Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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II. Sozialrechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 9C 603/2009
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
9C_603/2009

Arrêt du 2 février 2010
IIe Cour de droit social

Composition
MM. les Juges U. Meyer, Président,
Borella et Kernen.
Greffier: M. Piguet.

Parties
Office cantonal genevois de l'assurance-invalidité, Rue de Lyon 97, 1203
Genève,
recourant,

contre

A.________,
représenté par Me Gilbert Bratschi, avocat,
intimé.

Objet
Assurance-invalidité (rente d'invalidité),

recours contre le jugement du Tribunal cantonal des assurances sociales de la
République et canton de Genève du 29 mai 2009.

Faits:

A.
A.________, né en 1956, travaillait en qualité de nettoyeur pour le compte de
l'entreprise F.________ SA. Le 16 mars 2001, il a été victime d'un accident
professionnel à la suite duquel il a développé une épicondylite externe gauche
sévère.
Le 1er novembre 2002, le prénommé a déposé une demande de prestations de
l'assurance-invalidité. L'Office cantonal genevois de l'assurance-invalidité
(ci-après: l'office AI) a recueilli les renseignements médicaux usuels auprès
des médecins consultés par l'assuré. Il en ressortait en substance que l'assuré
souffrait de cervico-brachialgies gauches chroniques, d'une épicondylite gauche
chronique, de lombalgies chroniques ainsi que d'un état dépressif réactionnel.
Afin de compléter ces données de base, l'office AI a confié à son Service
médical régional (SMR) la réalisation d'un examen bidisciplinaire
(rhumatologique et psychiatrique). Les docteurs P.________ et Z.________ ont
retenu les diagnostics (avec répercussion sur la capacité de travail)
d'épicondylite bilatérale prédominant à gauche, de cervico-brachialgies gauches
et lombosciatalgies gauches dans le cadre de troubles dégénératifs rachidiens
modestes, de trouble somatoforme douloureux chronique et de trouble de l'humeur
persistant chez une personnalité à traits caractériels dans le cadre d'un
conflit conjugal. Ils ont estimé qu'une incapacité totale de travailler avait
été justifiée jusqu'au 31 décembre 2003 et que depuis lors, la capacité
résiduelle de travail de l'assuré était de 70 % dans une activité adaptée à ses
limitations fonctionnelles (rapport du 10 novembre 2004). Se fondant sur les
conclusions du SMR, l'office AI a, par décision du 7 septembre 2005, alloué à
l'assuré une rente entière d'invalidité limitée dans le temps pour la période
courant du 1er mars 2002 au 31 mars 2004.
A.________ a fait opposition à cette décision. Produisant de nouveaux rapports
médicaux, il a contesté le fait qu'une amélioration notable et durable de son
état de santé serait survenue à compter du début de l'année 2004 et conclu au
versement d'une rente entière d'invalidité au-delà du 31 mars 2004. En
particulier, le docteur R.________, psychiatre traitant, a indiqué que
l'évolution de l'état de santé psychique de son patient avait été défavorable
et qu'il persistait un état dépressif majeur (rapport du 16 mars 2006).

Compte tenu de ces nouveaux éléments médicaux, le SMR a décidé de pratiquer un
nouvel examen bidisciplinaire. Les doctoresses I.________ et L.________ ont
retenu les diagnostics d'épicondylite chronique bilatérale prédominant à
gauche, de lombosciatalgies gauches non déficitaires dans le cadre de troubles
statiques et dégénératifs, d'hernies discales L3-L4 et L4-L5 et de dysbalance
musculaire; la capacité de travail était désormais entière dans une activité
adaptée en raison de l'amélioration des cervico-brachialgies et de l'absence de
pathologies psychiatriques invalidantes (rapport du 25 septembre 2006). Par
décision sur opposition du 6 décembre 2006, l'office AI a confirmé sa décision
du 7 septembre 2005.

B.
A.________ a déféré la décision sur opposition du 6 décembre 2006 devant le
Tribunal cantonal des assurances sociales de la République et canton de Genève.
Après avoir entendu en audience les docteurs G.________ et R.________, la
juridiction cantonale a décidé de confier la réalisation de deux expertises aux
docteurs M.________, spécialiste en médecine interne et en rhumatologie, et
E.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie d'enfants et
d'adolescents. Dans leur rapport respectif des 22 octobre 2008 et 8 février
2009, ces deux médecins ont conclu à l'existence d'une incapacité de travail
totale. Par jugement du 29 mai 2009, le Tribunal cantonal des assurances
sociales a admis le recours et reconnu à l'assuré le droit une rente entière
d'invalidité au-delà du 31 mars 2004.

C.
L'office AI interjette un recours en matière de droit public contre ce jugement
dont il demande l'annulation. Il conclut au renvoi de la cause à la juridiction
cantonale pour instruction complémentaire et nouveau jugement.
A.________ conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des
assurances sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
Le recours en matière de droit public peut être formé pour violation du droit,
tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF. Le Tribunal fédéral applique
le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF), sans être limité par les arguments de
la partie recourante ou par la motivation de l'autorité précédente. Le Tribunal
fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués, compte tenu de
l'exigence de motivation prévue à l'art. 42 al. 2 LTF, et ne peut aller au-delà
des conclusions des parties (art. 107 al. 1 LTF). Il fonde son raisonnement sur
les faits retenus par la juridiction de première instance (art. 105 al. 1 LTF)
sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du
droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). La partie recourante qui
entend s'écarter des faits constatés doit expliquer de manière circonstanciée
en quoi les conditions de l'art. 105 al. 2 LTF sont réalisées sinon un état de
fait divergent ne peut être pris en considération. Aucun fait nouveau ni preuve
nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité
précédente (art. 99 al. 1 LTF).

2.
A l'appui de son recours, l'office recourant critique exclusivement la valeur
probante des expertises judiciaires sur lesquelles le Tribunal cantonal des
assurances sociales a fondé son appréciation du cas. L'expertise du docteur
M.________ mêlerait considérations médicales et sociales, de sorte que les
conclusions retenues par ce médecin sortiraient du domaine de compétence de
l'expert et du mandat qui lui avait été confié. L'expertise du docteur
E.________ ferait preuve quant à elle d'un manque notable de clarté et ne
contiendrait pas de discussion convaincante. Ce médecin tiendrait par ailleurs
des propos à connotation subjective et dépréciative à l'égard du SMR qui ne
concorderaient pas avec la neutralité et l'objectivité exigée d'un expert
médecin. Enfin, dès lors que les aspects somatiques et psychiques
interagissaient entre eux, il convenait en l'espèce de mettre en oeuvre une
expertise médicale pluridisciplinaire, et non deux expertises distinctes comme
l'avait fait la juridiction cantonale.

3.
3.1 Selon le principe de la libre appréciation des preuves, le juge apprécie
librement les preuves médicales qu'il a recueillies, sans être lié par des
règles formelles, en procédant à une appréciation complète et rigoureuse des
preuves. Le juge doit examiner objectivement tous les documents à disposition,
quelle que soit leur provenance, puis décider s'ils permettent de porter un
jugement valable sur le droit litigieux. S'il existe des avis contradictoires,
il ne peut trancher l'affaire sans indiquer les raisons pour lesquelles il se
fonde sur une opinion plutôt qu'une autre. En ce qui concerne la valeur
probante d'un rapport médical, ce qui est déterminant, c'est que les points
litigieux aient fait l'objet d'une étude circonstanciée, que le rapport se
fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les
plaintes exprimées par la personne examinée, qu'il ait été établi en pleine
connaissance de l'anamnèse, que la description du contexte médical et
l'appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les
conclusions de l'expert soient dûment motivées. Au demeurant, l'élément
déterminant pour la valeur probante n'est ni l'origine du moyen de preuve ni sa
désignation comme rapport ou comme expertise, mais bel et bien son contenu (ATF
125 V 351 consid. 3a p. 352; 122 V 157 consid. 1c p. 160 et les références).

3.2 En principe, le juge ne s'écarte pas sans motifs impérieux des conclusions
d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de
mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de
l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la
jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s'écarter d'une
expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou
qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de
manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des
opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des
déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation
divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une
instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF
125 V 351 consid. 3b/aa p. 352 et les références).

3.3 On peut et on doit attendre d'un expert médecin, dont la mission diffère
clairement de celle du médecin traitant, notamment qu'il procède à un examen
objectif de la situation médicale de la personne expertisée, qu'il rapporte les
constatations qu'il a faites de façon neutre et circonstanciée, et que les
conclusions auxquelles il aboutit s'appuient sur des considérations médicales
et non des jugements de valeur. D'un point de vue formel, l'expert doit faire
preuve d'une certaine retenue dans ses propos nonobstant les controverses qui
peuvent exister dans le domaine médical sur tel ou tel sujet: par exemple, s'il
est tenant de théories qui ne font pas l'objet d'un consensus, il est attendu
de lui qu'il le signale et en tire toutes les conséquences quant à ses
conclusions. Enfin, son rapport d'expertise doit être rédigé de manière sobre
et libre de toute qualification dépréciative ou, au contraire, de tournures à
connotation subjective, en suivant une structure logique afin que le lecteur
puisse comprendre le cheminement intellectuel et scientifique à la base de
l'avis qu'il exprime (voir à ce sujet JACQUES MEINE, L'expert et l'expertise -
critères de validité de l'expertise médicale, p. 1 ss, ainsi que FRANÇOIS
PAYCHÈRE, Le juge et l'expert - plaidoyer pour une meilleure compréhension, in
L'expertise médicale, 2002, p. 11 ss et 133 ss)

4.
4.1 Comme le met en évidence l'office recourant, l'expertise réalisée par le
docteur M.________ ne repose pas sur une appréciation objective de la capacité
résiduelle de travail de l'intimé définie en fonction des seuls empêchements
fonctionnels liés aux atteintes constatées. L'intégration de signes
comportementaux (« signes de Waddell ») et de facteurs de risque psycho-sociaux
dans le corps de l'analyse traduit une méconnaissance de la notion d'atteinte à
la santé applicable dans le domaine des assurances sociales. Si la médecine
moderne repose sur une conception bio-psycho-sociale de la maladie, où la
maladie n'est pas considérée comme un phénomène purement biologique ou
physique, mais comme le résultat d'une interaction entre des symptômes
somatiques et psychiques d'une part et l'environnement social du patient
d'autre part, le droit des assurances sociales - en tant qu'il a pour objet la
question de l'invalidité - s'en tient à une conception essentiellement
biomédicale de la maladie dont sont exclus les facteurs psychosociaux ou
socioculturels (ATF 127 V 294 consid. 5a p. 299). Le droit n'ignore pas le rôle
majeur que le modèle bio-psycho-social joue aujourd'hui dans l'approche
thérapeutique de la maladie. Néanmoins, dans la mesure où il en va de
l'évaluation assécurologique de l'exigibilité d'une activité professionnelle,
il y a lieu de s'éloigner d'une appréciation médicale qui nierait cette
exigibilité lorsque celle-ci se fonde de manière prépondérante sur des facteurs
psychosociaux ou socioculturels, facteurs qui sont étrangers à la définition
juridique de l'invalidité (ULRICH MEYER-BLASER, Der Rechtsbegriff der
Arbeitsunfähigkeit und seine Bedeutung in der Sozialversicherung, namentlich
für den Einkommensvergleich in der Invaliditätsbemessung, in Schmerz und
Arbeitsunfähigkeit, 2003, p. 36 ss; voir également Lignes directrices de la
Société suisse de rhumatologie pour l'expertise médicale des maladies
rhumatismales et des séquelles rhumatismales d'accidents, in Bulletin des
médecins suisses, 2007/88 p. 737; ULRICH MEYER, Krankheit als
leistungsauslösender Begriff im Sozialversicherungsrecht, Schweizerische
Ärztezeitung 2009/90 p. 585). En l'espèce, le docteur M.________ s'est écarté
de son mandat d'expert pour clairement inscrire sa démarche intellectuelle dans
le cadre d'une approche bio-psycho-sociale de la maladie. Comme déjà indiqué,
le rapport d'expertise ne contient aucune explication circonstanciée quant à
l'influence objective que jouent les atteintes constatées sur la capacité de
travail de l'intimé. Au contraire, les références à la doctrine médicale citées
par le docteur M.________ démontrent que ce médecin a souhaité placer au centre
de la discussion la perception subjective que l'assuré se fait de sa situation;
il n'est dès lors guère étonnant de le voir, au terme de son rapport, inviter
les assureurs à repenser complètement l'approche assécurologique de la
problématique relative aux douleurs chroniques. Dans ces conditions, il
convient de nier toute valeur probante à son rapport d'expertise.

4.2 L'expertise du docteur E.________ est entachée quant à elle de plusieurs
défauts majeurs qui dénotent un manque certain de rigueur scientifique. De
façon générale, l'expertise est rendue peu lisible en raison d'un manque de
structure et des lacunes au niveau des informations recueillies; on relèvera
par exemple que celle-ci ne renferme aucune anamnèse sociale et
professionnelle. Plus délicat est le fait que l'expertise ne contient pas de
partie consacrée à une discussion générale du cas, où seraient intégrés, dans
un tableau global cohérent, les renseignements issus du dossier, l'anamnèse,
les indications subjectives, l'observation clinique et le résultat des examens
complémentaires pratiqués (cf. Lignes directrices de la Société suisse de
psychiatrie d'assurance pour l'expertise médicale des troubles psychiques, in
Bulletin des médecins suisses 2004/85 p. 1905 ss). En l'absence de discussion,
on peine à se convaincre que l'ensemble des éléments pertinents - à l'exclusion
par exemple des facteurs psychosociaux ou socioculturels - ont été pris en
compte pour l'établissement du diagnostic et l'évaluation de la capacité de
travail. Quant aux divers rapports médicaux versés au dossier, ils sont
discutés dans le cadre de l'anamnèse. Comme le relève l'office recourant,
l'expert y use à l'égard des rapports établis par le SMR de tournures ironiques
ou polémiques inappropriées dans le cadre d'une expertise qui sont propres à
susciter des doutes quant à l'objectivité et l'impartialité du docteur
E.________ (par exemple: « l'explication du cas qui nous est proposée est
intéressante, quoique plus philosophique que médicale »; « On est étonné en
lisant cette hypothèse psycho-philosophique de l'absence d'arguments avancés
pour l'étayer »; « [...] au nom d'un existentialisme à la mode de
l'assurance-invalidité [...] »; « Mais malgré le rapport de la doctoresse
L.________, Monsieur A.________ n'a rien d'un poète symboliste ou romantique,
ni son insomnie de celle d'un pierrot lunaire »). L'ensemble de ces éléments
sont de nature à ébranler sérieusement la crédibilité de l'expertise, de sorte
qu'il n'est raisonnablement pas possible d'en suivre les conclusions.

5.
Il résulte de ce qui précède que les critiques formulées par l'office recourant
s'avèrent pleinement fondées. Au regard de l'absence de valeur probante des
expertises réalisées par les docteurs M.________ et E.________, il y a lieu
d'annuler le jugement entrepris et de renvoyer la cause au Tribunal cantonal
des assurances sociales pour qu'il complète l'instruction en ordonnant une
nouvelle expertise. Comme le fait remarquer à juste titre l'office recourant,
cette expertise devra revêtir un caractère pluridisciplinaire - rhumatologique
et psychiatrique -, les aspects psychiatriques ne pouvant être dissociés des
aspects somatiques dans le cas d'espèce.

6.
Vu l'issue du litige, les frais judiciaires sont mis à la charge de l'intimé
(art. 66 al. 1 LTF) qui ne peut prétendre des dépens (art. 68 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et le jugement du Tribunal cantonal des assurances
sociales de la République et canton de Genève du 29 mai 2009 est annulé. La
cause est renvoyée à la juridiction de première instance pour complément
d'instruction au sens des considérants et nouveau jugement.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge de l'intimé.

3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des
assurances sociales de la République et canton de Genève et à l'Office fédéral
des assurances sociales.

Lucerne, le 2 février 2010
Au nom de la IIe Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:

Meyer Piguet