Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Sozialrechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 9C 698/2009
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
9C_698/2009

Arrêt du 7 juillet 2010
IIe Cour de droit social

Composition
MM. les Juges U. Meyer, Président,
Borella, Kernen, Seiler et Boinay, Juge suppléant.
Greffière: Mme Fretz Perrin.

Participants à la procédure
Caisse de pensions Y.________, représentée par Me Corinne Corminboeuf Harari,
avocate,
recourante,

contre

R.________, représenté par Me Vincent Jeanneret,
intimé.

Objet
Prévoyance professionnelle,

recours contre le jugement du Tribunal cantonal des assurances sociales de la
République et canton de Genève du 19 juin 2009.

Faits:

A.
R.________ était administrateur unique de la société X.________ et président du
conseil de fondation de la Caisse de pensions Y.________.
X.________ a déposé une demande de sursis concordataire le 16 mars 1998, qui a
abouti à l'homologation d'un concordat par abandon d'actifs le 22 juin 1999.
Le 2 décembre 1998, Y.________ a été mise en liquidation et R.________ a quitté
le conseil de fondation.

B.
Le 24 août 2007, Y.________ en liquidation a introduit une action en
dommage-intérêts contre R.________. Elle a conclu au paiement de 4'681'632 fr.
avec intérêts à 5 % dès le 20 mars 1998 et de 4'670'601 fr. avec intérêts à 5 %
dès le 3 décembre 1998. Elle a considéré que R.________, en sa qualité de
président du conseil de fondation, avait permis à X.________ de ne pas verser
régulièrement les cotisations dues causant ainsi une perte de 4'681'632 fr. De
plus, en faisant financer des immeubles par la fondation dans le but de
favoriser l'activité de X.________, R.________ lui avait occasionné des pertes
à hauteur de 4'670'601 fr.
Celui-ci a conclu au rejet des conclusions de la demande en invoquant la
prescription de l'action.
Par arrêt du 19 juin 2009, le Tribunal cantonal des assurances sociales de la
République et canton de Genève a rejeté la demande, admettant l'exception de
prescription.

C.
Y.________ en liquidation interjette un recours en matière de droit public
contre ce jugement dont elle demande l'annulation. Elle conclut à ce qu'il soit
constaté que son action n'est pas prescrite et que l'affaire soit retournée à
l'autorité cantonale pour statuer sur le fond.
R.________ conclut au rejet du recours sous suite de frais et dépens. L'Office
fédéral des assurances sociales a renoncé à se déterminer.

D.
Le 7 juillet 2010, la IIe Cour de droit social a tenu une audience publique.

Considérant en droit:

1.
1.1 Le recours en matière de droit public (art. 82 ss LTF) peut être formé pour
violation du droit selon les art. 95 et 96 LTF. Le Tribunal fédéral applique le
droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est donc limité ni par les arguments
soulevés dans le recours ni par la motivation retenue par l'autorité
précédente; il peut admettre un recours pour un autre motif que ceux qui ont
été invoqués et il peut rejeter un recours en adoptant une argumentation
différente de celle de l'autorité précédente (cf. ATF 130 III 136 consid. 1.4
p. 140).

1.2 Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité
précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il peut cependant rectifier ou compléter
d'office les constatations de l'autorité précédente si les faits ont été
établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de
l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF).

2.
Est seule litigieuse la question de savoir si l'action de Y.________ en
liquidation était prescrite au moment où elle a été introduite le 24 août 2007.

3.
3.1 L'art. 52 LPP, dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2004, ne
contenait aucun délai de péremption ou de prescription pour introduire l'action
en dommages-intérêts contre les personnes chargées de l'administration, de la
gestion et du contrôle des institutions de prévoyance. Dans un arrêt rendu le 4
mars 2005, le Tribunal fédéral a jugé qu'en l'absence de délai fixé par l'art.
52 LPP en vigueur jusqu'au 31 décembre 2004, il y avait lieu d'admettre que
cette action était soumise au délai de prescription décennale de l'art. 127 CO
et que le délai débutait avec la fin du mandat d'organe. Etait réservé le cas
où la violation des obligations avait été corrigée avant ce moment (ATF 131 V
55 consid. 3 p. 56-59).
Dans le cadre de la 1ère révision de la LPP, le législateur fédéral a introduit
un alinéa 2 à l'art. 52 LPP, qui stipule que le droit à la réparation du
dommage que la personne lésée pourra faire valoir auprès des organes
responsables, se prescrit à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter du
jour où la personne lésée a eu connaissance du dommage et de la personne tenue
à effectuer le dédommagement, en tout état de cause à l'écoulement de la
dixième année à partir du jour où le dommage a été commis. Cette novelle,
entrée en vigueur le 1er janvier 2005, ne contient pas de disposition
transitoire en rapport avec ce nouvel alinéa.

3.2 Lorsque, comme en l'occurrence, la loi ne contient pas de disposition
transitoire en ce qui concerne le régime de prescription applicable, il
appartient à l'autorité de jugement d'examiner quel droit transitoire doit être
appliqué, en se basant sur les principes généraux du droit intertemporel (ATF
131 V 425 consid. 5.1 p. 429, 104 Ib 87 consid. 2b p. 89; Meyer/Arnold,
Intertemporales Recht, Eine Bestandesaufnahme anhand der Rechtsprechung der
beiden öffentlich-rechtlichen Abteilungen des Bundesgerichts und des
Eidgenössichen Versicherungsgerichts in : RDS 2005 p. 115 ss, en part. p. 127
ss).
La jurisprudence (ATF 132 V 159 consid. 2 p. 161, 131 V 425 consid. 5.2 p. 429
s., 111 II 193, 107 1b 198 consid. 7b/aa p. 203, 102 V 206 consid. 2 p. 207 s.)
et la doctrine (ATTILIO GADOLA, Verjährung und Verwirkung im öffentlichem
Recht, in PJA 1995 p.58; ANDRÉ GRISEL, Traité de droit administratif, p. 150)
considèrent qu'une nouvelle réglementation introduisant des délais de
prescription ou de péremption est applicable aux prétentions relevant de
l'ancien droit, si celles-ci, bien que nées et exigibles avant l'entrée en
vigueur du nouveau droit, ne sont pas encore prescrites ou périmées à ce
moment-là.
En l'occurrence, dès lors que le recourant a quitté le conseil de fondation le
2 décembre 1998 sans qu'il ait pu ou voulu remédier aux problèmes liés au
non-paiement des cotisations LPP par X.________ et à l'éventuelle surévaluation
des actifs immobiliers, le délai de dix ans consacré par la jurisprudence pour
ouvrir action en réparation du dommage n'était pas écoulé à l'entrée en vigueur
de l'art. 52 al. 2 LPP. Il y a par conséquent lieu d'admettre que les délais
prévus par cette nouvelle disposition légale s'appliquent à la créance de la
recourante.

4.
Reste à examiner si l'action en réparation du dommage intentée par la
recourante était prescrite selon l'art. 52 al. 2 LPP, respectivement si les
deux délais nouvellement introduits par cette disposition ont commencé à courir
avec son entrée en vigueur au 1er janvier 2005 ou s'il y a lieu de leur imputer
le temps déjà écoulé sous l'ancien droit.

4.1 En ce qui concerne tout d'abord le délai absolu de dix ans prévu par l'art.
52 al. 2 LPP, en vigueur depuis le 1er janvier 2005, il constitue une reprise
dans la loi de la prescription décennale introduite par la jurisprudence (ATF
131 V 57). Lorsque le nouveau droit introduit un délai de prescription
identique à celui prévu par l'ancien droit, c'est en principe le nouveau droit
qui s'applique. Toutefois, même sous l'empire du nouveau droit, ce délai part
du fait déclenchant qui s'est produit sous l'ancien droit, ce qui a pour effet
d'imputer sur le nouveau délai le temps écoulé avant l'entrée en vigueur de la
loi nouvelle (cf. PAUL MUTZNER, in Commentaire bernois, CC, Titre final, 2ème
éd. 1926, n° 9 ad art. 49 Tit. fin. CC). Selon l'art. 52 al. 2 LPP, le délai
absolu de dix ans commence à courir à partir du jour où le dommage a été
commis. Plus précise, la version allemande du texte de loi indique que le délai
court «vom Tag der schädigenden Handlungen». En utilisant le pluriel, le
législateur a voulu montrer que le dommage est le plus souvent la conséquence
d'un ensemble de comportements s'étendant sur une certaine période. Aussi, il
n'y a lieu de faire courir la prescription qu'à partir du jour où les
comportements dommageables ont pris fin (MÉLANIE FRETZ, La responsabilité selon
l'art. 52 LAVS: une comparaison avec les art. 78 LPGA et 52 LPP in REAS 3/2009,
p. 246). Ce sont au demeurant les mêmes considérations qui sous-tendent la
jurisprudence ayant soumis l'action en responsabilité de l'art. 52 aLPP en
vigueur jusqu'au 31 décembre 2004 à la prescription décennale de l'art. 127 CO,
en faisant toutefois partir le délai avec la fin effective de la position
d'organe, sauf lorsque la violation des obligations avait été corrigée
auparavant (ATF 131 V 58; UELI KIESER, in BVG und FZG, n° 42 ad art. 52 LPP).
En l'espèce, la prescription décennale prévue par l'art. 52 al. 2 LPP étant
identique à la prescription de l'ancien droit introduite par la voie de la
jurisprudence, celle-ci a commencé à courir à partir du fait déclenchant qui
s'est produit sous l'ancien droit, soit avec la fin effective du mandat
d'organe le 2 décembre 1998. La prescription décennale n'était donc pas encore
accomplie lorsque la recourante a introduit son action en réparation du dommage
le 24 août 2007.

4.2 Le litige revient à déterminer si l'arrêt entrepris retient à juste titre
que l'action en réparation du dommage était atteinte par la prescription de
cinq ans introduite par l'art. 52 al. 2 LPP.
Pour aboutir à cette conclusion, la juridiction cantonale a appliqué l'art. 49
al. 1 Tit. fin. CC, lequel prescrit que lorsque le code civil introduit une
prescription de cinq ans ou davantage, il y a lieu de tenir compte du temps
écoulé pour les prescriptions commencées avant la date de l'entrée en vigueur
de la loi nouvelle, ces prescriptions n'étant toutefois considérées comme
accomplies que deux ans au moins à partir de cette date. Au moment de
l'ouverture de l'action, le 24 août 2007, tant le délai de cinq ans dès la
connaissance du dommage et de la personne tenue à réparation que celui de deux
ans dès l'entrée en vigueur de l'art. 52 al. 2 LPP étaient échus, de sorte que
les prétentions de la caisse recourante étaient frappées de la prescription.
Les premiers juges ont retenu qu'il était constant que Y.________ avait eu
connaissance, au plus tard le 8 mars 2001, de la personne tenue pour
responsable du dommage et de ce dernier. A cette date, les liquidateurs de
Y.________ avaient adressé une note préliminaire portant sur la responsabilité
des membres du conseil de fondation de Y.________ au Fonds de garantie LPP,
dont il ressortait sans ambiguïté que les membres du conseil de fondation (dont
R.________ était le président) étaient tenus pour responsables du dommage
chiffré à 4'681'632 fr. en relation avec les cotisations impayées par
X.________ et de celui fixé à 4'670'601 fr. correspondant à la perte sur les
investissements immobiliers.

4.3 La règle de droit intertemporel posée à l'art. 49 al. 1 Tit. fin. CC
s'applique lorsque le nouveau droit introduit un délai de cinq ans ou plus qui
n'existait pas sous l'ancien droit et ce, également dans les cas où le délai
introduit par le nouveau droit est plus court que celui prévu par l'ancien
droit. Toutefois, lorsque le temps écoulé sous l'ancien droit est imputé sur le
cours du délai introduit par le nouveau droit, c'est l'ancien droit qui définit
le début du délai (PAUL MUTZNER, op. cit., n° 14 ad art. 49 Tit. fin. CC). Si
l'on appliquait l'art. 49 al. 1 Tit. fin. CC dans le cas d'espèce, cela
signifierait que le début du délai de cinq ans devrait être défini par les
règles valables sous l'empire de l'art. 52 aLPP, à savoir que la prescription
quinquennale prévue par l'art. 52 al. 2 LPP devrait commencer à courir avec la
fin effective de la position d'organe. Cette solution n'est cependant pas
compatible avec le nouveau droit applicable en l'espèce, de sorte que l'art. 49
al. 1 Tit. fin. CC ne saurait s'appliquer dans le présent cas. En effet, l'art.
52 al. 2 LPP fixe le début de la prescription au moment de la connaissance du
dommage. Or, dans la mesure où le fait déclenchant du nouveau délai de
prescription ne constituait pas un point d'ancrage juridique reconnu sous
l'empire de l'art. 52 aLPP, le délai de prescription de cinq ans ne pouvait pas
commencer à courir sous l'empire de cette ancienne disposition. Le temps écoulé
sous l'ancien droit ne peut donc pas être pris en compte dans le calcul du
délai de prescription de cinq ans. Celui-ci n'ayant pu commencé à courir qu'à
partir de l'entrée en vigueur du nouveau droit, soit au 1er janvier 2005,
l'action en réparation du dommage ouverte le 24 août 2007 n'était dès lors pas
prescrite.
Le recours est par conséquent admis et l'affaire est renvoyée à l'autorité
cantonale pour qu'elle statue sur le fond.

5.
Compte tenu de l'issue du litige, les frais judiciaires doivent être supportés
par l'intimé qui succombe (art. 66 al. 1 LTF). La recourante qui obtient gain
de cause a droit à une indemnité de dépens pour l'instance fédérale (art. 68
al.1 LTF; ATF 128 V 124 consid. 5b p. 134).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et la décision du Tribunal cantonal des assurances
sociales de la République et canton de Genève du 19 juin 2009 est annulée, la
cause étant renvoyée à l'autorité judiciaire de première instance pour décision
sur le fond.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 24'000 fr. sont mis à la charge de l'intimé.

3.
L'intimé versera à la recourante la somme de 10'000 fr. à titre de dépens pour
la dernière instance.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des
assurances sociales de la République et canton de Genève et à l'Office fédéral
des assurances sociales.

Lucerne, le 7 juillet 2010
Au nom de la IIe Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: La Greffière:

Meyer Fretz Perrin