aurait utilisé
du matériel de la recourante sans facturer entièrement ces prestations, lui
causant de la sorte un préjudice de 317'157 fr. Pour ce volet de la plainte, la
cour cantonale a retenu que les pièces produites ne permettaient pas de
déterminer les conditions dans lesquelles les contrats concernés avaient été
conclus, ni dans quelle mesure l'intimé s'était acquitté de leur coût; il
n'était en particulier pas démontré, par le biais de la comptabilité par
exemple, que des factures seraient restées en souffrance pendant plusieurs
années; par ailleurs, les parties avaient convenu en mai 2007, après des
examens approfondis des comptes 2004 et 2005 de la société, de liquider leurs
prétentions réciproques; dans ces circonstances, il était surprenant que la
recourante, quatre ans après cette convention, fonde son prétendu dommage sur
des pièces qui lui étaient alors toutes connues, voire émanaient d'elle-même,
sans apporter d'éléments nouveaux. Quant aux irrégularités que la recourante
affirmait avoir découvertes en décembre 2010 seulement, elles n'étaient pas non
plus rendues vraisemblables par le moindre exposé factuel complémentaire.
Au vu de ces éléments, la cour cantonale a posé qu'aucune diminution de l'actif
de la recourante n'avait été rendue vraisemblable; elle a également retenu
qu'il n'était pas rendu vraisemblable que l'intimé se serait servi des actifs
de la recourante pour financer des travaux dans sa villa. Elle en a donc conclu
que que le litige revêtait un caractère exclusivement civil.

3.4 La recourante rappelle - à bon droit - que les infractions de gestion
déloyale, d'escroquerie et d'abus de confiance requièrent toutes, entre autres
éléments constitutifs, la survenance d'un dommage (cf. ATF 128 IV 255 consid.
2e/aa p. 256 s.; 122 IV 279 consid. 2a p. 281; 118 IV 148 consid. 2a p. 151).
Ce dernier est défini comme une lésion du patrimoine sous la forme d'une
diminution de l'actif, d'une augmentation du passif, d'une non-augmentation de
l'actif ou d'une non-diminution du passif (ATF 133 III 462 consid. 4.4.2 p.
471; 122 IV 279 consid. 2a p. 281; 121 IV 104 consid. 2c p. 107). Déterminer
l'existence et la quotité du dommage est une question de fait (ATF 132 III 564
consid. 6.2 p. 576; arrêt 6B_211/2012 du 7 septembre 2012 consid. 3.4). Le
Tribunal fédéral est donc lié sur ce point par le constat posé par la cour
cantonale (art. 105 al. 1 LTF), sous réserve d'établissement arbitraire des
faits. Le grief d'arbitraire, déduit de la violation de l'art. 9 Cst., est
cependant soumis aux exigences accrues de motivation déduites de l'art. 106 al.
2 LTF.
En l'espèce, la recourante se contente de répéter dans ses écritures devant le
Tribunal fédéral que l'intimé lui a causé "un préjudice très important", que
son patrimoine "a été diminué considérablement" et que l'intimé "s'est servi
dans les actifs de la recourante". Ces affirmations péremptoires, de nature
purement appellatoire, ne permettent pas de s'écarter des constatations
cantonales, lesquelles reposent sur une appréciation circonstanciée des
éléments du dossier. En outre, elle ne prétend pas que la notion juridique du
dommage aurait été méconnue. A défaut de démonstration d'un préjudice subi par
la recourante, la cour cantonale pouvait considérer que les éléments
constitutifs des infractions dénoncées n'étaient manifestement pas réunis (art.
310 al. 1 let. a CPP). En outre, la recourante n'a pas cherché à démontrer que
la cour cantonale aurait abusé de son pouvoir d'appréciation en estimant que le
litige entre les parties revêtait un caractère exclusivement civil.
Par conséquent, le prononcé d'une ordonnance de non-entrée en matière dans les
circonstances de l'espèce ne violait pas le droit fédéral. Sur ce point, le
recours doit donc être entièrement rejeté.

4.
Il s'ensuit que le recours est rejeté, dans la mesure de sa recevabilité. La
recourante, qui succombe, doit supporter les frais judiciaires (art. 65 et 66
LTF). Elle versera en outre une indemnité à titre de dépens à l'intimé, qui
obtient gain de cause avec l'assistance d'un avocat (art. 68 al. 2 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 francs, sont mis à la charge de la
recourante.

3.
Une indemnité de 1'500 francs est allouée à l'intimé à titre de dépens, à la
charge de la recourante.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, au Ministère
public et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre
pénale de recours.

Lausanne, le 6 décembre 2012
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Fonjallaz

La Greffière: Arn