Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.111/2012
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
1B_111/2012

Arrêt du 5 avril 2012
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges Fonjallaz, Président, Aemisegger et Merkli.
Greffier: M. Kurz.

Participants à la procédure
A.________,
B.________,
représentés par Me Marc Oederlin, avocat,
recourants,

contre

Ministère public du canton de Genève, case postale 3565, 1211 Genève 3.

Objet
procédure pénale; ordonnance de non-entrée en matière,

recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton
de Genève, Chambre pénale de recours,
du 23 janvier 2012.

Faits:

A.
Le 6 décembre 2010, A.________ et la société B.________ ont déposé plainte
contre C.________ et sa société X.________ pour tentative d'extorsion et abus
de confiance. Voulant faire croire à un endettement, A.________ avait obtenu un
prêt fictif d'un million d'euros de la part de X.________, et avait émis en
faveur de cette dernière un titre hypothécaire sur une villa à Nice. Par la
suite, C.________ aurait tenté par sommation judiciaire d'obtenir le
remboursement de la somme prétendument prêtée, sous peine de réaliser
l'hypothèque, ce qui avait forcé A.________ à saisir un Tribunal pour faire
constater l'inexistence de la dette. A.________ aurait aussi confié 300'000 USD
afin de les investir dans de l'or, mais C.________ avait fait savoir que ces
montants avaient été perdus.
Par décision du 18 novembre 2011, le Ministère public du canton de Genève a
refusé d'entrer en matière. Faute de violence ou de menace d'un dommage
sérieux, la tentative d'extorsion ne pouvait être retenue. Les investissements
en or ainsi qu'en pierres précieuses avaient été effectués en association avec
D.________, et les malversations avaient été commises et reconnues par ce
dernier.

B.
Par arrêt du 23 janvier 2012, la Chambre pénale de recours de la Cour de
justice du canton de Genève a rejeté le recours formé par A.________ et
B.________. Le Ministère public pouvait rendre une ordonnance de non-entrée en
matière après avoir entendu C.________ à titre de renseignement. S'agissant de
la contrainte ou de l'extorsion, une sommation judiciaire pouvait être
assimilée à un commandement de payer et ne constituait pas une menace
suffisamment sérieuse. S'agissant de l'abus de confiance, les fonds n'avaient
pas été confiés à C.________ ou à sa société, et il ressortait des pièces
produites que D.________ était à l'origine du préjudice subi.

C.
Par acte du 24 février 2012, A.________ et B.________ forment un recours en
matière pénale par lequel ils demandent l'annulation de l'arrêt cantonal et le
renvoi de la cause soit au Ministère public pour ouverture d'une enquête pour
tentative d'extorsion, gestion déloyale voire abus de confiance, soit -
subsidiairement - à la cour cantonale pour nouvelle décision au sens des
considérants.
La Chambre pénale de recours se réfère à son arrêt, sans observations. Le
Ministère public conclut au rejet du recours.

Considérant en droit:

1.
La décision attaquée a été rendue en matière pénale au sens de l'art. 78 LTF.
Elle a un caractère final (art. 90 LTF) et émane de l'autorité cantonale de
dernière instance (art. 80 LTF). Les recourants ont agi en temps utile (art.
100 al. 1 LTF).

1.1 Selon l'art. 81 al. 1 let. a et b ch. 5 LTF, la partie plaignante qui a
participé à la procédure de dernière instance cantonale est habilitée à
recourir au Tribunal fédéral, si la décision attaquée peut avoir des effets sur
le jugement de ses prétentions civiles, soit en particulier les prétentions en
réparation du dommage et du tort moral au sens des art. 41 ss CO. Selon l'art.
42 al. 1 LTF, il incombe notamment au recourant d'alléguer les faits qu'il
considère comme propres à fonder sa qualité pour recourir lorsque ces faits ne
ressortent pas à l'évidence de la décision attaquée ou du dossier de la cause
(cf. ATF 133 II 353 consid. 1 p. 356, 249 consid. 1.1 p. 251). Lorsque, comme
en l'espèce, le recours est dirigé contre une décision de non-entrée en
matière, il n'est pas nécessaire que la partie plaignante ait déjà pris des
conclusions civiles (ATF 137 IV 246 consid. 1.3.1). En revanche, elle doit
expliquer dans son mémoire quelles prétentions civiles elle entend faire valoir
contre l'intimé (ATF 137 IV 219 consid. 2.4 p. 222).

1.2 En l'espèce, les recourants expliquent avoir des prétentions contre
l'intimé, pour plus de 1,8 million de francs représentant les montants investis
en or. Les recourants n'élèvent en revanche aucune prétention civile en rapport
avec l'infraction d'extorsion, demeurée à l'état de tentative. La question de
la recevabilité du recours sur ce point peut toutefois demeurer indécise,
compte tenu des considérants qui suivent.

2.
Invoquant leur droit d'être entendus et l'art. 101 al. 1 CPP, les recourants
reprochent au Ministère public de leur avoir refusé l'accès au dossier alors
qu'il l'avait accordé à C.________, considéré comme prévenu. Dans un autre
grief, les recourants estiment que l'audition de la personne mise en cause, à
titre de prévenu, constituait un acte d'enquête et empêchait le prononcé d'une
ordonnance de non-entrée en matière.

2.1 Une ordonnance de non-entrée en matière, au sens de l'art. 310 CPP, est
rendue immédiatement par le ministère public lorsqu'il apparaît notamment, à
réception de la plainte ou après une procédure préliminaire limitée aux
investigations de la police (art. 300 al. 1 et 306 s. CPP), que les éléments
constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale
ne sont manifestement pas réunis (al. 1 let. a). Le ministère public ne peut
donc pas rendre une telle ordonnance après avoir ouvert une instruction au sens
de l'art. 309 CPP (CORNU, Commentaire romand CPP, n° 2 ad art. 310).
En l'espèce, le Ministère public a reçu la plainte des recourants le 6 décembre
2010. Selon la note apposée au verso de cette plainte, une enquête préliminaire
a été ouverte le 17 décembre suivant et le dossier a été transmis à la police.
Celle-ci a entendu C.________ le 31 janvier 2011, en qualité de personne
appelée à donner des renseignements. Un rapport a été établi le même jour à
l'attention du Ministère public. Des pièces ont été réclamées aux mis en cause
par le Ministère public, le 26 avril 2011. L'avocat des recourants a été
informé, le 22 mars 2011, que la procédure avait fait l'objet d'une enquête
préliminaire. Par la suite, les personnes mises en cause ont demandé l'accès au
dossier. Le Ministère public a accordé le 19 mai 2011 un accès partiel, limité
aux pièces et déclarations des intéressés. Il est vrai que cette ordonnance
désigne C.________ et X.________ comme prévenus. Il s'agit toutefois
manifestement d'une erreur de désignation car la même ordonnance précise
qu'aucune audience au sens de l'art. 101 al. 1 CPP n'avait encore eu lieu. Le
15 juin 2011, le Ministère public a rejeté une demande d'accès au dossier
présentée par les recourants, en relevant à nouveau qu'aucune audience n'avait
eu lieu devant lui.

2.2 Force est dès lors de constater qu'en dépit des objections des recourants,
aucune décision formelle d'ouverture d'une instruction n'a été prise par le
Ministère public avec la mention des prévenus et des infractions qui leur sont
imputées, comme l'exige l'art. 309 al. 3 CPP. Quand bien même il s'est écoulé
près d'une année entre le dépôt de la plainte et l'ordonnance de non-entrée en
matière, la procédure n'a pas dépassé le stade de l'investigation policière, ce
qui permettait au Ministère public de rendre une ordonnance de non-entrée en
matière. Le grief doit être écarté.

2.3 Les recourants invoquent en vain leur droit d'être entendus, dès lors que
l'accès au dossier n'a pas à être accordé avant la première audition du
prévenu. Les mis en cause ont certes obtenu un droit d'accès, mais limité à
leurs propres déclarations et aux pièces qu'ils avaient eux-mêmes déposées, et
ce afin de fournir les pièces complémentaires exigées par le Ministère public.
Il n'y a par conséquent aucune violation de l'art. 101 CPP. Les recourants ont
par ailleurs pu exercer leur droit d'être entendus à tout le moins dans la
procédure de recours puisqu'il ressort du dossier qu'ils ont obtenu une copie
de l'intégralité du dossier après le prononcé de l'ordonnance du Ministère
public.
Les griefs d'ordre formel doivent par conséquent être rejetés.

3.
Sur le fond, les recourants se plaignent d'arbitraire dans l'établissement des
faits et estiment que les conditions d'une non-entrée en matière n'étaient pas
réunies. Ils reprochent à la cour cantonale d'avoir limité son examen,
concernant l'existence d'un dommage sérieux, à la sommation judiciaire, alors
que le mémoire réponse des mis en cause devant le tribunal civil contenait de
fausses indications quant à l'existence d'un prêt. La cour cantonale aurait
tenu compte de simples documents internes pour retenir arbitrairement que seul
D.________ était responsable du préjudice subi. Les recourants estiment qu'une
ordonnance de non-entrée en matière ne serait possible que lorsque toute
infraction peut d'emblée être exclue. La cour cantonale ne pouvait dès lors se
livrer, comme elle l'a fait, à un examen de fond. Les recourants soutiennent
ensuite que les éléments constitutifs des infractions d'extorsion et de gestion
déloyale seraient réunis.

3.1 Selon l'art. 310 CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance
de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de
police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à
l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (let. a). Il
peut faire de même en cas d'empêchement de procéder (let. b) ou en application
de l'art. 8 CPP (let. c). Le ministère public doit ainsi être certain que les
faits ne sont pas punissables, ce qui est notamment le cas lorsque le litige
est d'ordre purement civil (ATF 137 IV 285 consid. 2.3 p. 287 et les références
citées). Il doit tenir compte de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce
et des intérêts variables qui peuvent se trouver en présence et dispose dans ce
cadre d'un large pouvoir d'appréciation (arrêt 1B_687/2011 du 27 mars 2012
destiné à la publication, consid. 4).

3.2 La cour cantonale a considéré qu'à l'instar d'un commandement de payer, une
tentative de recouvrement par voie de sommation judiciaire ne constituait pas
une menace grave constitutive d'extorsion ou de contrainte, car l'intéressé
pouvait faire constater l'inexistence de la dette devant un tribunal. Les
recourants relèvent que les mis en cause auraient tout fait pour obtenir le
montant réclamé, y compris en alléguant des faits inexacts devant le juge. Cela
n'enlève toutefois rien à la pertinence du raisonnement de la cour cantonale et
au fait qu'il a suffit aux recourants de faire constater en justice
l'inexistence de la dette, de sorte que la menace évoquée était manifestement
insuffisante pour les pousser à des actes préjudiciables à leurs intérêts.

3.3 S'agissant de l'infraction de gestion déloyale, les recourants se
contentent de relever que l'argent investi aurait été versé sur un compte
ouvert par X.________. Cela ne suffit toutefois pas pour démontrer l'existence
d'un devoir de gestion. En effet, selon un protocole d'accord signé par les
parties, D.________ reconnaissait être à l'origine d'un préjudice de plus de
1,5 million d'euros et s'engageait à rembourser cette somme. Les recourants ne
contestent ni l'authenticité de ce document, ni l'interprétation qu'en a fait
la cour cantonale.

4.
Il ressort dès lors suffisamment clairement des déclarations et des pièces
produites que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis et
que le litige est en définitive de nature purement civile. L'ordonnance de
non-entrée en matière n'est dès lors pas critiquable. Le recours doit par
conséquent être rejeté, dans la mesure où il est recevable. Conformément à
l'art. 66 al. 1 LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge des recourants
qui succombent.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge des
recourants.

3.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire des recourants, au Ministère
public et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre
pénale de recours.

Lausanne, le 5 avril 2012
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Fonjallaz

Le Greffier: Kurz