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II. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 5A.648/2009
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
5A_648/2009

Arrêt du 8 février 2010
IIe Cour de droit civil

Composition
Mme et MM. les Juges Hohl, Présidente,
von Werdt et Herrmann.
Greffière: Mme de Poret.

Parties
X.________, (époux),
représenté par Me Jacques Haldy, avocat,
recourant,

contre

dame X.________, (épouse),
représentée par Me Cornelia Seeger Tappy, avocate,
intimée.

Objet
divorce,

recours contre l'arrêt de la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton
de Vaud du 10 juin 2009.

Faits:

A.
A.a X.________, né en 1959, et dame X.________, née en 1959, se sont mariés le
25 avril 1986 à Pully.

Deux enfants sont issus de cette union: A.________, née en 1988, et B.________,
née en 1992.
A.b X.________ souffre d'un cancer du poumon, diagnostiqué en 2000, ainsi que
de dépression. Depuis le 1er septembre 2001, il bénéficie d'une rente entière
d'invalidité d'un montant mensuel de 2'210 fr. Il perçoit également chaque mois
de sa caisse de pension une rente d'invalidité qui se chiffre à 3'514 fr. 35.
A.c Par jugement du 4 juillet 2003, le Tribunal correctionnel de
l'arrondissement de Lausanne a notamment condamné dame X.________ à sept ans de
réclusion pour le meurtre de sa fille cadette et pour la tentative de meurtre
de sa fille aînée.

Ces infractions pénales sont survenues le 14 février 2002, dans le cadre d'un
conflit conjugal opposant les parties depuis plusieurs années.

B.
Le divorce des époux a été prononcé le 20 janvier 2009, par jugement du
Tribunal d'arrondissement de Lausanne. X.________ a notamment été condamné à
verser à son ex-épouse une rente mensuelle de 1'000 fr. à titre d'indemnité
équitable au sens de l'art. 124 CC.

Statuant sur recours de X.________ et recours joint de dame X.________, la
Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté le second
et partiellement admis le premier, réduisant le montant de la rente à 500 fr.
et limitant son versement jusqu'au mois de mai 2024. L'arrêt, rendu le 10 juin
2009, a été notifié aux parties le 27 août 2009.

C.
Par acte du 28 septembre 2009, X.________ exerce un recours en matière civile
au Tribunal fédéral. Invoquant l'interdiction de l'abus de droit, il conclut à
être libéré du versement de toute rente mensuelle à titre d'indemnité équitable
selon l'art. 124 CC.

L'intimée n'a pas été invitée à répondre.

D.
Par ordonnance présidentielle du 7 janvier 2010, l'effet suspensif a été
attribué au recours.

Considérant en droit:

1.
Le recours a été interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF), contre une
décision finale (art. 90 LTF), prise en dernière instance cantonale et sur
recours par le tribunal supérieur du canton de Vaud (art. 75 al. 1 LTF), dans
une affaire civile de nature pécuniaire (art. 72 al. 1 LTF), dont la valeur
litigieuse est supérieure à 30'000 fr. (art. 51 al. 1 let. a et al. 4, 74 al. 1
let. b LTF). Le recourant a par ailleurs pris part à la procédure devant
l'autorité précédente et démontre un intérêt juridique à la modification de la
décision attaquée (art. 76 al. 1 LTF), de sorte que le recours en matière
civile est en principe recevable.

2.
Saisi d'un recours en matière civile, le Tribunal fédéral applique le droit
d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est lié ni par les motifs invoqués par les
parties, ni par l'argumentation juridique retenue par l'autorité cantonale (cf.
ATF 130 III 297 consid. 3.1); iI peut donc admettre un recours pour un autre
motif que ceux qui ont été invoqués par le recourant, comme il peut le rejeter
en adoptant une argumentation différente de celle de l'autorité précédente (cf.
ATF 130 III 136 consid 1.4 in fine, 297 consid. 3.1).

3.
3.1 En tant qu'un cas de prévoyance est d'ores et déjà survenu - le recourant
est en effet entièrement invalide -, la Chambre des recours a considéré que
seule une indemnité équitable au sens de l'art. 124 CC entrait en
considération, à l'exclusion d'un partage selon l'art. 122 s. CC.

Examinant d'abord s'il existait une exception au versement d'une indemnité
selon l'art. 124 CC, les juges cantonaux se sont alors référés à la
jurisprudence fédérale rendue en application de l'art. 123 al. 2 CC,
disposition permettant l'exclusion totale ou partielle du partage des avoirs de
prévoyance lorsque celui-ci se révèle manifestement inéquitable. Observant que
le Tribunal de céans, suivi par la doctrine majoritaire, admettait le refus du
partage des prestations de sortie lorsque celui-ci contrevenait à
l'interdiction de l'abus de droit, elle a considéré qu'il était en l'occurrence
abusif "d'exiger du recourant invalide qu'il partage sa rente d'invalidité avec
celle qui avait contribué à l'aggravation de son état de santé en tuant l'un de
ses enfants". Cette circonstance justifiait ainsi une réduction de l'indemnité
au sens de l'art. 124 CC, la juridiction cantonale appliquant l'art. 125 al. 3
ch. 3 CC par analogie. Néanmoins, si l'infraction pénale de l'ex-épouse
justifiait de la priver de toute contribution d'entretien au sens de cette
dernière disposition, les juges cantonaux ont ensuite estimé qu'elle ne saurait
priver l'intimée de toute participation au capital de prévoyance épargné par
l'époux entre 1986 (date du mariage) et 2001 (date de survenance du cas de
prévoyance), à savoir la période antérieure à l'infraction pénale. La durée du
mariage des parties, de même que le fait que l'ex-épouse s'était consacrée à
l'éducation de ses deux filles sans pouvoir ainsi accumuler des prestations de
prévoyance professionnelle, devaient être pris en considération. L'intimée
pouvait donc prétendre au versement d'une indemnité de prévoyance réduite, que
la Chambre des recours a chiffré à 500 fr. en prenant en considération les
besoins concrets de prévoyance des deux époux.

3.2 Si le recourant approuve la cour cantonale lorsque celle-ci admet que le
comportement de son ex-épouse justifierait l'application de l'art. 2 al. 2 CC,
il s'oppose en revanche aux conséquences juridiques qu'elle en déduit: plutôt
que de réduire l'indemnité à laquelle prétend l'intimée, la juridiction
cantonale aurait dû au contraire la supprimer, l'abus de droit ne pouvant en
effet qu'entraîner la paralysie du droit garanti par l'art. 124 CC. En tant
qu'il conclut à la seule suppression de l'indemnité équitable en faveur de son
épouse, le recourant ne s'en prend pas au raisonnement cantonal consistant à
fixer concrètement le montant de ladite indemnité.

4.
4.1 Les art. 122 s. CC règlent les droits issus de la prévoyance
professionnelle lorsqu'un époux au moins est affilié à une institution de
prévoyance professionnelle et qu'aucun cas de prévoyance n'est survenu. Selon
l'art. 122 al. 1 CC, les prestations de sortie de la prévoyance professionnelle
des époux doivent en principe être partagées entre eux par moitié.
Exceptionnellement, le juge peut refuser le partage, en tout ou en partie,
lorsque celui-ci s'avère manifestement inéquitable pour des motifs tenant à la
liquidation du régime matrimonial ou à la situation économique des époux après
le divorce (art. 123 al. 2 CC). La jurisprudence admet, avec retenue, qu'outre
les circonstances économiques postérieures au divorce ou des motifs tenant à la
liquidation du régime matrimonial, le juge peut également refuser le partage si
celui-ci contrevient à l'interdiction de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC;
entre autres: ATF 135 III 153 consid. 6.1; 133 III 497 consid. 4; Thomas Sutter
/Dieter Freiburghaus, Kommentar zum neuen Scheidungsrecht, 1999, n. 16 ad art.
123 CC; Hermann Walser, Basler Kommentar, 3e éd., 2006, n. 17 ad art. 123;
Thomas Geiser, Übersicht über die Rechtsprechung zum Vorsorgeausgleich, FamPra
2008, p. 314).

Lorsqu'un cas de prévoyance est déjà survenu, l'art. 124 al. 1 CC prévoit le
versement d'une indemnité équitable. Si la faculté de renoncer au droit et la
possibilité de refuser le partage au sens de l'art. 123 CC ne sont pas
expressément prévues dans le cadre de l'art. 124 CC, le juge doit néanmoins en
tenir compte sous l'angle de l'équité (ATF 129 III 481 consid. 3.3; arrêt
5C.276/2001 du 1er mai 2002, consid. 4b publié in SJ 2002 I p. 538; Message
concernant la révision du code civil suisse [état civil, conclusion du mariage,
divorce, droit de la filiation, dette alimentaire, asiles de famille, tutelle
et courtage matrimonial] du 15 novembre 1995, FF 1996 I 1, p. 108; Sutter/
Freiburghaus, op. cit., n. 15 ad art. 124 CC; Walser, op. cit., n. 13 ad art.
124 CC; Geiser, op. cit., p. 316). L'interdiction de l'abus de droit devra
ainsi nécessairement être prise en considération sous cet angle-là.

4.2 Seules sont contestées en l'espèce les conséquences de l'interdiction de
l'abus de droit, le recourant ne s'en prenant pas à l'application de cette
clause générale qui lui est favorable.
4.2.1 Aux termes de l'art. 2 al. 2 CC, l'abus manifeste d'un droit n'est pas
protégé par la loi. Le tribunal possède ainsi le pouvoir de corriger les effets
de l'application (formelle) de la loi lorsque celle-ci se heurte aux impératifs
(matériels) des intérêts à protéger selon la justice (notamment: ATF 107 Ia 206
consid. 3b; 134 III 52 consid. 2.1 p. 58; Henri Deschenaux, Le Titre
préliminaire du code civil, in Traité de droit privé suisse, tome II/1, 1969,
p. 146; Max Baumann, Zürcher Kommentar, 1998, n. 21 ad art. 2 CC; Mihaela
Amoos, La théorie de l'abus de droit en relation avec les droits absolus, 2002,
p. 49). Il appartient dès lors au juge de décider, au vu du cas concret, selon
quelles modalités ce correctif doit être apporté et quelles conséquences il
convient d'en tirer (Paul-Henri Steinauer, Le Titre préliminaire du code civil,
in Traité de droit privé suisse, tome II/1, 2008, n. 426 et 480 ss). La
fonction correctrice de l'abus de droit permet ainsi au juge non seulement de
s'écarter de l'application formelle des règles légales lorsqu'il le juge
nécessaire, mais également de restreindre l'exercice du droit invoqué. Il
statue à cet égard en équité (art. 4 CC; Steinauer, op. cit., n. 426 et 482),
de sorte que le Tribunal fédéral se montre particulièrement réservé: il
n'intervient que si l'autorité cantonale a pris en considération des éléments
qui ne jouent pas de rôle au sens de la loi ou a omis de tenir compte de
facteurs essentiels, ou bien encore si, d'après l'expérience de la vie, les
montants arrêtés apparaissent manifestement inéquitables au regard des
circonstances (ATF 131 III 1 consid. 4.2 p. 4; arrêts 5A_63/2009 du 20 août
2009 consid. 6 publié in FamPra 2009 p. 1045; 5A_55/2007 du 14 août 2007
consid. 4.3 publié in FamPra 2008 p. 181).
4.2.2 En l'espèce, après avoir jugé qu'il serait abusif que la recourante pût
bénéficier de la moitié des avoirs de prévoyance professionnelle de son
ex-époux, la juridiction cantonale a néanmoins considéré que l'on ne saurait la
priver de la perception d'une indemnité équitable recouvrant la période de vie
commune antérieure à la commission de l'infraction pénale, soulignant le fait
que les ex-époux avaient été mariés 16 ans lors de la commission du crime et
que, depuis la naissance des enfants, l'épouse s'était principalement vouée à
leur éducation sans pouvoir se constituer de ce fait une prévoyance suffisante.
Les juges cantonaux ont ainsi implicitement tenu compte de l'objectif visé par
le partage de la prévoyance professionnelle, à savoir la compensation de la
perte de prévoyance de l'époux qui se consacre au ménage et à l'éducation des
enfants en renonçant totalement ou partiellement à exercer une activité
lucrative, sans perdre de vue le crime commis par l'intimée contre ses propres
enfants, crime qui n'a pas causé l'invalidité du recourant et pour lequel
celui-ci a obtenu une indemnité pour tort moral. Faisant usage du pouvoir
d'appréciation que lui réservait l'art. 4 CC, la cour cantonale a ainsi
déterminé le correctif qu'elle souhaitait apporter à la situation de fait
concrète, soit la réduction de l'indemnité plutôt que sa suppression. Or, dans
la mesure où le recourant se limite à affirmer qu'elle se devait de pleinement
sanctionner l'intimée par la seule suppression de la rente à laquelle elle
prétendait, il ne démontre aucunement en quoi la juridiction cantonale aurait
abusé de son pouvoir d'appréciation en optant pour sa réduction.

5.
En tant que le recourant ne conteste pas le calcul par lequel la Chambre des
recours a fixé le montant de l'indemnité équitable due à son ex-épouse, il n'y
a pas lieu de le remettre en question.

6.
Vu ce qui précède, le recours est rejeté, au frais de son auteur (art. 66 al. 1
CC). Il n'est accordé aucun dépens à l'intimée qui s'est abstenue de se
déterminer sur la requête d'effet suspensif présentée par le recourant et qui
n'a pas été invitée à répondre sur le fond.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre des recours du
Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 8 février 2010
Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente: La Greffière:

Hohl de Poret