Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.638/2009
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_638/2009

Arrêt du 1er avril 2010
Ire Cour de droit civil

Composition
Mmes et MM. les Juges Klett, Présidente, Corboz, Rottenberg Liatowitsch, Kolly
et Kiss.
Greffière: Mme Godat Zimmermann.

Parties
Christian de Siebenthal, représenté par Me Ivan Cherpillod,
recourant,

contre

Ville de Genève,
intimée.

Objet
droit d'auteur; action en constatation,

recours contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de
Genève du 13 novembre 2009.

Faits:

A.
A.a Christian de Siebenthal est titulaire d'un diplôme d'ingénieur-chimiste
EPFL. En 1977, il a travaillé durant quatre mois en tant que dessinateur de
plans d'intervention auprès du Service d'incendie et de secours de la Ville de
Genève (ci-après: le SIS).

Le 6 octobre 1978, le SIS a engagé à nouveau Christian de Siebenthal, mais
cette fois-ci en qualité de chimiste-documentaliste avec un taux d'activité de
20 %. Les parties étaient liées par un contrat de travail temporaire, qui a été
régulièrement renouvelé jusqu'au 31 décembre 2001; dès le 1er janvier 2002, le
chimiste a bénéficié d'un contrat de travail pour employé régulier.
Parallèlement à son activité à temps partiel auprès du SIS, Christian de
Siebenthal a obtenu un diplôme de médecin-dentiste en 1982, puis a ouvert son
propre cabinet.

De 1962 à 1988, le SIS était dirigé par A.________, ingénieur-technicien
diplômé de l'école technique de Genève et disposant d'une formation d'officier
NBC (nucléaire, bactériologique, chimiste). B.________ lui a succédé et est
resté à la tête du service jusqu'en 2004. Depuis cette année-là et encore
aujourd'hui, C.________ dirige le SIS.

Les tâches de Christian de Siebenthal au sein du SIS ont toujours été les
mêmes. Selon un cahier des charges daté du 24 août 2001, l'employé devait
établir les fiches de l'ouvrage intitulé «Répertoire des produits dangereux» ou
«Guide orange des sapeurs-pompiers genevois» (ci-après: Guide orange) et
contrôler les imprimés de ce document; il était également chargé de
l'instruction chimique dans les écoles de formation du SIS et devait assurer la
formation permanente des sections d'intervention dans le domaine de la chimie;
il lui appartenait enfin de conseiller la direction du service pour
l'acquisition des moyens de lutte contre les produits chimiques.

Le Guide orange est un manuel d'intervention pratique destiné d'abord aux
sapeurs-pompiers genevois. Pour chaque produit dangereux, il contient une
description détaillée du produit et énumère les dangers qui lui sont liés, les
mesures de protection personnelle, de sécurité et d'évacuation à prendre ainsi
que les moyens d'extinction autorisés et les types de pompes et tuyaux adéquats
pour les travaux de rétablissement. Le guide est pourvu d'une reliure amovible
et ses feuillets sont en papier indéchirable et résistant à l'eau, ce qui le
rend pratique et maniable lors d'une intervention.

En avril 1979, A.________ avait rédigé une ébauche du répertoire des produits
dangereux, qu'il voulait intituler «Le Livre jaune des sapeurs-pompiers». Le
manuscrit contenait une table des matières, un projet de préface, se terminant
par les noms de Christian de Siebenthal et A.________, un mémento des mesures
immédiates, une signalisation/identification des produits et une échelle des
dangers; deux fiches de produits dangereux, dactylographiées, étaient jointes.
Le 31 juillet 1979, A.________ a demandé au Conseil administratif de la Ville
de Genève un crédit spécial pour la réalisation de l'ouvrage. Tirée à 350
exemplaires et comportant 118 fiches, la première édition du Guide orange est
parue en 1979. Dans la préface, A.________ indiquait que «la réalisation de ce
guide SPG a été rendue possible grâce à la collaboration efficace de Monsieur
Ch. de Siebenthal, Ingénieur-Chimiste, qui a effectué des stages dans notre
service en participant aux opérations.»

Le Guide orange a été régulièrement mis à jour, au fur et à mesure que l'ONU
communiquait de nouvelles données relatives aux produits dangereux. Il a été
réédité en 1985, 1992 et 2003, toujours aux frais de la Ville de Genève. Sa
dernière version se décline en trois volumes et comporte 990 fiches. Comme dans
les éditions précédentes, les armoiries de la Ville de Genève et, en-dessous,
la mention du SIS figurent sur la page de couverture. Le guide est devenu
l'ouvrage de référence des sapeurs-pompiers francophones; il a été recommandé
par le Ministère de l'Intérieur français et est utilisé par plusieurs
industries chimiques et de transport. Le site Internet de la Ville de Genève
fait référence au Guide orange et indique que son concepteur et éditeur est le
SIS. Pendant de nombreuses années, Christian de Siebenthal y était cité comme
conseiller technique. Dans la deuxième édition, la préface rédigée par
A.________ mentionnait à nouveau que «la réalisation de cet ouvrage a[vait] été
rendue possible grâce à la collaboration de Monsieur Christian de Siebenthal,
ingénieur-chimiste, qui participe à nos interventions depuis de nombreuses
années, ainsi qu'à l'instruction de notre personnel», formulation reprise par
C.________ dans la préface de la quatrième édition. Par ailleurs, chaque
édition comporte un avant-propos rédigé et signé par Christian de Siebenthal.

Dans un rapport du 31 janvier 2001 établi en vue de l'ouverture d'un crédit
extraordinaire de 330'000 fr. pour la réimpression du Guide orange, la
Commission des sports et de la sécurité relate les propos de B.________,
décrivant Christian de Siebenthal, «dentiste de profession, comme un passionné
de chimie qui a mis son enthousiasme et ses compétences au service du SIS» et
qui «a élaboré le Guide orange en 1979, afin de faire connaître les produits
dangereux auxquels les sapeurs-pompiers peuvent être confrontés sur le
terrain». Il ressort du même rapport que le Guide orange est une oeuvre
protégée par le droit d'auteur, qu'il est conseillé d'y apposer la mention
«copyright» et qu'une copie de l'ouvrage non autorisée par la Ville de Genève
pourrait donner lieu à des dommages-intérêts.
A.b En 2004, Christian de Siebenthal a appris que le maire de Genève souhaitait
confier à un tiers l'édition et la commercialisation du Guide orange. Par
courriers des 13 octobre 2004 et 15 mars 2005, il a demandé à C.________ de
pouvoir reprendre à son compte la gestion du guide en partenariat avec la Ville
de Genève, en qualité de chef d'entreprise et non d'employé. En avril 2006, il
a fait savoir au SIS qu'il souhaitait reprendre à son compte l'exploitation
scientifique et commerciale du guide et acquérir les droits sur les copyrights
déjà existants et à venir, ainsi que les droits de traduction.

Par lettre du 24 juillet 2006, C.________ a informé Christian de Siebenthal que
le maire avait écarté sa proposition qui, à ses yeux, ne permettait pas de
garantir une pérennité d'édition, ni de préserver et rentabiliser les
investissements financiers consentis jusqu'alors par la Ville de Genève.
A.c Le 10 octobre 2006, Christian de Siebenthal a déposé une requête de mesures
provisionnelles, tendant notamment à faire interdiction à la Ville de Genève de
déposer tout ou partie du Guide orange, de confier à quiconque l'édition et/ou
la commercialisation de l'ouvrage, de confier à quiconque sa réimpression et/ou
sa reproduction et de supprimer le lien sur le site Internet de la ville
renvoyant audit guide.

Lors d'une audience tenue le 24 janvier 2007, Christian de Siebenthal a retiré
sa requête, en raison de l'absence d'urgence. En effet, la Ville de Genève
n'avait alors passé aucun contrat en relation avec le Guide orange et n'avait
pas entamé non plus de pourparlers à ce sujet.
Par courrier du 23 mars 2007, la Ville de Genève a résilié le contrat de
travail la liant à Christian de Siebenthal, invoquant une rupture du lien de
confiance à la suite du dépôt de la requête de mesures provisionnelles. Se
plaignant d'un licenciement abusif, l'employé a saisi la juridiction des
prud'hommes. En première comme en seconde instance, il a été débouté de ses
conclusions.

B.
Par acte déposé le 9 juillet 2008, Christian de Siebenthal a formé une action
en constatation de droit contre la Ville de Genève, tendant à faire constater
qu'il est l'auteur du Guide orange. La Ville de Genève a conclu au rejet de
l'action.

Statuant le 13 novembre 2009 en instance cantonale unique, la Chambre civile de
la Cour de justice du canton de Genève a débouté le demandeur des fins de son
action.

C.
Christian de Siebenthal interjette un recours en matière civile. Il conclut,
principalement, à ce qu'il soit constaté qu'il est l'auteur du répertoire des
produits dangereux, communément appelé Guide orange. A titre subsidiaire, il
demande au Tribunal fédéral de renvoyer la cause à la Cour de justice pour
nouvelle décision.

La Ville de Genève propose le rejet du recours.

Pour sa part, la Chambre civile se réfère aux considérants de son arrêt.

Considérant en droit:

1.
1.1 La Chambre civile a statué en tant qu'instance cantonale unique au sens de
l'art. 64 al. 3 LDA (RS 231.1). Dans ce cas-là, le recours en matière civile
est recevable sans égard à la valeur litigieuse (art. 74 al. 2 let. b LTF) et
même si le tribunal supérieur n'a pas statué sur recours (art. 75 al. 2 let. a
LTF). Au surplus, interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions
(art. 76 al. 1 LTF), le recours a été déposé dans le délai (art. 100 al. 1 LTF)
et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi.

1.2 Le recours en matière civile peut être interjeté pour violation du droit,
tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF. Le Tribunal fédéral n'entre
pas en matière sur la violation d'un droit de rang constitutionnel ou sur une
question afférente au droit cantonal ou intercantonal si le grief n'a pas été
invoqué et motivé de manière détaillée par la partie recourante (art. 106 al. 2
LTF). Pour le reste, il applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF), sans
être limité par les arguments soulevés dans le recours ni par la motivation
retenue dans la décision déférée; il peut donc admettre un recours pour
d'autres motifs que ceux qui ont été articulés, ou à l'inverse, rejeter un
recours en adoptant une argumentation différente de celle de l'autorité
précédente (ATF 135 III 397 consid. 1.4 p. 400; 134 III 102 consid. 1.1 p.
104). Cependant, compte tenu de l'exigence de motivation contenue à l'art. 42
al. 1 et 2 LTF, sous peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF), le
Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués; il n'est pas
tenu de traiter, comme le ferait une autorité de première instance, toutes les
questions juridiques qui se posent, lorsque celles-ci ne sont plus discutées
devant lui (ATF 135 III 397 consid. 1.4 p. 400; 134 III 102 consid. 1.1 p.
105).

Par ailleurs, le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la
base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne
peut s'en écarter que si les constatations de l'autorité précédente ont été
établies de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle
d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 135 III 127 consid. 1.5 p. 130, 397
consid. 1.5 p. 401; 135 II 145 consid. 8.1 p. 153) - ou en violation du droit
au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et pour autant que la correction
du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).
Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter
de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF).

2.
La Chambre civile a débouté le recourant des fins de son action en constatation
sur la base de deux motivations indépendantes. Premièrement, elle a jugé que le
recourant n'avait pas démontré être l'auteur du Guide orange. A titre
subsidiaire, elle a considéré que, même s'il en avait été l'auteur, il aurait
perdu «ses droits à la constatation» pour cause de péremption.

Conformément aux exigences déduites de l'art. 42 al. 2 LTF (ATF 133 IV 119
consid. 6.3 p. 120 s. et les arrêts cités), le recourant s'en prend à chacune
de ces motivations de sorte que son recours est recevable à cet égard.

3.
Il convient tout d'abord d'examiner la motivation subsidiaire de l'arrêt
attaqué qui, on le verra, a trait en réalité à la qualité pour intenter
l'action en constatation au sens de l'art. 61 LDA.

3.1 La cour cantonale a jugé que le recourant disposait d'un intérêt légitime à
faire constater qu'il est l'auteur du Guide orange. Elle a considéré toutefois
que son action était périmée pour les motifs cumulatifs suivants: depuis la
première parution du guide en 1979, le recourant a attendu près de 27 ans avant
de revendiquer ses droits d'auteur sur l'ouvrage; dans cette période, le guide
a acquis une valeur économique appréciable puisqu'entre 1980 et 1995, le
bénéfice net provenant de la vente de l'ouvrage s'est élevé à 168'000 fr.;
enfin, l'intimée était de bonne foi.

Le recourant fait valoir que la péremption ne peut affecter que les actions en
abstention et en cessation du trouble, à l'exclusion des actions en
constatation de droit pour lesquelles seule la question de l'intérêt à agir se
pose. Au demeurant, les conditions d'une péremption ne seraient pas réunies en
l'espèce dès lors que le recourant n'avait aucune raison d'ouvrir action tant
que son activité se déroulait harmonieusement au sein du SIS. Au surplus, le
temps écoulé pendant la procédure devant les prud'hommes est inférieur à cinq
ans et l'intimée n'a pas acquis dans l'intervalle un certain goodwill
appréciable monétairement.

3.2 L'invocation tardive de prétentions fondées sur la violation d'un droit de
propriété intellectuelle peut conduire, en application de l'art. 2 CC, à la
péremption de ces prétentions et, par conséquent, du droit d'action qui leur
est lié. La péremption implique que l'ayant droit ait toléré la violation de
ses droits pendant une longue période sans s'y opposer et que l'auteur de la
violation ait acquis entre-temps une position digne de protection (arrêt 4C.371
/2005 du 2 mars 2006 consid. 3.1 et les arrêts cités, in SJ 2007 I p. 7 et in
sic! 2006 p. 500). Une péremption éventuelle ne peut concerner qu'une action en
exécution (art. 62 LDA), introduite par une personne qui subit ou risque de
subir une violation de son droit d'auteur ou d'un droit voisin. Pour sa part,
l'action en constatation, dont la recevabilité est régie par le droit fédéral,
n'est soumise à aucune limitation dans le temps. Elle suppose uniquement que le
demandeur ait un intérêt légitime à la constatation (art. 61 LDA). C'est lors
de l'examen de cet intérêt que l'écoulement du temps peut avoir son importance.
Selon les circonstances, un retard à agir sera en effet interprété comme une
approbation de la situation litigieuse ou comme l'expression d'un manque
d'intérêt à la constatation, ce qui amènera le juge à nier l'intérêt légitime
du demandeur (Barrelet/Egloff, Le nouveau droit d'auteur, 3e éd. 2008, n° 6 ad
art. 61 LDA p. 337/338). Il n'y a donc pas à proprement parler de péremption de
l'action en constatation.

De manière générale, l'intérêt légitime à la constatation au sens de l'art. 61
LDA peut être juridique ou simplement de fait, mais il doit être d'importance.
Cette condition est remplie lorsqu'une incertitude plane sur un droit ou sur
les relations juridiques des parties découlant du droit d'auteur et qu'une
constatation judiciaire est susceptible de l'éliminer. N'importe quelle
incertitude ne suffit pas; il faut qu'en se prolongeant, elle entrave le
demandeur dans sa liberté d'action et lui soit objectivement insupportable.
L'intérêt à l'action en constatation fait en principe défaut lorsque le
demandeur peut intenter une action en exécution (arrêt 4A_55/2007 du 29 août
2007 consid. 5.2.1 et les arrêts cités, in sic! 2008 p. 209).

3.3 En l'espèce, le recourant veut faire reconnaître qu'il est l'auteur du
Guide orange. Pour atteindre ce but, l'action en constatation est à la
disposition du prétendu auteur (cf. François Dessemontet, Le droit d'auteur,
1999, p. 143), une action en exécution n'entrant pas en ligne de compte. Par
ailleurs, l'intimée conteste la qualité d'auteur du recourant qui se proclame
comme tel, de sorte qu'il y a bien incertitude à ce sujet. Cette situation est
objectivement insupportable pour celui qui se prétend auteur de l'oeuvre. Sur
ce point, on ne saurait imposer au recourant de se satisfaire d'une incertitude
durable parce qu'il est resté inactif pendant 27 ans, soit de la première
publication de l'oeuvre jusqu'au dépôt de la requête de mesures
provisionnelles. Avant que les relations entre les parties se détériorent en
2006, le recourant n'avait aucune raison de faire constater sa qualité d'auteur
par la voie judiciaire. Jusque-là, il pouvait penser de bonne foi que l'intimée
ne contestait pas qu'il était l'auteur du guide. En particulier, l'édition de
l'ouvrage par la Ville de Genève, avec l'appellation du SIS sur la couverture,
ne démontrait pas que l'intimée, par son service, se considérait comme l'auteur
du guide, puisque seule une personne physique peut être auteur (art. 6 LDA) et
que la présomption de l'art. 8 al. 2 LDA en faveur de l'éditeur d'une oeuvre
apparemment anonyme n'emporte pas cession de la qualité d'auteur (cf. Manfred
Rehbinder, Schweizerisches Urheberrecht, 3e éd. 2000, n° 116 p. 127). Dans ces
circonstances, l'attitude du recourant ne saurait être interprétée comme
l'expression d'un manque d'intérêt à la constatation de sa qualité d'auteur du
Guide orange.

Au demeurant, l'auteur dispose sur son oeuvre notamment de prérogatives morales
(droit moral), dont le droit de paternité incluant le droit de faire
reconnaître sa qualité d'auteur (art. 9 al. 1 LDA). Or, le droit moral ne peut
pas être cédé; c'est dire qu'il est indissociablement lié à la personne
physique qui a qualité d'auteur (Barrelet/Egloff, op. cit., n° 7 ad art. 9 LDA
p. 45; Gitti Hug, in Müller/Oertli, Urheberrechtsgesetz [URG], 2006, n° 10 ad
art. 9 LDA p. 74). Dès l'instant où l'auteur ne peut renoncer à son droit
moral, l'intérêt d'une personne physique à faire constater qu'elle est l'auteur
d'une oeuvre déterminée existe toujours et ne saurait disparaître par
l'écoulement du temps. Une telle constatation permettra à l'auteur par exemple
de prévenir une atteinte à l'intégrité de son oeuvre qu'il n'aurait pas
autorisée.

C'est le lieu de préciser qu'une éventuelle reconnaissance judiciaire de la
qualité d'auteur d'une oeuvre ne préjuge encore en rien du point de savoir si,
préalablement, des droits moraux transmissibles ou des droits d'auteur
patrimoniaux ont été ou non cédés par l'auteur, dans le cadre par exemple du
contrat de travail qui liait les parties.

Cela étant, la cour cantonale ne pouvait pas rejeter l'action au motif que le
recourant avait tardé à agir. Le grief tiré d'une mauvaise application de
l'art. 2 CC en relation avec l'art. 61 LDA est fondé.

4.
4.1 Dans la motivation principale de l'arrêt attaqué, la cour cantonale a jugé
que le recourant n'est pas l'auteur du Guide orange, dont elle attribue la
paternité à A.________.

Le recourant se plaint d'une violation de l'art. 6 LDA. A son avis, les
critères appliqués par la Chambre civile ne sont pas pertinents pour définir la
qualité d'auteur. Ainsi, le fait que le recourant ne soit pas pompier ne serait
pas déterminant puisque l'ouvrage nécessitait avant tout des compétences de
chimiste. Par ailleurs, les notes manuscrites de A.________, démontrant qu'il
avait réfléchi à la conception, forme et présentation du guide, ne suffiraient
pas à en faire un auteur dans la mesure où la cour cantonale ne constate pas
que l'oeuvre a été effectivement réalisée sur la base de ces notes. L'obtention
d'un crédit pour la publication de l'oeuvre ne serait pas non plus pertinente à
cet égard. Le recourant réfute en outre n'avoir fait qu'un travail de
compilation. Le travail de vulgarisation que la cour cantonale lui reconnaît
tout de même donnerait du reste prise au droit d'auteur. Le recourant conteste
également que le choix d'un papier indestructible et résistant à l'eau pour
l'ouvrage lui-même puisse avoir une pertinence quelconque pour attribuer à une
personne la qualité d'auteur. De même, celui qui définit le but de l'ouvrage,
pose des critères de présentation ou donne des instructions ne saurait de ce
fait être considéré comme l'auteur. Selon le recourant, la cour cantonale a
ignoré enfin des éléments de sa propre décision qui démontraient qu'il avait
bel et bien créé l'oeuvre concrète, comme par exemple le fait qu'il avait été
chargé de mettre à exécution le projet ou le rapport de la Commission des
sports le désignant comme celui qui avait élaboré le guide.

4.2 Il n'est pas contesté que le Guide orange est une oeuvre au sens de l'art.
2 al. 1 LDA, soit une création de l'esprit qui a un caractère individuel,
quelles qu'en soient la valeur ou la destination. Sont notamment des créations
de l'esprit les oeuvres recourant à la langue, qu'elles soient littéraires,
scientifiques ou autres (art. 2 al. 2 let. a LDA). Le critère décisif réside
dans l'individualité, qui doit s'exprimer dans l'oeuvre elle-même;
l'originalité, dans le sens du caractère personnel apporté par l'auteur, n'est
plus nécessaire selon la LDA entrée en vigueur en juillet 1993 (ATF 134 III 166
consid. 2.1 p. 169/170; 130 III 168 consid. 4.4 p. 172, 714 consid. 2.1 p.
717). Le caractère individuel exigé dépend de la liberté de création dont
l'auteur jouit; si la nature de l'objet ne lui laisse que peu de marge de
manoeuvre, par exemple pour une oeuvre scientifique, la protection du droit
d'auteur sera accordée même si le degré d'activité créatrice est faible (ATF
113 II 190 consid. 2a p. 196; 117 II 466 consid. 2a p. 468; 130 III 168 consid.
4.1 p. 170). L'individualité se distingue de la banalité ou du travail de
routine; elle résulte de la diversité des décisions prises par l'auteur, de
combinaisons surprenantes et inhabituelles, de sorte qu'il paraît exclu qu'un
tiers confronté à la même tâche ait pu créer une oeuvre identique. Un
compendium contenant des informations sur des médicaments a ainsi été jugé
comme manquant de l'individualité requise (ATF 134 III 166 consid. 2.3.1, 2.3.2
et 2.5).

En l'espèce, ce qui fait l'individualité du Guide orange, c'est la présentation
de chaque produit chimique par fiche, comprenant l'étiquette de danger
correspondante, le panneau orange avec le numéro de danger ONU, une échelle
allant de 0 à 4 indiquant les dangers pour la santé (carré bleu), en cas de feu
(carré rouge), lors d'instabilité chimique à la chaleur (carré jaune) et de
réaction avec l'eau (carré blanc) ou avec l'air à 20 °C (carré rouge et jaune),
une description du produit et de ses dangers, l'indication de l'attitude à
adopter en cas de feu, de déversement sur terre ou dans l'eau, d'intoxication,
la mention du matériel de protection et de récupération à utiliser, les
constantes physiques et, selon les produits, une barre orange simple ou double
indiquant si l'évacuation de la population est à envisager ou indispensable,
ainsi qu'une description de la zone à évacuer en cas de fuite toxique ou de
risque d'explosion. En revanche, ni le type de reliure, ni le choix du papier
sur lequel le guide est imprimé ne participent à l'individualité de l'oeuvre
(cf. Kamen Troller, Manuel du droit suisse des biens immatériels, 2e éd. 1996,
tome I, p. 19).

4.3 Selon le principe du créateur (Schöpferprinzip), l'auteur est la personne
physique qui a créé l'oeuvre (art. 6 LDA). La création d'une oeuvre dans le
cadre d'un contrat de travail n'empêche pas l'employé d'acquérir le statut
d'auteur (cf. Rémy Wyler, Droit du travail, 2e éd. 2008, p. 383; Daniel Alder,
Urheberrecht und Arbeitsvertrag, in Urhebervertragsrecht, Magda Streuli-Youssef
(éd.), 2006, p. 475; Kamen Troller, Précis du droit suisse des biens
immatériels, 2e éd. 2006, p. 253; Katharina Rüdlinger, Der Urheber im
Arbeitsverhältnis aus rechtsvergleichender Sicht, 1995, p. 70). S'il est une
personne physique, l'employeur ne sera coauteur que s'il a fourni un apport
créatif original; tel ne sera pas le cas s'il se borne à exprimer certains
voeux ou à donner quelques lignes directrices (Wyler, op. cit., p. 383). De
manière générale, est coauteur celui qui concourt de manière effective à la
détermination définitive de l'oeuvre ou à sa réalisation; la contribution du
coauteur peut résider dans la forme ou dans la structure du contenu, pour
autant que son apport revête l'individualité nécessaire (Troller, Précis, op.
cit., p. 254). Le coauteur doit faire preuve d'une collaboration créatrice;
celui qui exécute simplement les instructions d'un autre, sans qu'une marge de
manoeuvre ne soit laissée à sa propre créativité, n'est pas un coauteur, mais
un auxiliaire (Barrelet/Egloff, op. cit., n° 4 ad art. 7 LDA p. 37).

Comme déjà relevé, le caractère individuel de l'oeuvre réside en l'espèce dans
la disposition originale de la matière, par fiches d'intervention comprenant
pour chaque produit en tout cas une étiquette chimique, le numéro ONU, une
échelle des dangers, une description du produit et des dangers qui lui sont
liés, différentes rubriques indiquant aux intervenants comment agir au mieux
selon les situations, ainsi qu'une indication des constantes.

Selon l'arrêt attaqué, le recourant n'est ni auteur, ni coauteur du Guide
orange, car il devait suivre les instructions données par A.________; la cour
cantonale observe par ailleurs que celui-ci avait posé des critères, notamment
de présentation. A ce propos, l'arrêt entrepris n'est guère précis. Il est
simplement fait état d'instructions, sans que l'on sache exactement sur quoi
elles portaient. De même, les critères de présentation posés par A.________ ne
sont pas énumérés. En particulier, la cour cantonale ne constate nulle part que
A.________ aurait décidé seul des éléments qui figurent en définitive sur les
fiches d'intervention. Certes, elle se réfère aux notes manuscrites rédigées
par A.________ en avril 1979 qui, selon elle, démontrent que l'intéressé avait
mûrement réfléchi à la conception, forme et présentation du guide. En réalité,
sous la plume du chef du SIS, on trouve un titre, une table des matières, une
préface, un mémento des mesures immédiates, une signalisation et identification
des produits selon les panneaux oranges et les étiquettes de danger, ainsi que
l'échelle des dangers; les deux exemples de fiches qui suivent ces notes sont
dactylographiées et rien ne permet d'attribuer le choix de leur structure au
seul A.________. On le peut d'autant moins que, au bas de son projet de
préface, le chef du SIS a écrit de sa main le nom du recourant à côté du sien.
En conséquence, il ne résulte pas des faits constatés dans l'arrêt attaqué que
A.________ avait fixé seul la disposition originale de la matière et que la
tâche du recourant était celle d'un simple auxiliaire chargé de remplir des
rubriques prédéterminées.

Cela étant, il est incontesté que c'est bien le recourant qui a rédigé les
fiches composant le Guide orange. Certes, pas plus que pour A.________, les
faits constatés dans l'arrêt cantonal ne laissent apparaître que la forme et la
structure des fiches et du guide en général ont été déterminées exclusivement
par le recourant. A cet égard, le recourant fait grief à la cour cantonale
d'avoir violé l'art. 8 CC en refusant une expertise permettant de dater les
projets de fiches qu'il avait produits. Dans la mesure où, selon le recourant
lui-même, ces exemples ont été dactylographiés alors qu'il travaillait déjà au
SIS, on ne voit pas comment une datation plus précise démontrerait qu'il a
choisi seul les informations à faire figurer dans la fiche. Le moyen est mal
fondé.
Il n'en demeure pas moins que la Chambre civile relève elle-même qu'en 1978, le
SIS a engagé le recourant en qualité de chimiste-documentaliste précisément
«afin de réaliser et de mettre à jour les fiches du "Guide Orange"»; or, à ce
moment-là, aucun répertoire de produits dangereux n'existait. La cour cantonale
retient également que le recourant a été «chargé, notamment en raison de ses
très grandes compétences professionnelles, de mettre à exécution le projet, en
compilant les données chimiques, les vulgarisant et les rendant utiles pour les
besoins des sapeurs-pompiers.» Plus loin, elle relève que le recourant «a
largement participé à la réalisation des fiches dudit guide et que ses
compétences, ainsi que son enthousiasme pour ce domaine, ont contribué à la
qualité et la renommée du guide.» Au surplus, la collaboration du recourant à
la réalisation du guide a été louée dans la préface de toutes les éditions de
l'ouvrage. Le recourant a également rédigé et signé l'avant-propos de chaque
édition. Enfin, comme relevé plus haut, la paternité de l'oeuvre ne peut être
attribuée uniquement à A.________.

Dans ces conditions, la cour cantonale ne pouvait pas, sans violer le droit
fédéral, dénier au recourant tout apport créatif au Guide orange et le réduire
à un auxiliaire n'ayant eu aucune prise sur les choix qui font l'individualité
de l'oeuvre. Il s'ensuit que la qualité de coauteur du Guide orange doit être
reconnue au recourant. L'arrêt attaqué sera réformé dans ce sens.

5.
Le recourant n'obtient pas totalement gain de cause puisqu'il entendait faire
constater qu'il est l'auteur unique du Guide orange. Il se justifie dès lors de
partager les frais judiciaires par moitié entre les parties (art. 66 al. 1
LTF). L'intimée, qui n'est elle-même pas représentée par un avocat devant le
Tribunal fédéral, versera au recourant une indemnité correspondant à la moitié
des dépens auxquels il aurait eu droit s'il avait obtenu entièrement gain de
cause (art. 68 al. 1 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis partiellement et l'arrêt attaqué est annulé.

Il est constaté que Christian de Siebenthal est coauteur du Répertoire des
produits dangereux, également nommé Guide orange des sapeurs-pompiers genevois.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 6'000 fr., sont mis par moitié à la charge de
chaque partie.

3.
Une indemnité de 3'500 fr., à payer à titre de dépens au recourant, est mise à
la charge de l'intimée.

4.
La cause est renvoyée à la Cour de justice pour nouvelle décision sur les frais
et dépens de la procédure cantonale.

5.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre civile de la Cour
de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 1er avril 2010

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente: La Greffière:

Klett Godat Zimmermann