Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 5A.871/2009
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
5A_871/2009

Arrêt du 2 juin 2010
IIe Cour de droit civil

Composition
Mme et MM. les Juges Hohl, Présidente,
Marazzi et Herrmann.
Greffier: M. Braconi.

Participants à la procédure
X.________ SA,
recourante,

contre

Y.________,
représentée par Me Grégoire Mangeat, avocat,
intimée.

Objet
séquestre,

recours contre l'arrêt de la 1ère Section de la Cour de justice du canton de
Genève du 26 novembre 2009.

Faits:

A.
A.a Le 26 janvier 2009, la société X.________ SA a requis le Président du
Tribunal de première instance de Genève d'ordonner un séquestre sur les avoirs
de l'Etat de Libye ou sur ceux de Y.________ en main de A.________ SA à hauteur
de 3'990'313 fr. 39. Cette mesure a été autorisée le 3 février 2009 sur les
seuls biens de l'Etat de Libye; elle n'a pas "porté".
A.b Le 20 février 2009, X.________ SA a déposé une nouvelle requête de
séquestre, accompagnée de pièces complémentaires.

Par ordonnance du 25 février 2009 (C/2549/2009-DSQ), le Président du Tribunal
de première instance de Genève a autorisé le séquestre des avoirs de l'Etat de
Libye (ch. I) et de ceux de Y.________, mais appartenant en réalité à l'Etat de
Libye (ch. II), à concurrence de 2'000'000 fr., avec intérêts à 5% dès le 26
janvier 2009 (prétention réduite pour obtenir une diminution des sûretés à
200'000 fr.).

B.
Le 11 mars 2009, Y.________ a formé opposition au second séquestre, faisant
valoir que les biens séquestrés "lui appartiennent en pleine propriété".

Par jugement du 14 juillet 2009, le Tribunal de première instance de Genève a,
notamment, déclaré recevable l'opposition (ch. 1), révoqué l'ordonnance de
séquestre (ch. 3) et ordonné la restitution des sûretés fournies par la
requérante (ch. 4).

Statuant le 26 novembre 2009 sur recours de la requérante, la Cour de justice
du canton de Genève a confirmé le jugement entrepris.

C.
Par mémoire du 28 décembre 2009, X.________ SA exerce un recours en matière
civile au Tribunal fédéral; sur le fond, elle conclut à l'annulation de l'arrêt
attaqué ainsi qu'à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet, de l'opposition
au séquestre formée par Y.________.

L'autorité précédente se réfère aux considérants de son arrêt; l'intimée
propose le rejet du recours et la confirmation de l'arrêt attaqué.

D.
Par ordonnance du 13 janvier 2010, la Présidente de la Cour de céans a attribué
l'effet suspensif au recours.

Considérant en droit:

1.
1.1 Le recours a été interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une
décision finale (art. 90 LTF) rendue en matière de poursuite pour dettes (art.
72 al. 2 let. a LTF) par une autorité cantonale de dernière instance ayant
statué sur recours (art. 75 LTF); la valeur litigieuse est atteinte (art. 74
al. 1 let. b LTF); la recourante, qui a succombé devant la juridiction
précédente, a qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF).

1.2 L'arrêt sur opposition au séquestre (cf. art. 278 al. 3 LP) porte sur des
mesures provisionnelles au sens de l'art. 98 LTF (ATF 135 III 232 consid. 1.2
p. 234; arrêts 5D_112/2007 du 11 février 2008 consid. 1.2 et 5A_218/2007 du 7
août 2007 consid. 3.2, publié in: Pra 2007 n° 138); dès lors, la partie
recourante ne peut dénoncer qu'une violation de ses droits constitutionnels
(cf. par exemple: ATF 134 II 349 consid. 3 p. 351 et les arrêts cités
[séquestre fiscal]).

1.3 Se référant à l'"art. 99 al. 1 LTF", la recourante a produit diverses
pièces, en particulier une ordonnance du Tribunal de première instance de
Genève du 3 décembre 2009 ainsi qu'une décision de l'Office des poursuites de
Genève du 23 décembre suivant; il s'agit là de pièces établies postérieurement
à l'arrêt déféré (vrais nova), de sorte qu'elles sont d'emblée irrecevables
(ATF 133 IV 342 consid. 2.1 p. 343/344 et les citations).

2.
Sous réserve d'exceptions non réalisées en l'occurrence, l'invocation de moyens
de droit nouveaux est irrecevable à l'appui d'un recours fondé sur l'art. 98
LTF (ATF 133 III 638 consid. 2 p. 640; arrêt 5A_261/2009 du 1er septembre 2009
consid. 1.3, non publié aux ATF 135 III 608).

La recourante se plaint - sous l'angle du déni de justice formel (art. 29 al. 1
Cst.) et de l'arbitraire (art. 9 Cst.) - de ce que l'ordonnance a été
entièrement révoquée, et non seulement en ce qui concerne les avoirs de
l'intimée, alors même qu'il est constant que l'Etat de Libye n'a pas formé
opposition au séquestre. Ce moyen n'a toutefois pas été soumis à l'autorité
précédente; sa présentation en instance fédérale n'est pas non plus provoquée
par l'arrêt attaqué, puisque l'intéressée elle-même estime que c'est le "juge
de première instance [qui] a levé un séquestre frappant les avoirs [de] l'Etat
de Libye et les avoirs [de] Y.________". De plus, la recourante n'a pas formulé
de chef de conclusions tendant au maintien du séquestre quant aux biens de
l'Etat de Libye. Il s'ensuit que le grief est irrecevable.

Au demeurant, l'argumentation - passablement absconse - relative à la "mise en
cause du débiteur [i.e. l'Etat de Libye] ayant pour résultat une consorité
nécessaire, matérielle et formelle entre l'Etat de Libye et Y.________",
procédé qui n'aurait pas de "base légale en droit cantonal genevois", apparaît
manifestement mal fondée. L'intimée a formé opposition pour obtenir la levée
d'un séquestre frappant, non pas des avoirs "appartenant en réalité à l'Etat de
Libye", mais bien ses propres avoirs, revendiquant sur eux un droit de
propriété; dans cette mesure, elle a qualité d'opposante (cf. parmi plusieurs:
MEIER-DIETERLE, in: Kurzkommentar SchKG, 2009, n° 2 ad art. 278 LP; REISER, in:
Basler Kommentar, SchKG III, 1998, n° 22 ad art. 278 LP).

Pour le même motif, est nouveau - partant irrecevable - le moyen tiré d'une
violation de la "liberté économique" (art. 27 al. 1 Cst.), garantie dont la
recourante ne démontre pas, de surcroît, l'application dans les rapports
horizontaux (cf. sur l'ensemble du sujet: T. ZIMMERMANN, L'effet horizontal des
droits fondamentaux ou le garant de la dignité humaine, in: Enseignement de 3e
cycle de droit, 2009, p. 27-53, 33 ss, avec de nombreuses citations).

3.
Dans la mesure où il n'est pas nouveau (supra, consid. 2), le grief pris d'une
application arbitraire de l'art. 272 LP n'a pas de portée propre. Il s'appuie
derechef sur la prémisse erronée d'une "consorité nécessaire, matérielle et
formelle" entre l'Etat de Libye (débiteur) et l'intimée.

4.
La recourante se prévaut, à plusieurs reprises, du droit à une décision
motivée.

4.1 Le Tribunal fédéral a déduit du droit d'être entendu, consacré par l'art.
29 al. 2 Cst., le devoir pour le juge de motiver sa décision afin que le
justiciable puisse en saisir la portée et, le cas échéant, l'attaquer en
connaissance de cause; pour répondre à ces exigences, il suffit que le juge
mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a
fondé sa décision; il n'est cependant pas tenu de discuter tous les moyens
soulevés par les parties, mais peut se limiter à ceux qui lui apparaissent
pertinents (ATF 134 I 83 consid. 4.1 p. 88; 133 III 439 consid. 3.3 p. 445 et
les arrêts cités).
4.2
4.2.1 Faute d'être personnellement lésée, la recourante n'a pas qualité pour
reprocher à l'autorité précédente de n'avoir pas entendu l'Etat de Libye en
instance d'appel, "malgré la teneur des conclusions" prises par l'intimée (art.
76 al. 1 let. b LTF); ce grief est ainsi irrecevable. Au reste, il repose sur
une prémisse erronée, à savoir la "mise en cause [de l'Etat libyen] en tant que
consort nécessaire, matériel et formel aux côtés de l'opposante" (supra,
consid. 2 et 3).
4.2.2 Il est vrai que, dans ses considérants en droit, la cour cantonale n'a
pas pris expressément position sur l'argument tiré de la présence de l'intimée
sur une liste des autorités américaines en qualité d'entité assimilable au
"Gouvernement de Libye". Il est toutefois erroné de dire qu'il n'a pas été
examiné. La juridiction précédente a considéré que des "circonstances
particulières dénotant l'existence d'un abus" n'avaient pas été rendues
vraisemblables, puisque l'Etat de Libye n'avait pas mis en place une structure
comprenant des banques publiques dans le but d'éluder ses obligations
contractuelles à l'égard de la recourante; elle a donc implicitement nié que
l'intimée s'identifiait à l'Etat de Libye. De surcroît, cette liste est établie
"lors de la prise de sanctions contre des pays qui mettent en danger la
sécurité [des Etats-Unis]", considération politique qui est étrangère à la
présente cause.
4.2.3 Enfin, le reproche adressé à l'autorité précédente de n'avoir pas
expliqué les motifs pour lesquels elle n'a pas "examin[é] la nature des actes
jure imperii de la Banque Centrale de Libye" est injustifié. Outre le fait que
cette critique s'écarte des constatations de la cour cantonale (art. 105 al. 1
LTF), l'ordonnance de séquestre a été révoquée par le motif que l'opposante et
la Banque Centrale de Libye "jouissent d'une indépendance juridique suffisante
du point de vue du droit libyen" et que, en l'absence d'abus, il s'impose "de
respecter la dualité juridique de chacune des banques publiques envers l'Etat".
Dans ces conditions, il n'y avait pas lieu de s'interroger sur le point de
savoir si la banque précitée avait ou non agi jure imperii.

5.
La recourante fait grief à la juridiction précédente d'avoir apprécié les
preuves d'une manière arbitraire; elle soutient que, contrairement à ce que
l'intimée a affirmé dans son opposition au séquestre, elle n'opérait pas de
paiements au moyen de lettres de crédit (cf. art. 407 CO).
D'emblée, il faut souligner que l'intimée n'a pas déclaré avoir procédé à des
versements en faveur de la recourante "en vertu d'une lettre de crédit", mais
qu'il est "probable que tel ait été le cas". Au surplus, on ne discerne pas en
quoi le mode de règlement serait pertinent dans le cas présent, la cour
cantonale ayant admis que les "paiements étaient effectués par l'intermédiaire"
de l'intimée. Que les "comptes séquestrés [soient] ceux utilisés par l'Etat de
Libye pour l'exécution [du] contrat" à l'origine du litige n'autorise pas la
recourante à en déduire que tous les biens de l'intimée mis sous main de
justice "appartiennent en réalité" à l'Etat de Libye.

6.
Il ne ressort pas de l'arrêt attaqué que la recourante aurait invoqué en
instance cantonale les art. 53 et 177 du Code civil libyen et l'art. 514 du
Code commercial libyen, à savoir les "règles de perçage de la voile sociale en
Libye". Il s'ensuit que le grief tiré d'une application arbitraire du droit
étranger est nouveau, donc irrecevable (supra, consid. 2). Pour le surplus, la
recourante ne prétend pas que l'analyse des dispositions statutaires topiques
des banques impliquées serait arbitraire (cf. infra, consid. 7.2), de sorte
qu'il n'y a pas lieu d'aborder ce point.

7.
Enfin, la recourante dénonce une violation arbitraire des principes de la bonne
foi (art. 2 al. 1 CC) et de l'interdiction de l'abus de droit (art. 2 al. 2
CC).

7.1 Conformément à l'art. 271 al. 1 LP, un séquestre ne peut frapper que les
"biens du débiteur". Doivent être considérés comme biens de tiers tous ceux
qui, en vertu des règles du droit civil, appartiennent à une personne physique
ou morale autre que le débiteur; en principe, seule l'identité juridique est
ainsi déterminante en matière d'exécution forcée (ATF 107 III 103 consid. 1 p.
104; 105 III 107 consid. 3a p. 112 et les citations). Ce n'est que dans des
circonstances exceptionnelles qu'un tiers peut être tenu des engagements d'un
débiteur avec lequel il forme une identité économique; tel est le cas si
l'identité économique absolue entre le débiteur et le tiers n'est ni
contestable ni sérieusement contestée et que la dualité des sujets n'est
invoquée qu'aux fins de se soustraire abusivement à l'exécution forcée (ATF 105
III 107 consid. 3a p. 113 et la jurisprudence citée). Il appartient au
séquestrant de rendre vraisemblable que, malgré notamment la possession,
l'inscription dans un registre public ou l'intitulé du compte bancaire, les
avoirs à mettre sous main de justice appartiennent au débiteur (art. 272 al. 1
ch. 3 LP; ATF 107 III 33 consid. 2 p. 35/36; 126 III 95 consid. 4a p. 97, avec
les nombreuses citations); de simples allégations sont insuffisantes (arrêt
5P.1/2007 du 20 avril 2007 consid. 3.2 et les arrêts cités).

7.2 Après avoir longuement rappelé les normes statutaires topiques de l'intimée
et de la Banque Centrale de Libye, la juridiction précédente a constaté que la
première est une société par actions de droit libyen, formellement indépendante
de la seconde, qui est aussi pourvue d'une personnalité juridique distincte de
celle de l'Etat libyen. Du point de vue économique, la Banque Centrale de Libye
est alimentée par des fonds étatiques et détient à 100% le capital-actions de
l'intimée. Ces deux instituts disposent d'une autonomie "décisionnelle,
organisationnelle et financière" particulièrement restreinte dans leurs
domaines d'activités respectifs, dès lors qu'ils sont placés "sous la tutelle
de l'Etat", mais ils profitent d'un degré d'autonomie vraisemblablement
supérieur à celui d'un ministère gouvernemental. En tout état de cause, on peut
affirmer qu'ils bénéficient d'une indépendance juridique suffisante au regard
du droit libyen; c'est ce que confirme un arrêt de l'Obergericht du canton de
Zurich du 28 septembre 1990 - sur lequel s'est appuyé le premier juge -, dont
la solution paraît encore conforme à la législation libyenne actuelle (i.e. loi
n° 1 de 2005 sur les banques), si l'on en croit un avis de droit d'un avocat
libyen, du 5 juillet 2009, produit par l'intimée.

La juridiction précédente s'est en outre fondée sur un arrêt du Tribunal
fédéral, d'après lequel on ne peut faire abstraction de la personnalité
juridique formelle d'une banque centrale étrangère qu'en présence de
"circonstances particulières dénotant l'existence d'un abus" (5P.1/2007 du 20
avril 2007). De pareilles circonstances n'ont cependant pas été rendues
vraisemblables, puisque l'Etat libyen n'a pas mis en place une structure
comprenant des banques publiques dans le dessein d'éluder ses engagements à
l'endroit de la recourante, mais pour assumer ses obligations financières au
sens large; cette structure n'a pas non plus été utilisée à des fins contraires
à son but. L'absence d'abus impose, en conséquence, de respecter la dualité
juridique de chacune de ces banques vis-à-vis de l'Etat.

7.3 La recourante ne réfute aucunement ces motifs, mais se borne à exposer sa
propre argumentation, qui plus est confuse; manifestement appellatoire, le
recours s'avère irrecevable à cet égard (ATF 134 II 349 consid. 3 p. 351/352).
À toutes fins utiles, il convient de signaler que l'autorité précédente ne
s'est jamais exprimée sur le cas de séquestre réalisé en l'occurrence, de sorte
que tous les développements au sujet de l'art. 271 al. 1 ch. 2 LP (i.e. cas du
débiteur qui, dans l'intention de se soustraire à ses engagements, fait
disparaître ses biens, s'enfuit ou prépare sa fuite) sont hors de propos.

8.
En conclusion, le présent recours doit être rejeté dans la mesure de sa
recevabilité, avec suite de frais et dépens à la charge de la recourante qui
succombe (art. 66 al. 1 et art. 68 al. 1 et 2 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 5'000 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

3.
Une indemnité de 5'000 fr., à payer à l'intimée à titre de dépens, est mise à
la charge de la recourante.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la 1ère Section de la Cour de
justice du canton de Genève.

Lausanne, le 2 juin 2010
Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente: Le Greffier:

Hohl Braconi